Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Pierre-Marie Abautret (30 décembre 2018)
Au début des années 90, la division de Sony dédiée au jeu vidéo s'appelle Sony Imagesoft. Un "simple" éditeur-tiers, amené à fournir le catalogue de supports divers et variés, pour le compte de la maison-mère. La boîte réussit alors quelques gros coups, comme distribuer Equinox, la suite de Solstice. Autrement, l'argent déjà injecté dans le cinéma lui permet de produire des adaptations vidéo-ludiques de films pour lesquels elle dispose de certains droits d'auteur. À ce petit jeu, on eut donc du rarement très bon (Mickey Mania), du parfois moyen (Hook) et du souvent mauvais (Cliffhanger, Last Action Hero). Sony n'est alors pas le seul éditeur qui retient l'attention du public en adaptant à tout va des films hollywoodiens à la sauce jeu vidéo... Ocean Software est une entreprise britannique qui s'est spécialisée peu à peu dans le rachat du catalogue de développeurs en difficulté, à défaut de prendre le risque de gérer beaucoup de studios de développement, en interne. Soit un éditeur-tiers qui, à la manière de Sony, propose ses contrats d'exclusivité au plus offrant, à la mode libérale. La société réalise quelques belles opérations, comme distribuer la French Touch du jeu de plate-forme, Mr. Nutz. Mais à ce petit jeu, une fois n'est pas coutume, on eut un peu de moyen (Robocop, Jurassic Park) et pas mal de mauvais (L'Arme Fatale, Cool World). Le jeu qui nous intéresse s'inspire de la famille Addams et figure parmi cet amas hétéroclite. Il appartient à cette race de soft justement sympathique, sans véritable plus, quand la lenteur du scrolling et des contrôles un peu rigides contrebalancent un coté puzzle à la Zelda et une grande liberté d'exploration. Rebobinage rapideVous connaissez tous les vicissitudes de cette famille gothique et horrifique. En guise de rappel, Addams Family Values est l'adaptation en jeu vidéo du film éponyme sorti en 1993, deuxième volet d'une trilogie destinée au grand écran (mais le troisième sera un direct-to-video). Le jeu, pour sa part, est sorti deux ans plus tard sur Super Nintendo et Mega Drive (il existe également une version Game Boy). C'est la suite d'un titre basé sur la licence du premier film, sorti en 1992 sur Super Nes. Avant cela, la saga trouve son origine dans un feuilleton télé en provenance des années 60. D'autres séries à destination du petit écran, dont plusieurs dessins animés, un téléfilm, ainsi que des bandes dessinées et des dizaines d'autres produits dérivés décrivent un univers cross-media du plus bel effet. Les années 90 voient culminer la popularité de la franchise (trois longs-métrages, les multiples diffusions des séries à la télévision et des jeux vidéos). Concernant l'éventuelle postérité de cette saga, sous ses faux-airs de comédie familiale, il est certain qu'elle perdure durablement dans l'inconscient collectif jusqu'à nos jours et que les tribulations de cette famille tragi-comique sont cultes et font partie des annales du genre. Les valeurs d'un jeu à licenceComparé au premier volet, le synopsis du deuxième film paraît plus éclaté. D'un coté, on suit les pérégrinations de Mercredi et Pugsley qui cherchent à tuer le dernier né de la famille, avant de semer le trouble dans un camp de vacances. De l'autre, on retrouve la méchante babysitteur qui tente d'assassiner Fétide pour hériter de sa fortune. Bien entendu, Gomez et Morticia sont de la partie, mais ils apparaissent moins en évidence que dans la première mouture. Finalement, sur grand écran, un bail de deux ans sépare la sortie des Valeurs de la Famille Addams du jeu vidéo qui en est tiré, comme ce fut le cas pour l'adaptation du premier film. Cette dernière était un titre de plate-forme qui présentait tous les stigmates du Mario-like fort en usage à l'époque et où l'on incarnait Gomez. L'intention première de cette suite, c'est de nous mettre dans la peau d'oncle Fétide, ce qui apparaît comme un choix de game design élémentaire pour se renouveler et en même temps logique, tant il accapare l'attention du second long-métrage (dans le premier, il avait perdu la mémoire donc le ressort comique du personnage était en retrait), au point que le personnage incarné par Christopher Lloyd porte le film sur ses épaules. Alors, qu'en est-il de cette adaptation sous licence des ayants-droits ? Le jeu débute et on se retrouve devant la propriété des Addams, sans plus d'introduction. En interpellant Gomez, on récupère une carte des lieux, tandis que Morticia permet de situer le premier ressort de l'intrigue : retrouver Pubert. Le dernier rejeton de la famille a disparu et c'est à oncle Fétide qu'incombe la tâche de mettre la main dessus... Il semble que les programmeurs aient bénéficié d'une marge de liberté importante, avec la possibilité de se détacher nettement vis-à-vis du film. Ici, oncle Fétide est bien l'anti-héros petit, trapu et gros auquel nous a habitués la série et le méchant du jeu est toujours la fausse babysitteur. On se fait toutefois rapidement à l'idée que la recherche de Pubert va servir de prétexte pour se balader aux quatre coins de la carte et rencontrer un tas de personnages de la série. Pour cela, on va devoir traverser avec lui quelques donjons mal-famés, bourrés de trappes et autres pièges malveillants, ainsi que rencontrer d'autres personnages peu ragoûtants, afin de récupérer des objets qui serviront de monnaie d'échange, dans le but de débloquer l'accès à de nouvelles parcelles de niveaux comme la forêt, les marais, les montagnes rocheuses, le jardin en pierre, etc. L'intrigue de ce jeu diffère considérablement du long-métrage dont il est l'adaptation. D'ailleurs, les développeurs ont fait le choix de présenter la plupart des personnages en SD, au point que l'on pourrait parler d'une adaptation cartoon qui n'aurait plus rien à voir (ou presque) avec le film. Le résultat fait que Addams Family Values est davantage un vrai jeu vidéo dans l'univers de la famille Addams qu'un produit dérivé développé à la chaîne pour tenter de coïncider avec la sortie du film à succès. L'originalité du titre, comme il a été évoqué plus haut, c'est qu'il compose à la manière d'un Zelda-like. Ici, vous pouvez d'ores-et-déjà oublier la préciosité des réflexes et les multiples sauts de cabri qui caractérisent un jeu de plate-forme. Celui qui nous intéresse présente un scrolling en 2d avec une vue du dessus, au long-cours de zones inter-connectées selon un ensemble à explorer avec attention et parcimonie. L'imposante propriété de la famille Addams (son jardin en bordure d'une forêt agrémenté d'un cimetière, de plusieurs cavités souterraines, plus largement d'une vaste campagne environnante et pour finir, de son manoir labyrinthique) fait office de carte générale, où l'on peut se plaire à vagabonder pour se perdre régulièrement au milieu d'une faune et d'une flore parfois hostile. Requiem pour un AddamsComme dans tout jeu d'aventure élaboré avec un certain souci de classicisme, une grille d'inventaire est à disposition (bouton start). C'est l'occasion de marquer une pause et de gérer moult objets possédant un pouvoir bien spécifique, ou qui servent simplement de passe afin de débloquer de nouvelles issues. Certaines zones paraîtront inaccessibles de prime abord, jusqu'à obtenir l'objet adéquat. Il en va ainsi de routines de gameplay usitées, qui suivent scrupuleusement la voie du chef d’œuvre de Shigeru Miyamoto. À la place d'une épée, on dispose d'un éclair qui peut jaillir de la paume de Fétide. C'est l'arme de base pour occire le bestiaire qui ne manquera pas d'entraver votre route. Mais attention : plus votre barre de santé diminue, moins la force de frappe de la foudre sera importante et il en va de même pour l'allonge. Les situations critiques deviennent rapidement désespérées ! Aussi malgré l'apport d'autres pouvoirs offensifs, comme des graines magiques à balancer vers vos opposants et la variété des objets-clé à échanger, l'item le plus précieux s'avère le cookie – aux morceaux de cafards noirs trempés. Ce dernier sert à rétablir les points de vie et s'annonce très utile au moment de s'enfoncer plus loin dans un donjon, afin de récupérer un éclair à portée conséquente. Pensez donc à vous réapprovisionner auprès de grand-mère Addams. Une qualité du jeu qu'on s'efforcera de trouver louable est de livrer littéralement le joueur à lui-même. On débute sans plus tergiverser au beau milieu de la carte de ce petit monde et rien n'indique où il faut se rendre, ni les régions par lesquelles il serait judicieux de commencer pour faire avancer le gameplay. Il faudra deviner quelles zones sont à explorer en priorité, en relevant les indices suggérés auprès des membres de la famille. Le souci, c'est que ces derniers sont dispatchés aux quatre coins de la carte et changent d'emplacement au fur et à mesure de la progression. Vous serez probablement amené à effectuer des allers-retours fastidieux et néfastes à la bonne marche du gameplay, quand il devient nécessaire de pousser les recherches pour obtenir des indices. Malheureusement, un autre problème naît de cette exploration et vient s'ajouter au joueur soucieux de bien faire et de s'amuser : il s'agit de la lenteur excessive du personnage. Un défaut notoire qui devient rédhibitoire quand on est forcé de rebrousser chemin au milieu d'un donjon pour naviguer d'un bout à l'autre de la carte et refaire le plein de biscuits. Dommage. Graphiquement, le titre fait dans la technologie 16-bits. Avec son épaisseur anguleuse et ses aplats bicolores, il évoque un jeu SNES de première ou seconde génération. Il est pourtant sorti en 1995, quand le cycle de la quatrième génération approchait son terme, on aurait donc pu s'attendre à mieux visuellement parlant. D'autre part, le coté limité des graphismes s'accorde-t-il avec l'esthétique délabrée et déliquescente qui anime l'univers de la famille Addams ? Chacun et seraient à même d'en juger et de digresser. Un mot sur les différents supports pour lesquels est sorti ce jeu : les versions se ressemblent beaucoup mais le titre paraît légèrement plus coloré sur SNES et les musiques sont de bien meilleure facture. Privilégiez ce support si vous y jouez. La version PAL est traduite en plusieurs langues, dont notre bon vieux français (j'y reviens plus bas). Enfin, a contrario de ce que ce type de jeu laisserait supposer, il n'y a pas de pile de sauvegarde dans Addams Family Values, on est obligé de noter un mot de passe quand on a suffisamment avancé. Si vous y jouez à l'aide d'un émulateur, il sera plus simple d'utiliser la fonction de sauvegarde rapide, si vous souhaitez suspendre la partie. ConclusionAddams Family Values pêche à cause de la lenteur de sa maniabilité et de masques de collision un peu trop "carrés". Il souffre aussi de sempiternels allers-retours, du fait qu'il aurait vraiment pu mieux faire graphiquement et, plus globalement, de sa difficulté. Néanmoins, la forme de la prosodie et le sens de la narration du titre peuvent réussir à faire pencher la balance du bon coté, pour peu que l'on essaye d'accrocher. En effet, la bonne qualité des dialogues réfléchit à merveille les répliques et autres punchlines au vitriol qui animent la série et les films, bien que la traduction soit moins bonne que le texte original. Morceaux choisis : "Sous cette pierre gît Gary Bracey [le nom d'un programmeur de chez Ocean]. Il a fini ici car il était trop paresseux. Donc, joueur, ne fais pas le porc, laisse tomber ton joystick et va faire un footing.", peut-on lire sur une des stèles du cimetière, parmi d'autres histoires à dormir debout... Plus loin, un mid-boss s'exprime de la sorte : "Je devrais exprimer ma gratitude mais comme je suis incroyablement diabolique et que tu te trouves par hasard au milieu de mes plans vicieux, je vais devoir te faire du mal. Tu comprends mon dilemme, n'est ce pas ?" Bref, malgré les apparences, on était pas si loin du hit avec ce titre. Un jeu honnête, qui mérite la moyenne malgré quelques lacunes évidentes. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? 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