Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par MTF (01 mai 2019)
Une brève histoire moderne du speedrunQuel que soit notre profil, notre âge, notre genre, notre origine, nous apprécions le jeu vidéo, chacun et chacune, pour des raisons souvent distinctes les unes des autres et qui fondent pourtant, dans leurs spécificités, notre attachement à ce média. On peut jouer pour le loisir, pour se détendre, comme on le ferait en écoutant un bon album de musique, ou en regardant un film distrayant ; on peut jouer pour le dépaysement, l'opportunité d'expérimenter des mondes étranges et colorés ; on peut jouer pour le challenge, se confronter à la difficulté d'un boss récalcitrant, ou d'un défi caché qui exige de nous une connaissance accrue des mécanismes de jeu ; on peut jouer pour l'histoire, enfin, participer pleinement, manette en main, au développement d'une intrigue et de personnalités uniques. Any %, 100 %... & blindfoldedForce est à parier que dès les origines du jeu vidéo, les joueurs et les joueuses se sont essayé.e.s à finir ces aventures avec le plus haut score possible, ou en ne mourant jamais. La nature éminemment interactive et ludique du jeu vidéo se prête bien entendu à ces principes, et je serais surpris d'apprendre que quiconque, enfant, n'ait essayé seul ou avec ses frères et sœurs, ses cousins et cousines, de se lancer ce genre de défis. Si le mode de calcul du temps mis pour la complétion peut différer selon les jeux, de même que ce qui est considéré, ou non, comme un cheat, un glitch ou un exploit, l'on rencontre généralement deux grandes catégories, souvent désignées sous les termes de « Any % » et de « 100 % ». Dans la première catégorie, il s'agit de terminer le jeu le plus rapidement possible, sans contraintes spécifiques ; la seconde demande à remplir tous les objectifs de l'aventure, les quêtes secondaires ou les objets optionnels, pour être validée. Cette dyade, cependant, n'est parfois pas suffisante pour offrir un défi à la hauteur des speedrunners, ni même pour proposer au visionnage un aperçu légitime du jeu traversé. Partant, des catégories intermédiaires ont souvent été introduites pour proposer des challenges intéressants. Par exemple, l'on aura une catégorie « all forts » pour Super Mario Bros. 3, qui demande à finir toutes les forteresses du jeu ; ou encore « all bosses » pour certains jeux de rôle, qui demandent à affronter des boss cachés ou accessibles par une certaine combinaison d'événements exclusivement. De Twin Galaxies à Speedrun.comComme nous le disions précédemment, la compétitivité et le jeu vidéo, ne serait-ce que dans un cadre domestique, vont naturellement de pair ; aussi, il n'est guère surprenant d'avoir rapidement assisté à l'apparition, dans les magazines de l'époque, en France, aux États-Unis comme ailleurs, de rubriques « hi-scores », tradition perpétuée y compris aujourd'hui sur GrosPixels où tout un chacun pouvait envoyer des preuves d'un record personnel pour avoir la gloire d'être nommé et connu nationalement. Mais s'il était assez facile, bien que délicat parfois, de prendre une photo de sa télévision sur l'écran dédié, comment témoigner du temps mis à compléter telle ou telle partie ? Si les jeux d'aujourd'hui permettent assez facilement de monitorer leur progression, et si certains, dès les années 90 à l'instar de Super Metroid ou de Resident Evil proposaient cette information sur leur écran terminal, il n'était rien de tel auparavant. Il faut alors remonter au début des années 1980 pour voir apparaître une initiative américaine, fondée par l'homme d'affaires et historien Walter Day, sous le nom de « Twin Galaxies ». Progressivement, Twin Galaxies s'ouvrit à d'autres types de jeu, notamment des jeux consoles et micro ; et avec l'explosion du marché de la vidéo domestique, il devenait à présent plus simple d'envoyer des parties enregistrées avec un camescope, ou directement par un magnétoscope, pour être validées par les arbitres de l'association. Ce système, cependant, s'il marcha un temps et s'il continue encore à tourner, commença cependant à agacer les compétiteurices pour plusieurs raisons. Notamment, Twin Galaxies a une politique très stricte en matière de jeu, et interdit tout emploi de glitch ou d'exploit. Cela a notamment conduit certaines parties à être refusées, mais la frontière, parfois, entre un très bon niveau de jeu, un mécanisme permis par le jeu mais exploité d'une façon déviée et un véritable bug est parfois floue, ou demande une extraordinaire connaissance du jeu premier, connaissance que Twin Galaxies ne possède pas toujours. De plus, les décisions rendues par les arbitres sont parfois nébuleuses et ne peuvent être discutées, et un secret pesant les entoure. Cela a conduit d'ailleurs récemment à plusieurs polémiques, sur lesquelles je reviendrai en fin d'article. Si de la même façon que Twin Galaxies, SDA refusait toute partie s'appuyant ouvertement sur un périphérique de triche, il autorisait en revanche tout type de glitch, d'exploit ou que sais-je : et ce fut l'ouverture de la boîte de Pandore. Rapidement, des joueurs et des joueuses de tout horizon vinrent déposer leur partie, une communauté incroyablement active envahit les forums, les temps s'amélioraient substantiellement. Il faut cependant noter une particularité historique de ces vidéos : pour la plupart, elles étaient segmentées (segmented). Partant, la dernière évolution du speedrun vint lorsque ce dernier écueil technique fut surmonté grâce à l'augmentation de la vitesse d'Internet et l'amélioration des outils de capture vidéo. À présent, il est possible à tout un chacun, moyennant une rapide installation, de diffuser en direct, et en temps réel, sa partie devant un public communiquant par l'intermédiaire d'un chat, puis d'enregistrer une partie réussie pour être ensuite hébergée en ligne. Aujourd'hui, le lieu de rencontre privilégiée n'est plus Twin Galaxies, ni SDA mais speedrun.com, dont les menus clairs et les grandes capacités d'hébergement facilitent énormément la consultation de ces parties et la communication entre ses participant.e.s. Il est bien entendu d'autres sites dédiés à telle ou telle série, et SDA et Twin Galaxies existent encore, mais leur fréquentation a, depuis, fort baissé. Glitch & exploitCependant, ce n'est pas seulement le mode d'accès à ces parties, ni même l'endroit où elles sont accessibles qui a profondément évolué : mais leur philosophie. Cela se voit dans la diminution certaine des temps de complétion, notamment lorsque l'on s'arrête sur certains des jeux les plus populaires du média. Prenons, par exemple, The Wind Waker, épisode de la série Zelda. En « Any % », il faut ainsi parcourir quatre donjons principaux, naviguer d'un endroit à l'autre de la carte pour collecter différents objets de quête dont huit parties de la Triforce et débloquer divers événements avant, enfin, de confronter Ganon. Les premiers records du jeu, hébergés jadis sur SDA, dépassaient les quinze heures, ce qui est d'ores et déjà impressionnant pour une aventure qui, d'ordinaire, prend en moyenne trente à quarante heures. Aujourd'hui cependant, le record est descendu sous les 4 heures. Il en va de même pour tous les jeux que vous rencontrerez : leur temps de complétion a été souvent divisé par deux, voire par trois ou quatre, dans une catégorie donnée et ce en l'espace de dix ans. La raison derrière cela se réduit parfois à une meilleure optimisation, à de meilleures routes envisagées, à un niveau de jeu qui va augmentant, de plus en plus de personnes se risquant à l'aventure tout autour du monde. Mais, le plus souvent, c'est l'opportunité offerte à présent d'utiliser des exploits et des glitchs qui modela le speedrun contemporain. Cependant, le joueur peut occassionnellement outrepasser ces limites avec un peu d'ingéniosité. Si, par exemple, la confrontation avec le boss final est initiée non pas lorsque le joueur bat le boss antérieur, mais lorsqu'il accède à l'ultime donjon, alors il faut trouver un moyen d'y accéder avant que le jeu ne le permette ; ou encore, s'il exige l'obtention d'un certain objet, on peut trouver moyen de l'obtenir en avance, et ainsi de suite. Ces skip sont régulièrement trouvés, y compris dans les jeux les plus anciens, et ils composent une part importante de la stratégie déployée par les compétiteurices. Que ce soit pour l'une ou l'autre de ces astuces, il convient ici de dire un mot du vivier qui, généralement, permet de les trouver : les Tool Assisted Speedruns ou « TAS », dont le QG privilégié est, depuis ses origines, tasvideos.org. Un TAS est une sorte de démonstration technique, faite à des fins de distraction, et non pour se faire passer pour une partie véritable. Il s'agit de se servir des outils permis par l'émulation d'anciennes consoles ou d'anciens système micros pour proposer des parties théoriquement « parfaites », du moins, hors de portée d'un être humain car exigeant soit une précision exemplaire sur de longues périodes de temps, ou encore de rentrer des commandes au seizième de seconde près. Si ces films sont distrayants en eux-mêmes et si c'est, me concernant tout du moins, un plaisir coupable que de voir ainsi un jeu tant chéri détruit dans ses ultimes fondations, ils sont surtout une opportunité de trouver les glitch et exploit dont je parlais précédemment. Problématiques, controverses & succèsTous ces éléments entraînèrent sur leurs chemins différentes problématiques qui ont été, selon les jeux et leur histoire propre, résolues d'une façon ou d'une autre. L'une des questions les plus pressantes demeure, par exemple, la version du jeu choisie. On sait ainsi qu'il existe plusieurs révisions de nos titres favoris, chacune corrigeant tel ou tel bug ou ajoutant telle ou telle fonctionnalité : partant, un glitch peut ne plus fonctionner sur une version ultérieure ou, au contraire, n'être présent que dans les ultimes versions. Les jeux ressortent parfois ici et là, dans des compilations ou sur consoles virtuelles, qui peuvent améliorer la vitesse du jeu ou sa stabilité, ce qui influence l'approche à haut niveau, et ainsi de suite. Généralement, la communauté se polarise vers l'ultime révision du jeu et ne considère comme une catégorie à part que les remakes et remasters. Une autre question traverse souvent les discussions : doit-on jouer à la version japonaise, américaine ou européenne d'un jeu ? À nouveau, cela dépend certes des astuces que l'on peut déployer, mais cela a également une incidence sur des choses plus pragmatiques telles la vitesse défilement des dialogues pour les jeux de rôle ou d'aventure ; raison pour laquelle, aujourd'hui, Ocarina of Time est jouée sur une version chinoise, tandis que The Wind Waker est joué en italien. Certes, l'on ne gagne jamais, à chaque fois, qu'une seconde ou deux sur une version anglaise ou japonaise : mais sur une partie durant plus d'une heure, cela permet de gagner un temps déterminant. Indépendamment de ces nombreuses questions, qui traversent les communautés et modèlent, parfois fondamentalement, les records et la façon dont un jeu est abordé, il convient de citer ici les controverses les plus fameuses qui émaillèrent l'histoire moderne du speedrun et notamment les cas de triche et de contrefaçons. On se doute bien qu'à chaque fois qu'il est de la compétition, des individus peu scrupuleux, ou prêts à tout pour s'attirer la gloire, manipuleront les chances en leur faveur : et ce qui est vrai pour les grandes rencontres sportives l'est tout autant pour cette discipline. Pendant longtemps, il était assez simple de tricher ici, puisque les preuves exigées étaient pour le moins faibles, et éventuellement manipulables, une photo ou une vidéo pouvant être facilement truquées. Parfois, il y avait tout simplement de l'accointance entre les parties : Todd Rogers ainsi, un Américain qui depuis les années 1980 était considéré comme le recordman sur le jeu Dragster d'Atari, avait ainsi bénéficié de ses connaissances à Twin Galaxies pour entériner un record qu'il n'a jamais su reproduire en public, et dont il n'a jamais fourni de preuves. On donnera également Billy Mitchell, l'un des protagonistes du documentaire The King of Kong: A Fistful of Quarters, dont le record sur Donkey Kong fut entériné sans discussion aucune, toujours par Twin Galaxies, avant que la supercherie ne soit finalement dévoilée quelque dix ans plus tard. Les années 2015 à 2017 ont été particulièrement riches à ce propos, et de nombreux records ont depuis été invalidés par une vérification minutieuse des témoignages donnés. Mais, d'un autre côté, de nouveaux records ont été battus, de nouvelles astuces trouvées, la communauté grandit continûment. La compétition s'offre à présent des rendez-vous de plus en plus suivis, des conventions ou des événements diffusés en ligne et en direct, où des joueurs et des joueuses de tout horizon viennent montrer leur maestria devant un public conquis. Il est difficile de ne pas citer ici les Games Done Quick ou « GDQ », qui depuis une dizaine d'années, généralement une fois l'été et une fois l'hiver, organisent une gigantesque messe récoltant des milliers de dollars de dons, parfois même dépassant le million, au profit de diverses œuvres caritatives. Le speedrun, ainsi, de ne pas être seulement une certaine façon d'expérimenter nos jeux vidéo. C'est une porte d'entrée vers une meilleure compréhension de ses mécanismes fondamentaux, de ses astuces et de ses contours. C'est aussi renouer avec une logique arcadienne présente dès le commencement, celle du hi-score et de la compétition des parties solitaires, ce qui est bien autre chose que le duel ou les parties multi-joueurs que nous connaissons par ailleurs. C'est, enfin, un geste qui commence à avoir des conséquences sur l'industrie en elle-même, même si en mode mineur ; et cela restera toujours pour moi un formidable spectacle, dont je ne me lasserai jamais. Un avis sur l'article ? 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