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Digital Devil Story: Megami Tensei I & II
Année : 1987
Système : MSX, NES, PC88, SNES
Développeur : Atlus
Éditeur : Namcot
Genre : RPG / Aventure
[voir détails]

Digital Devil Story: Megami Tensei II
Développeur : Atlus
Editeur : Namcot, Atlus en 1995
Année : 1990 (Famicom), 1995 (Super Famicom)
Jouable sur : Famicom, Super Famicom

Prendre le large

A la fin des années 80, le temps de développement des jeux est loin d'atteindre les sommets que l'on connaît aujourd'hui. Quelques mois suffisent, il est bien rare de trouver des jeux développés en plus d'un an. Le temps d'attente entre deux jeux à cette époque reste très court ; c'est ainsi que Dragon Quest et Final Fantasy régalent leurs fans avec leurs épisodes annuels.

Alors, quand MT2 arrive en 1990 sur une Famicom en fin de vie, on se demande ce qu'à pu faire Atlus pendant ces trois longues années !

"Plein de choses" peut être une réponse tout à fait valable. La première étant de toute évidence de se constituer un trésor de guerre, en créant des jeux à licence pour la NES tels que Karaté Kid et Friday the 3rd. Ou de travailler pour NEC afin de lui faire un RPG sur mesure, Dungeon Explorer pour la PC Engine. On peut rigoler, mais travailler sur des licences et des titres de commande permet de se constituer un carnet d'adresses et des relations solides, ainsi que de ne pas laisser les créatifs se refroidir trop vite entre deux projets majeurs.

En parlant de créatifs, il est intéressant de noter le partenariat à l'amiable alors à l'oeuvre entre Atlus et Namco. Ce dernier, alors un des leaders de l'arcade, utilisait le label "Namcot" pour créer et éditer des jeux sur console, probablement pour préparer le terrain et différencier les équipes de développement. Le studio édite d'ailleurs les deux premiers MegaTen sur Famicom. Mais il semble que ce partenariat soit allé plus loin que la simple édition de jeux tiers, car Atlus accueille vers 1990 un transfuge de chez Namco, un certain Kazuma Kaneko. Etait-ce un prêt, un accord temporaire, un pur hasard ou un plan soigneusement calculé ? Toujours est-il que Kaneko finira par rester chez Atlus et se retrouver en charge du chara-design des démons de la série, et qu'il le reste encore aujourd'hui. C'est également lui, avec son style inquiétant et froid, qui va donner son identité visuelle à la série pendant un long moment !

Une autre personne va aussi intégrer le staff, Ryutaro Ito. Petit nouveau dans la profession, c'est lui qui sera chargé du script et des dialogues ; c'est à lui que l'on doit un changement de ton, versant dans l'ironie, le cynisme typiques de la SF cyberpunk et post-apo, qui va se voir très vite au cours de ce nouvel épisode.

Même si il est aujourd'hui cantonné au rôle de dessinateur de démons/personas, Kaneko a marqué la série de manière incontestable. Itô s'est beaucoup amusé à imaginer des dialogues uniques, comme des vendeurs peu motivés ou des leaders de cultes effrayants par leur ferveur. Il donne une interview passionnante ici.

Car il est temps pour MegaTen de se démarquer pour de bon. Il faut qu'il se sépare du roman, ce qui est une chose déjà bien entamée ; mais il faut aussi qu'il montre qu'il n'est pas comme ses frères de chez Squaresoft et Enix. Et le duo Kaneko/Ito va grandement contribuer à l'impulsion, à la prise d'indépendance de la série.

En cela, MT2 est un décollage, un premier vol magnifique et bancal, et la certitude que la série ne sera jamais comme les autres. Son postulat post-apocalyptique en est le premier témoignage. Nakajima et Yumiko ont battu et enfermé Lucifer, puis refermé le passage inter-dimensionnel avec le monde des démons. Seulement voilà, une guerre mondiale éclate et bientôt les bombes pleuvent. Et pas les petites. C'est ainsi qu'en 19XX, l'Humanité est presque annihilée par une série de bombes atomiques. Mais ça ne s'arrête pas là car l'impact d'une des bombes atomiques à Tokyo a ré-ouvert le passage entre les dimensions, invitant une fois de plus les démons à ravager ce qui reste. Les rares humains restants sont condamnés à vivre dans des abris blindés, à trembler de peur et attendre leur fin.

Le jeu commence 35 ans après les faits, dans un abri dans la région de Haneda, dans ce qu'il reste du Japon. Deux amis sont en train de jouer à Devil Busters, un jeu sur micro-ordinateur, histoire de passer le temps. On commence par se donner un nom, à nous-mêmes et à notre ami... disons "Tama" et "Alter", histoire de coller aux captures d'écran de cet article ! Mais on doit aussi nommer une jeune fille qui nous accompagne ? C'est alors qu'on réalise que Devil Busters est en fait MT1, que nous sommes en train de refaire la toute première partie du jeu, jusqu'à l'affrontement contre le Minotaure ! Si on peut mettre la partie en pause, se balader dans l'abri pour parler aux gens, il nous faut battre le premier boss du jeu ; sa défaite libère Pazuzu, une divinité qui se présente comme un messager divin. Tama et Alter seraient les nouveaux Messies, destinés à chasser les démons de Tokyo, à commencer par le tyran Bael.

On réalise alors que Pazuzu n'est pas un programme, puisqu'il nous permet de garder les démons recrutés dans Devil Busters dans le monde réel... Ce qui va être bien utile dans quelques secondes puisque l'abri est envahi de démons ! Notre prochaine tâche est de s'échapper et de se rendre au nord, afin de tuer une sorcière à la solde des démons.

Et le jeu de nous réserver une autre surprise, puisque à peine arrivés sur les lieux, on découvre que la dite sorcière n'est autre que Yumiko elle-même ! La jeune fille s'est rebellée contre Dieu car elle flaire l'embrouille, Pazuzu semble utiliser les Messies dans un but bien moins noble... au cours du débat qui suit, Tama doit lui aussi se rebeller et aider Yumiko, faisant d'Alter son nouvel ennemi juré. Le but du jeu change complètement, on doit désormais contrer Pazuzu et ouvrir l'accès au monde des démons afin d'y chercher de l'aide pour lutter contre Dieu... et empêcher Alter d'arriver à ses fins.

Le tout début du jeu dans Devil Busters a de quoi surprendre ! La discussion avec Yumiko doit déboucher sur son intégration au sein de l'équipe et au départ d'Alter, sans quoi il est impossible de finir le jeu. Oui, j'ai essayé !

Cela fait beaucoup à avaler en très peu de temps de jeu, je le concède volontiers. Après la partie de Devil Busters à la troisième personne, qui se retrouve être une mise en abîme, on est largués dans un Japon apocalyptique dans une vue du dessus, alors que les combats et les "donjons" proprement dits sont toujours, eux, à la première personne.

MT2 décide de mélanger RPG classique et dungeon crawler pour nous faire sortir des souterrains. C'est tout bête, mais grâce à ce procédé il fait sortir le joueur au sens propre, et le pousse à contempler un monde qui s'élargit. Il ne s'agit plus d'explorer un seul palais subdivisé en plusieurs sections, mais d'arpenter un Japon ouvert proposant bon nombre de donjons pas forcément liés entre eux. Le plus drôle étant qu'en termes de surface de jeu, MT2 n'est pas nécessairement plus "grand" que MT1, limitations techniques oblige... mais il donne une impression de grandeur qui est tout à fait réussie.

Cet agrandissement théorique permet de laisser libre cours à la créativité des développeurs, en injectant beaucoup plus de variétés dans les situations, et surtout la possibilité de jouer avec les histoires dans l'Histoire. On rencontre bien plus de PNJ, on apprend très vite qu'après la guerre deux groupes majeurs se sont formés : l'église du Messie et le Culte des Devas, l'un soutenant la parole du Messie et de Pazuzu, l'autre fricotant avec les démons et se plaçant sous l'égide de Bael. Il faudra traiter avec les deux groupes afin d'obtenir ce que l'on souhaite, le plus souvent par la manière forte...

Tout en gardant sa structure intrinsèque, MT2 renforce l'univers et ses enjeux en démultipliant leur magnitude. Constater l'ampleur de l'apocalypse non plus à l'échelle d'un seul lieu, mais à celle d'un pays entier renforce d'autant plus l'impact émotionnel des événements passés et à venir. La trahison d'Alter (à moins que ce ne soit la notre?) et les prochaines rencontres avec lui sont des moments très forts. Et pour le joueur ayant fait le premier épisode, l'implication est d'autant plus forte que le jeu prend à contre-pied tout ce qu'il pensait savoir - et donne aux dernières paroles de Lucifer une résonance toute particulière. On réalise bien ce que MT2, issu d'une série pourtant bien jeune, est en train de faire : il joue avec sa propre histoire. Il jongle avec ses personnages, ses thèmes et ses acquis et n'hésite pas à malmener le joueur, l'amène de surprise et surprise, lui fait rencontrer des personnalités fascinantes, le fait vivre des situations marquantes (dont au moins une influe durablement sur le gameplay) jusqu'au dénouement, inévitable, à la fois sombre et porteur d'espoir, où il s'essaie à l'exercice des fins alternatives ! Un fait encore très rare dans le genre du jeu d'aventure.

On se retrouve dans des lieux pour le moins fantasques, comme un champ de fleurs en plein milieu de l'enfer (qui donne sur un donjon assez tendu) ou à l'intérieur d'une tortue géante, où tout le monde est blessé tous les deux pas...

MT2 est tout simplement en train de marquer la série - au fer rouge ! - avec les premiers thèmes forts que sont l'auto-détermination, le poids et les conséquences du pouvoir, les amitiés et les individualités sacrifiées sur l'autel des grands projets et du bien commun. Mais une telle ambition, si il n'en est pas moins grandiose, demande d'exceller dans plusieurs domaines ; et sur ce point, MT2 se rend coupable d'une négligence tout à fait imputable à sa jeunesse.

Tout d'abord, l'agrandissement du monde se fait au détriment des indications. Dans MT1 le joueur était guidé par des objectifs à court termes sans cesse renouvelés, ce qui lui donnait constamment une idée précise de ce qu'il se passe. ça ne marche plus dans MT2 où il y a souvent plusieurs objectifs simultanés, dans des donjons souvent différents qui ne sont pas liés. Il est bien plus facile de se perdre désormais, certaines zones telles que Korakuen et Ueno sont de vrais calvaires à relier, la carte n'indique pas les liens inter-zones ; il faut garder en tête les trajets importants et ce que l'on doit y faire.

L'interface, à peine meilleure, n'est pas là pour aider non plus. Il est toujours impossible de savoir précisément quelle technique à quel effet, de choisir précisément sa cible en combat, de comparer deux pièces d'équipement sans avoir à les enlever, quand il n'y a pas des pré-requis secrets pour s'en servir. La Cathédrale des Ombres est toujours là pour fusionner mais c'est toujours aussi vague, malgré de nouveaux signes et la fusion triple.

Il y a aussi la question de la difficulté, épineuse. MT1 était soutenu, mais très constant ; MT2, lui, fonctionne en dents de scie. C'est très étrange, mais il est parfois très facile, parfois vraiment très dur, mais rarement réglé comme il faut ! Faire des quêtes annexes aide beaucoup, il faut le dire, mais il m'est arrivé de passer des régions entières sans démons valables dans mon équipe... ou de tomber d'un seul coup dans un donjon au niveau médian largement supérieur au précédent, blindé de groupes de six ou sept ennemis abusant des états anormaux (Ikebukuro a été une vraie torture). En bref, c'est très inégal, mais je ne voudrais pas donner l'impression de vouloir jeter le bébé avec l'eau du bain, car il y a eu des améliorations de fond très appréciables. L'utilité relative des éléments a été sérieusement revue, désormais tous ont leur moment de gloire, que ce soit le feu, la glace, la foudre, le vent, la lumière ou les ténèbres ; et cette fois, le duo principal n'est plus du tout invincible. On devient très fort, mais la démocratisation des états anormaux et de la mort instantanée ainsi que des donjons particulièrement inventifs font qu'on doit toujours rester vigilant. Un game over stupide est très vite arrivé, et si encore une fois le mode Automatique compense un taux de rencontres aléatoires très élevé, MT2réussit bien mieux à faire ressentir la fragilité, ou du moins le côté éphémère d'un personnage puissant.

L'utilisation d'objets d'attaque élémentaire est tout à fait envisageable, d'autant que leur puissance est indexée sur l'Intelligence. Une bonne raison pour faire du héros un magicien, même si ça finit par revenir cher ! Notez que les démons ne savent pas manier l'inventaire.

MT1, si il m'avait captivé au début, avait fini par me lasser et m'agacer sur la fin. MT2, si il m'a bien énervé par moments, m'a enchanté tout du long. C'est un excellent RPG, un des tout meilleurs sur Famicom, et j'ai pris un vrai plaisir à suivre les événements, à faire les deux fins possibles, à monter mon équipe, à être surpris... bref, à m'impliquer. Il pose pour de bon les premières bases fondamentales de la série et prépare Atlus à la transition sur consoles 16-bits.

Les deux premiers épisodes ont été ré-édités sur Super Famicom en 1995, comme vous avez pu le constater, dans une version appelée Kyûkaku Megami Tensei, regroupant les deux jeux en une seule cartouche. On peut se demander ce qui a poussé la firme à faire ça, au vu de la concurrence féroce sur la console, et que ces coups d'essai ne font pas le poids face à des mastodontes comme Chrono Trigger ou Final Fantasy VI, sortis en fin de vie et bénéficiant de toute l'expertise possible. Ceci dit, l'arrivée sur Super Famicom a permis à Atlus d'améliorer l'aspect graphique et musical, permettant au compositeur Hitoshi Sakimoto de faire des arrangements maison sous son pseudo de "Ymoh S."... mais aussi de corriger certaines erreurs comme le système de sauvegarde par mots de passe. Dans MT2, il y avait également un système de "retour automatique", qui consistait à marquer un point de la carte et à laisser le jeu retourner à ce point tout seul. Pratique mais malheureusement buggé (la Famicom plantait assez souvent pendant le retour), il a été abandonné au profit de terminaux de sauvegarde faisant office de points de téléportation.

Et le fin du fin étant que les sauvegardes des deux jeux sont interconnectées ! En effet, avoir effectué certaines tâches précises dans MT1 vous donnait des bonus ou des scènes secrètes dans MT2. Un petit plus très appréciable qui reviendra plusieurs fois au sein de la série.

Ce second épisode marque l'arrivée de Jack Frost, démon aussi adorable que mentalement instable, qui deviendra la mascotte d'Atlus. Il est au coeur d'une quête annexe totalement tordue !
Tama
(01 juin 2017)
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