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Dangar UFO Robo
Année : 1986
Système : Arcade
Développeur : Nichibutsu
Éditeur : Nichibutsu
Genre : Arcade / Action / Shooter
Par Laurent (30 mars 2002)

Hybris

Année : 1988
Système : Amiga
Développeur : Cope-Com
Editeur : Discovery Software
Programmation : Martin Pedersen
Graphismes : Torben B. Larsen
Son : Paul van der Valk

Dangar UFO Robo

Année : 1986
Système : Arcade
Développeur & Editeur : Nichibutsu
Design et Programmation : S. Fujiwara,
Vabi Vube, K .Nakagawa
Hardware : I. ShikiSon, K. Yoshida

Cet article traitera de deux jeux en même temps dans la mesure où ils sont très ressemblants. Le cas est fréquent dans l'Histoire des jeux vidéo, mais particulièrement remarquable ici, puisque ces deux jeux ont des origines et un destin très différents. Hybris étant postérieur à Dangar UFO Robo, c'est donc le premier qui est copié sur le second, mais il ne s'agit ni d'un plagiat ni d'une adaptation, comme on va le voir, plutôt d'une sorte d'hommage.

Dangar UFO Robo

Décors du niveau principal. Sur la seconde image, le robot est en "expansion".

La société Nichibutsu est plutôt discrète et cantonne essentiellement son activité aux jeux d'arcade (son plus gros hit est Moon Cresta en 1980, voir cet article), même si on lui doit aussi une console atypique à la carrière éphémère, la My Vision, sortie en 1983 uniquement au Japon.

Nichibutsu s'est fendu d'une série de shoot'em'up verticaux dans les années 80, dont Dangar, qui fait suite à Moon Cresta et précède Terra Cresta, est probablement le plus réussi, en tout cas pour l'auteur de ces lignes. Le joueur y pilote initialement un robot géant vu de dessus, qui se comporte comme un vaisseau de shooter classique. Les vagues d'ennemis ne donnent pas dans la frénésie et la mise sous pression constante du joueur, mais plutôt dans les attaques vicieuses par les flancs et les trajectoires imprévisibles. Le décor, futuriste, fait alterner passages désertiques, cités et plans d'eau, avant de déménager vers des ambiances extra-terrestres qui imposent un design en partie organique.

L'originalité du jeu réside en partie dans le système d'armement, qui découle decelui de Moon Cresta : le robot est constitué de trois petits vaisseaux qui s'emboîtent. A tout moment, il est possible de séparer ces trois éléments pour augmenter sa puissance de tir. On dirige alors le premier vaisseau et les deux autres suivent (à la manière des options de Gradius). Appelées "expansions", ces séparations sont temporaires et on ne peut y procéder qu'un nombre limité de fois.

En cas de contact avec un projectile ennemi, on ne perd pas tout de suite une vie mais le vaisseau se retrouve réduit à l'un des trois modules initiaux. Il faut alors ramasser des upgrades qui apparaissent de temps en temps du bas de l'écran pour reconstituer le robot, puis avec les upgrades suivants améliorer sa puissance de tir et bénéficier de modes "expansion" surpuissants, où les modules se mettent dans différentes formations pour remplir l'écran de projectiles. Plus le niveau d'armement est élevé, plus il est possible d'être touché sans perdre une vie. En revanche, seul le début de partie voit le joueur gratifié du robot dans son entier. Les vies suivantes démarreront avec un petit module de base.

On est donc amené à jouer dans de nombreuses configurations dont chacune se distingue par un petit élément offensif ou défensif : tir sur les côtés, invulnérabilité par l'arrière, petite taille pour esquiver facilement, tirs chargés plus puissants ou faibles mais à haute fréquence etc. Le joueur doit changer de comportement fréquemment et parfois de manière impromptue, au gré des upgrades et des tirs encaissés : une approche intéressante, plus subtile et difficile à maitriser que celle de la plupart des shoot'em ups, où la force de frappe du vaisseau dirigé ne fait qu'augmenter tant que tout se passe bien et revient brutalement au minimum après une vie perdue.

Les ennemis comprennent des vaisseaux et des batteries de DCA qui ont une fâcheuse tendance à être protégés par des boucliers résistant aux tirs du joueur (sauf en cas d'expansion du robot), et certains d'entre eux sont immergés sous l'eau et n'apparaissent que lorsqu'on est à proximité. La principale difficulté du jeu, qui n'en manque pas dans l'ensemble, provient du fait que les ennemis volants nécessitent, pour être abattus, de rester fixe sur un axe de tir, les canons DCA s'en donnant alors à coeur joie sur une cible non mouvante. Certains vaisseaux se scindent en plusieurs unités identiques, ce qui oblige à les détruire très rapidement pour ne pas être submergé, et là encore on s'expose aux tirs de DCA. Le scrolling défile plutôt lentement et les ennemis attaquent par vagues entre lesquelles des pauses de quelques secondes surviennent parfois. L'action est donc plutôt posée, loin d'un jeu comme Raiden et ses dizaines de tirs, d'explosions et de sprites dans tous les sens. Davantage que la dextérité et le sens du rythme, c'est la capacité d'adaptation du joueur qui est mise à contribution.

Le jeu est strucuturé d'une façon assez particulière : il n'y a qu'un niveau principal, très long, mais il est entrecoupé de passages souterrains qui constituent des sous-niveaux à l'ambiance graphique totalement différente. Des boss apparaissent régulièrement dans le niveau principal, et à la fin de chaque souterrain. Ils sont particulièrement délicats à négocier, et on se retrouve la plupart du temps à slalomer entre des dizaines de projectiles en tirant à l'aveuglette, espérant sortir vainqueur du combat au finish.

Dangar est un excellent shooter, d'un niveau de réalisation élevé et d'une jouabilité qui semble avoir fait l'objet d'un soin tout particulier, ce qui n'est pas systématique dans les jeux d'arcade de cette époque où de nouveaux titres sortaient à une cadence élevée. Avec du temps et de l'acharnement on peut finir par mémoriser les types d'attaques rencontrées qui sont un peu toujours les mêmes, et venir à bout du jeu sans pour autant compter uniquement sur la chance et les réflexes.

La musique est sympathique bien qu'assez stridente. On appréciera particulièrement le thème musical de transition après une vie perdue, qui change lorsque la dernière est arrivée pour quelque chose de solennel, comme pour rappeler au joueur que c'est son ultime chance. Les explosions sont assez ratées : peu percutantes, elles cassent les oreilles par leurs fréquences aigues.

Malgré ses qualités et sa disponibilité de longue date sous MAME, Dangar UFO Robo ne figure pas dans les classiques les plus connus, ce qui est un peu injuste, surtout lorsque l'on sait ce qui s'est passé avec Hybris, qui lui, en revanche, jouit d'une aura considérable auprès des amigaphiles.

Hybris

1er niveau : trois niveaux d'armement du vaisseau

Sorti alors que l'Amiga est en route vers la gloire, Hybris fait partie de ces jeux qui font briller les yeux des fans de retro-gaming. Il s'agit d'un shoot'em up réalisé par d'anciens demomakers, Martin Pedersen (programmation), Torben Larsen (graphismes), Soren Gronbech (level design) et Viet Nguyen (game design), tous âgés de moins de 20 ans à l'époque des faits. L'équipe qu'ils formaient était alors connue sour le nom de Cope-Com.

Contrairement à beaucoup d'artisans surdoués du ST et de l'Amiga, les membres de Cope-Com ne sont pas originaire d'outre-Rhin mais du Danemark. Après une rapide carrière sur C64, c'est pour l'éphémère éditeur Discovery Software (1987-89, seulement quatre jeux distribués) que ces jeunes gens travaillent dans un premier temps, sur une conversion pour Amiga d'Arkanoid qui va s'avérer particulièrement réussie. Hybris est leur premier projet original et c'est une réussite époustouflante.

"Expansion" du vaisseau, combat contre un boss, et écran de transition avant le 2e niveau.

Il suffit de regarderles captures d'écran pour voir à quel point le jeu s'inspire de Dangar UFO Robo. Les décors sont presques identiques et le système d'armement, bien que ne comprenant pas de robot, est le même. On ramasse des morceaux de vaisseaux pour en constituer un de plus en plus gros et la fonction d'expansion est également là, mais elle dure beaucoup plus longtemps (une minute environ, contre une dizaine de secondes pour Dangar).

La vitesse du scrolling, le style des vagues d'ennemis, les cannons DCA protégés ou immergés, le rythme du jeu, les boss : tout est pareil, ou presque. Pourtant, il suffit d'y jouer quelques minutes pour être conquis. Pedersen et Larsen ont repris les ingrédients d'un jeu dont on imagine qu'ils ont dû être fans en salles d'arcade, puis les ont transcendés. La jouabilité est supérieure, la difficulté mieux dosée et les graphismes, bien que très proches du modèle, sont plus fins et colorés. Les capacités de tir du vaisseau sont encore plus variées, et la puissance que l'on peut atteindre est énorme. Le scrolling, l'animation des sprites et des projectiles sont d'une fluidité totale, preuve indiscutable de la capacité de l'Amiga à égaler une borne d'arcade de son époque, tout en imposant Cope-Com, lorsque le jeu apparaît, comme un nom qui inspire admiration et respect.

Le 2e niveau

Le point sur lequel Hybris fait le plus radicalement la différence avec Dangar est la musique. A la ritournelle martiale succède un des mods Amiga les plus démentiels jamais entendus : sur un tempo intermédiaire et une rythmique plutôt funky rayonne un thème d'inspiration hard-rock très seventies, joué par un son de synthé analogique qu'on croirait pioché dans l'équipement de Rick Wakeman ou Keith Emerson. Monstrueux ! Ce pur moment de bonheur pour le fan de musique "qui en a" est dû à un compositeur néerlandais plutôt rare, également venu de la demoscene, Paul van der Valk, qui auparavant s'était surtout fait entendre dans des "cracktro" ou des utilitaires (oui, il y avait parfois de la musique dans les softs Amiga). Cette musique seule justifie qu'on essaie le jeu. Heureusement qu'elle est géniale d'ailleurs, car elle ne change à aucun moment des trois (très) longs niveaux que comporte le jeu. Une autre composition décisive se fait entendre lors de l'intro du jeu, plus rapide et moderne que l'autre mais utilisant les mêmes sons. Quant aux tirs et explosions, là encore la satisfaction est au rendez-vous, bien plus qu'avec Dangar, même si, hélas et comme bien souvent, les quatre voies de l'Amiga obligent à quelques compromis (la piste principale de synthé devient muette au moindre bruitage).

Le 3e niveau

Revenons au jeu lui-même : il n'y a pas de niveaux souterrains. Cette idée, Pedersen et Larsen l'exploreront dans le successeur d'Hybris, le mirifique Battle Squadron, qui doit donc lui aussi quelque chose à Dangar. En revanche il y a trois niveaux, dont malheureusement les deux premiers sont très proches sur le plan graphique. C'est dommage, car le troisième tranche radicalement et montre clairement que Torben Larsen est un graphiste hors-pair (il le confirmera par la suite avec l'étonnant Sword of Sodan, développé avec son compère Soren Gronbech dit "Sodan", et Battle Squadron).

Hybris est un classique du jeu micro 16-bits. Pour mieux situer l'impact d'un tel titre, il faut préciser qu'il est sorti bien avant des monuments comme Shadow of the Beast ou Turrican, à une époque ou les jeux Amiga sont encore pour la plupart identiques aux versions ST. Cope-Com figure donc, d'une certaine manière, parmi les pionniers de l'ordinateur conçu par Jay Miner.

Phase finale du jeu : une classique succession de boss

Conclusion

Il est très rare de voir traiter en parallèle ces deux jeux, surtout dans la mesure ou Dangar UFO Robo est peu connu. C'est également la seule fois où Martin Pedersen et ses complices se sont inspirés d'un autre jeu à ce point. Si des studios comme Reflections ou Factor 5 continuent d'être évoqués régulièrement, on oublie trop souvent cette poignée de petits génies qui ont fait preuve à l'époque d'un savoir-faire incroyable, aussi bien pour la réalisation que le gameplay.

Laurent
(30 mars 2002)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Interview de Martin Pedersen, programmeur de Hybris, où il reconnaît s'être inspiré de jeux d'arcade l'époque, sans toutefois mentionner Dangar UFO Robo (disons qu'on s'est chargé d'éclaircir son propos...) :
http://www.codetapper.com/amiga/interviews/martin-pedersen/
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