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Miner, Jay
Personnage haut en couleurs, entêté et rebelle, le regretté Jay a révolutionné la micro-informatique en inventant l'Amiga.
Par Laurent (11 octobre 2001)

L'histoire de la micro-informatique et des jeux vidéo nous montre que les visionnaires qui ont eu les idées les plus marquantes et ceux empochant les milliards de dollars de profit qu'elles ont entraînés ne sont pas toujours les mêmes personnes. Jay Miner se classe dans la première catégorie, et même s'il est avant tout un électronicien plus qu'un informaticien, nul ne saurait nier son génie. S'il n'est que le co-fondateur de la société Amiga et de la ligne de micro-ordinateurs du même nom, ceux-ci correspondent à ce point à sa vision des choses, et il s'est donné tant de mal pour imposer ses idées, qu'on peut dire qu'il est le véritable "father of Amiga" que les nombreux sites Internet qui lui sont consacrés décrivent.

Jay Miner naît à Prescott, Arizona, le 32 Mai 1932, mais grandit dans le sud de la Californie. C'est là, à San Diego, qu'il fait ses études. C'est l'époque de la guerre de Corée. Jay devient garde-côte et entre dans une école d'électronique. C'est aussi à cette époque qu'il rencontre Caroline Poplawski, qu'il épouse en 1952. Après 3 ans chez les garde-côtes, il retourne avec sa femme en Californie, et termine ses études à l'université de Berkeley, dont il ressort en 1958 avec un diplôme d'ingénieur en électrotechnique. Durant les dix années qui suivent, il travaille pour différentes entreprises, et connaît ses premiers ennuis rénaux, qui deviendront par la suite incessants, l'obligeant à multiplier les dialyses.

Jay Miner participe dans les années 60 au développement des tous premiers voltmètres à affichage digital, ainsi que des premières calculatrices de poches. Au milieu des années 70, il entre chez Atari, qui est déjà entré dans l'histoire des jeux vidéo avec Pong. Atari prépare alors une console de jeu à cartouches, la VCS, dont Jay va être un des concepteurs. Il ne sépare jamais de sa chienne Mitchy, un croisement Epagneul-Cocker, dont le nom figure sur la porte de son bureau, et dont l'empreinte de patte sera plus tard visible sur la couverture du manuel d'utilisation de l'Amiga 1000.

En 1979, Jay Miner conçoit pour Atari les bases d'un micro-ordinateur 8-bits qui va aboutir à la série des Atari 400 et 800. En fait, Jay a crée les chipset "Antic" présent dans ces machines. L'Antic va rester inchangé jusqu'à la fin de la production de l'Atari 800 XL en 1986. Il existe deux explications possibles pour cela : soit il était très avance sur son temps, soit les ingénieurs de chez Atari qui ont pris la relève de Jay n'ont rien compris à ses schémas, celui-ci ayant l'habitude de les tracer à main levée. Nul ne sait quelle raison est la bonne ! En 1980, Jay découvre le micro-processeur Motorola MC68000 et propose à Atari de développer un micro-ordinateur basé sur cette nouvelle merveille. Atari vient juste de lancer le 800 XL, et n'entend pas dépenser un dollar de plus en développement avant que les premiers bénéfices n'entrent en comptabilité. De plus, le seul 68000 coûte déjà 100$, auquel il faudrait ajouter le prix de la RAM, très chère à l'époque. La réponse est négative, et Jay répond aussitôt qu'il démissionne. Il contacte alors la société Xymos (spécialisée dans les pace-makers), dont il connaît le fondateur Dave Morse (ancien directeur des ventes chez Tonka), et en achète quelques actions.

Pendant ce temps, chez Atari, Larry Kaplan, un des programmeurs vedettes de jeux sur VCS 2600, demande une augmentation de salaire (et pour cause, ses jeux se vendent par millions), qui lui est refusée, et part en claquant la porte, suivi de quelques uns de ses collègues, parmi lesquels David Crane. L'équipe dissidente va créer la société Activision avec le succès que l'on sait. Larry Kaplan, deux ans plus tard, désire quitter Activision et contacte Jay Miner pour former une nouvelle société. Jay Miner vend ses actions Xymos et se met en quête de partenaires financiers. Il loue un bureau à Santa Clara, sur Scott Boulevard, et lui et Kaplan parviennent à gagner la confiance d'un milliardaire texan qui accepte de miser sur leur entreprise, à condition que celle-ci produise des jeux vidéo, ainsi que de trois médecins originaires de Floride qui ont une fortune à investir et cherchent des partenaires. Larry se charge alors de diriger le département software, et Jay réfléchit à la création d'une console de jeux à base de MC68000, en gardant l'idée de la rendre transformable en micro-ordinateur, sans toutefois en parler aux mécènes de l'entreprise. Il propose à Dave Morse de fusionner sa société naissante avec Xymos, qui se nomme désormais Hi-Toro, et le deal se fait, mais les investisseurs n'aiment pas le nom de Hi-Toro, et à l'issue d'une longue réflexion quelqu'un propose le nom d'Amiga. Jay déteste, mais va apprendre ultérieurement à réviser son jugement. Le premier président d'Amiga sera Dave Morse et Jay recrute des ingénieurs, ne retenant que les plus passionnés par le projet. Certains d'entre eux vont par la suite jouer un rôle de premier plan dans l'industrie de la micro-informatique ou du jeu vidéo, comme RJ Mical et Dave Neddle, futurs concepteurs du système 3DO, ou Carl Sassenrath, concepteur du CDTV pour Commodore quelques années plus tard.

A cette époque, le nom de code du projet est Lorraine, le prénom de la femme de Dave Morse. Jay négocie un contrat avec Morse stipulant, en parallèle de ses émoluments, qu'il a le droit de venir tous les jours travailler avec sa chienne Mitchy tant que personne ne s'en trouve réellement incommodé. Mitchy va vite s'avérer très populaire dans les locaux de la société, cette anecdote montrant l'état d'esprit très détendu qui règne chez Amiga. Certains employés sont d'authentiques fêlés, qui viennent habillés de couleurs criardes ou comme des clochards, la palme de l'excentricité revenant à un certain Dale Luck, selon le témoignage de Jay. Au côté de tels énergumènes, la présence d'un chien dans un laboratoire d'électronique n'a rien de choquant mais Jay, qui les a tous embauchés, sait qu'il tient là une équipe de talents incroyables, et s'étonne quotidiennement de voir à quel point le travail avance vite, et dans la bonne direction. Parfois, des discordes éclatent, qui se règlent en général à coups de batte de base-ball en mousse, dans des éclats de rire, mais de vraies différences de conception existent au sein de l'équipe, concernant la vocation du système en cours de développement. Certains, comme RJ Mical, sont partisans de créer un système au coût de fabrication réduit, satisfaisant ainsi les investisseurs et misant sur un prix de vente bas, tandis que d'autres, comme Dale Luck ou Carl Sassenrath, veulent créer une console qui puisse devenir grâce à des extensions le meilleur micro-ordinateur du monde.

Jay va travailler au développement des composants fondamentaux de la machine (notamment le chip graphique Agnus), un travail qui va durer de 1982 à 1984, tandis que l'équipe qu'il a formée programme les bases du futur système d'exploitation. En 1983, après un an de travail acharné, la machine, incroyablement sophistiquée et novatrice, n'a d'existence réelle que sous la forme d'un empilement incompréhensible de schémas et de diagrammes. Seul Jay, qui a tout en tête, est intimement convaincu que la chose peut fonctionner, le département software ayant exclusivement travaillé sur des stations de travail au moyen d'outils de simulation. On imagine le courroux des investisseurs qui attendent du concret. Jay et sa bande se lancent alors dans la fabrication d'un prototype Lorraine pour le présenter au CES. Les circuits utilisent la technologie NMOS, au lieu du CMOS habituel, car le NMOS permet de meilleurs performances. Toutefois, cela entraîne certaines impossibilités de miniaturisation, et le prototype est énorme, au moins deux fois le volume de l'Amiga 1000 qui va en découler. De plus, il tombe sans cesse en panne, et quelques heures avant la démonstration du CES, Jay est encore en train de s'activer dessus, fer à souder en main.

Un prototype Lorraine

Cela n'empêchera pas la démonstration, faite devant un parterre d'invités triés sur le volet, d'être un éclatant succès. Les démos affichées (notamment la fameuse bouncing ball) sur l'écran laissent entrevoir un potentiel extraordinaire. L'équipe, arrivant à cours de fonds après le retrait du projet des investisseurs des débuts, va se voir rapidement offrir 500.000$ par Atari, à la condition de signer dans un délai d'un mois un contrat avec eux, faute de quoi ils devraient être remboursés. Selon Jay, le but de Jack Tramiel, président d'Atari, est de récupérer le hardware et l'OS de Lorraine pour l'utiliser dans un tout autre projet, et de se débarrasser au plus vite des 20 hurluberlus qui l'ont conçu. Il va cependant se faire doubler à la dernière minute par Commodore, qui rachète Amiga à 4,25$ l'action, alors que Tramiel n'offrait qu'un dollar, et devra lancer un projet totalement nouveau qui aboutira à l'Atari ST.

A partir de 1984, Amiga n'est donc plus une société indépendante mais une filiale de Commodore (déménagée à Los Gatos), ce qui va entraîner quelques changements, notamment une certaine perte de contrôle du projet pour Jay et ses camarades. Il en résultera certains désaccords, comme la sortie vidéo de la machine. Jay veut équiper le micro-ordinateur (qui en est définitivement un à présent, et plus une console) d'une sortie RGB (à l'époque uniquement utilisable avec un moniteur), et Commodore va lui imposer une sortie composite PAL/NTSC (compatible avec tous les téléviseurs, mais de bien moins bonne qualité). Un autre point de désaccord est le désir de Jay d'équiper l'Amiga d'une interface MIDI (ce qu'Atari ne manquera pas de faire, bien lui en a pris, sur le ST), refusée par Commodore. A chaque fois, le but de la compagnie est de réduire le prix de vente de la machine, et dans la plupart des cas Jay finira par admettre qu'il avait tort, mais certains conflits ont bien failli aboutir à se démission, comme par exemple le caprice du président de Commodore d'équiper l'Amiga d'un clavier rétractable sous le boîtier, entraînant une modification totale de la forme de la carte mère, ou sa décision à la dernière minute avant le lancement de réduire, toujours pour les mêmes raisons, la RAM de 512 à 256 Ko. De tels changements mettent Jay dans une rage noire et retardent encore et toujours la commercialisation.

Malgré toutes ses contrariétés, Jay admet lui-même que l'Amiga 1000 découvert par le public est, dans l'ensemble, une meilleure machine qu'elle ne l'aurait été si on les avait, lui et ses compères, laissés faire à leur guise tout du long. L'Amiga 1000 est bel et bien ce que Jay avait rêvé : un excellent micro-ordinateur, puissant et novateur, doublé d'une formidable machine de jeux grâce à ses capacités dans le domaine du son et des graphismes, visant à le rendre plus attractif que le PC d'IBM.

Par la suite, Jay va participer, en bien meilleure harmonie avec Commodore cette fois, au développement de l'Amiga 2000, un ordinateur prévu pour que l'utilisateur puisse le monter à sa guise grâce à des bus permettant d'insérer des cartes. Selon Jay, cette philosophie qui était celle de l'Apple I en a fait le succès, et c'est une technologie d'avenir (les PC d'aujourd'hui nous disent à quel point il a vu juste). Commodore désire que ce nouveau modèle soit compatible MS-DOS, et cela pose des problèmes que la division Amiga n'arrive pas à résoudre. Le responsable de celle-ci, Rick Geiger, va tout faire pour couvrir Jay et son équipe en faisant croire à ses supérieurs qu'ils ont trouvé une solution, ce qui n'est certes pas le cas. Le lancement approche à grand pas, et le système n'est pas au point. L'épisode va aboutir à l'éviction de Rick Geiger. Choqué, Jay perd peu à peu la foi en ce qu'il fait, et envisage de tout arrêter. Commodore démantèle la division de Los Gatos, en proposant une délocalisation qui est refusée par l'ensemble des employés.

Jay quitte Commodore en 1989, et durant les années qui suivent ne retire aucune royalty des ventes des différents modèles d'Amiga qui, bien qu'utilisant un système d'exploitation programmé par une société anglaise, Metacomco, sont toujours fabriqués selon les préceptes qu'il avait imaginés, notamment la technologie NMOS, pourtant devenue moins performante que le CMOS. Il avouera plus tard se sentir beaucoup plus père de l'Amiga que des modèles d'Atari qu'il a conçus précédemment, et continuera toujours à clamer dans d'innombrables interviews que l'Amiga et son OS sont infiniment plus excitants que les PC et Windows, et que l'Atari ST était "une bonne petite machine, mais pas aussi puissante que l'Amiga".

En 1990, les problèmes rénaux de Jay, qui ont aussi contribué à son départ de Commodore, vont s'aggraver et rendre nécessaire une transplantation. Sa sœur, Joyce Beers, se porte volontaire comme donneuse. Après cet épisode, Jay décide de consacrer son talent d'électronicien à la médecine, et bien qu'intervenant toujours en tant qu'expert dans divers salons ou conventions d'informatique, travaille pour la société Ventritex sur un défibrillateur. Ce sera son dernier projet. Le 20 Juin 1994 il meurt à l'hôpital de Mountain View, Californie, quelques jours après avoir été admis d'urgence, les reins complètement bloqués. Il n'avait que 62 ans.

Votre avis nous intéresse

Starman (11/10/2001)

Bonjour,
J'ai longtemps travaillé pour le développement de l'Amiga, il y a + de 12 ans au sein de l'équipe de MAD dans le 9 eme à Paris, magasin qui fut en son temps tres célèbre puisque monomarque sur l'AMIGA. Je tiens à vous dire que cela m'a fait très plaisir de découvrir votre site et l'engouement qui reste sur cette machine apres de si longues années.

Je tiens aussi à vous dire que j'avais rencontré Jay Miner environ 1 an avant sa mort lors d'un meeting à Las Vegas et qu'il était tres touché par la gentillesse que ses "fans" pouvaient lui porter. Je suis sur qu'il aurait apprécié l'article que vous lui avez écrit. Il était un grand homme, mais aussi un homme simple, doux et tres gentil.

Cela faisait 2 ans je crois que je venais de quitter Mad pour me lancer dans un domaine encore une fois innovant et visionnaire dans lequel personne ne croyait à l'époque, le Home Cinéma. C'était au CES, lors de la convention annuelle de l'électronique. A vrai dire, l'année exacte je ne m'en souviens plus. Bref, il était là, devant moi, assis non loin du petit stand Beos. Nous avons discuté un petit morceau ensemble et parlé de jardinage. C'était completement fou, il me parlait de potager et moi de basilic. Nous avons évoqué aussi l'Amiga 1000 et me confirmait que l'empreinte d'animal qui se trouvait SOUS le capot de la machine etait bien celle de son chien. Apres des années de mystere entre mes collegues et les autres intervenants de ce marché, je connaissais enfin la vérité. il avait aussi évoqué un projet de processeur qui finalement ne verra jamais le jour. Enfin de compte, c'était sa disponibilité auprès des autres qui m'a le plus marqué. Bref c'est avec beaucoup de tristesse que j'appris son décès, mais c'est avec beaucoup de plaisir que je constate qu'il continue à vivre parmi vous et votre site. 

Laurent
(11 octobre 2001)