Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Runaway - La série
Année : 2003
Système : Windows ...
Développeur : Péndulo Studios
Éditeur : Focus Interactive
Genre : Aventure / Point'n click
Par MTF (09 août 2010)

Il y a de cela quelques années, lors de la sortie, plus précisément, des Chevaliers de Baphomet (Broken Sword), Charles Cecil, l'un des créateurs du studio Revolution Software, déclarait non sans émouvoir une grande partie de la communauté des joueurs que le point'n click était mort. Si on peut présumer à présent qu'il désignait par là davantage l'interface en deux dimensions que le genre en lui-même, force est de constater que des jeux, et de grands jeux mêmes ! comme Grim Fandango ou encore Escape From Monkey Island délaissèrent la souris au profit de commandes au clavier, tentant de moderniser un genre que l'on pensait éprouvé et donc destiné à disparaître.
Toutes les sociétés de jeux vidéo pensaient ainsi. Toutes ? Non ! Car dans le pays de Cervantès et d'Hernan Cortés, un mystérieux développeur lutta encore et encore contre les sirènes de l'oppresseur. Son nom ? Péndulo Studios !

Runaway: A Road Adventure (2001, 2003 / PC)
Péndulo Studios - Focus Interactive

Péndulo Studios est un développeur espagnol qui doit sa renommée pleine et entière aux jeux dits de point'n click ; élevés avec les classiques du genre, et notamment avec la joyeuse troupe des jeux LucasArts, ils se sont faits connaître dans leur pays avec des titres comme Igor: Objetivo Uikokahonia (1994) ou Hollywood Monsters (1997) qui, bien que n'ayant jamais franchi la frontière espagnole, jouirent d'une certaine renommée parmi la communauté des joueurs pour leurs énigmes à mi-chemin entre le grand-guignolesque d'un Discworld ou d'un Day of the Tentacle et la logique imparable d'un Gabriel Knight, et surtout leur sens de l'humour très développé et sur-référencé qui deviendra leur « marque de fabrique ».

Igor (1994) et Hollywood Monsters (1997). Si le premier jeu s'inspire ouvertement des interfaces SCUMM des jeux LucasArts, le second se rapproche davantage des interfaces contextuelles à la Full Throttle

Fort de ces deux succès, le studio, alors inconnu des joueurs extra-ibériques, décide de partir à la « grande aventure », et progressivement voit-on apparaître, ci et là, des images de ce qui s'annoncera comme l'un des meilleurs point'n click, et intrinsèquement l'un des meilleurs jeux de l'année 2003 : Runaway: A Road Adventure.

« Salut, je m'appelle Brian, Brian Basco... »

Brian et Gina... ce n'est pas ce que vous pensez ! À droite : l'un des deux personnages sur cet écran n'est pas en vie.

Il est quelque peu atypique de raconter l'histoire de Runaway, puisqu'elle est elle-même relatée au joueur par le personnage principal, Brian Basco. Toute l'aventure se déroule donc à la façon d'un flash-back : le jeu s'ouvre ainsi sur le personnage principal, t-shirt et lunettes de soleil, déclinant son nom et nous posant cette question existentielle : « Avez-vous remarqué comment un petit événement peut faire basculer votre vie à tout jamais ? ». C'est sur cette promesse que s'ouvre alors le récit de notre hôte, Brian Basco, un étudiant de 23 ans, futur thésard, et vivant à New-York au début de l'aventure. Un fameux soir, il dit au revoir à ses parents, à sa sœur et à son chien, et charge sa voiture pour un long voyage devant l'amener jusqu'à l'Université de Berkeley, où un fameux professeur de physique accepte de le diriger. Heureux, il commence ainsi à rouler et se rappelle qu'il doit faire un crochet à une bibliothèque rendre quelque obscur ouvrage.
Tandis qu'il s'achemine, voilà qu'une jeune femme traverse brutalement la chaussée, se jetant sous ses roues ; il freine mais, hélas, cela n'est pas suffisant pour éviter le choc. Samaritain, il décide de l'amener à l'hôpital le plus proche, sans se douter que dans l'ombre, un borgne vêtu d'un long imperméable jaune observe la scène avec grand intérêt... À l'hôpital, la jeune fille, Gina Timmins, chanteuse au « Pink Iguana », dévoile au jeune Basco ce qui se trame. Son père, agent gouvernemental, lui confia ce soir-là un mystérieux crucifix avec pour seul ordre de n'en parler à personne, pas même à la police, cela les mettrait tout deux en danger ; parole prophétique par ailleurs, puisque le malheureux se voit être brutalement « interrogé » par deux porte-flingues sous les ordres des frères Sandretti, les plus tristement célèbres mafieux de la ville. Le père meurt sous les coups en gardant son secret et Gina, ayant assisté à la scène et craignant pour sa vie, hurle et s'enfuit pour choir sous les roues de Brian qui lui sauva, temporairement, la vie. Impossible d'en savoir plus, les calmants prescrits par les infirmières l'endorment. Brian s'interroge : doit-il prendre pour argent comptant ce qu'elle vient de lui dire ? Autant trouver un moyen de s'en assurer, et de mettre tout ça derrière soi...

Les frères Sandretti, et Gustav et Feodor, tontons flingueurs.

« Je ne vois pas pourquoi je ferai cela. »

Comme l'on peut s'en douter, l'histoire ne s'arrêtera bien sûr pas ici, dans cette chambre d'hôpital, cadre du premier chapitre de l'aventure et, en quelques sortes, tutoriel du jeu. Car s'il est quelque chose de brillamment pensé dans Runaway et que l'on retrouve par la suite dans Runaway 2, c'est la progression du joueur dans le monde fascinant du point'n click. Le premier chapitre présente toujours invariablement un nombre fort limité (deux ou trois) d'écrans, pas de personnages à qui parler, peu d'objets à ramasser : bref, des conditions adéquates pour s'habituer au jeu et à la façon de résoudre les énigmes. De même, le deuxième chapitre, en sus d'introduire les dialogues avec les PNJ, étend quelque peu le nombre de lieux à visiter, etc. etc. et ce jusqu'au dernier chapitre qui prend les choses à revers, en proposant un nombre d'écran limité, mais de nombreuses énigmes à résoudre.
Cette progression élégante a le mérite de rassurer le joueur qui aurait pu se sentir quelque peu dépassé devant des lieux trop ouverts, à l'instar des Gabriel Knight ou des Discworld, où l'on erre souvent sans rien trouver car il n'y a rien, à cet instant précis, à faire ; de plus, elle permet de s'habituer à la « logique runawayienne », car le titre fait partie de cette race de point'n clicktoutes les actions du joueur, et je dis bien toutes doivent être justifiées. L'on a toujours cette fâcheuse tendance, lorsque l'on fait un tel jeu d'aventure (ou quand on le refait), à faire des actions parfois par désespoir en espérant que quelque chose se produise. Bien souvent, seul le hasard dicte ces choix ; mais dans Runaway, cela est impossible, car il faut nécessairement que Brian ait lui-même compris ce qu'il fallait faire pour accepter de le faire : ce principe est brillamment illustré dans le premier chapitre du jeu où la dernière énigme consiste à réveiller Gina de son lit pour pouvoir s'enfuir de l'hôpital. Rapidement, le joueur accapare des allumettes et une bombe déodorante. Rapidement, l'on aperçoit au plafond un dispositif anti-incendie qui dispersera de l'eau s'il sent de la chaleur. L'on essaie alors de combiner allumettes et bombes pour déclencher le dispositif, l'eau pouvant alors réveiller Gina. Autant le dire, il s'agit bien de la solution à l'énigme. Cependant, Brian refusera obstinément de le faire, nous gratifiant même d'une de ces formules passe-partout à la « c'est n'importe quoi » ou « je ne vois pas pourquoi je ferai ça », et faisant alors croire au joueur qu'il se trompe. En réalité, Brian acceptera de procéder ainsi une fois seulement que l'on aura pris la peine de lire la notice du calmant donné à Gina, où il est inscrit que seule une douche froide permettra de réveiller le patient.

Le studio adore les statues et les fossiles, et en met un peu partout.

Cet exemple illustre ainsi la façon dont le jeu fonctionne et ce sera principalement la plus grande des difficultés que le joueur aura à affronter. Car les énigmes sont pour la plupart, toutes je dois même dire, d'une grande logique : utiliser un poudrier pour relever des empreintes digitales, droguer un garde avec un somnifère, faire une attelle avec des bouts de bois et une corde... On est très loin des hamsters congelés de Day of the Tentacle. Mais la plupart de ces solutions ne seront accessibles qu'une fois que Brian lui-même se sera aperçu de la marche à suivre. Si l'idée se défend ouvertement sur le papier, cela peut créer nombre de situations bloquantes, et ce de façon idiote : car il faut souvent demander à Brian de faire une action que l'on sait vouée à l'échec pour qu'il comprenne que, oui, il faut chauffer le scalpel dans le feu de cheminée pour ouvrir la gousse contenant des baies ou, oui, il faut prendre un sac de café vide pour pouvoir le remplir avec les grains que l'on vient de trouver en vrac dans un musée.
De même, le jeu abuse quelque fois de la vieille astuce du « fouiller un placard deux fois pour trouver un nouvel objet ». Mais comme du reste il n'est aucune situation bloquante, et qu'il est impossible de mourir, le joueur ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il se retrouve bloqué plusieurs jours de suite : c'est que sa « façon de penser » n'était pas la bonne. En contrepartie cependant, ce principe donne une grande consistance au personnage de Brian Basco, cela le rend plus intelligent, plus « humain » bref, un relief bienvenu.

« C'est ça, et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d'alu »

Mais cette intelligence n'est pas la seule chose donnant du relief au personnage principal et aux autres, par ailleurs. Ce qui donne au tout une saveur particulière, c'est le grand talent d'écriture du jeu, y compris au niveau de l'adaptation français qui est bluffante à tous les niveaux. C'est simple, je n'avais jamais vu une telle qualité de doublage dans un jeu depuis Grim Fandango. Le jeu d'acteur est digne des meilleurs dessins-animés, et il y a assez d'acteurs distincts pour faire se différencier à coups d'accents et de tics de langage toutes les voix du jeu. Et pourtant, l'on en voit des zozos !
Des porte-flingues sans scrupules à la botte des Sandretti en passant par les drag-queens perdu(e)s dans le désert ou encore le trio d'inséparables, Sushi la geek maligne, Saturne l'artiste emporté et Robbie le jardinier rastafari, la distribution, bien que réduite, a sans aucun doute du caractère. Tous ont leur personnalité, leur mot à dire, leur histoire et, mais cela est un classique, tous accepteront plus ou moins d'aider Brian dans sa quête, qui l'entraînera de New-York en plein désert indien en passant par la visite nocturne d'un musée d'art antique...

Mama Dorita est un des personnages les plus délicieux du jeu. À droite, Sushi, dont le matériel ferait rêver tous les nerds du monde !

Ce qui fait également la grande qualité d'écriture du jeu, c'est le nombre de références cinématographiques, littéraires, musicales, vidéoludiques même qui émaillent le jeu. Les personnages, Brian en premier lieu, parlent cinéma et évoquent Woody Allen ou Steven Spielberg ; un tel cite Molière ou Thierry Roland, ou encore un sketch des Nuls ou de Chevallier et Laspalès. Les personnages du jeu vivent résolument dans « notre » monde, et il est donc naturel qu'ils partagent avec nous ces références, parfois plus obscures que d'autres : avant d'apercevoir ces trois drag-queens perdus dans le désert au cours du troisième chapitre de l'aventure, je ne connaissais absolument pas le film Priscilla, folle du désert. C'est en me documentant sur le jeu que je découvris ces références, parfois plus ou moins travesties, hommages ou parodies. C'est une force certaine d'arriver ainsi à les dissimuler sans les imposer, à laisser celui qui les connaît s'en amuser sans pour autant gêner celui qui l'ignore. Dans le même esprit, l'un des personnages donnera même au joueur son adresse mail... L'on peut y écrire, et on nous répondra d'une façon très agréable, astuce parachevant de brouiller les pistes.
Runaway peut se targuer alors d'être un jeu à double lecture, et ce d'une façon plus agréable qu'un Curse of Monkey Island où certains appels à Star Wars, par exemple, se font de manière assez lourdes et juste « pour la blague ».

À gauche : le professeur Olivaw nous aidera... contre son gré. À droite : Les Drag-Queens... Personne ne m'aurait cru sinon !

Il sied de finir cette présentation par un mot touchant aux aspects plus techniques du jeu, à savoir les graphismes et la musique. Concernant cette dernière tout d'abord, je dois reconnaître que le thème musical, décliné tout au long du jeu, est assez entraînant sans pour autant être répétitif ; quant aux autres pistes, il s'agit, comme souvent dans ce genre de jeux, d'ambiances plus qu'autre chose, et on tend rapidement à les oublier lorsque l'on se concentre sur les énigmes.
En ce qui concerne les graphismes, les choses sont quelque peu différentes et même, je dirai qu'ils participent activement à l'identité du jeu au même titre que les dialogues. Construits en trois dimensions et bien polygonés, ils ont subis par la suite un traitement particulier qui vise à leur donner un cachet en deux dimensions, comme si on les avait travaillés au crayon. Le rendu se fait hybride, et plutôt agréable à regarder. Ce n'est pas, en revanche, une réussite totale : car autant les expressions faciales sont splendides, notamment les mouvements des lèvres suivant, au moyen d'un élégant programme, les paroles prononcées, autant les démarches des personnages, et notamment de Brian, sont très robotiques, droites, un rien figées. C'est bien là un des rares bémols que l'on peut trouver au jeu qui jouit d'immenses qualités, comme j'ai essayé ici de vous en convaincre.

« Tu peux m'en dire plus sur les coutumes des Rastafaris ? - Non. »

Le jeu sortit tout d'abord sur trois CD avant d'être réédité, peu de temps après, sur un seul DVD. Chose à remarquer, il n'existe sur ces supports aucune protection de toute sorte, les créateurs du jeu nous avertissant qu'ils faisaient confiance aux joueurs et que de leurs achats dépendaient, en quelque sorte, l'avenir des « grandes aventures ». Le jeu se vendit très, très bien... et se pirata très, très bien, ce qui explique que les expériences suivantes furent « verrouillées », notamment au moyen de la protection TAGES. Un mal pour un bien, car le piratage permit, comme je me plais à le croire, au jeu de jouir d'une immense diffusion, et contribua sans aucun doute au succès des épisodes suivants.
Il ne fallut pas longtemps en effet pour apprendre qu'une suite était en prévision, une suite promise plus belle, plus grande, plus drôle ! Elle vit le jour quelques trois années plus tard...

Allez, pour le plaisir des yeux !

Runaway 2: The Dream of the Turtle (2006 / PC, DS, Wii)
Péndulo Studios - Focus Interactive

On prend les mêmes, et on recommence. Runaway 2 reprend en effet bon nombre des éléments de son prédécesseur, à commencer par ses personnages principaux, Brian et Gina et d'autres, revenus faire un petit coucou, parfois même en guise de « cameo », son système d'énigmes, sa progression et son humour. Cependant, les p'tits gars de Péndulo Studios n'ont pas fait les choses à moitié et ont revu leurs copies afin de produire ce qui reste, à mon avis, le meilleur des trois opus.

« Bienvenue dans cette nouvelle Grassick Adventure ! »

Après les évènements du premier épisode, Brian et Gina, maintenant très proches l'un de l'autre, décident de s'octroyer quelques vacances dans les îles. Ils louent pour cela les services d'un vieil armateur, Otto, et de son hydravion antédiluvien. Malheureusement, les choses se compliquent rapidement lorsque le pilote est terrassé par une crise cardiaque, que les moteurs ont des ratés et qu'il n'y a qu'un seul parachute dans la carlingue... Brian décide de sauver Gina en l'éjectant, sans ménagement, de l'épave qui chute. Elle parvient à ouvrir le parachute, mais de mystérieux personnages lui tirent dessus... et elle sombre inéluctablement dans une manière de grand lac, inconsciente, tandis qu'une tortue nageotte ci et là. Brian, quant à lui, parvient à survivre au crash mais se retrouve perdu dans une jungle luxuriante ; bien décidé à retrouver Gina, il va sans le savoir voir pas mal de pays...
Disons-le dès à présent, l'histoire de Runaway 2 se veut relativement à part du premier épisode, que ce soit en terme d'environnements, de ton, de personnages ou d'histoire, tout simplement. À dire vrai, il aurait pu s'agir là de tous nouveaux héros, cela n'aurait pas choqué outre mesure. Le jeu offre plus de continuité avec le troisième opus qu'avec le premier, signe indéniable que l'histoire n'a pas été pensée comme une trilogie. Mais qu'importe le flacon, du moment que l'on a l'ivresse ! Et si Runaway était l'équivalent d'un verre de rhum, Runaway 2 est la plus belle cuite que vous ayez jamais prise.

Ah ! Si seulement c'était tranquille...

« De sacrés généraux ces Français... »

Tous les aspects du précédent jeu ont été alors revus à la hausse : plus d'énigmes, plus de lieux à visiter, plus de personnages à qui parler et surtout plus de références à relever. Quelques quatre années après la sortie du jeu, et grâce à l'aide des scrutateurs assidus des forums, une centaine de clins d'oeil, parodies ou hommages a été décelés... mais sans aucun doute d'autres sont encore là, tapis, invisibles encore. Si les auteurs avaient su rester relativement sages auparavant, ils s'en donnent à présent à cœur joie : cela va de la réplique restituée (« Derrière toi, un singe à trois têtes ! ») à la référence assumée (on trouve le cadavre d'Indiana Jones avec, dans ses poches, un spray anti-serpent) en passant par la parodie hilarante (Men in Black, Platoon, Abyss...).
Par certains moments, l'on a même l'impression que c'est « de trop » ; mais encore une fois, l'écueil est évité de justesse par l'élégance avec laquelle ces références sont distillées, à volonté mais surtout à discrétion ; et comme du reste le jeu n'hésite pas à rire de ce travers, parfois en se citant lui-même, l'on reste davantage dans le domaine du clin d'oeil à l'initié qu'à celui du coup de coude dans les côtes.

Un début qui ressemble à Flight of the Amazon Queen, et une émission dont le titre parodie et Indiana Jones, et les « graphic adventures »...

Les énigmes restent d'une logique imparable même s'il a été fait un effort, précisément, sur la façon de les résoudre : pragmatiquement, cela se traduit par des solutions données plus souvent au moyen des dialogues et moins par l'observation méthodique du moindre élément de décor. En contrepartie, le nombre d'objets à ramasser, et le nombre d'interactions possibles se font beaucoup plus nombreux, entraînant avec lui le fameux problème de la « chasse au pixel » qu'il convient malgré tout de relativiser, la taille des éléments à l'écran étant tout de même assez confortable... L'on reste très loin du ver de terre des Boucliers de Quetzacoatl !
Certains chapitres, notamment le dernier de tous, se font donc particulièrement démoniaques. Et j'ai passé des nuits entières à tenter d'avancer, bon gré mal gré, comme je le pouvais, sans jamais cependant me décourager, car le jeu en vaut la chandelle. L'histoire se termine en effet sur un cliffhanger du meilleur cru, nous faisant poireauter devant notre écran, nous faisant relancer le jeu à la recherche du moindre indice nous rapprochant du dénouement de l'histoire... En vain. Qu'importe, on en ressort avec des images plein la tête, plages hawaïennes et steppes d'Alaska, jusqu'à ce fameux final dont je ne parlerai pas, pour ne pas gâcher la surprise...

De la plage à la montagne, vous verrez du pays !

Il y a finalement assez peu de choses à dire sur Runaway 2 une fois que l'on a parlé du premier opus. Amélioration plutôt que révolution ou rénovation, les graphismes se font plus fins, les musiques de meilleure qualité, les dialogues mieux écrits, les lieux à visiter plus nombreux. The Dream of the Turtle parvient cependant à éviter la répétition avec son aïeul par une grande ingéniosité quant à la progression de l'histoire et la conception des énigmes : en bref, il est à Runaway ce que LeChuck's Revenge est à The Secret of Monkey Island, c'est-à-dire un chef d'œuvre qui s'appuie beaucoup sur son prédécesseur en l'améliorant à tous niveaux et, comme cela est étrange, en se terminant de même par un cliffhanger fort intriguant.

Comme souvent dans les jeux d'aventure, les personnages ont le Q.I. d'une amibe... mais ils deviendront bientôt vos meilleurs amis.

Le jeu sortit sur PC avant d'être diffusé sur un support atypique, la Nintendo DS, en 2008. Cette version, bien entendu amputée des voix de la version PC ce qui reste, hélas ! un manque certain pour les joueurs, est graphiquement très proche de la version d'origine, ce qui est un exploit à souligner. Le titre sortit en 2009 sur Nintendo Wii dans un portage quasi-parfait, ce qui permit aux retardataires de découvrir un des meilleurs jeux du genre sur leur console favorite. J'avoue ne pas apprécier cette version pour une simple et bonne raison : je ne parviens pas à diriger le pointeur comme je le désire, étant trop habitué à la souris. Mais cela tient plus à moi qu'au jeu en lui-même, et force est de constater le talent de conversion que le portage représente. Cette sortie fut, par ailleurs, concomitante à celle du troisième et dernier opus de la série, annoncé à grand bruit...

Runaway 3: A Twist of Fate (2009 / PC, DS,)
Péndulo Studios - Focus Interactive

Pour ce troisième et dernier épisode de la série Runaway, les développeurs avaient le choix. Il fallait résoudre dans tous les cas le cliffhanger laissé en suspens ; mais allaient-ils se contenter de faire « l'amélioration d'une amélioration », ou partir sur une toute autre direction ? C'est peut-être parce que, précisément, The Dream of the Turtle était trop « parfait » qu'ils choisirent la deuxième solution. Et j'avoue être mitigé par le résultat final...

« Banane ! »

Contrairement à toutes attentes, et cela d'une façon très proche à The Curse of Monkey Island, Runaway 3 ne débute pas là où Runaway 2 s'était arrêté, bien au contraire. Le jeu s'ouvre effectivement sur l'enterrement de Brian Basco... Ce dernier se serait tué au cours d'une tentative d'évasion : il avait été interné dans un hôpital psychiatrique suite à une perte de mémoire providentielle... car il était accusé du meurtre d'un haut dignitaire de l'armée. L'on retrouve donc Gina face à la tombe de son cher et tendre, en larmes, croit-on. Bien entendu, tout cela n'est qu'une fumisterie, destinée à laisser suffisamment de temps à Brian pour prouver son innocence. À Gina de l'aider à se blanchir et, avant toutes choses, à le faire sortir de sa tombe.

Salaud de Brian, faire ça à Gina... En passant, le début ne vous rappelle-t-il pas Discworld Noir ?

Si Runaway 2 était une continuité du premier épisode sur bien des aspects, Runaway: A Twist of Fate fait le pari de proposer une aventure quelque peu différente. Certes, dans les grandes lignes, rien ne change : même style graphique, bien que les démarches des personnages se fassent plus naturelles, et même principe d'énigmes. Il y a eu cependant suffisamment de recherches pour permettre à ce titre de se distinguer de ces deux parents. La première grande nouveauté reste le fait, au cours de l'aventure, de diriger d'autres personnages que Brian Basco, en premier lieu Gina. D'autres avatars (que je ne dévoilerai pas ici pour ne pas en dire trop sur l'histoire) seront même soumis à la souris du joueur, ce qui permet d'apporter une once de variété aux situations : en effet, la petite amie de Brian n'aura pas le même type de relations avec les hommes que ce dernier, et saura mettre en avant d'autres atouts que sa seule intelligence.
La deuxième grande trouvaille, que je n'avais pas réellement vue, en réalité, depuis Maniac Mansion et ses salles plus grandes que l'écran de l'ordinateur, révolutionnaires pour l'époque, c'est le changement des angles de vue au sein d'un même décor. En effet, lorsque l'on arpente une salle, par exemple, le fait de s'approcher ou de s'éloigner de certains éléments provoque un changement d'angle de vue ou un zoom sur une partie de cette salle, permettant ainsi à d'autres interactions d'apparaître. Même si cela ne se rencontre finalement qu'à quelques reprises seulement, le principe est suffisamment novateur pour donner un peu de dynamisme aux décors finalement assez « plats » puisque se déroulant quasiment tous en intérieurs.

Sur l'une de ces deux images, l'un des personnages n'est pas en vie. (C'est plus dur que pour le premier, hein ?)

Si je passe volontiers sur la modélisation en trois dimensions des objets de l'inventaire qui n'apportent finalement pas grand chose de neuf, l'on peut considérer l'apparition de plusieurs autres petites nouveautés agréables, notamment un raccourci clavier pour accéder à l'inventaire, la possibilité de se « téléporter » par un double-clic à un endroit précis de l'écran, la mise en surbrillance des éléments d'interaction du décor, évitant alors la « chasse au pixel », ou encore le découpage de chaque chapitre en un nombre fixé « d'étapes », soit d'autant d'énigmes, sur lesquelles on peut revenir à tout moment pour voir notre progression au sein de la partie... Inutile en soi, mais bienvenu.
Je suis en revanche parfaitement désarçonné par la présence d'une « aide » accessible à tout moment, où un personnage vient nous donner des indications sur ce qu'il faut faire pour progresser dans l'aventure... Comme du reste le jeu est bien plus facile que ses prédécesseurs, je ne comprends pas réellement l'intérêt de sa présence. Faut-il le voir comme le superplay de New Super Mario Bros. Wii, soit un système amené à se démocratiser, quel que soit le type du jeu ? Je m'interroge...

« Et Sushi ? Elle est où Sushi ? »

Ce n'est cependant pas à ce niveau-là que je porte mes plus grandes critiques. A Twist of Fate présente plus que tout un travers à nouveau rencontré depuis les années 2000, celui de faire passer l'intrigue et la narration avant le plaisir du jeu en lui-même. Sans rien dévoiler de l'histoire, je dirai simplement que ce troisième épisode a une continuité pour le moins bâtarde avec son prédécesseur et se trouve être, de fait, bien plus indépendant que jamais : on ne peut donc pas réellement dire que les trois épisodes jouissent d'une cohérence scénaristique formidable. Au contraire, il me semble même que les tentatives pour lier le tout soient pour le moins maladroites, ce qui ne manque pas de surprendre.
Le fait que l'intrigue tend alors à passer avant le plaisir du jeu a des répercussions sur les énigmes, les personnages et les lieux : l'on se retrouve alors dans les mêmes environnements au cours de deux chapitres distincts, tandis que le dernier manque cruellement de constance et d'unité ; les systèmes de flash-back marchent en revanche relativement bien, même si des problèmes de cohérence se font jour entre les deux lignes temporelles ; et, globalement, l'histoire se focalise sur Brian et Gina en délaissant toute la douce folie qui pouvait émaner des personnages satellites, ici fort peu nombreux.

Sur la photo de gauche, 14 personnages. On ne verra pourtant pas plus de la moitié d'entre eux à l'écran, et les autres ne sont guère bavards, à l'instar de Gabbo, à droite, dont l'occupation principale est d'être sous-représenté.

Il en résulte une qualité d'écriture bien moindre que ce à quoi le studio nous avait alors habitués : les personnages en deviennent plus fades, et se contentent de répondre docilement à nos questions, souvent de façon très lapidaire (le personnage d'Ernie est très représentatif de cela) ; et ce qui faisait un des grands charmes des précédents jeux, à savoir cette course effrénée à la référence délicate et toujours en suspens, bref intelligente, disparaît totalement et en devient même parfois incroyablement lourde, comme ces séquences dans l'hôpital psychiatrique qui abusent de l'hommage au film Vol au-dessus d'un nid de coucou.
Le cliffhanger est donc rapidement balayé, comme s'il n'avait jamais existé, et l'on finit par jouer non pas, comme auparavant, pour résoudre un grand mystère chapeautant tout le jeu, mais pour accomplir un objectif à court terme. Le rythme en devient ainsi incroyablement saccadé, ce qui reste surprenant quand on connaît le brio avec lequel les deux autres épisodes avaient été conduits.

« Y'a des moments dans la vie où il faut dire... oh, et puis merde ! »

Je ne serai pas de ceux, néanmoins, qui « jettent bébé avec l'eau du bain » ; et je ne voudrais pas que ces critiques, somme toutes subjectives, fassent croire que cet épisode est raté. Au contraire, il reste un des meilleurs point'n click de ces dernières années, et ce n'est pas de la flatterie facile. Mais il souffre, comme cela arrive souvent, de la comparaison avec ses prédécesseurs dont il ne garde ni la douce folie, ni l'univers improbable qu'ils s'amusaient à dépeindre. C'est tout à l'honneur de Péndulo Studio d'avoir expérimenté quelque chose de neuf au cours de ce dernier épisode de la saga, puisque leur jeu suivant, The Next BIG Thing, part sur une histoire totalement différente ; et je pense que j'aurai été bien plus acerbe s'ils s'étaient contentés de copier leur précédent succès sans y réfléchir à deux fois.

Deux des grandes idées du jeu : les objets « imaginaires » (ici une fleur) et le tableau de progression de chapitre. Ainsi, dans la première partie du jeu, douze énigmes doivent être résolues afin de passer à la suite de l'histoire.

Peut-être également ai-je mis dans ce jeu bien trop d'espoirs, et que je n'ai su le prendre pour ce qu'il était : un excellent jeu d'aventure, avec une excellente ambiance, d'excellents graphismes et d'excellentes musiques (mention spéciale pour celle de la morgue, qui se targue d'avoir pour paroles Une saison en enfer de Rimbaud !), en clair, un must have.
J'espère dans tous les cas que ce court dossier vous aura donné envie de vous plonger dans cette formidable trilogie, à présent réunie dans un coffret hélas vide de tous suppléments, et à attendre comme je le fais les futures aventures de ce studio espagnol décidément très talentueux.

« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. »
MTF
(09 août 2010)
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(154 réactions)