Il est des jeux qui ont marqué de leur empreinte l'histoire d'une machine. Dans l'évolution du Commodore 64, Io fait partie de ceux-là.
Un tournant dans l'histoire du shoot'em up sur C64
Petit retour en arrière. Nous sommes en 1987. A cette époque caracole en tête des jeux les plus joués en arcade l'un des shoot'em ups les plus prestigieux qui soient, R-Type. Considéré, à juste titre, comme l'un des shoots horizontaux ayant révolutionné le genre, R-Type reprit la recette de son illustre ancêtre, Gradius (Konami, 1985), pour y incorporer tout un ensemble d'innovations. Du hit de Irem, on retiendra principalement cet extraordinaire troisième niveau, mettant le joueur en proie à un vaisseau géant long de plusieurs écrans, et son système d'armement très ingénieux basé sur l'adjonction d'un bouclier offensif, dont le principe fut maintes fois repris dans nombre de jeux du même type. Avec ses nombreux niveaux, ses graphismes hauts en couleurs, et sa pléthore de bosses tous aussi impressionnants les uns que les autres, R-Type faisait mieux qu'imiter ses nombreux concurrents : il redéfinissait un genre tout entier.
Autant dire que cette année-là, le pauvre possesseur d'un micro 8-bits n'avait que ses yeux pour pleurer. A cette époque, il était en effet bien difficile d'espérer retrouver tous les éléments d'un R-Type compressées dans les 48Kos ou les 64Kos d'un Spectrum ou d'un Commodore 64. Certes, des adaptations fort réussies du dit R-Type firent leur apparition sur ces mêmes machines, mais elles ne sortirent que plus d'un an plus tard lorsque l'affaire Katakis, clone éhonté du hit d'Irem, poussa le détenteur des droits, Activision, à demander au vil scélérat créateur de ce même Katakis - un certain gourou de la programmation nommé Manfred Trenz - à développer lui-même la conversion d'R-Type.
Que restait-il donc aux possesseurs d'un 8-bits pour étancher leur soif de shoots dignes d'un jeu d'arcade ? Rien. Ou presque. Pour des raisons à priori difficilement explicables, aucun des shoots développés spécialement pour le C64 ne semblait vouloir reprendre à la lettre le déroulement pourtant si banal, mais terriblement efficace des jeux d'arcade. Exit donc les niveaux variés aux mille couleurs ; exit aussi les gigantesques bosses de fin de niveau : dans les années 80, un shoot sur micro se définissait avant tout par un déroulement aussi original qu'inattendu – une approche détonante suscitant chez le joueur un intérêt variable. Du scrolling horizontal bidirectionnel d'un Uridium au psychédélisme assumé d'un Iridis Alpha en passant par la double représentation – de haut et de profil - de l'action d'un Sanxion, il semblait quasi-impossible de retrouver, sur sa bécane de prédilection, le classicisme des ténors du monde de l'arcade.
Un tel constat a de quoi rendre perplexe, et pourtant... Avec un peu de discernement, n'importe quel joueur comprendra que si les shoots européens n'imitèrent les shoots d'arcade que si rarement, c'était tout simplement pour des motifs purement techniques. Comment, sur une simple machine 8-bits, déplacer simultanément des dizaines de tirs et d'énormes sprites tout en animant le tout dans une parfaite fluidité ? Les quelques courageux qui se risquèrent au périlleux exercice de l'adaptation d'arcade sur C64 se heurtèrent plus d'une fois au classique problème du scintillement de sprites, du ralentissement de l'action ou du manque pur et simple de RAM, contraignant le développeur à sacrifier des passages entiers du jeu original. Inutile donc de préciser que les exemples d'adaptation ratée sur C64 abondèrent : Flying Shark, adapté du hit de Taito début 1988 par Firebird, ne fut qu'une pâle copie de l'original - résolution graphique limitée, couleurs fades, animation parfois poussive, sprites grossiers au-delà d'une certaine taille... Le résultat s'avéra tout juste passable. Pire : 1943, adapté du frénétique shoot vertical de Capcom par le label Go, fut si mauvais qu'il fut très vite retiré de la vente. Quant à Gunsmoke, toujours chez Go, il ne sortit jamais tant l'adaptation atteignit des profondeurs abyssales de nullité. A l'évidence, adapter correctement un shoot d'arcade sur 8-bits avait tout de la mission impossible.
De fait, nombreux sont les shoot'em ups d'anthologie qui, malgré toutes leurs qualités, ne virent jamais le jour sur micros 8-bits : Image Fight (Irem), Thundercross (Konami), Terra Force (Nichibutsu), Tatsujin (Toaplan) ou Vulcan Venture (Konami), tous sortis en 1987 et 1988, durent rester à l'état de fantasmes dans l'esprit de nombre de joueurs micro.
Les shoots à la sauce arcade sur C64 existent !
Parfois, tout de même, certains programmeurs osèrent adapter la recette d'arcade à leurs shoots. L'un des cas les plus célèbres sur C64 fut Delta (Thalamus, 1987), un jeu ayant marqué les esprits lors de sa sortie en raison de son incroyable introduction musicale, composée de main de maître par l'inévitable Rob Hubbard. Le jeu lui-même disposait de qualités certaines, mais il restait le parfait reflet de la production shoot-esque de base du C64 : des graphismes sommaires, un système d'armement inutilement compliqué, des niveaux répétitifs, aucun boss ou presque... et, au final, un titre ne répondant pas pleinement aux attentes de milliers de joueurs à la gâchette facile.
Zynaps (Hewson, 1987), sorti la même année, tenta une incursion plus franche dans le monde du shoot à la sauce arcade. Ici, les niveaux gagnent en diversité, les graphismes affirment une certaine personnalité, et des bosses font leurs apparitions. De quoi séduire quelques aficionados, mais on reste encore loin de la puissance se dégageant d'un Vulcan Venture ; la faute sans doute à un maniement délicat du vaisseau et à un level design un peu simplet.
Car il faut bien avouer que malgré tous leurs efforts en matière de tire z'y dessus, les occidentaux n'ont que rarement fait le poids face à leurs homologues nippons. Le shoot'em up, chasse gardée des Japonais ? Sans aucun doute. De Space Invaders à Ikaruga, les Japonais ont, dans ce domaine, tout inventé. Pourquoi donc en aurait-il été autrement à la fin des années 80 ? Il suffit de s'essayer aux quelques shoots 8-bits sortis sur les ordinateurs japonais pour s'en convaincre : malgré leurs faiblesses techniques, des firmes comme Konami ou Compile sont parvenues à des merveilles de jouabilité ; témoin l'excellentissime Nemesis II qui, sur MSX, parvint sans difficulté à égaler la puissance ludique des meilleurs titres du genre en arcade. Sur C64, il fallut quasiment attendre la fin de vie de la machine pour enfin voir débarquer une génération de shoot'em ups à même de faire concurrence aux mastodontes nippons. Io, de Firebird, fut le premier à sonner la révolte.
Io, ou comment tirer parti du plein potentiel d'une machine
Non qu'Io ait révolutionné le genre. Simplement, il est le premier, sur C64, à avoir mis tout en œuvre pour reprendre avec succès les grandes recettes ayant fait la gloire des shoots des salles obscures : ennemis relativement variés attaquant depuis le sol ou dans les airs, balles fusant aussi vite que dans un Flying Shark, mi-bosses et bosses de fin de niveau gigantesques, créatures plus résistantes aux tirs que d'autres... Tous les éléments furent méticuleusement réunis pour provoquer l'émoi chez une multitude d'adeptes de la destruction massive. Cerise sur le gâteau : une réalisation d'anthologie, alliant animation sans faille et graphismes tirant le meilleur parti de la palette de couleurs limitée de l'ordinateur. Il fallut du temps aux graphistes de cette machine pour réaliser que pour compenser une résolution graphique grossière, l'usage de dégradés était indispensable. Avec deux teintes de bleu, de gris et de rouge, le C64 était suffisamment armé pour passer à la vitesse supérieure, et démontrer que face à l'invasion imminente des 16-bits, il lui restait de beaux restes dans le monde du graphisme assisté par ordinateur. Dans ce domaine, Io fut, là aussi, l'un des tout premiers jeux du C64 à montrer la voie.
Un scénario en béton armé
Toi, gentil ; eux, méchants. Toi tuer méchants. Voilà pour ma version de l'histoire. Version officielle : un convoi de l'espace se voit attaqué par une horde d'aliens belliqueux (mince). La race humaine est menacée (pas de chance). Vous êtes notre seul espoir et allez être catapulté en territoire ennemi (vraiment, vraiment pas de chance). Dans les faits, cela se traduit par la traversée de quatre niveaux remplis à craquer de méchants bien décidés à en découdre. Dès les premières secondes de jeu, on se rend compte que la tâche promet d'être ardue. Votre vaisseau, bigrement armé puisque ne tirant qu'une balle au coup, se voit agressé par un groupe d'anneaux en formation dont le déplacement ne manquera pas d'entraîner... votre mort. Deuxième tentative. Cette fois, vous décidez de contourner la formation par le bas, votre puissance de feu ne permettant pas, à l'évidence, l'affrontement direct. Pas de chance : deux canons vous y attendaient, et vous tirent dessus à bout portant. Un canon explose au contact de votre balle, mais le second vous atomise en un clin d'oeil. Dommage. Troisième et dernière chance : vous décidez de passer par le haut. Bonne idée : le ciel est plus dégagé. Vous évitez habilement le feu nourri des deux tourelles du bas; les anneaux vous passent au-dessous; d'un tir bien placé, vous anéantissez une tourelle positionnée à l'entrée de la base spatiale constituant le premier niveau du jeu, et... mourrez à sa porte, massacré par quatre vaisseaux kamikaze que vous n'aviez pas vu venir.
Voilà, à peu de choses près, à quoi ressemble une première partie d'Io. 20 secondes, et le message Game Over s'affiche déjà. Correction : le message ne s'affiche même pas ; vous repassez directement à l'écran d'introduction – preuve que le jeu sait se montrer brutal. Io est un jeu difficile - extrêmement difficile. Certains parleront de difficulté ‘old-school', de jeu comme on n'en fait plus. La violence de la première vague d'attaque, qui ne manque jamais de cueillir à froid le joueur novice, n'est qu'un avant-goût de ce qui l'attend tout au long de son parcours. Bourré de pièges vicieux, Io saura en agacer plus d'un. Briefing des forces en présence.