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Une Faim de Loup
Année : 2001
Système : Windows, Playstation
Développeur : Lyon House
Éditeur : Infogrames
Genre : Action / Puzzle
Par Tama (01 juillet 2013)

Pour pouvoir présenter un jeu pareil dans les meilleures conditions, il va me falloir faire un court aparté. Ça ne sera pas long et on évoquera des souvenirs rigolos... des souvenirs à base de dynamite, d'enclumes, de catapultes aux réglages approximatifs et de chutes malencontreuses. Ça fait BOUM, PAF, CRASH et on se fait immanquablement du soucis pour les générations futures, en espérant qu'elles ne prendront pas exemple sur le Coyote quand celui-ci s'attache une fusée dans le dos dans l'espoir de capturer ce foutu géocoucou. Humour sensible, s'abstenir.

Pour ce qui est du jeu vidéo, les Looney Toons n'ont pas chômé. Sortis sur à peu près toutes les supports, ils ont envahi les ludothèques dans des jeux de qualité sans doute très variables, n'allant pas jusqu'au statut de jeu culte, mais atteignant haut la main le titre de jeux très amusants pour certains d'entre eux. Si on se penche sur leur cas, on remarque que cette bande de joyeux timbrés se cantonne à des genres de jeux très précis et "passe-partout" pour leur époque : plateforme, action, et parfois même les jeux de sport.

Je me suis toujours dit que, indépendamment de la qualité de ces jeux, ces genres ne leur convenaient pas. Quand on a été élevé et nourri aux Looney Toons (sans exagération ! Je regardais les dessins animés pendant les repas) et qu'on aime les jeux vidéo, on remarque vite que les jeux ne sont pas aussi "fous". Difficile de faire comme dans les aventures de Bip Bip et le Coyote, Pépé le Putois ou Speedy Gonzales sans tomber sur un os : capacités surhumaines impossibles à retranscrire manette en main ou scénario qui n'invite pas à l'adaptation, quand scénario il y a.

Ce qui m'amène à deux héros de la franchise, Ralph Wolf et Sam Sheepdog.

Si la majorité de ceux qui regardaient les Looney dans les années 80-90 se souviennent de Bip Bip et du malheureux Vil E.Coyote, ils sont bien moins nombreux à se souvenir du cousin de ce dernier, Ralph Wolf. Mis à part son nez rouge, rien ne le distingue sur le plan physique... en revanche il partage sa malchance, son incompétence et son goût pour les plans foireux, en ayant un objectif différent. Ralph est un loup qui a pour but de se nourrir de moutons, bestioles jalousement gardées par Sam le chien de berger. D'apparence flegmatique, ce dernier prend son travail très à cœur et tient à ce que personne ne touche à ses moutons... et encore moins un loup affamé et désespéré.

Le dessin animé avait un scénario très simple : la journée de travail commençait, les deux protagonistes pointaient en même temps et se serraient la pince, puis Ralph échafaudait des techniques de capture toutes plus farfelues les unes que les autres pour se repaître d'un de ces moutons. Des concours de circonstances malheureux couplés à une incapacité à se servir de ses dix doigts empêchaient le loup de pouvoir piquer sa fourchette dans le moindre quartier de viande, et tout comme avec son cousin, le spectateur se régalait de ses échecs. La chance, c'est comme la couleur des cheveux : ça court dans la famille, et l'héritage est transmis via une roue de la fortune truquée ! Ceci dit, ce scénario était parfait pour une adaptation vidéo-ludique, ce que ne vont pas manquer de voir les petits gars de Lyon House en 2001, studio interne d'Infogrames.

Infogrames a édité beaucoup de jeux à licence issus de dessin animé, sans jamais en faire autre chose que des jeux « acceptables sans plus » dans le meilleur des cas. Peut-être leur manquait-il l'inspiration, le déclic, ce petit « truc » qui fait qu'on se lève le matin avec une idée de génie. Or, cette génération de consoles avait vu la naissance d'un nouveau genre, l'infiltration. Démocratisé par Metal Gear Solid et repris par des titres comme Tenchu, ce genre était accueilli par un succès critique et commercial certain, et les années suivantes ne le démentiraient pas, bien au contraire !

Il n'en fallait pas plus pour faire le lien entre l'infiltration et la quête du Graal de Ralph Wolf, et c'est ainsi qu'on se retrouve avec Une faim de loup, le premier jeu dédié à la capture de moutons sur Playstation et PC. Le magazine Joypad qualifiera ce jeu de steal'em up (« Volez-les tous » en bon français), et bénéficiera même d'une petite hype portée par le site Gamekult qui suivit le développement de près. C'est bien la première fois qu'une histoire de dessin animé sera reprise et adaptée avec autant de fidélité dans un jeu vidéo, comme je vais tenter de le montrer.

Ralph rentre chez lui, fourbu, après une journée de travail qui ressemble tristement à toutes les autres. Il s'affale dans son sofa et cherche un plan pour gruger pour de bon ce fichu chien de berger quand un crissement de pneus retentit au dehors. C'est alors que Daffy Duck, habillé d'un costard rose du plus bel effet, entre en trombe et l'embarque dans sa limousine pour lui parler de sa dernière trouvaille : le Sheep, Dog'n' Wolf. C'est une sorte de jeu télévisé dans lequel Ralph va devoir tenter de voler tous les moutons de Sam au cours de 17 épreuves de plus en plus difficiles, avec des règles strictes :

  • À chaque niveau son mouton. On n'en vole pas plusieurs à la fois.
  • Sam est présent et s'il voit ne serait-ce que le bout du museau du loup, il se chargera de lui remettre le peu de denture qu'il lui reste en place.
  • Dans chaque niveau, il y a un cercle blanc qui représente le but. Ralph et le mouton doivent se tenir tous les deux dedans pour remporter l'épreuve.
  • Le mouton doit être en parfait état ! Hors de question d'effectuer des opérations kamikazes, donc... enfin si, vous pouvez, mais laissez l'heureux bêlant en-dehors de vos plans suicidaires, voulez-vous ?
Le plateau télé du jeu Sheep, Dog'n'Wolf.
C'est très cheap et Daffy a un costard ridicule...

Le premier niveau (sorte de « niveau 0 ») vous présentera les différentes touches. Ralph peut sauter et faire un double saut avec Carré, regarder autour de lui avec Triangle et les touches L2 et R2 (ou le stick droit), et courir à toute vitesse avec Rond. Il pourra ouvrir son inventaire avec L1, et interagir avec les éléments des niveaux avec Croix. Daffy Duck vous guidera, avec tout le tact qui le caractérise, pour vous présenter ce que vous aurez à faire pour arriver à vos fins, ce qui comprend activer des interrupteurs, porter un mouton et même traverser des canyons entiers avec une fusée.

Pour le bon déroulement du jeu, Ralph sera sponsorisé par la société Acme qui se chargera de lui livrer des objets indispensables à la réussite des épreuves : il suffira qu'il les commande via les boîtes aux lettres disséminées dans les niveaux. À chaque boîte son objet, et à chaque niveau ses objets dédiés.

L'avantage est que, Acme étant ce qu'elle est, vous aurez accès à des équipements tout simplement délirants, allant du costume de mouton plus vrai que nature au chronomètre à remonter le temps (« demi-mesure » semble être un mot inconnu chez eux), en passant par la flûte enchantée, l'élastique ou le parfum « Brebis N°5 ».

L'inconvénient est que les services postaux n'ont pas l'air d'avoir un salaire convenable, ce qui occasionne des livraisons pour le moins hasardeuses. Les objets seront parachutés avec un manque de professionnalisme navrant, vous obligeant à aller les chercher dans endroits difficiles d'accès. Cela fait partie intégrante de la construction des niveaux, j'y reviendrai plus tard.

Alors dans les faits, comment ça se passe ? Une faim de loup se présente tout d'abord comme un mélange de genres et d'influences, avec de la plateforme, de la résolution d'énigmes et de l'infiltration, le tout en 3D. Ralph arrive dans un niveau et va avoir plusieurs tâches à effectuer. Repérer le but et le mouton en premier lieu, commander ses objets et aller les chercher, puis voler le mouton et le ramener sain et sauf dans le cercle blanc synonyme de victoire.

L'obstacle le plus évident sera Sam, bien sûr. Une fois arrivé sur son territoire, son visage apparaîtra dans un carré de couleur variable. Si il est vert, vous êtes dans sa zone mais il ne vous voit et ne vous entend pas. En orange en revanche, il vous bottera le derrière si le visage vous fait face directement et que vous n'êtes pas camouflé, ou que vous faites trop de bruit. En rouge, il vous a vu ! Peut-être avez-vous une chance de vous en tirer en sortant de sa zone et en courant comme un dératé.

Notre loup est polyvalent : il s'infiltre, règle des catapultes, désamorce des mines et joue de la flûte comme personne. Avec ce qui lui tombe sur le râble, Ralph a eu le temps de souscrire une assurance-vie en béton. Enfin, c'est tout le mal qu'on lui souhaite.

L'emploi de techniques de furtivité dignes de Solid Snake devient indispensable. La touche R1 vous permet d'avancer sur la pointe des pieds et de ne pas faire de bruit, mais ce que vous gangez en discrétion, vous le perdez en vitesse de déplacement (encore plus si vous portez un mouton !). Vous apprendrez vite à utiliser les angles morts et autres éléments du décor pour vous dissimuler à la vue du chien, comme les rochers ou les buissons.

Daffy Duck sera votre guide et vous introduira peu à peu aux différentes subtilités du jeu. Ici réside un des gros points forts du titre : sa manière de présenter les éléments du gameplay au joueur de manière non-obligatoire et très pragmatique. Au début du jeu, Daffy sera là pour vous présenter un nouvel élément, et libre à vous de l'écouter ou pas ; il vous proposera même un mini-jeu pour vous familiariser avec vos capacités. Mais ce ne sera pas la seule bonne âme à vouloir vous aider.

Le premier niveau commence plutôt doucement : Acme fait attention à sa livraison et vous largue de la dynamite pour faire exploser les rochers empêchant l'accès au but. Seulement, l'élément perturbateur sera un pont reliant les deux rives du niveau : une pancarte vous indique qu'il ne peut supporter qu'une seule personne à la fois (tu parles d'un pont...). D'où le problème : comment ramener le mouton, qui se trouve sur la rive en face, sans que l'édifice s'écroule ?

La capture du mouton ne pose pas de problèmes particuliers ici, Sam a un angle mort suffisant pour lui chiper un mouton sans qu'il s'en aperçoive. C'est au retour que la solution arrive en la personne de Porky Pig, qui est en train de bêcher son potager à quelques pas de là. Il vous donne un objet vital : la salade. Amis carnivores, il va falloir faire un effort car la salade est votre nouvelle meilleure amie ! Elle revient systématiquement tout au long du jeu et les moutons en sont friands. Il suffit d'en poser une par terre (et même d'en tenir une à la main) pour que le mouton le plus proche sente l'odeur et se précipite dessus pour la brouter. De là, la solution à notre problème se dessine : il faut tracer un véritable chemin de salades sur le pont afin que le mouton le traverse tout seul. Après quoi Ralph n'a plus qu'à traverser à son tour, et l'affaire est dans le sac !

Après avoir récupéré le mouton, Porky vous explique, entre deux bégaiements, le pourquoi du comment de la salade. Ci-dessus, ce qu'il ne faut pas faire...

Cependant, Une faim de loup est un jeu trompeur, et beaucoup se sont fait surprendre. Parmi les reproches adressés au jeu par les différentes critiques, on peut retrouver une difficulté qui a décontenancé pas mal de joueurs. Venant d'un univers aussi coloré et déjanté, on ne s'attend pas à ça, d'autant que visuellement, il ne paie pas de mine. Les développeurs ont pris le parti de se pencher sur l'esthétique afin de recréer en 3D le visuel d'un dessin animé, au détriment d'un aspect technique clairement daté (bien que plus réussi sur PC). La Playstation a déjà accueilli Legacy of Kain : Soul Reaver et Vagrant Storyquelques temps auparavant alors la comparaison fait un peu mal, mais le jeu reste tout de même agréable à regarder car il sait aller à l'essentiel. Ainsi, il y a peu de bugs de collision et aucun retard d'affichage.

Au plan sonore en revanche, le titre met la puce à l'oreille. On a les doubleurs officiels des différents personnages, ce qui fait vraiment plaisir, mais les musiques ne manqueront pas de surprendre à la fois les fans du dessin animé et les connaisseurs des jeux vidéo Looney Toons. On pourrait presque se demander en effet ce que viennent faire des thèmes disco, électro et funk dans un jeu pareil ! C'est en progressant qu'on comprend peu à peu à quoi on a affaire.

Une faim de loup se révèle être un jeu diabolique. Si vous devez avoir des réflexes, ce seront néanmoins vos neurones qui seront mis à rude épreuve, et un visuel épuré ainsi qu'une bande-son à la fois entraînante et relaxante sont là pour vous aider à vous concentrer, à éliminer le superflu pour vous recentrer sur l'essentiel.

En effet, le jeu se corse dès le sixième niveau. Le cinquième faisait déjà figure d'avertissement avec les mines à désamorcer et le catapultage de mouton au millimètre, mais le sixième marque une rupture, comme s'il partait du principe que vous êtes un grand garçon (ou une grande fille), que vous êtes capable de vous débrouiller et qu'il n'a plus de raison de retenir ses coups. Les fameuses mines vont servir ici à vous dégager un passage parmi les blocs glacés dans des portions de niveaux où il faudra compter sur l'inertie provoquée par la glace. Vous devrez calculer les déplacements en ligne droite de manière à faire passer le mouton dans des passages précis sans vous bloquer.

Oh, ai-je dit qu'il y avait des champs de mines ? Non ? Emportez votre détecteur de métaux, ça peut servir.

Quant au mouton proprement dit... disons simplement que vos talents d'imitateur seront mis à contribution. Fantomas n'aurait pu faire mieux !

Fort heureusement, vous aurez le droit à une carte indiquant les emplacements des boîtes aux lettres. De quoi vous faire un armement digne de ce nom... comme ce splendide costume de mouton ! N'est-il pas choupinet ?

La difficulté ira crescendo, pour atteindre des sommets vers la fin, et ce même avec un système de checkpoints parfait qui enregistre à chaque action clé... Pour être honnête, je n'ai jamais réussi à finir le jeu sans solution, tant le dernier tronçon me paraissait insoluble. À ma décharge je n'ai jamais été très calé en énigmes, et je ne suis sûrement pas assez taré pour comprendre du premier coup comment un toon utiliserait une canne à pêche !

Car vous devrez adopter la logique des toons pour résoudre les énigmes, et même trouver les pointeuses qui vous donneront accès à des bonus ainsi qu'à deux niveaux cachés. Il y a de fortes chances que vous n'ayez jamais pensé à utiliser un élastique, un aspirateur, un sèche-cheveux ou même une graine d'arbre, de cette manière-là. Le jeu fait preuve d'une inventivité géniale et arrive à surprendre régulièrement en mettant en scène des situations invraisemblables, dans lesquelles on utilisera les objets de manière pour le moins inédite.

Le premier degré de fidélité au matériau d'origine passe bien évidemment par l'humour, et force est de constater que les gens de Lyon House ont fait leurs devoirs ! C'est bien simple, j'ai rarement autant ri devant un jeu vidéo. Explosions, chutes, écrasements et situations absurdes se bousculent à un rythme frénétique, et les petites cut-scènes qui s'insèrent de temps en temps vous présentent les personnages sous leur meilleur (ou pire) jour. On imagine sans peine les développeurs passer des nuits entières devant les VHS des dessins animés en prenant des notes...

Mais le plus fort est que ça ne se limite pas à une ambiance car le gameplay lui-même semble être infecté par cette folie ambiante. Ce que vous devez faire, ce qui arrive quand vous le faites et quand vous échouez semble si « naturel » dans cet univers qu'il n'y a aucune dissonance entre le gameplay et l'atmosphère qui le relie, de sorte qu'ils ne font qu'un. Heureusement que les commandes répondent bien, malgré une caméra qui panique parfois dans les endroits confinés (rien de grave cela dit).

Une faim de loup est un petit bijou, sorti dans un anonymat assorti à son héros. Il ne se contente pas d'être un jeu vidéo avec des toons dedans, mais il est bel est bien un jeu vidéo de toons, ce qui confine au génie, et qui est très surprenant venant de la part d'Infogrames qui ne nous avait pas habitués à ça. Comme si on allait s'en plaindre !

Un indispensable de la Playstation, qui doit coûter moins cher qu'une baguette de pain chez votre boulanger préféré (j’exagère à peine). Alors enfilez votre meilleur cerveau car entre les gamelles, les écrasements, les trajectoires de fusée approximatives, les courses avec Bip-Bip et les rayons rétrécissants martiens – ai-je dit que Marvin le Martien était de la partie ?, vous n'avez pas fini d'avoir mal pour le pauvre Ralph.

Et de vous marrer, parce que pour peu que vous soyez un minimum réceptif à l'humour des Looney Toons, vous aurez le droit à de belles tranches de rigolade.

Quelques apparitions...elfiques et chevaleresques de Daffy Duck. Un dernier conseil : la chasse au canard est toujours préférable à la chasse au lapin. Et ce, même si vous êtes un loup...
Tama
(01 juillet 2013)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Merci à Gamekult et Jeuxvideo.com pour les screenshots.
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