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Ninja Baseball Bat Man
Année : 1993
Système : Arcade
Développeur : Irem
Éditeur : Irem
Genre : Beat'em all / Arcade / Action
Par RobertGlucose (26 janvier 2015)

Si Irem est surtout connu pour R-Type, la société s'est aussi pas mal illustrée dans le domaine des action platformers et des beat 'em ups au cours de sa carrière : on peut citer évidemment Kung-Fu Master (1984), mais aussi plusieurs autres titres comme Hook (1992) ou Undercover Cops (1992), très bons tous les deux, comme souvent avec le studio. Néanmoins, le meilleur beat d'Irem est peut-être le plus confidentiel : Ninja Baseball Bat Man.

"Ninja". "Baseball". "Bat Man".
L'association de ces trois termes est intrigante. En tout cas, rien à voir avec l'homme chauve-souris : il est ici question de battes de baseball, "Bat Man" pour "batteur", mais le jeu de mot est trop flagrant pour être innocent. Le pitch, on le croirait sorti de la bouche d'un gamin de 6 ans : des ninja robots joueurs de baseball, qui attaquent leurs ennemis à grand coups de batte. OK les gars, vous avez mon attention.

En 1988, Irem ouvre sa filiale américaine à Redmond, dans l'état de Washington. Un des cadres de Irem America Corp. est Drew Maniscalco, un ancien de Fabtek, qui importait les jeux Seibu Kaihatsu en occident (par exemple : Raiden).

Drew Maniscalco (à gauche) avec Frank Ballouz (à droite) dans un salon arcade.

Au début des années 90, Maniscalco imagine de nouveaux héros, ainsi que le concept et le titre d'un jeu, pour le compte d'Irem. Ses sources d'inspiration sont simples : il regarde simplement ce qui est populaire à l'époque. Au box-office, on a notamment du Teenage Mutant Ninja Turtles et du Batman, ceux de Tim Burton. En plus de ça, Maniscalco étant un grand fan de baseball, il ajoute à son mélange une bonne dose de ce sport, au point d'en faire le thème principal de son univers.
Pour le style du jeu, facile : un des genres les plus populaires de l'époque est le beat 'em up, et en particulier ceux de Konami, à 4 joueurs simultanés : The Simpsons, X-Men, TMNT, etc. Ninja Baseball Bat Man s'inscrit donc dans la continuité directe de cette famille.

Le concept est alors envoyé à Irem au Japon, qui se charge de développer le jeu pour les salles d'arcade. L'équipe de développement japonaise apportera sa propre touche au concept initial. Au final, on a donc un jeu qui se nourrit d'influences américaines aussi bien que japonaises, ce qui se ressent dans le design et le gameplay.
Le jeu sort en 1993 sur arcade. S'il connaît un accueil raisonnablement bon au Japon, c'est l'échec total aux États-Unis, où seulement 43 machines sont vendues sur les 1042 au total. Parmi les raisons de cet échec, on évoque souvent la difficulté trop élevée pour le marché occidental. Personnellement, j'ai du mal à expliquer cet échec seulement pour cette raison, donc il y a peut-être eu d'autre problèmes autour de la sortie, ne concernant pas le contenu du jeu lui-même.

Contrairement aux autres beat'em up d'Irem, Ninja Baseball Bat Man ne connaîtra aucune adaptation sur console par la suite. Couplé à son échec commercial et à sa rareté, cette restriction à l'arcade fait qu'il a été longtemps méconnu. Il a par la suite connu un regain de popularité avec le développement de MAME, qui a permis à beaucoup de joueurs de découvrir cette véritable perle cachée.
Ainsi, l'Angry Video Game Nerd lui a consacré une petite vidéo il y a quelques années pour crier ses louanges. La popularité du Nerd, pas du tout en colère cette fois, a beaucoup aidé à la réhabilitation du jeu. Un site officiel a aussi été créé a posteriori, par Drew Maniscalco lui-même, qui rassemble diverses informations, croquis, et interviews. Face au destin cruellement injuste du jeu, on sent donc qu'il y a une volonté, chez le créateur et les joueurs, de répandre la bonne parole en en faisant la promotion à titre posthume.

Les personnages jouables de Ninja Baseball Bat Man sont les suivants. Ils ont été nommés en rapport avec des joueurs de baseball célèbres.

Captain Jose : le rouge. Leader du groupe, c'est le personnage moyen dans toutes les statistiques, avec lequel il fait bon débuter. Son nom est une référence à Jose Canseco, célèbre joueur de baseball cubain.

Twinbats Ryno : le vert. Petit teigneux de la bande, il n'a pas beaucoup d'allonge, mais avec une petite batte dans chaque main, il frappe extrêmement vite ! Avec un autofire, c'est un régal de le jouer. Son nom est supposément inspiré par Ryne Sandberg.

Beanball Roger : le jaune. L'inévitable gros bourrin, plus lent, plus puissant et plus gourmand que tous les autres. Probablement nommé en hommage à Roger Clemens.

Stick Straw : le bleu. Plus grand et maigre que la moyenne, sa longue batte lui confère la meilleure allonge. Le joueur de baseball ayant inspiré son nom est Darryl Strawberry.

Tiens tiens : un groupe de quatre ninjas, chacun avec sa couleur dédiée, ça ne vous rappelle rien ? L'influence des Tortues Ninja est évidente, et ce n'est pas la seule, on en reparlera.
À noter : dans la version japonaise, les noms ne font plus référence à des joueurs de baseball célèbres, mais plutôt à l'univers des Sentai, en insistant sur la couleur de chaque héros : Captain Red, Twinbats Green, Beanball Yellow, et Stick Blue.

Visuellement, on a affaire à un style mélangeant cartoon et manga humoristique, avec beaucoup de couleurs vives, et des contours noirs d'un pixel de large pour tous les sprites. Les ombres sont faites avec du noir uni, sans dégradé. Ce choix de contraste percutant accentue les reliefs, et, couplé à une palette de couleurs bien choisie, donne une forte impression de dynamisme. Le résultat est absolument délicieux. Regardez un peu les captures d'écran, on a presque l'impression de les voir bouger.

Par rapport aux concepts originaux, l'influence japonaise se ressent fortement dans le design des personnages et des ennemis. Le talent de Maniscalco pour le dessin étant ce qu'il est, il a fait appel à Gordon Morison pour réaliser les croquis et storyboards originaux. Vous ne le savez pas encore, mais vous connaissez sûrement déjà le travail de Gordon Morison, car il a réalisé les artworks de nombreux flippers de Gottlieb dans les années 70. Circus, Spider-Man, Hulk, Sinbad, Big Shot, c'était lui.

L'image ci-dessous compare le croquis original avec la version in-game.

Plusieurs autres croquis sont visibles ici et .

Je ne m'étendrai pas sur le scénario-prétexte : une organisation criminelle mystérieuse nommée "Jado" dérobe six objets précieux dans un musée du baseball, qu'il incombe aux quatre héros de retrouver. À chaque objet correspond un niveau, chacun se déroulant dans un état ou une ville des États-Unis.

Le jeu se contrôle avec seulement deux boutons : attaque et saut. Néanmoins, on se rend vite compte que sous cette simplicité apparente, le gameplay fait preuve d'une grande richesse.
Sur le nombre et la variété des coups tout d'abord. On est en 1993, donc après Hook et Undercover Cops, ce qui fait que Ninja Baseball Bat Man profite pleinement de l'expérience acquise par Irem sur ces deux projets. Et ils se sont bien lâchés sur ce coup-là. Il n'y a qu'à jeter un œil à la liste des coups disponibles d'un personnage pour se rendre compte qu'il surpasse la plupart des beat'em up de son époque sur ce point. Quatre types de projections, des attaques différentes selon que le personnage court ou saute, des coups spéciaux à la pelle, ainsi que l'attaque "désespoir" héritée de Final Fight (Attaque + Saut), puissante, mais qui consomme un peu de vie. Certains coups, de type fury, sont accessibles seulement si la barre de vie est presque vide.
En plus des attaques physiques, les héros possèdent également des coups magiques. Eh oui, car ce ne sont pas de simples joueurs de baseball, mais aussi des ninjas ! À ce titre, chacun d'entre-eux possède un élément en rapport avec sa couleur : feu, électricité, terre, et eau. En laissant A appuyé, le personnage prend une pose spéciale, et à partir de cette garde, on peut enchaîner plusieurs attaques magiques successives, à condition de réussir les manips.
Parmi les items qu'on peut ramasser, il n'y a peu ou pas d'armes que les personnages gardent à la main, comme c'était le cas dans Undercover Cops. Ici, on a plutôt affaire à de nombreux objets farfelus à jeter à la tête des ennemis. En plus des objets qui rechargent un peu de vie, il y a aussi des attaques spéciales rigolotes, comme l'invocation d'une armée de cheerleaders robots (le plus drôle étant qu'il n'y a généralement pas de cheerleaders dans le baseball). Une autre, très chouette, consiste à écraser le maximum d'ennemis à bord de petites voitures toutes rondes qui sautillent.

La musique n'est pas particulièrement mémorable, mais elle fait le boulot, dans un style funky entraînant. Elle rappelle un peu la bande son de Toe Jam & Earl, avec beaucoup de voix digitalisées de type "oh yeah", et de jingles issus du baseball, encore une fois.

Niveau 1

Lieu : Seattle
Équipe de baseball : les Mariners
Objet recherché : la batte d'or

Le jeu débute dans l'aéroport de Seattle. Pour bien se mettre dans le bain dès le départ, on y affronte essentiellement des accessoires de baseball anthropomorphes, qui constituent les ennemis de base. Parmi eux, des battes de baseball vivantes armées de battes de baseball, qu'il faut latter à grand coups de batte de baseball. Ce genre de mise en abyme rigolote est fréquent. D'ailleurs, après s'être fait écraser par les roues d'un avion grandeur réelle, les ninjas pénètrent dans cet avion, pour y affronter un autre avion cartoon, qui provoque des vents violents en battant des ailes. À l'issue de ce combat, on récupère le premier objet volé au musée : la batte d'or.

Niveau 2

Lieu : San Fransisco
Équipe de baseball : les Giants
Objet recherché : la balle d'or

Petite surprise : le niveau débute sur un Golden Gate en ruines, par une petite section en voiture. Pendant cette introduction, il s'agit d'écraser le maximum d'ennemis, ce qui est particulièrement fun. On fait ensuite la rencontre de plusieurs ennemis n'étant pas directement des accessoires de baseball, comme par exemple des citrouilles d'halloween ninja, ou encore des pieuvres à lunettes de soleil, rappelant le style des Parodius de Konami. On passe ensuite sur un bateau de croisière, avant d'atteindre le boss : une voiture avec de grosses lèvres bleues. Et hop, à nous la balle d'or.

Bonus Stage

En guise de bonus stage : écraser une balle de baseball entre ses mains, en martelant le bouton.

Niveau 3

Lieu : Las Vegas
Équipe de baseball : les 51s.
Objet recherché : la casquette d'or.

Las Vegas oblige, on s'éloigne un tout petit peu du baseball (mais vraiment un tout petit peu), pour affronter des cartes à jouer, et autres objets relatifs aux jeux d'argent, au sein d'un casino, évidemment. Le boss du niveau est une machine à sous maléfique, avec un visage au niveau du ventre. Certains y voient une référence à Krang, des Tortues Ninja.

Niveau 4

Lieu : Texas
Équipe de baseball : entre autres, les Texas Rangers.
Objet recherché : le gant d'or.

Le thème est ici l'horreur, avec un niveau qui se déroule de nuit, dans une sorte de manoir hanté. Les différents ennemis rencontrés sont en accord avec ce thème : les balles de baseball sont ici zombies, fantômes, ou même squelettes (si si), et les hamburgers rêvent de vous croquer. Le boss est une sorte de taureau fantôme, composé de différents objets qui lévitent.

Niveau 5

Lieu : Floride
Équipe de baseball : entre autres, les Miami Marlins.
Objet recherché : le gant d'or.

L'action débute dans le parc national des Everglades, pour s'achever dans une usine. Il semble que ce soit l'usine qui fabrique les ennnemis affrontés jusqu'ici, en utilisant comme matière première des Tanuki (la créature traditionnelle du folklore japonais) et des maneki-neko (la statuette de chat porte-bonheur qui lève la patte). Ne me demandez pas pourquoi. Le boss est un alligator robot, qui possède les chaussure d'or.

Bonus Stage

Écraser une balle de baseball à coups de poing, en martelant le bouton.

Niveau 6

Lieu : Chicago
Équipe de baseball : Cubs/White Sox
Objet recherché : la statue

On continue dans les clichés, avec un environnement urbain où règne la mafia, représentée comme au temps de la prohibition. Sauf qu'ici, les "chiens" de la mafia sont de véritables chiens anthropomorphes, avec chapeau, parka, et pistolet réglementaire. Le boss est le chef de la mafia locale, un chien plus imposant que les autres, mais pas moins ridicule.

Après le combat, dans un retournement de situation incroyable, on apprend que le voleur était en fait le conservateur du musée, lui-même qui avait fait appel aux ninjas pour retrouver les objets disparus ! Selon ses aveux, l'objet final se trouve à New York.

Niveau 7

Lieu : New York
Équipe de baseball : les Yankees
Objet recherché : la statue

Nous voici donc à New York, la ville des Ghostbusters et des Tortues Ninja. En parlant de Tortues Ninja, ce niveau débute sur un échaffaudage, qui semble être un clin d'oeil à Turtles In Time :

Ici, en plus des ennemis habituels, on affronte à nouveau deux boss déjà battus précédemment, dans un stade de baseball, qui fait office d'arène tout à fait adéquate. Le dernier boss est le conservateur, qui se bat à bord d'un robot géant créé à l'image de Babe Ruth. Il finit par lâcher la statue, juste avant un ultime home run, que je vous laisse découvrir.

Pour conclure, je dirais que Ninja Baseball Bat Man fait probablement partie des meilleurs beat 'em ups auxquels j'ai joué. D'une part via son univers original et loufoque, mais aussi grâce à son gameplay, riche, dynamique, et extrêmement plaisant.
Mais le sel du jeu, le petit plus qui fait la différence, il faut le chercher dans un soucis du détail très poussé pour les animations. En effet, elles sont nombreuses, détaillées, drôles et surtout très expressives. Rien n'obligeait les développeurs à annoncer chaque boss par des petites balles qui sortent du sol pour jouer de la trompette. Rien ne les obligeait non plus à consacrer des animations spécifiques aux boss, lorsqu'ils sont sur le point de mourir, ou encore après leur défaite (ainsi, l'alligator robot est transformé en sac à main mécanique une fois vaincu). Ce souci du détail contribue fortement à donner son identité au jeu, et le rend d'autant plus agréable.
Un jeu à découvrir d'urgence donc, déjà pour réparer l'injustice de son destin qui l'a précipité dans l'oubli, et surtout pour passer un très bon moment.

RobertGlucose
(26 janvier 2015)
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