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Les jeux électroniques (1980-1983)
Avec les Game&Watch de Nintendo, les jeux électroniques ont connu un succès fulgurant dans les années 80. Puis, face à une concurrence acharnée et pas toujours très loyale, Nintendo a fait évoluer sa gamme de jeux LCD en s'inspirant des bornes d'arcades et jeux consoles...

Au tout début des années 80, Nintendo régnait sans partage sur le monde de jeu électronique de poche. En alliant qualité et inventivité, les poches Nintendo parvenaient sans difficulté à surclasser une concurrence en manque d'idées. 1982 allait changer la donne: pour la première fois, d'autres compagnies mirent au point des modèles vraiment originaux, et surtout, dignes d'intérêt. Le géant nippon allait-il résister à l'attaque?

En lançant sa gamme de jeux à base VFD, Bandai ne désirait pas tirer un trait définitif sur le LCD -d'entrée de jeu, je pourrais perdre un peu plus le lecteur de cet article en donnant d'autres abréviations savantes comme CQFD, SOS ou même ANPE, mais je n'en ferai rien. Pour rappel, le procédé VFD s'oppose au LCD par le fait que les dessins d'un écran VFD apparaissent en couleur de façon rétro-éclairée. Un plus indéniable par rapport au LCD qui ne peut afficher que des dessins ternes et grisâtres à la manière d'une Gameboy première génération. Oui mais voilà: toute séduisante qu'elle était, la technologie VFD avait ses limites. Tout d'abord, elle imposait que la machine fût de taille plus imposante qu'un modèle LCD. Ensuite, l'écran sur lequel s'affichaient les dessins etait forcément noir -exit donc toute tentative de fresque colorée censée égayer l'action comme c'était souvent le cas avec les titres LCD. Enfin, l'autonomie de ces petites bêtes s'avérait considérablement plus réduite qu'un modèle à cristaux liquides -les piles n'étaient pas les mêmes, les besoins en énergie non plus. Souvent d'ailleurs, il était possible de brancher les jeux VFD directement sur une prise secteur par le biais d'un transformateur. Clairement donc, la technologie VFD se destinait plus à un public peu soucieux du caractère portable de leurs joujoux.
Face à ces quelques considérations, Bandai se dit qu'il eût été bien idiot d'abandonner totalement le marché du LCD; d'autant plus qu'en face, Nintendo, plus rusé que le renard, s'apprêtait à sortir sa botte secrète. Et tant pis si un renard, eh oui, n'a pas de bottes.

Jeu à écran VFD et jeu à écran LCD

L'Empire contre-attaque.

Il ne fallait pas être bien malin pour réaliser que, VFD ou LCD, le gros point noir des jeux électronique résidait dans leur manque quasi-total de variété: l'action, répétitive, lassait vite, très vite. De ce côté-là, les jeux vidéo n'avaient pas de soucis a se faire: l'écran, constitué de pixels, permettait au programmeur de varier à loisir les objets et personnages qu'il mettait en scène -les 'sprites', ou lutins-, et les tableaux dans lesquels allaient évoluer ces sprites. Nintendo lui-même l'avait bien compris: "Donkey Kong", en 1981, proposait 4 (quatre!) écrans totalement différents présentant l'avantage de renouveler les plaisirs.
C'est de cette constatation que Nintendo eut l'idée de faire de même avec sa collection de jeux électroniques. Cette collection avait un nom: la gamme 'Multi'.


Donkey Kong (arcade) : Niveaux 1, 2, 3 et 4

Multi comme multi-écrans.

Puisqu'il semblait impossible de superposer des dessins dans le but d'afficher plusieurs tableaux différents sur un même écran, Nintendo eut la bonne idée de concevoir des jeux à écrans multiples. En fait de multiples, il s'agissait simplement de 2 écrans; ce qui n'était déjà pas si mal.
A l'époque, ces jeux firent fureur dès leur apparition dans les boutiques. Le premier titre à avoir vu le jour fut "Donkey Kong". Et pour un coup d'essai, inutile de dire que ce fut un coup de maître. Voguant sur le succès de son grand frère d'arcade, le "Donkey Kong" de poche affichait 2 tableaux reliés entre eux. L'écran du bas reprenait plus ou moins le premier tableau du jeu de café: sauter au-dessus des barils, grimper les échelles et éviter les poutres rappelaient furieusement les agréables surprises que nous avait réservées le jeu original. L'écran du haut proposait, quant à lui, une scène inédite dans laquelle Mario devait actionner un levier mettant en marche une grue prolongée d'un crochet. La suite était une simple question de timing. Mario devait éviter les barils que le singe lui envoyait et tenter d'attraper au vol le crochet. Si tel était le cas, il restait à Mario à traverser les 2 tableaux trois fois de plus afin de libérer Peach des griffes de l'horrible animal.
A l'évidence, l'influence des jeux vidéo était manifeste: de plus en plus, le jeu électronique devait se détacher de son image négative de simple jeu à score où action rimait avec répétitivité.

Game&Watch : Donkey Kong multi-écran

Une esthétique parfaitement étudiée.

Game&Watch : Rainshower et Lifeboat

"Donkey Kong" se présentait comme un Game & Watch classique, mais d'épaisseur double. Afin de conserver l'aspect portable de ses créations, Nintendo avait eu l'intelligence de permettre à l'utilisateur de replier les 2 écrans de chacun des jeux de la gamme 'multi' l'un sur l'autre. Le boîtier ainsi obtenu révélait sur sa face supérieure un rectangle argenté du plus bel effet sur lequel étaient imprimé le titre du jeu en question. De cette façon, Nintendo montrait à son grand concurrent Bandai qu'il était possible d'innover sans tomber dans le piège du gigantisme de sa gamme 'FL'.

Game&Watch : Donkey Kong 2 et Pinball

Devant le succès remporté par "Donkey Kong", une multitude d'autres jeux 'Multi' virent le jour. "Oil Panic", "Greenhouse", "Mickey & Donald", "Donkey Kong 2" ou "Pinball", en particulier, marquèrent les esprits de tous les férus de jeux électroniques entre 1982 et 1983. D'autres 'Multi', comme "Mario Bros", Rainshower" ou "Life Boat" présentaient la particularité de s'ouvrir dans le sens latéral et non vertical. La technologie mise en œuvre pour ces derniers restait bien évidemment la même; seule la forme du boîtier, plus carré une fois refermé, présentait un léger changement.

Game&Watch : Oilpanic, Green House et Mickey,

Et la concurrence, dans tout ça?

La concurrence, loin de se démonter face à l'indécente réussite de Nintendo, lança vite sa riposte. V-Tech (Ludotronic en France), dont l'imagination frisait le degré zéro, se contenta, comme à son habitude, de plagier le grand constructeur nippon en ne proposant pas 2 écrans, mais 3! Rassurez-vous: la surenchère technique s'arrêta là. On ne vit jamais de jeux électroniques portables de 4 écrans ou plus.
Et pour cause. En accumulant les écrans, les jeux V-Tech étaient devenus presque trop imposants. Impossible par exemple de les glisser dans une poche. Quand on sait, en plus, qu'afin de conférer à leurs jeux une taille raisonnable, V-Tech avait pris soin de réduire considérablement la taille de chacun des 3 écrans, on comprendra aisément pourquoi 4 écrans, ou plus, tenaient de l'inimaginable. Il n'empêche: V-Tech, avec ses quelques titres 3 écrans, fit son petit effet. La finition de ces jeux était somme toute correcte -à plus de 400F l'unité, il valait mieux-, et les jeux en question étaient souvent intéressants grâce à une variété d'action rarement égalée. "Diamond Hunt", par exemple, mettait en scène un explorateur qui devait franchir un fossé a l'aide d'une liane, éviter les sorts magiques de méchants sorciers, entrer dans une grotte gardée par un méchant lion, trancher les têtes de méchants serpents, et atteindre un diamant au bout d'une méchante corniche. Ca fait beaucoup de méchants, mais ça fait aussi beaucoup d'action -ce que nombre d'aficionados du jeu électronique apprécièrent.

Diamond

Le retour de Bandai.

Bandai, de son côté, ne s'avouait pas vaincu, bien au contraire. Mieux que ça: Bandai fit preuve de génie. Plutôt que d'imiter maladroitement son grand rival, les ingénieurs de la marque s'efforcèrent de conserver le principe du multi-écrans tout en innovant. Pour ce faire, ils partirent de deux constatations. La première concernait l'épaisseur des jeux de la gamme 'Multi'. En doublant le nombre d'écrans, Nintendo avait bon gré mal gré engraissé ses Game & Watch, ce qui n'etait pas du goût de tout le monde. La deuxième constatation tenait dans le fait qu'avec ses deux écrans, le 'Multi' était devenu plus gourmand en énergie, et les piles à insérer étaient, certes, toujours au lithium, mais plus grosses que celles communément utilisées; et donc, plus chères. Bandai décida de faire coup double. Tout d'abord, leurs nouveaux modèles ne nécessiteraient pas l'utilisation de piles: ils fonctionneraient à l'énergie solaire! Ensuite, plutôt que d'avoir 2 écrans séparés, pourquoi ne pas les *superposer*? Les plaquettes sur lesquelles s'affichaient les dessins en cristaux liquides étant très minces, il était parfaitement envisageable d'en placer deux, l'une sur l'autre. Cette idée géniale permit enfin au même écran d'afficher 2 tableaux totalement différents.
Le résultat était sans appel: les nouveaux titres Bandai se vendirent comme des petits pains. Parfaits techniquement, mais au final pas vraiment plus portables que les 'Multi' de chez Nintendo du fait de la présence du capteur solaire à l'intérieur du capot, ces jeux proposaient surtout des aventures vraiment intéressantes, à l'image de "Terror House" qui, sur 2 tableaux, vous faisait traverser un marécage infesté de sales bestioles avant de vous faire pénétrer dans la demeure de Dracula et ses potes. Ce titre allait même jusqu'à recréer l'illusion d'un troisième tableau, astuce qui résidait en fait dans un placement habile des dessins sur les 2 écrans. Un mini-joystick, et la possibilité de couper le son enfin, achevaient de convaincre les plus sceptiques quant aux réelles qualités de cette nouvelle collection, dénommée 'Double Panel'.
Bandai avait, une fois de plus, parfaitement su gérer la situation. De position dominée à position dominante, il n'y avait désormais plus qu'un pas. Nintendo, géant parmi les géants, allait-il être désarçonné ?

Terror