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Wario Land : The Shake Dimension
Année : 2008
Système : Wii
Développeur : Good Feel
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action

Wario Land: The Shake Dimension/Wario Land: Shake It!
Wii - Good Feel/Nintendo (2008)

Lorsque l'existence d'un jeu nommé Wario Land: Shake It (titre US) a été dévoilée lors de l'E3 2008, l'information prit tout le monde de court... Sa sortie était annoncée sur Wii pour deux mois plus tard seulement au Japon, trois mois plus tard dans le reste du monde, et pourtant, personne n'avait la moindre idée de ce que le jeu pouvait être, aucun détail ou capture d'écran n'ayant circulé. L'hypothèse d'une véritable suite à Wario Land sur console de salon paraissait tellement incongrue que la théorie la plus relayée était celle d'un nouveau Wario Ware utilisant la balance de WiiFit (ce qui aurait expliqué le sous-titre « Shake It »).

La Wii avait alors seulement un an et demi d'existence, était déjà largement première des ventes, et était déjà très contestée. Après la première vague de jeux Nintendo (Super Mario Galaxy, Metroid Prime Corruption) puis la seconde (Mario Kart Wii, Super Smash Bros. Brawl), tout le monde se demandait ce que la firme allait sortir par la suite, sur fond de débat « casual vs. hardcore ».
Dans ce cadre, la révélation qu'il s'agissait bel et bien d'un véritable nouvel opus de Wario Land, non seulement en véritable 2D, mais également entièrement dessiné et animé à la main, fut reçue avec une indifférence polie : on était alors bien avant la vague de jeux 2D « en boîte » comportant Muramasa: the Demon Blade, New Super Mario Bros. Wii, Kirby's Epic Yarn, Donkey Kong Country Returns, Kirby's Adventure Wii, et qui allait culminer en « débordant » sur les consoles HD avec Rayman Origins (qui doit beaucoup à Wario Land: the Shake Dimension).
Alors que, maintenant, l'annonce d'un nouveau jeu « en boîte » en 2D (à fortiori « fait main ») est accueillie avec enthousiasme (Kirby's Epic Yarn, des mêmes auteurs, ayant été gratifié de notes très élevées alors qu'il est bien plus basique) et que même les jeux de combats se font reprocher d'être modélisés en 3D, à l'époque, ce type de projet était vu comme une incongruité, un archaïsme : « si le jeu sort en DVD », pouvait-on lire un peu partout, « c'est à cause de la faiblesse du WiiWare, le service de téléchargement de Nintendo » - ou alors on disait que « ce jeu aurait dû sortir sur console portable, où est sa place ». Peu importe que Wario Land: the Shake Dimension remplisse à 75% son DVD, alors que le plus favorablement accueilli Muramasa le ferait à 15%, et New Super Mario Bros. Wii à 7,5%.

Aah, l'ambiance Duck Tales/Quackshot ! Ooh, les pièges à la Indiana Jones !

Pas facile d'être un précurseur... Pas facile d'être une suite sur console de salon d'une série née sur Game Boy monochrome... et encore moins facile d'oser proposer un système de difficulté conçu pour contenter tout le monde, mais qui, du fait du dédain de la presse à l'égard du titre et de son obsession pour un éventuel virage de Nintendo vers le grand public, aura été survolé, non compris, et aura fait qualifier le jeu de « trop facile », ce qu'il n'est absolument pas.

Mais reprenons depuis le début...

Le retour du Captain Syrup

Wario Land: the Shake Dimension commence alors que Wario dort dans sa voiture, elle-même située dans un garage (s'est-il fait expulser de son château ?!). Il se fait réveiller par un livreur portant un énorme colis, dans lequel il y a une mappemonde, une longue-vue, et une missive de la part... du Captain Syrup, son adversaire des deux premiers Wario Land ! Celle-ci lui dit qu'un trésor se trouve à l'intérieur de la mappemonde, Wario revient donc avec un gros marteau pour la briser, mais un lutin sort alors brusquement de la longue-vue, lui expliquant que la mappemonde renferme une dimension parallèle dans laquelle un cruel pirate séquestre son peuple ainsi que leur princesse, et... un sac magique générant de l'or quand on le secoue !
Évidemment, Wario, qui écoutait jusque-là distraitement, se rue alors vers la longue-vue pour explorer cette dimension parallèle, en commençant par un rendez-vous avec le Captain Syrup qui lui expliquera le jeu lors d'un court tutoriel...

Un petit dessin animé en introduction, et a boutique de Syrup, qui ne perd pas le nord.

L'introduction du jeu illustre très bien ce qu'il est : entièrement animée à la main, elle est très soignée, et son histoire/prétexte colle la présence de Syrup et le thème des pirates des deux premiers Wario Land avec celui du monde parallèle des deux suivants, le tout avec les lutins de Wario World à sauver. Dès le début, Wario Land: the Shake Dimension s'affiche donc comme étant une synthèse des opus de la série, et il l'est (mais pas que).
Le studio ayant développé le jeu, Good Feel, n'avait auparavant jamais travaillé sur un Wario Land. C'est après que Takahiro Harada (producteur) ait joué au Ganbare Goemon sorti sur DS qu'il ressentit l'envie de créer un nouvel épisode de Wario Land avec l'équipe de ce jeu, et il contacta donc son auteur, Etsunobu Ebisu, qui de son côté venait de fonder Good Feel, et parlementait alors avec Nintendo en vue de collaborer. Autant dire que l'on avait là une coïncidence prédestinée ! Après le feu vert de Nintendo, toute l'équipe se mit à jouer aux divers épisodes de la série, et ça se sent quand on joue au résultat final.

À première vue, Wario Land: the Shake Dimension est structuré comme Wario Land 4. La mappemonde magique comporte cinq continents, comportant chacun (dans un premier temps) quatre niveaux et un boss. L'objectif principal de chaque niveau est de trouver puis libérer un lutin enfermé tout au bout (en général), puis de revenir le plus vite possible au point d'entrée (pas forcément par le même chemin) avant qu'un compte à rebours n'arrive à zéro (sinon, Game Over). Libérer un lutin donne accès au niveau suivant, jusqu'au boss du continent en cours, et vaincre les cinq boss donne accès au pirate, puis au sac magique.
Wario Land ne serait pas Wario Land si le jeu était aussi linéaire, on a donc comme objectif secondaire de trouver trois trésors dans chaque niveau, et diverses quantités d'or disposées astucieusement. Jusque là, le jeu semble être une copie de Wario Land 4 : ce n'est pourtant absolument pas le cas.

Wario en route vers un des trois coffres à trésor. À droite, le lutin a été trouvé : Wario le libère de sa prison.

Alors que Wario Land 4 avait un rythme effréné, une structure de niveau très linéaire, un feeling « arcade » et une rejouabilité reposant sur le scoring, Wario Land: the Shake Dimension rappelle d'abord les deux premiers Wario Land.
Wario est de nouveau doté d'une barre de vie, mais les ennemis et les obstacles demandent de l'attention et de la méthode plutôt que de la vivacité. Il se déplace lentement, de façon précise et très délibérée, sans le mouvement de course de Wario Land 4, et les transformations ont disparu, seuls « Wario boule de neige » et « Wario enflammé » refaisant leur apparition. Cela nous renvoie au premier épisode de la série, d'autant plus que les environnements sont grands, très ouverts, détaillés, assez naturels et « plausibles », et plutôt éloignés de l'aspect artificiel, cloisonné et contraint des trois épisodes suivants. Même la musique, délicieusement cool et décalée, rappelle le Wario Land originel.
L'agencement des niveaux, cependant, rappelle Wario Land 2 : si on ne prend pas le temps de fouiller chaque recoin et que l'on se contente de suivre le chemin principal, on peut parfois trouver le lutin en quelques minutes. Tout le sel de chaque niveau consiste à l'explorer de façon sublimement paranoïaque, déduisant d'un indice aperçu dans le coin de l'écran, d'une simple disposition suspecte, du sentiment que le jeu cherche à nous détourner d'une zone, ou de la démarche tordue d'essayer de se mettre à la place des concepteurs, qu'il y a quelque chose . L'absence des transformations, qui faisaient la profondeur de Wario Land 2, est largement compensée par diverses trouvailles les remplaçant sans peine : interrupteurs, machine permettant à Wario de courir comme un fou (marchant alors sur l'eau et traversant les plaques de métal), blocs « bombes » avec minuteur se déclenchant au contact, plates-formes marchant sur des échasses, cordes axées sur des glissières, canons réglables projetant Wario, pieux que l'on peut planter ou sortir du sol, blocs de glace déplaçables d'un coup d'épaule, tuyaux qui rendent Wario tout petit ou restaurent sa taille... Chaque niveau a une nouvelle idée qui offre de véritables puzzles d'exploration et poursuit la tradition de la série.

Le défi de ne toucher aucun fossile est raté (icône en bas à gauche), celui de ne pas se faire toucher aussi (à droite).

Mais la grande idée de Wario Land: the Shake Dimension, ce sont les missions, et ce sont elles qui font que le jeu rappelle aussi beaucoup Wario Land 3. En plus des trois trésors à ramasser et de l'or à collecter, chaque niveau comporte donc un certain nombre de missions à accomplir, un peu à la façon des « succès » de la XBox 360, et celles-ci amènent à considérer le niveau plusieurs fois, et de façons totalement différentes.
Typiquement, on a la mission de ne pas perdre d'énergie du tout pendant le niveau (ce qui rend obsolète la barre d'énergie de Wario, c'est comme si on mourait au moindre contact), d'effectuer le chemin du retour sous un certain temps (auparavant très large, cela ajuste le temps limite à une marge allant de 5 secondes à quelques dixièmes de secondes), et de ramasser à peu près tout l'or du niveau.
Ce dernier point en particulier approfondit énormément le jeu : alors que l'or était dans les précédents volets de Wario Land considéré comme un bonus (ou, dans le cas de Wario Land 4, pour le scoring, avec une abondance de moyens d'obtenir de l'argent), Wario Land: the Shake Dimension est plus royaliste que le roi, la collecte d'or étant gérée avec la même rigueur et complexité que la quête des clefs et coffres à trésors de Wario Land 2 et 3. Ainsi, au lieu d'obtenir une poignée d'objets cachés en triomphant de petits trésors d'ingéniosité (ou d'adresse) ponctuels et isolés, le niveau tout entier devient un défi/puzzle géant, où on ne peut pas se permettre de rater un sac d'or ou une pièce d'argent.
Les niveaux sont d'autant plus des casse-tête que les missions sont souvent contradictoires : pour ramasser tout l'or, il faut la plupart du temps faire des détours dans la phase retour, ce qui signifie que l'on n'aura pas le meilleur temps possible... Parfois, une mission nous demandera de ne jamais tomber dans l'eau (ce qui revient à la transformer en de la lave tuant au contact), mais nager peut nous amener à un trésor ou à de l'or. Lors de l'exploration initiale du niveau, il faut donc comprendre comment il fonctionne, et faire un tri parmi ses objectifs pour en remplir le plus possible à chaque visite.
Ce sont ces visites multiples, cette façon de les planifier, cette allure de casse-tête géant qui font que Wario Land: the Shake Dimension rappelle donc Wario Land 3, en plus de tous les autres épisodes de la série... mais le jeu ne se contente pas d'être une brillante synthèse, il innove également grâce à l'élégance de ses contrôles, l'intelligence de sa gestion de la difficulté, et, bien sûr, des visuels tels que l'on n'en avait jamais vus à l'époque.

Secouer les conventions

La Wii a fondé une bonne part de son succès sur la hype par rapport à ses contrôles, mais on peut se demander si le plus grand progrès apporté par la Wiimote n'est pas le retour à la simplicité et à la précision du pad NES. En fait, j'ai personnellement la théorie que le gros des jeux Nintendo de cette génération, et la Wii elle-même, résultent du traumatisme de Nintendo sur Super Mario Sunshine, jugé selon eux trop compliqué (contrôles, caméra, pad, lisibilité des défis).

Les niveaux en « sous-warin » se jouent avec le tilt, la croix et un bouton. Lancer un ennemi utilise le tilt.

Wario Land: the Shake Dimension se joue donc avec la Wiimote seule, tenue sur le côté, « NES style ». Au moment de sa sortie, quelque jeux Nintendo « en boîte » avaient proposé de jouer avec la Wiimote seule « à l'horizontale » : des jeux de course qui utilisaient la détection de l'inclinaison de la manette (le « tilt ») pour simuler un volant, une option de Super Smash Bros. Brawl (sans doute peu utilisée face à la possibilité de jouer avec le pad Gamecube), et Super Paper Mario. Bien que ce dernier revendiquait de se jouer comme « au bon vieux temps », le jeu avait été initialement développé pour le pad Gamecube, et ça se sent dans ses phases en 3D.
On peut donc situer Wario Land: the Shake Dimension à un tournant sur le plan des contrôles en plus de celui de la représentation, car après sa sortie, l'utilisation de la Wiimote « NES style » s'est généralisée, avec les jeux Nintendo qui vont avec : New Super Mario Bros. Wii, Kirby's Epic Yarn, Punch-Out!!, Kirby's Adventure Wii, et même le stupéfiant Metroid: Other M. D'anomalie, le jeu distribué en boîte mais conçu de façon « rétro » non seulement sur le plan visuel mais aussi sur celui des contrôles a fini par être considéré très positivement par la presse et les joueurs, et devenir central pour Nintendo.
Cela ne doit pas être une surprise : en tant que passionnés, nous avons pu lors de la révélation de la Wiimote nous focaliser sur les possibilités de la détection de mouvements ou de l'usage d'un pointeur à l'écran, mais sur le fond, Nintendo a toujours dit que son but premier était la simplicité, et surtout l'aspect abordable, inoffensif du contrôleur, dans une volonté de retour aux fondamentaux. Les éditeurs tiers ont finalement été plus audacieux avec les mouvements ou le pointeur que Nintendo : Eledees, Trauma Center, Kororinpa, Red Steel 2... Même The Legend of Zelda: Skyward Sword, sorti en fin de cycle de la console, n'était à l'origine pas destiné à utiliser les mouvements pour ses combats.

Plutôt qu'une révolution, Nintendo a donc véritablement cherché à revenir à ses sources, considérant l'excès de complexité ou de sophistication comme une impasse (sur le plan de la construction du défi, nous allons lui donner raison). Au lieu de retourner la table sur le plan des contrôles, la compagnie a généralement choisi de saupoudrer une formule classique de petites touches d'innovations, et c'est clairement ce qui a été choisi dans le cas de Wario Land: the Shake Dimension.

Wario time! La caisse va tomber au sol.À droite : Il vaut mieux ne pas secouer les sacs d'or n'importe où.

Wario bouge donc grâce à la croix, saute avec (2), effectue son fameux coup de coude ou lance les ennemis avec (1), et se dirige généralement comme dans un jeu Game Boy. Mais les capacités de la Wiimote n'ont pas été oubliées : si on pousse brutalement la manette vers le bas, Wario porte un coup au sol qui ébranle tout ce qui se trouve à l'écran (et seulement à l'écran, une des raisons pour lesquelles la zone de jeu reste inchangée entre le 4/3 et le 16/9) : les objets en équilibre tombent au sol, les ennemis sont étourdis, les pistons sur glissières sont projetés vers le haut, les explosifs sont amorcés, tout est chamboulé.
Dans le même ordre d'idée, Wario peut secouer les objets qu'il saisit : c'est ainsi qu'on libère le lutin de sa cage, qu'on vide les sacs de pièces (idéalement, il faut le faire contre un mur ou sous un plafond pour éviter que les pièces n'aillent n'importe où) et qu'on malmène les ennemis que Wario attrape après les avoir assommés. En dehors d'être défoulant et hilarant, brutaliser ainsi les ennemis peut être utile puisqu'ils ont parfois de l'ail sur eux (l'ail redonne de l'énergie), que les ennemis dorés (rares) ont des pièces d'or sur eux, et que l'on peut obtenir certains effets intéressants...
Qui dit Wario Land dit aussi lancer les ennemis, et là, c'est le tilt de la Wiimote qui intervient : au lieu de viser en laissant le bouton appuyé plus ou moins longtemps, on incline la manette pour changer l'angle de tir. Autant la détection des mouvements de translation de la Wiimote est approximative, et le coup au sol ou le secouement ne demandent donc ni coordination ni précision (initialement, les concepteurs voulaient différencier le fait de secouer de gauche à droite ou de haut en bas, mais ça ne marchait pas), autant le tilt est lui impeccablement géré, et il peut donc se permettre de demander plus de finesse et d'adresse. Le même système de visée est utilisé pour projeter Wario à partir de canons orientables, et le tilt est exploité de façon entièrement analogique avec divers véhicules : un « sous-warin » lors de phases de shoot'em up, un « cyclochaudron » qui tient en équilibre sur des cordes, et surtout un « chaudron à réaction » qui vole à la façon de Thrust sur Commodore 64, dans des niveaux d'une précision diabolique.

À l'assaut de la pyramide, tête la première. À droite : le cyclochaudron se pilote tout en délicatesse.

Wario Land: the Shake Dimension a donc une utilisation élégante de la Wiimote, et originale à l'époque : retour aux bases en imitant un pad NES, le pouce gauche fermement sur la croix, le pouce droit entre le bouton (1) et le bouton (2) pour pouvoir presser l'un ou l'autre à chaque instant. Sans lever un doigt, on peut porter un coup au sol ou secouer ce que Wario a en main, ces actions étant toujours couronnées de succès car simples, ponctuelles, et essentiellement immersives (on est bien dans la continuité d'un Wario brutal et increvable qui bouscule tout sur son passage). Et, tout en bénéficiant de la simplicité et de la précision digitales, on a aussi accès à l'amplitude de l'analogique dans la visée ou dans différentes épreuves d'adresse qui viennent pimenter le tout. Un mariage parfait, si vous me demandez mon avis.

Difficulté à la carte

En parlant d'épreuves, Wario Land: the Shake Dimension aura donc fait causer sur sa soi-disant absence de difficulté, en plein psychodrame de « qu'est-ce que Nintendo donne aux vrais joueurs ? » Mettons tout de suite les choses au clair : si dans chaque niveau on se contente de trouver le lutin puis de revenir au point d'entrée, et si face à chaque boss on se contente de le vaincre, on en a pour un (tout) petit après-midi, avec une absence à peu près totale d'efforts. D'ailleurs, le jeu est très adapté aux enfants, et j'irais jusqu'à dire qu'il est une excellente introduction au jeu vidéo pour ceux-ci (en plus, ils adorent Wario).

Mais la facilité apparente de Wario Land n'est pas nouvelle. Après tout, il était impossible de mourir dans Wario Land 2 et 3, et le défi de Wario Land 4 se trouvait dans le scoring. En fait, Wario Land: the Shake Dimension reprend l'idée des trésors et du « contenu facultatif » typique de la série (les chemins alternatifs de Wario Land 2, par exemple), et la pousse à son paroxysme : dans chaque zone d'un niveau, le chemin jusqu'à la zone suivante est généralement évident, mais il y a tout un contenu (ennemis, puzzles, chemins alternatifs, or) au-dessus, au-dessous ou à côté, qui est lui récompensé par les missions (ou un trésor). En fait, le schéma de la difficulté optionnelle est tellement exagéré que cela fait des niveaux des sortes de self-services : on avance tranquillement, on voit des éléments d'exploration, de collecte, de puzzle ou d'adresse, et, selon ses capacités, le temps que l'on a pour jouer, son humeur ou la liste des missions déjà remplies, on choisi de s'en occuper ou non.

Si on cherche juste à remplir la mission du temps de retour optimal, on peut royalement ignorer ces blocs ou ces passages.

C'est une manière à la fois astucieuse et radicale de résoudre ce qui a peut-être été LA question de cette génération, celle de savoir comment élargir sa base pour compenser des coûts de production toujours plus élevés, tout en composant avec différents publics : les enfants, les adolescents, les joueurs passionnés, les nouveaux joueurs ou joueurs occasionnels, les joueurs adultes expérimentés qui aiment le jeu mais ne tolèrent plus les temps morts ou les longues sessions sans sauvegarde... Avec ce système, on planifie ses parties librement, selon que l'on veut se détendre, se dépasser, recommencer un niveau jusqu'à remplir le maximum d'objectifs en une seule fois, ou au contraire segmenter le défi lors de sessions espacées plus paresseuses, où l'on se contente de focaliser sur un seul objectif sans se soucier des autres. Et, bien entendu, il y a toujours la possibilité d'ignorer un objectif qui nous agace...

Le contenu et le rythme de jeu se plient donc à nos envies et à nos capacités, mais qu'en est-il de la difficulté en elle-même ? À quoi peut-on s'attendre si on cherche à trouver tous les trésors et à réussir toutes les missions ? Déjà, il faut savoir que Wario Land: the Shake Dimension introduit un concept assez neuf dans la série : la notion d'échec. Là-dessus, les trois premiers Wario Land adoptaient la ligne LucasArts, qui pour les jeux en boîte est devenue une règle à peu près générale : tant que l'on reste en vie (ce qui est obligatoire dans Wario Land 2 et 3), on ne peut pas être bloqué. Wario Land 4 avait déjà violé cette règle pour ses objectifs secondaires, à savoir les coffres et bien sûr le score : si on ratait certaines manipulations ou que l'on n'était pas assez prudent, on pouvait se verrouiller en dehors de l'accès à un coffre, ou perdre à jamais l'opportunité de collecter certaines gemmes. Wario Land: the Shake Dimension reprend ce schéma de Wario Land 4 de pouvoir « griller » son accès à un objectif secondaire, à la différence que, dans Wario Land: the Shake Dimension, 99% du jeu sont des objectifs secondaires ! C'est ainsi que si on porte un coup à un sac de pièces au lieu de le vider, celui-ci disparaît, on perd son contenu, et on ne pourra donc pas pouvoir remplir la mission de ramasser à peu près tout l'or du niveau. Le simple fait de tomber dans l'eau, d'avoir perdu de l'énergie, de détruire un bloc qui permet d'atteindre un objet, d'avoir cassé un moyen de transport, ou parfois même de tuer un ennemi peut rendre un objectif inatteignable. Bien sûr, on peut toujours finir le niveau quoi qu'il arrive, mais comme on l'a vu, ceux-ci sont entièrement pensés et structurés autour des objectifs secondaires. Le jeu vire donc parfois au « die and retry », d'autant plus qu'il nous amène sadiquement à commettre certaines erreurs, incitant fortement à la paranoïa.

Pour réussir la mission du temps de retour optimal, il faut parfois modeler correctement le niveau à l'aller.

Tout cela est particulièrement vrai pour la phase de retour. Tous les niveaux ont la mission d'effectuer la phase de retour sous un certain temps, et à cette fin le jeu nous fait utiliser des « tuyaux rapido », des machines qui font courir Wario à toute vitesse. Quand il court, Wario peut faire demi-tour, sauter ou glisser sur le ventre, mais il perd définitivement son élan s'il percute un mur ou glisse trop longtemps. Si on commet une erreur et qu'il n'y a pas d'autre tuyau à proximité, on a donc à peu près certainement perdu la mission du temps de retour optimal. Ces phases demandent donc beaucoup de planification, de réflexes et de précision, d'autant plus qu'il y a parfois des trésors, des pièces ou d'autres objectifs secondaires à remplir en chemin - en fait, elles rappellent beaucoup Bit. Trip Runner dans leur exigence et leur intelligence.
Le jeu joue aussi avec nos repères. Très tôt, il nous conditionne par exemple à sauter dès que l'on arrive en bout de plateforme lors d'une course (car cela nous fait généralement atterrir sur une autre plateforme hors écran) et à effectuer une charge au sol dès que l'on descend dans un puits (parce que la plupart du temps, il y a un bloc métallique bloquant l'accès à un trésor ou de l'argent en-dessous, et que celui-ci est détruit par une charge au sol avec élan). Mais assez rapidement, le jeu s'amuse à cacher des choses entre et sous les plateformes que l'on survole, ou nous tendre des pièges avec des puits dans lesquels il ne faut PAS faire de charge au sol. En fait, chacun des trois axes ludiques du jeu, exploration, puzzle, adresse, utilise l'échec pour jouer avec nous avec un sadisme digne de Rick Dangerous. Alors Wario Land: the Shake Dimension, un jeu facile ? Certainement pas. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas autant écrié « AH LES FUMIERS » devant mon écran.

Ceci étant dit, le jeu n'en devient-il pas frustrant ? Pas du tout, et ceci grâce à ses choix initiaux. D'abord, grâce à la structure de ses niveaux et de ses objectifs, on peut facilement segmenter le problème en ne ciblant qu'un ou deux objectifs à la fois, ce qui nous permet de parcourir le reste du niveau bien plus vite et d'éviter le sentiment de répétition. Il faut d'ailleurs noter que l'option de recommencer un niveau est très rapide, et qu'il y a un checkpoint juste avant de libérer le lutin et d'entamer la dangereuse phase retour.
Ensuite, le jeu garde l'apparence de la facilité : il est en 2D, et bien que tout soit dessiné à la main, le relief du paysage colle à une grille qui le rend extrêmement lisible... Les transformations des trois Wario Land précédents ont disparu, simplifiant les mécaniques de base du jeu, et il se contrôle « NES style », l'incarnation de l'accessibilité. Du coup, quand on échoue, et même quand on a été « piégé », on s'en veut : on a non seulement l'impression que c'est de notre faute, mais qu'on a échoué bêtement et qu'on fera forcément mieux la prochaine fois. C'est ainsi que Shigeru Miyamoto avait conçu Super Mario Bros. - comme un jeu difficile qui donne l'illusion de la facilité, et qui donc fait que le joueur s'acharne à vouloir le vaincre, vexé plutôt que découragé par la défaite.
Enfin, le jeu reste tout de même très largement abordable. Je dirais que la difficulté des vingt niveaux et des six boss qui nous séparent de la cinématique de fin, en incluant tous les trésors et toutes les missions, est à peu près équivalente à celle des trois premiers Wario Land, avec une bonne durée de vie. Les niveaux qui suivent, en revanche, sont nettement plus corsés ! Après avoir battu le jeu une première fois, on découvre en effet que chaque continent comporte des cartes secrètes dans les niveaux déjà visités, et, de plus, le jeu ajoute des missions aux combats contre les boss. Les cartes secrètes donnent, en tout, accès à douze niveaux supplémentaires, et ceux-ci sont des bijoux d'orfèvrerie sadique... et les missions de boss transforment ce qui était des formalités en combats épiques, certaines missions m'ayant fait frôler la crise cardiaque.

De faciles mais impressionnants, certains boss deviennent cauchemardesques quand leurs missions sont débloquées.

Au final, un jeu que la critique aura globalement présenté comme étant « trop facile » et trop court m'aura au contraire agréablement surpris par l'attention qu'il demande au joueur et par le temps que j'ai passé à m'acharner dessus. Alors que beaucoup de jeux de cette génération, en particulier ceux vendus en boîte, se jouent en « pilotage automatique » et évacuent la notion d'échec, une expérience à la fois novatrice et old school comme celle de Wario Land: the Shake Dimension est rafraîchissante. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences...

« Le jeu 2D ultime »

En parlant d'apparences, concluons paradoxalement par ce qui saute d'abord au yeux quand on lance le jeu : les graphismes et l'animation. Là aussi, Wario Land: the Shake Dimension a été sous-estimé, alors qu'il a mis la barre très haut...
Les plus jeunes générations, quand elles imaginent les progrès visuels des consoles de jeux à venir, rêvent la plupart du temps de Pixar ou Dreamworks, voire d'un rendu proche d'un film. Mais il faut savoir que ce qui pendant longtemps faisait rêver les joueurs, c'était Dragon's Lair, c'est-à-dire, le dessin animé. À une période où la 2D était la norme et où les jeux les plus impressionnants étaient Prince of Persia, Another World ou divers jeux de baston, le progrès était dans la finesse et le sens artistique des décors, et la fluidité de l'animation des sprites. Le rêve des joueurs était alors un jeu qui ressemble à Dragon's Lair, mais qui ait l'interactivité complète d'un « vrai » jeu.
Mais au moment où les consoles sont devenues assez puissantes pour permettre un rendu de cette qualité, tout a basculé avec la 3D. Les jeux en 2D, en particulier ceux continuant cette quête du rendu « dessin animé », comme la série des Metal Slug, ont été marginalisés, voire méprisés. Puis, la 3D est rapidement apparue comme étant plus pratique et moins coûteuse pour les développeurs : l'animation d'un modèle polygonal, que l'on peut modifier même en fin de développement, s'est révélée être incomparablement plus commode qu'un sprite constitué de centaines de positions différentes. Composer un décor 3D avec divers éléments que l'on peut facilement tourner, repositionner, éditer légèrement (pour une maison, changer les portes ou fenêtres de place, etc.) est bien plus simple que redessiner un décor. C'est ainsi que même les nouveaux jeux se jouant en 2D sont souvent techniquement en 3D : c'est bien moins cher à produire, seul le pixel art restant rentable face à la 3D.
Le rêve d'un jeu 2D ressemblant à un dessin animé s'est donc progressivement éloigné... et c'est ce rêve que l'équipe de Wario Land: the Shake Dimension a voulu matérialiser. Takahiro Harada le résume en une phrase : « Un de nos objectifs était de créer le jeu 2D ultime »...

Il n'y a pas à dire, l'animation et le dessin à la main, il n'y a que ça de vrai !

C'est ainsi que malgré la petitesse de l'équipe de Good Feel, Wario Land: the Shake Dimension finit par compter plus de 2000 sprites pour Wario seul (répartis dans environ 200 actions), plus de 6000 sprites pour les ennemis, et des décors dessinés sur mesure pour chacun de ses 32 niveaux (auxquels il faut ajouter les six arènes de boss)... En effet, même si certains éléments de décor sont réutilisés, le paysage n'est pas composé de « tuiles » répétées comme dans les jeux 16 bits mais d'un immense dessin, ce qui a d'ailleurs posé quelques problèmes lors du développement : au moindre passage secret ajouté, il fallait redessiner toute la zone. On comprend maintenant comment ce jeu, que certains auraient imaginé sortir sur WiiWare ou console portable, a rempli son DVD.

Le jeu est donc très beau, l'animation de Wario excellente, le scrolling différentiel subtil (avec un décalage léger, plus « dessin animé » que « jeu vidéo »), et le talent de Good Feel saute aux yeux. Mais cependant, le studio devra attendre l'E3 2010 pour être récompensé par la presse, pour son travail visuel sur... Kirby's Epic Yarn. Ayant joué aux deux jeux, je peux pourtant dire que Kirby's Epic Yarn n'a sans doute pas demandé plus de travail que Wario Land: the Shake Dimension, et je ne le trouve pas plus beau en tant que tel. Alors ?
Alors, le problème de Wario Land: the Shake Dimension, c'est qu'il se la joue discret. Oui, tout est dessiné à la main dans chaque niveau, mais le jeu émule tellement l'apparence d'un jeu 16 bits que l'on ne s'en rend pas compte d'un seul coup d'œil. Comme dit plus haut, tout le décor colle à une grille pour des questions de lisibilité ludique, avec des blocs bien carrés même si tout est effectivement dessiné sur mesure. Les choix de couleurs et de priorités visuelles, avec des palettes discrètes qui mettent bien en avant les éléments de jeux, font que les détails sont aperçus plutôt que regardés. Et enfin, le style graphique est assez neutre, passe-partout, tout comme l'univers. Le niveau enneigé ressemble à un niveau enneigé, le niveau dans un volcan ressemble à un niveau dans un volcan, etc. mais ils n'ont pas de personnalité propre, on pourrait y mettre Mickey à la place de Wario sans que cela choque. C'est un défaut que l'on retrouve dans la série dans son ensemble, mais le premier Wario Land avait une forte personnalité, Wario Land 4, malgré le côté cliché et arbitraire de ses niveaux, s'en sortait bien également, ainsi que Wario World ; tous avaient ce côté « laid », « mauvais trip » caractéristique de Wario. Alors que là, tout est propret, sans folie.

Et, surtout, quand Wario Land: the Shake Dimension a été annoncé, tout le monde attendait ça :

Ah, évidemment... ça calme tout de suite...

Muramasa: the Demon Blade n'est techniquement pas plus impressionnant que Wario Land: the Shake Dimension. Il n'a aucun level design, ses décors sont juste des arènes plates. Il recycle de façon invraisemblable la même poignée de décors, en changeant simplement leur enchaînement, leur éclairage, ou la combinaison d'ennemis qui s'y trouvent. L'animation de ses personnages est plus fondée sur la translation, la rotation de membres ou la déformation numérique que l'animation image par image. Dans l'ensemble, l'impression donnée en action rappelle beaucoup plus Shadow of the Beast sur Amiga qu'un dessin animé. Et d'ailleurs, comme dit plus haut, il remplit son DVD à 15%, contre 75% pour Wario Land: the Shake Dimension.
Mais son sens artistique tue, tout simplement. Le jeu apparaît immédiatement comme nettement plus beau, « in your face », que le bébé de Good Feel, tout comme la personnalité de Kirby's Epic Yarn sautera aux yeux et décrochera la récompense de « plus beau jeu de l'E3 2010 ».

Wario sur la pointe des pieds

Au final, cet aspect humble, « profil bas » des visuels de Wario Land: the Shake Dimension, malgré tout le travail qu'il y a derrière, est assez caractéristique du jeu et de sa réception. Il aura été précurseur du retour de la 2D sur console de salon, mais a été considéré comme archaïque. Il aura subtilement combiné classicisme et innovation avec ses contrôles, mais a été qualifié de « casual » pour cela, alors que les jeux « NES style » qui ont suivi sur Wii ont été applaudis. Il aura inauguré une façon révolutionnaire de structurer l'accessibilité et la difficulté dans les jeux, mais ses missions et trésors ont été vus comme des « succès » dispensables.
La critique l'a décrit comme étant « bien trop court » et « bien trop facile », alors qu'il a une durée de vie standard pour un jeu moderne, et fait partie des quelques jeux de cette génération qui demande effectivement de faire attention à ce qui se passe. Il est à la fois une synthèse géniale et un renouvellement brillant de la série des Wario Land, mais personne ne semble se souvenir de Wario Land...

Finalement, le jeu est un peu à l'image de la console sur laquelle il est sorti : on en dira du bien dans une rétrospective dans dix ans...

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