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Zippo Games
Société anglaise créée par les Frères Pickford, Zippo Games n'a que peu de jeux à son actif, parmi lesquels quelques productions généralement associées à Rare. Ce dossier rend à César ce qui lui appartient, revient sur des projets restés inachevés ainsi que sur plusieurs jeux un peu oubliés, du Spectrum à la SuperNes en passant par l'Amiga...

Plusieurs projets étant lancés de front, il n'est pas toujours évident d'en établir un ordre chronologique fiable. Toutefois, la relation Zippo/Rare ayant commencé avec Wizards & Warriors II, il est symbolique qu'elle s'achève dans ce dossier avec Wizards & Warriors III, qui sera effectivement le dernier jeu de Zippo Games. Cependant, il nous reste encore deux autres projets à évoquer, tous deux inachevés à cause de brutales tensions entre les membres de Zippo et la maison mère Rare, qui mèneront aussi à la fermeture définitive du studio :

WWF WRESTLING
Sortie : Projet démarré en 1990 - développement terminé, mais le jeu reste inédit à ce jour
Editeur : Acclaim
Programmation : John Pickford
Graphismes : Lorne Campbell

L'un des deux seuls projets de Zippo Games pour Rare qui ne soit pas dédié à la NES. Prévu sur Game Boy, l'annulation de la sortie de WWF Wrestling pourrait a priori sembler un mystère : non seulement le développement a été mené à son terme, mais ce jeu est le premier bénéficiant d'un mode deux joueurs (via le câble Link permettant de relier plusieurs Game boy) avec une synchronisation en temps réel, par opposition à des systèmes multi-joueurs jusque là moins performants, comme pour Tetris. Le jeu obtient même le titre de "meilleur jeu Game Boy" en 1990 lors de la fameuse manifestation Consumer Electronic Show (CES). WWF Wrestling aurait été un jeu de catch comme Acclaim a su en éditer à un rythme régulier (Rare a d'ailleurs développé pour eux WWF Wrestlemania sur NES peu de temps avant).

Alors pourquoi le jeu n'est-il jamais sorti ? A cette époque, Ste vit une mauvaise période, préférant aller danser à l'Hascienda Club de Manchester situé juste à côté des locaux de Zippo, et souvent sans un sou... Les choses accentuent fatalement les problèmes de Zippo qui est une entreprise jeune, avec forcément des difficultés inévitables à affronter pour maintenir l'embarcation à flot. Une décision s'impose : se reprendre et continuer l'aventure, ou bien être racheté par Rare et devenir membre à part entière de cette si prometteuse société, l'une des premières occidentales à travailler sur consoles depuis le crash de la génération précédente... Zippo Games devient donc Rare Manchester. Et les anciens de Zippo vont découvrir l'autre facette de Rare : partenaires passionnés certes, mais employeurs rigides (lors d'une interview pour le magazine Retro Gamer, John Pickford explique : « Ils ont commencé à envoyer ces mémos démoralisants, personne n'était autorisé à utiliser des écouteurs en travaillant (NdJC: quiconque n'a jamais programmé, dessiné, composé, ou même écrit un article sur ordinateur ne peut comprendre le drame d'une telle interdiction) et en visitant les locaux, ils pointaient du doigt le walkman sur le bureau de quelqu'un et disaient juste "NON". C'était la ligne de conduite Rare, comme une sorte de religion »). Pour l'anecdote, c'est aussi la raison pour laquelle Iota fut rebaptisé Solar Jetman et adapté à l'univers de Jetpac aux deux-tiers de son développement, sans aucune possibilité de discussion. Le moral baisse inévitablement, et les choses finissent par éclater lors du développement de WWF Wrestling.

John Pickford, programmeur du jeu, est prévenu qu'il doit inclure douze personnages dans le jeu. Malheureusement, la mémoire de la Game Boy va l'obliger à réduire le nombre d'étapes d'animation des personnages à quatre, ce qui va immanquablement donner un résultat visuel médiocre. Malgré ses protestations pour équilibrer ces deux chiffres, le jeu reste à douze personnages nantis de 4 frames... Lors du CES, le jeu est acclamé avec toutefois des réticences vis-a-vis de l'animation. John est ensuite convié à un rendez-vous chez Rare avec un manager, qui l'informe que "c'est l'un des pires jeux jamais créés", que les quatre mouvements par combattant donnent un résultat médiocre, et qu'il faut multiplier ce nombre par deux, quitte à supprimer la moitié des combattants... soit exactement ce que John préconisait en vain bien plus tôt. C'est l'humiliation de trop. John refuse de refaire ce travail, est du même coup accusé d'être en train de laisser tomber Rare, se voyant à terme contraint de partir. WWF Wrestling reste en l'état, terminé mais mis de côté et oublié. Le départ de John Pickford, puis plus tard de son frère Ste, qui ira le rejoindre au sein d'un autre studio, entraînera la cloture définitive de Zippo/Rare Manchester.

FLEAPIT
Sortie : Projet démarré en 1990 - développement inachevé

C'est l'autre projet Zippo Games qui ne soit pas dédié à la NES, et qui n'a d'ailleurs pas abouti non plus. Fleapit était prévu pour tourner sur borne d'arcade, utilisant aussi le nouveau système de Rare, baptisé Razz Board. Le jeu était de fait programmé pour le compte de la petite société soeur de Rare située à Miami, Rare Coin It, destinée à se spécialiser dans les jeux d'arcade (au final, peu de jeux Rare sortiront dans les salles enfumées, si ce n'est Killer Instinct et Battletoads). Fleapit permet aux frères Pickford de mettre en scène un personnage nommé Plok, se battant en lançant ses mains et ses pieds. C'est la première tentative de leur part d'une création d'un personnage moins anonyme, voire d'une mascotte. D'ailleurs, si Fleapit est annulé à la moitié du développement, Plok finira par voir le jour dans un jeu SuperNES qui porte son nom, Plok!. Sur l'image de l'écran-titre, vous pouvez voir que le jeu est signé "super ravioli bros.". Nul doute que c'est le résultat des tensions entre Rare et les Pickford. Pour l'anecdote, un pseudonyme similaire (Flying Ravioli Brothers) avait été utilisé sur la version Amiga de 180, les deux frères ayant continué à participer à cette version après avoir quitté Binary Design et fondé Zippo Games. Bien entendu, le nom du développeur sur l'image ci-contre aurait surement été remplacé par Rare si le jeu était arrivé à terme. Fleapit est abandonné lors de la fermeture du studio.

D'autres horizons

Zippo Games n'est plus, mais l'aventure vidéoludique ne s'arrête pas pour les développeurs derrière les jeux que nous venons de voir. Après son départ de Rare, John Pickford va retrouver Mike Webb, son patron des tout débuts de Binary Design, au sein d'une autre société située elle aussi près de Manchester, Software Creations. Peut-être la seule société occidentale à posséder un kit de développement SuperNES à ce moment de l'histoire, cette petite firme ayant par ailleurs elle aussi officié sur NES, s'intéresse beaucoup à l'expérience acquise par John sur consoles. Dès son arrivée, il se retrouve à la tête d'un projet original, sur lequel il sera rejoint rapidement par son frère, qui quitte Rare à son tour. Ils travaillent tous deux en tant que game designers, en plus d'être à la tête de la programmation (pour John) et du travail graphique (pour Ste). Le jeu, le premier pour SuperNES à être développé par une équipe non japonaise, va mettre beaucoup de temps à sortir à cause de conflits de validation avec Nintendo, mais le résultat est à la hauteur des attentes de fans de perspective isométrique en général, et de Solstice en particulier. Car Solstice 2 - Equinox (puisqu'il s'agit de ce jeu) se révèle être un pur chef d'oeuvre ! Les ventes, malheureusement, ne seront pas vraiment à la hauteur d'un tel bijou. Toutefois on ne peut que saluer la maîtrise de la perspective isométrique et du détournement des défauts visuels qu'elle génère pour inventer des énigmes coriaces.

Equinox et Plok, deux jeux Software Creations sur SNES, par les fondateurs de Zippo Games

Software Creations accueillera dans l'entrefait d'autres transfuges de Zippo Games, comme Lyndon Brooke ou Andy Miah. Ensemble ou séparément, ils travailleront sur des jeux comme Spiderman & the X-Men, Thomas The Tank Engine, ou encore le jeu de plates-formes Plok!. Ce dernier reprend grandement les idées élaborées durant le développement chez Rare de l'inachevé Fleapit. Ironiquement, ce jeu qui aura mis tant de temps à aboutir, sort alors que d'autres jeux de plates-formes 16bits mignons et au ciel bleu sont sortis, comme Zool, Rayman ou encore Bubsy. Du même coup Plok se retrouve un peu perdu dans la masse, d'autant que dans cette catégorie, Super Mario World et Yoshi's Island demeurent les maîtres incontestés et font facilement de l'ombre à beaucoup d'autres jeux qui peinent à se démarquer réellement les uns des autres.

Avec le temps, les frères Pickford, décidément désireux de conserver leur indépendance et de rester maîtres de leurs projets, seront une fois encore assez frustrés de l'ambiance "travail d'usine" qui s'empare peu à peu de Software Creations, et vont proposer la création d'un studio au sein même du studio, chargé de nouveaux concepts plutôt que de l'utilisation de licences diverses... Malheureusement, des problèmes financiers les obligeront à abandonner cette idée, et finalement à démissionner pour, à nouveau, tenter de créer un studio tout neuf. Pour l'anecdote, leur départ provoquera entre autres l'annulation d'un de leurs projets en cours chez Software Creations, le fameux Solstice 3 - Spyral Saga sur Playstation. Quel dommage !

Wetrix, puzzle-game sorti sur N64.

John et Ste fondent donc Zed Two en 1995 Le studio fait doucement son chemin malgré les changements du monde des jeux vidéo (le temps des petits développeurs est révolu). Leur premier projet, aussi le plus connu, est Wetrix, un puzzle-game sorti initialement sur N64, qui connaîtra d'ailleurs une suite sur PS2 et Dreamcast, Aqua Aqua.

En 2002, un double coup dur signe brutalement la fin de Zed Two : l'éditeur NewKidCo qui finançait un des projets (ET and the Search for Dragora) laisse tout tomber suite à de gros problèmes financiers, créant du même coup un trou d'un million de dollars dans le budget ! Initialement prévu sur PS2 et Game Cube, le jeu ne verra pas le jour. Dans le même ordre d'idée, Future Tactics: The Uprising se retrouve sans éditeur fixe suite aux difficultés de Rage, et c'est un autre million qui agrandit le trou énorme du compte en banque de cette petite entreprise en pleine crise... Zed Two est racheté par Warthog en décembre 2002. Puis Warthog est à son tour absorbé et devient Gizmondo Studio Manchester, un développeur exclusif de la console Gizmondo. Les frères Pickford développent Sticky Balls pour cette portable en 2005 (sur leur site, on peut lire que les ventes du jeu sont estimées à 37 exemplaires pour l'Europe, et 24 pour les Etats-Unis... Aaah, la Gizmondo, cette machine fascinante).

De leurs côtés, les autres membres de Zippo Games ont continué, au moins quelque temps, à développer des jeux vidéo. On retrouve Andy Miah et Lyndon Brooke au générique de quelques productions EA comme Fifa 99... Après avoir créé son propre studio aux Etats-Unis, Steve Hughes revient en Angleterre et programme un peu pour ses anciens camarades à Zed Two, notamment le jeu Taz Express sur N64. Il s'est depuis détourné du jeu vidéo et s'est lancé à son propre compte dans la création de sites web. Aujourd'hui (juillet 2008) John et Ste Pickford sont à la tête de Zee-3, (leur troisième studio de développement depuis Zippo Games) et distribuent leur dernier jeu en date, le très sympa Naked War.

En conclusion

Intrinsèquement, Zippo Games n'a pas créé beaucoup de jeux, surtout si l'on excepte les projets inachevés, et les quelques simples portages effectués pour Rare, comme Cabal ou Sesame Street. Dans les projets originaux, on peut concrètement retenir Cosmic Pirate, Voodoo Nightmare, Ironsword, Solar Jetman, et Visions of Power. Cinq jeux bons voire excellents, qui montrent cette volonté constante de ne pas devenir un simple développeur maniant des licences à la mode pour le compte d'un éditeur tentaculaire. Une attitude idéaliste qui ne fonctionne plus vraiment aujourd'hui et qui met d'autant mieux en évidence l'avant/après explosion du jeu vidéo à partir des années 90. Au delà de la période Zippo Games, on peut se remémorer d'autres jeux marquants des mêmes créateurs, comme 180, Glider Rider, Rasterscan, ou Feud, recherches plus ou moins convaincantes de concepts originaux ou/et d'application d'idées nouvelles à une époque où tout restait à découvrir. Enfin, Plok! et surtout Equinox, l'aboutissement d'un concept d'avant-garde initié dix années plus tôt par Rare/Ultimate avec Knight Lore. Ironiquement, Rare prendra à son tour conscience, peu après s'être débarrassé de Zippo Games, de sa propre volonté de ne pas devenir un "développeur parmi d'autres", et tentera de se dédouaner de l'utilisation de licences de films et portages au profit d'oeuvres plus originales et surtout marquant les esprits comme Battletoads, Donkey Kong Country, et bien d'autres. Du même coup, la rencontre des frères Pickford (Equinox) et Stamper (Knight Lore) sonne avec le recul comme un rendez-vous manqué, mais aura parallèlement permis l'émergence de quelques chefs d'oeuvre qu'il convient de ne pas laisser se perdre malgré les années...

Jean-Christian Verdez
(20 octobre 2008)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Zee-3.com, le site officiel très complet de John et Ste Pickford
- World of Spectrum, la plus grosse archive mondiale dédiée au Spectrum
- Retro Gamer #20, magazine anglais paru en 2005
Page 3 sur 3
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