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The Next BIG Thing
Année : 2011
Système : Mac OS X, Windows ...
Développeur : Péndulo Studios
Éditeur : Focus Home Interactive
Genre : Aventure / Point'n click
Par MTF (31 octobre 2016)

Il y a de cela quelques années, dans ce qui fut l'un de mes premiers articles pour Grospixels, j'évoquais la série des Runaway, composée de trois jeux d'aventure développés par Péndulo Studios, sis en Espagne. Ces trois titres, outre d'avoir redoré au début des années 2000 le blason de l'interface point'n click, jouirent d'un immense succès mondial et firent connaître ce qui n'était alors qu'une compagnie surtout réputée au sud des Pyrénées. J'évoquais aussi dans cet article, chemin faisant, leurs premiers faits d'armes, et notamment Hollywood Monsters, inédit partout ailleurs : j'y reviens maintenant, puisque The Next BIG Thing, appelé Hollywood Monsters 2 en Espagne, n'en est jamais qu'une suite.

Hollywood Monsters

Les deux épisodes des Hollywood Monsters prennent place dans un monde mi-historique, mi-fantastique qui ravira les fanatiques du cinéma de genre. Dans un pays qui emprunte beaucoup à l'esthétique et à l'esprit des États-Unis des années 60, les monstres que l'on peut voir dans les films d'horreur sont de véritables acteurs, des êtres difformes qui sont connus pour leur jeu facétieux. Les momies sont de véritables cadavres réanimés par la magie, les vampires sont assoiffés de sang, les professeurs fous ont vraiment été changés en mouches humanoïdes.... Bref, songez un peu à toute la galaxie des films Hammer qui, de la première moitié des années 1950 aux années 1970, ont remis sur le devant de la scène qui Dracula, qui la créature de Frankenstein, qui les monstres des marais, ceux-là même qui faisaient le bonheur des tout premiers cinéphiles de l'histoire du septième art.
Ces créatures, ces monstres, vivent cependant aux côtés des êtres humains et ont leur personnalité, leurs rêves, leurs envies : il en est des affables et nuancés malgré leur horrifique apparence, des jaloux et des violents bien que couverts de fourrure. C'est là une idée très intéressante, je dois dire, qui permet autant dans ce premier épisode que dans le second de construire un univers assez cohérent, délicieusement nostalgique à l'instar des Fallout, la décrépitude et le malsain en moins, et qui plaira à tous ceux qui ne jurent que par les films de John Carpenter, de Christopher Lee ou encore de Tim Burton (je pense notamment à Mars Attacks! et à Ed Wood).

Le poète de la douleur est un zombie en quête de nouvelles sensations, tandis que Will Fitzrandolph, plus raffiné, est un genre de crocodile à moustaches.

The Next BIG Thing a du reste, en plus de cet univers, une intrigue, du moins à son commencement, assez similaire à celle du premier épisode : deux journalistes travaillant pour The Quill (« La plume ») de Los Angeles sont dépêchés à une grande sauterie de monstres, organisée ici par William A. Fitzrandolph, monstre lui-même et directeur de la MKO, le plus grand studio de films d'horreur du monde. Problème s'il en est, ces deux journalistes ne s'apprécient guère : le premier, Dan Murray, est un rustre journaliste sportif ne jurant que par la boxe et le baseball, et envoyé là par son patron pour le punir d'une faute mystérieuse ; la seconde, Liz Allaire, est une débutante délurée et plutôt folle dont le zèle insupportable pourrait lui permettre, croit-elle, de se faire un nom.
L'histoire, qui se compliquera comme vous vous en doutez, nous est contée par l'intermédiaire d'un vieil homme, joliment habillé, sur la scène d'un théâtre. Nous vivons donc l'aventure comme un flash-back, ce qui n'est pas sans rappeler le principe narratif du premier Runaway : la chose est cependant mieux faite encore ce me semble, puisqu'en plus d'avoir, entre les chapitres, une transition narrée, ce maître de cérémonie interviendra au fur et à mesure de vos actions pour les commenter, voire prendra en charge les répliques de tel ou tel personnage. Dans cet univers aux références cinématographiques marquées, cela donne une impression littéraire bienvenue qui adoucit notablement la progression, au point que l'on ne ressent pas vraiment, même si on la retrouve après coup, la découpe chapitrée du jeu.

Le maître de cérémonie sera le fil conducteur du jeu, et décrirera les actions de nos deux héros. Le style du studio est immédiatement reconnaissable.

Si ce n'est cette petite modification, le jeu est on ne peut plus proche, en esprit et en mécanismes, de la saga des Runaway et notamment de Runaway 3: A Twist of Fate. Les graphismes reprennent ce mi-chemin entre dessin et trois dimensions, les musiques sont agréables, les doublages très réussis. On retrouve également des facilités de gameplay qui permettent de mieux guider les nouveaux arrivants et l'on pourra alors choisir, en début de partie, d'illuminer les zones interactives de l'écran pour faciliter la chasse au pixel ou de débloquer une série d'indices nous dirigeant vers la solution de l'énigme en cours. On a là encore des tableaux d'objectifs, qui viennent récapituler les micro-problèmes auxquels nous sommes confrontés (ce qui est bienvenu si l'on quitte le jeu au milieu d'un chapitre), et quelques ingéniosités concernant la façon dont les objets d'inventaire sont présentés et considérés, mais je vous en laisse la surprise.
L'on ne se départ pas, sinon, du principe fondateur de ce type de jeu : afin de résoudre les énigmes, le joueur, aux commandes qui de Liz, qui de Dan, devra parler aux différents personnages, trouver et ramasser des objets et les utiliser, ou les combiner sur d'autres, pour faire avancer l'intrigue. Comme Runaway 3 une fois encore et comme vous venez de le lire, le joueur alternera entre les deux protagonistes au cours du jeu ; malheureusement, et au contraire de ce qu'on observait timidement avec Brian et Gina, il n'y a pas réellement de différences de jeu entre nos héros si ce n'est leur personnalité, très marquée.

Le tableau de progression permet de mieux s'y retrouver. Dans la deuxième image, les habitués de Runaway reconnaîtront sans doute cette peinture.

C'est là, à ce qu'il me semble, la très grande qualité de ce jeu. Les personnages jouables de la saga Runaway étaient d'ores et déjà truculents, et je parlais à l'époque déjà longuement de la façon dont cela participait à l'immense plaisir que l'on ressentait souris en main : mais ils en deviendraient presque diaphanes aux côtés de Dan et de Liz. Murray est un sportif goujat, misogyne et dragueur, aimable par ses défauts et détestable pour ses rares qualités ; Liz est pétulante et incohérente, bonhomme et énergique. Elle fait partie à présent de mes héroïnes préférées et je trouve, toutes proportions égales par ailleurs, que c'est l'une des femmes les mieux écrites du média, qui parvient à avoir un caractère autre que celui d'être la simple caution féminine de service. Liz, au regard de ce qu'on observe souvent, est non seulement intelligente, mignonne, décidée et spirituelle, mais elle est aussi drôle, burlesque même, sans pour autant devenir laide ou ridicule, ce qui est un exploit à souligner en ce domaine.
De même, les personnages secondaires sont tous très agréables à côtoyer, bien qu'ils soient tous en retrait et qu'aucun ne se démarque réellement du lot, à l'exception de Fitzrandolph qui fait office de fil rouge narratif. De la prêtresse Krom-Ha, pharaonne immortelle, au poète de la douleur en passant par le « Saigneur » de la nuit, ils puisent évidemment dans une vaste culture cinématographique que l'on n'aura guère de mal à retrouver. Malheureusement, le temps passé avec ces personnages est incroyablement court, si court en réalité que l'on ressort de The Next BIG Thing content mais déçu, ce qui surprend quand on a traversé auparavant les autres jeux du studio.

Liz est impayable, tant dans ses mimiques (ah ! la scène de la danse !) que dans ses dialogues.

Ce n'est pas une déception aussi forte, mettons, que le troisième épisode de la saga Runaway dont l'histoire peinait à s'articuler avec ses prédécesseurs et qui nous faisait miroiter mille personnages pour, finalement, n'en traiter qu'un ou deux. Ici, les lieux sont très distincts les uns les autres, les personnages, peu nombreux certes, sont néanmoins tous développés et se libèrent de leur rôle de panneau indicateur, enfin l'intrigue, rondement menée, commence et se termine sans heurt et de façon satisfaisante.
Mais en comparaison des Runaway encore une fois, et même si l'on ne considère que le troisième épisode, The Next BIG Thing apparaît incroyablement court, moitié moins long, voire trois fois moins long, que les jeux antérieurs. J'ai mis cinq heures, lors de ma première partie, pour le finir ; et sans doute à cause de cette narration particulière bien qu'élégante, l'on mange le jeu sans se rendre compte de notre progression effective. Le titre est de plus bien trop facile pour un habitué du genre : on récupère peu d'objets d'inventaire, il y a peu d'endroits à visiter par chapitre et même en cas de doute, il est rapide d'essayer méthodiquement toutes les combinaisons possibles jusqu'à débloquer la situation et ce même si vous n'avez pas compris, le personnage non plus d'ailleurs !, ce pourquoi vous faites ceci et cela. C'est dommage, car le système d'indices aurait pu permettre d'inclure des énigmes plus tarabiscotées, plus longues : ici, les chaînes de manipulation sont très courtes, et j'ai été plus souvent bloqué que je n'ose l'avouer non car je ne savais que faire, mais parce que je rejetais de facto la bonne solution, que je considérais comme trop simple.

L'énigme du sarcophage est le prototype même du problème simplement résolu. Dans la deuxième image, Edgar, l'un des rares personnages secondaires d'importance.

Cette impression de facilité se rencontre également dans l'univers construit et son histoire, malgré ses qualités : ainsi, on rencontre moult personnages qui ont tous un potentiel monstrueux (un robot dépressif, un chupacabra, un homme invisible ou une créature de Frankenstein) mais qui, finalement, ne seront pas mis plus que cela en avant. Ce n'est pas qu'ils sont sous-exploités, ils ne sont tout simplement pas utilisés, ou alors à la marge : cela donne une impression étrange, comme si nous observions ce monde par le petit bout de la lorgnette alors qu'un univers immense nous attendait. On le reconstruira certes en esprit, mais on sera surpris de la célérité avec laquelle tout cela est traité.
L'écriture, de même, me semble bien moins intéressante qu'auparavant. Alors que les Runaway s'étaient fait une spécialité de la sur-référencialité, chaque objet, chaque réplique, chaque lieu renvoyant à tel livre, tel film ou tel événement historique au point que l'on pouvait passer des heures sur un seul écran à en découvrir tous les secrets, The Next BIG Thing est presque sage en comparaison. C'est inattendu, car le principe même de l'univers semblait offrir nombre de prétextes à ces jeux ; les personnages font rire certes, mais pas au point d'en être hilares et une fois encore, on a l'impression à la fin du jeu d'avoir à peine commencé à connaître cet univers.

Le chapitre égyptien m'a lointainement fait penser à I Have no Mouth and I Must Scream, mais je pense aller chercher trop loin. Dans la deuxième image, une séquence onirique fort bien réussie, mais à nouveau sans référence marquée à une œuvre particulière.

Peut-être que les développeurs n'ont-ils pas voulu trop en faire, et on sait que l'abus, dans Runaway 3, de la parodie de Vol au-dessus d'un nid de coucou n'était pas toujours bienvenue ; de plus, l'univers de The Next BIG Thing étant parodique en et par lui-même, peut-être que des références supplémentaires auraient nécessairement alourdi l'ensemble. Même si la chose est alors globalement réussie, cette sensation d'inachevé ne m'a pas quitté lorsque je vis le générique de fin ; et s'il est toujours bon signe de se dire, en sortant d'une œuvre, qu'on en aurait voulu davantage, ce phénomène couplé à la faible durée de vie du jeu transforme le tout en petite déception, que je ressens davantage qu'un autre sans doute puisque je suis un grand admirateur du travail de Péndulo Studios dans son ensemble.
À dire vrai, après l'avoir laissé filé à l'époque, j'ai finalement acheté le jeu à la faveur d'une promotion sur Steam, qui le proposait pour trois francs six sous. Je pense que si je l'avais alors payé 30 ou 40 euros à sa sortie, j'aurais sans doute été des plus amers compte tenu qu'il n'y a pas réellement besoin de le refaire immédiatement pour trouver les dernières références cachées. Contrairement à ce que prédit son titre, The Next BIG Thing a tout, en réalité, du « petit » jeu, non par ses qualités mais par son ambition : il mérite sans doute aucun le coup d'œil, l'ensemble étant irrémédiablement plaisant, mais au regard de la « grande aventure » des Runaway, on en ressort à peine satisfait. Heureusement, on n'oubliera guère de sitôt Dan et Liz, et je regrette une fois dernière de ne pas les avoir à mes côtés tant une soirée passée en leur compagnie serait, cette fois-ci, un GRAND événement.

MTF
(31 octobre 2016)
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