Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Tama (09 novembre 2015)
Cette année 1999 n'est certes pas le « Jour de Lavos », mais le rythme des sorties chez Squaresoft n'en est pas moins effréné. Final Fantasy VIII, Threads of Fate, Saga Frontier 2 et Parasite Eve 2 sont tout autant de jeux qui démontrent la volonté du développeur d'asseoir sa suprématie dans le genre du RPG, tout en se permettant des expérimentations originales. Mais en coulisses, on commence à s'inquiéter car Enix, l'éternel rival, fourbit ses armes et se prépare à frapper très fort ! Les premiers jets de Valkyrie Profile décrochent déjà quelques mâchoires, et l'arrivée prochaine de Dragon Quest VII force tous les autres éditeurs à changer leurs plannings pour ne pas se faire croquer tout cru... Une partie de ceux qui ont participé à Trigger vont en effet se retrouver sur le projet Chrono Cross. On retrouve donc Masato Kato au scénario, Yasunori Mitsuda à la composition et Yasuyuki Honne à la direction artistique. Akira Toriyama n'a pas été appelé à rempiler car il est affilié à l'équipe de Dragon Quest (d'autant que son style est loin de faire l'unanimité), c'est donc Yûki Nobuteru, responsable sur les animes Escaflowne et Lodoss, qui s'y colle. Mais pour le reste, c'est l'équipe de Xenogears qui sera aux commandes, équipe pour le moins expérimentée mais surprenante pour « reprendre le flambeau ». L'expression est entre guillemets car Chrono Cross ne peut pas être simplement résumé comme étant une simple suite de , c'est plus compliqué que cela... ce qui ne joue pas forcément en sa faveur, d'ailleurs. Car là où bien d'autres studios se seraient contentés de reprendre la plupart des éléments du premier épisode et de broder dessus, l'équipe dirigée par Hiromichi Tanaka va partir dans une direction très différente ! Ah ! L'époque où Square ne tablait pas que sur Final Fantasy... Là où son prédécesseur mettait l'accent sur les voyages temporels, Chrono Cross met en avant les visites d'un monde alternatif, dont le principal pivot est la mort (ou non) de Serge à l'âge de 7 ans. Le thème du temps et de ses répercussions devient secondaire, c'est l'espace et son occupation qui occupent désormais le devant de la scène. L'emphase n'est donc plus la même, le rythme non plus, car la question à se poser n'est plus « quelles seront les conséquences de mes actes sur un lieu donné ? » mais « quelles sont les conséquences causées par l'absence ou la présence d'un protagoniste, sur un lieu donné ? » Le jeu est une invitation à la contemplation, à la rêverie, et appuie son rythme lent avec son choix esthétique et musical. La mer a toujours eu une double symbolique pour l'homme : elle peut représenter la paix, la relaxation, la beauté, l'environnement dans ce qu'il a de plus pur, mais aussi l'inconnu, la peur, l'attirance malsaine vers des dangers non-identifiés (rappelez-vous le mythe des sirènes, la faune sous-marine bizarre...) et la soif de découverte, l'envie de prendre le large. On retrouve d'ailleurs cette dualité dans le chara-design général où se côtoient les habits marins, de vacanciers en villégiature mais aussi de pirates et d'étrangers aux mœurs inconnues : on a tout de même un rocker, une danseuse du ventre, un chien qui parle ou encore une poupée vaudou géante ! Il faut dire que l'introduction donne le ton - c'est largement une des meilleurs jamais faites pour un jeu vidéo de cette génération, encore meilleure que celle de Soul Blade. Elle pose clairement le décor et peut résumer le jeu à elle seule. Voilà pour tout ce qui fait l'unanimité dans Chrono Cross. À partir de maintenant on lève l'ancre, on vire à tribord et on met le cap sur les terres de l'incertitude, des parties du jeu qui divisent. Et ces terres sont nombreuses, floues, remplies de contradiction. En cas de doute, attachez-vous au mât, chantez une chanson paillarde et faites le plein de Vitamine C : les indigènes apprécient la verroterie mais pas le scorbut ! Le cas des combats et de la montée en puissance est tout à fait symptomatique. Cross reprend l'absence des combats aléatoires de son aîné (qui l'avait lui-même emprunté ailleurs, au Tactical RPG notamment) mais laisse tomber le système d'Active Time Battle cher aux jeux de Square, qui rythmaient le tour de chaque personnage par des jauges. Vous pouvez donc tout à fait éviter les ennemis, mais en cas de contact l'affrontement se déclenche. On se retrouve dans un système de tour par tour strict, où jusqu'à trois protagonistes peuvent participer. Quatre options sont disponibles : Attaquer à l'arme, Utiliser des éléments (ce qui regroupe la magie et les objets), Défendre (et donc réduire de moitié les dégâts subis) ou Fuir. Hormis la fuite, chaque action influe sur l'Endurance des personnages, chiffrée en bas de l'écran. Celle-ci a un maximum de 7 points et peut tout à fait descendre dans la négative, et il vous faut au moins 1 point pour effectuer une action. Attaquer à l'arme dépense donc des points d'endurance, en fonction de la force de l'attaque : 1 point pour un coup faible et précis, 2 points pour un coup moyen, et 3 points pour une attaque forte mais moins précise. Plus vous arrivez à toucher l'adversaire et plus votre précision globale augmente. Le tour du personnage est terminé s'il a moins d'un point d'Endurance à dépenser. Le principal avantage de ce système est qu'il laisse une importance égale à toutes les stratégies. Dans Trigger, il était impossible d'ignorer les fameuses Dual/Triple Techs, techniques en équipe qui dépassaient de loin les autres possibilités de jeu. Dans Cross en revanche, il est tout à fait possible de choisir un style de jeu équilibré, ou alors de partir sur une voie très agressive en privilégiant les assauts physiques, ou même de se faire une équipe de magiciens n'utilisant les armes que pour remplir leur grille d'éléments surpuissants... ou encore d'improviser sur le tas en s'adaptant très facilement à la situation, si l'on se retrouve contre un boss qui contre notre stratégie du moment. Et si les choses tournent mal... il suffit de fuir ! En effet, la fuite est garantie à 100%, et ce même contre les boss (les exceptions sont rarissimes). On peut donc fuir momentanément le combat, se réorganiser dans le menu, puis repartir à l'assaut, bien que l'ennemi se soit intégralement soigné lui aussi. La partie Éléments n'est pas à négliger, quel que soit le style de jeu employé. Ceux-ci se placent sur la grille du personnage dans le menu, avant les combats. Une fois trouvés ou achetés, ils doivent y être placés en fonction de leurs niveaux. Si un élément a la mention « 1 # 7 », c'est qu'il est un élément de premier niveau, mais peut se placer entre les niveaux 1 et 7 de la grille. Le placer sur le niveau 7 présente l'inconvénient qu'il faudra attendre plus longtemps avant de pouvoir s'en servir, mais il sera en contrepartie plus puissant – mais moins qu'un élément de niveau 7 de base. Vous pouvez donc, à l'inverse, placer des éléments plus bas dans la grille que leur niveau de base, les rendant plus facilement accessibles en combat en sacrifiant de la puissance de frappe ! L'avantage principal de ce système de jeu en apparence inutilement compliqué, c'est qu'il est ultra flexible, s'adapte à tout type de styles de jeu, et à tout niveau. Vous pouvez tout à fait effectuer deux actions contradictoires dans d'autres RPG traditionnels (Attaquer et vous Défendre) dans le même tour, sans aucune contrepartie négative. Un personnage frappe et utilise une magie offensive, un second utilise une technique de soin, un troisième frappe et se défend, et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Le jeu n'étant pas franchement difficile, même les débutants comprennent assez vite de quoi il retourne. Plus simple encore est le système de montée de niveau : il n'y en a pas ! À chaque combat remporté, vos personnages gagnent des points dans leurs statistiques en fonction de leur manière de combattre, jusqu'à heurter un palier où plus rien ne montera. Pour continuer à s'améliorer, il faut collecter des Étoiles, disponibles uniquement en battant les boss. Il n'y a donc aucune possibilité d'être trop fort par rapport à ce que le jeu a prévu à un moment donné... mais vous pouvez tout de même être un peu trop faible. Pas de levelling intense, ni de grinding pour être au niveau 99 au bout de 15 heures de jeu ! Il y a en principe juste ce qu'il faut pour monter en puissance de manière raisonnable, tout en laissant la possibilité au joueur-flâneur d'éviter les combats. Si Chrono Cross tente beaucoup de choses nouvelles, il ne se positionne pas moins comme étant la suite de Trigger et doit donc se justifier par son histoire, et ce malgré les différentes tentatives de la production pour convaincre que ce n'est pas le cas. Et sur ce point, le constat est... en demi-teinte. Je tiens tout de suite à clarifier quelque chose : l'histoire est très, très réussie et intéressante ! Ce qui m'impressionne le plus, c'est cette capacité à exploiter les - rares - trous dans l'intrigue de son prédécesseur, et à avoir réussi à produire un tel canevas. C'est souvent drôle mais aussi émouvant, beaucoup de moments font franchement rire ou arrachent une petite larme (merci encore une fois au travail musical de Mitsuda), le tout tient tout à fait la route malgré quelques trous relativement mineurs, ou explications casées au chausse-pied. En plus, il y a de nombreux embranchements possibles en fonction de vos décisions à certains moments-clés du jeu. On s'éloigne de manière significative d'une structure linéaire classique pour laisser au joueur le choix d'une partie de son aventure, et les différences se font clairement sentir entre les différentes possibilités. Et, bien sûr, le jeu comporte de multiples fins qui dépendent surtout du moment où vous finissez le jeu, et même de la manière dont vous abattez le boss final. Les lieux que vous visitez ainsi que les personnages qui vous accompagneront ne sont vraiment pas les mêmes, c'est assez rare dans un RPG traditionnel de l'époque. En fait le problème ne vient pas du principe, mais des moyens employés...Le premier point, c'est que le début n'est pas folichon. Après une première demi-heure riche en émotions (un jeune couple se posant des questions sur le futur, le changement de dimensions et la perte de repères qui en résulte), le jeu traîne un peu la patte et a du mal à repartir. Pire, il envoie des signaux contradictoires au joueur qui ne sait plus s'il a affaire à une tragédie, suite à la mort du personnage principal pourtant bien vivant ; une comédie légère car le jeu multiplie les scènes drôles, chaque personnage a un accent marqué et il y a un second degré évident ; ou une intrigue politique avec le gouvernement local de cet autre monde qui semble être en pleine guerre ouverte. En plus, la filiation avec Trigger est très floue car le jeu se contente de balancer des noms connus (Porre, Guardia...) sans que l'on sache le contexte, ni si c'est juste du name-dropping ou un réel lien avec son aîné. Ensuite, l'histoire est captivante et très complexe... à un point où je me suis demandé si les scénaristes eux-mêmes ne craignaient pas de s'être perdus en route ! Et pour éviter en partie cet écueil, ils ont eu recours à des procédés peu subtils. On doit subir à certains moments des murs de texte explicatifs et de scènes d'expositions, ce qui est probablement la pire manière possible d'expliquer quelque chose dans un jeu vidéo... et c'est sans compter l'utilisation intensive et presque abusive de multiples MacGuffin pour articuler les événements. La « Frozen Flame », artefact mystique prétendument capable de réaliser tous les souhaits, remplit tant bien que mal cette fonction durant tout le jeu et revient systématiquement sur le devant de la scène, mais elle est en plus accompagnée par d'autres objets ayant le même but. Alors entre la Frozen Flame, la Dragon Tear (MacGuffin qui se divise lui-même en deux !), la Masamune et certains personnages eux-mêmes, on a beaucoup de mal à se rappeler qui fait quoi dans l'histoire et ce que l'on cherche, au juste. Il faut en plus compter les flashbacks bien téléphonés, les vieilles légendes folkloriques éculées avec des épées magiques tenues par des chevaliers d'exception, des quêtes postales vraiment fainéantes comme si, pour ne pas se noyer dans un océan de complexité, le scénario tenait absolument à avoir des bouées de sauvetage, même déjà à moitié crevées. On se retrouve donc devant un jeu très étrange, si occupé à proposer quelque chose de neuf et à ne pas se perdre au milieu de ses propres idées (bonnes comme mauvaises), qu'il souffle le chaud et le froid en permanence. Les moments de grâce qui marquent durablement le joueur côtoient les passages dignes d'une mauvaise fan-fiction, les combats mémorables partagent leur siège avec les chutes de rythme vertigineuses, les personnages qui touchent au plus profond de nous-mêmes repoussent tant bien que mal les grosses têtes à claques... mais si il y a une chose qu'on ne pourra jamais reprocher à Chrono Cross, c'est d'être banal ! Je pense que des jeux pareils sont indispensables pour le jeu vidéo en général : ils essaient, se plantent souvent, réussissent avec brio parfois, essuient les plâtres pour leurs successeurs qui sauront, eux, quelles erreurs ne pas faire par la suite. Sources, remerciements, liens supplémentaires : - Le site LPArchive.org, d'où viennent tous les screenshots du jeu. Je ne saurais que trop vous encourager de prendre le temps de lire la partie en entier, c'est à hurler de rire et c'est bourré d'anecdotes.
- Le site Normal Boots qui a fait une vidéo très détaillée et instructive sur le fonctionnement précis du jeu. Tout en anglais mais riche d'enseignements. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (24 réactions) |