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Shin Megami Tensei Nocturne / Lucifer's Call
Année : 2005
Système : Playstation 2, Playstation 3
Développeur : Atlus
Éditeur : Atlus
Genre : RPG / Aventure
Par Tama (04 mai 2015)

« Comment fait-on pour exporter notre série phare chez des joueurs occidentaux, alors qu'ils n'ont pas les mêmes référentiels culturels, ni les mêmes habitudes de jeux que nous ? »

C'est la question qui a dû tourmenter bon nombre d'éditeurs japonais durant plus de dix ans. Et parmi eux, les détenteurs de jeux d'aventure, de RPG. Il a fallu attendre Final Fantasy VII pour voir le genre se démocratiser sur nos consoles, et pour se rendre compte que six épisodes nous étaient passés sous le nez ! Mais s'il y a bien un éditeur qui a pris tout son temps pour bien faire les choses, c'est Atlus et sa série Megami Tensei.

Cette vénérable série de jeux de rôle, contemporaine du premier épisode de Dragon Quest (le premier Megaten sort sur Famicom en 1987), se compose jusqu’ici de trois épisodes canoniques : Megami Tensei 1 et 2, ainsi que If..., une sorte de relecture de premier épisode avec les apports du second. Tout comme Dragon Quest, MegaTen est directement inspiré par Wizardry qui a eu un succès retentissant au Japon, et dont l’influence sur le jeu d’aventure japonais est incontestable. MegaTen, donc, va très vite se forger une vraie personnalité : un univers post-apocalyptique où toutes sortes de mythologies se croisent, de la chasse et même du recrutement de démons au service d’un héros silencieux, une difficulté au-dessus de la moyenne, une liberté de choix qui permet déjà d’avoir plusieurs embranchements et dénouements, la possibilité de parlementer avec l’ennemi pour obtenir son aide, ainsi qu’un système de moralité sous forme d’alignement assez proche des jeux de rôle papier.

Les premiers Megami Tensei arboraient déjà le démon Jack Frost,devenu la mascotte de la société Atlus.

Forte d’un grand succès commercial, critique et d’estime au Japon, MegaTen n’a encore jamais eu les honneurs d’une sortie mondiale. Mais devant l’internationalisation du jeu vidéo et le succès retentissant de la Playstation, Atlus sent que le vent tourne, et adapte sa stratégie.

Atlus est une firme plutôt discrète, d’importance moindre que les grands noms comme Nintendo, Squaresoft ou Electronics Arts. Elle a donc sa propre façon de faire : créer des jeux uniques en s’adressant avant tout à un public de fans déjà conquis (un public de niche) par leurs univers et leurs styles de jeux qui n’ont pas grand-chose à voir avec la norme, souvent en reprenant un genre connu, mais en l’adaptant à leur manière. Un peu comme Treasure, oui.

Or, si les MegaTen sont jusqu’ici inconnus au bataillon en occident, Atlus y est tout de même présent : en effet, la firme est éditrice de jeux ma foi fort divers et variés, puisqu'elle éditera entre autres Tail Concerto, Strikers 1945 ou encore Maken X. Cette expérience en tant qu’éditeur va leur permettre de sonder le marché occidental afin de préparer l’événement : la sortie mondiale du prochain épisode de Megami Tensei, la série principale qui gagnera un « Shin », histoire de marquer le coup. Et pour cela, ils vont adopter une stratégie très proche de celle de Nintendo : créer des jeux conceptuels et uniques, et se servir des retours afin d’alimenter les MegaTen.

C’est ainsi qu’Atlus va développer, pendant toute la durée de vie des consoles 32 et 64bits, un certain nombre de jeux et de séries, sorties au moins aux États-Unis, pour commencer à se faire connaître. Les sorties sont nombreuses, mais on retiendra :

- Megami Ibunroku : Persona, une série de RPG avec pour héros de jeunes adolescents écumant un lycée et un Tokyo totalement bouleversés par l’arrivée brutale d’éléments fantastiques. Elle sera adaptée aux États-Unis sous le nom de Revelations : Persona, et victime d’un massacre par la censure et une certaine idée de l’adaptation aux codes culturels américains. Cependant, c’est une série dont le succès important continue encore aujourd'hui.

- Devil Summoner, RPG futuriste à tendance cyberpunk qui reprend tout l'imaginaire des hackers pour le mélanger avec de la possession d'êtres vivants et des invocations démoniaques.

Je vous conseille également la duologie Persona 2 qui déborde de qualités comme de défauts !

Ces séries, qui auront chacun leur petit succès d’estime, ont surtout servi de laboratoire d’expérimentations pour Atlus, afin de sonder les goûts des joueurs. Faisant sciemment l’impasse sur la génération de consoles 32 bits, le prochain MegaTen se prépare tranquillement jusqu’en 2003. La firme, forte de ses expériences passées, va mettre le paquet pour frapper fort. Shin Megami Tensei 3 va se présenter à la fois comme l’ambassadeur moderne de la série en Occident, mais aussi comme le digne successeur, peu enclin à céder aux sirènes de la facilité, le but étant de percer sur le marché des joueurs occidentaux aguerris.

Pour faire un effet d’annonce, rien n’est trop beau car Atlus réussit à intégrer Dante, héros chasseur de démons du jeu Devil May Cry de chez Capcom. Une décision qui peut passer pour un coup purement marketing, mais Dante étant mi-homme mi-démon, sa nature et ses objectifs cadrent tout à fait avec l'ambiance de la série. Cet épisode abandonne aussi la vue à la première personne, pourtant canonique de la saga. En effet, les retours sur Persona ont fait découvrir à Atlus les méfaits de la cinétose (plus connue sous son appellation anglaise « motion-sickness ») dans le jeu vidéo, qui produit des impressions de nausées et de vertige chez ceux, nombreux, expérimentant de la 3D en vue à la première personne. Hors de question donc de risquer de se mettre à dos une bonne partie des joueurs qui pourraient se sentir exclus.

Shin Megami Tensei Nocturne sort donc sur toutes les Playstation2 du Japon en 2003.

Pourtant, le jeu que les joueurs français auront en 2005 est une version remaniée. En effet, Atlus a publié entre temps Nocturne Maniax qui est une amélioration du jeu d'origine, avec une difficulté mieux équilibrée, et surtout un tout nouveau donjon permettant d'accéder à une nouvelle fin possible. Autre démonstration de la volonté de s'adresser aux européens : la prise en charge de la traduction française par Ubisoft, même si Ghostlight se charge de la distribution. Ce sera un des trop rares jeux d'Atlus à être traduit en français... Je suppose que l'un des inconvénients d'être une boîte de taille modeste consiste à devoir rogner sur tous les coûts possibles. Quoi qu'il en soit, cette version définitive arrive aux États-Unis en 2004, puis en Europe en 2005 sous le nom de Shin Megami Tensei Lucifer's Call, vendu à seulement 45€.

Le jeu se déroule dans un Japon contemporain... du moins durant quelques dizaines de minutes. Notre héros, accompagné de ses deux amis Isamu et Chiaki, va rendre visite à son professeur principal, mademoiselle Takao, hospitalisée pour des raisons inconnues. Cependant les choses se gâtent vite : l'hôpital semble désert, il y règne une ambiance plutôt sordide et l'enseignante est introuvable. Après quelques recherches, il tombe enfin sur Takao accompagnée d'un homme pour le moins excentrique nommé Hikawa, alors qu'ils semblent travailler sur un engin en forme de toupie. Elle consent à lui expliquer ce qu'il va se passer : un événement appelé la « Conception » va avoir lieu dans quelques minutes, et son épicentre se trouve être l'hôpital même. Elle a tout juste le temps de lui souhaiter bonne chance et de lui conseiller de la retrouver, que des éclairs jaillissent, le soleil s'obscurcit, des démons jaillissent de toutes parts et que la terre se retourne comme on enroulerait une nappe de table. Ça y est, c'est l'Apocalypse, le monde tel qu'on le connaît est intégralement détruit ! Nous en sommes approximativement à 30 minutes de jeu...

Le monde ne ressemble plus à grand-chose...

Rare survivant du cataclysme car il se trouvait à l'hôpital, seul bâtiment entièrement sauf, le héros se met à la recherche de ses deux amis et de mademoiselle Takao, ainsi que des éventuels survivants humains. Humanité dont il ne fait d'ailleurs plus vraiment partie : à son réveil, il a eu la visite d'un jeune garçon blond qui lui a fait don de deux choses, un candélabre à la flamme inextinguible et un ver injecté directement dans l’œil, changeant sa nature profonde et faisant de lui une créature démoniaque. Son corps recouvert de tatouages mystiques n'est pas le seul à avoir changé, il se découvre aussi des pouvoirs hors du commun ainsi que la possibilité de s'allier à d'autres créatures... C'est ainsi que l'on se met en route dans un monde ruiné où la poussière a à peine eu le temps de retomber, où ne subsistent que des ruines de l'ancien temps, pour savoir ce qu'il s'est passé et quelle direction prendre ensuite.

Cette atmosphère post-apocalyptique est la pierre angulaire de l'ambiance générale du jeu. Vous visiterez un hôpital, des centres commerciaux, des quartiers résidentiels, parfois dévastés, parfois intacts, comme figés dans le temps, mais où toute trace de ceux qui les habitaient a disparu. Seuls restent les démons qui vaquent à leurs occupations, et les Manikins, curieuses poupées à l'apparence humaine mais dépourvues d'âme et servant de défouloirs aux démons. Cette ambiance unique, cette sensation de flotter parmi les débris d'un monde autrefois si vivace est renforcée par les compositions de Shoji Meguro qui réalise un travail unique. S'éloignant des bandes-son typiques du genre, il prend plutôt le parti de se réapproprier des morceaux pop et jazzy, et de les appliquer aux différents quartiers de l'ancien Tokyo que l'on arpente. L'hôpital de Shinjuku et son aspect propre et décalé ; la richesse et le caractère huppé de Ginza ; ou encore la préservation des traditions de Asakusa, tout ceci est parfaitement retranscrit en musique, mais avec un aspect onirique, cauchemardesque parfois, comme pour signifier le décalage entre ce qui était alors et ce qui est désormais.

Revenons au jeu proprement dit : il s’agit d’un RPG vu à la troisième personne, avec des combats « aléatoires ». Je mets le mot entre guillemets car un indicateur, en bas à droite de l’écran de jeu principal, vous indique la proximité d’un combat à venir, virant du vert (vous êtes tranquille) au rouge (préparez-vous).

Les combats se déroulent selon un système de tour par tour assez particulier. L’initiative décide quel groupe commence, celui du joueur ou celui de l’ennemi, puis chaque protagoniste entre sa commande, jusqu’à épuisement des capacités d’action. Puis c’est au groupe suivant d’agir. Tout s’articule en fait autour du système de « Press Turn », un tour de participant symbolisé par des icônes en haut de l’écran de combat. Pour simplifier, chaque participant au combat amène un Press Turn, qu’il peut dépenser via plusieurs actions. Les commandes Attaquer et Compétences, par exemple, demandent un PressTurn.

Là où ça devient complexe (et passionnant), c’est que cette dépense peut être réduite ou, au contraire, augmentée. Passer son tour, frapper un adversaire dans son point faible ou lui infliger un coup critique vous économise un demi PressTurn ; à l’inverse, le rater ou le frapper dans une de ses annulations élémentaires (Void qui annule, Absorb qui le guérit ou Repel qui repousse sur l’envoyeur) peut augmenter le coût d'une unité, voire même dépenser tous les PressTurns d’un seul coup ! Le tour d’un groupe se termine donc quand tous les PressTurns sont dépensés. Et comme cela vaut autant pour le joueur que pour l’adversaire, la clé de voûte de la construction d’un groupe puissant réside dans la bonne gestion des points forts et points faibles de chacun.

Les Principality (ainsi que tous les démons de la même famille) arborent une Absorption Lumière mais uneFaiblesse Ténèbres. Les toucher avec une capacité Lumière me fera perdre des Press Turns inutilement, alorsqu'avec des Ténèbres je peux finir le combat avant même qu'ils n'aient bougé le petit doigt !

La construction du groupe, parlons-en. Vous êtes donc aux commandes d’un personnage principal, que j’appellerai MC à partir de maintenant (pour « MainCharacter »). MC a donc des pouvoirs de démon, parmi lesquels celui de s’adresser directement à eux pour les rallier à sa cause. Pour ce faire, il lui faut initier la discussion en combat en sélectionnant l’option Talk sur le démon souhaité (ceci coûte un PressTurn), en gardant à l’esprit qu’il doit être de niveau supérieur ou égal à lui. S’ensuivent les négociations, où les démons vous demanderont moult faveurs : vous devrez leur donner de l’argent, des objets ou même répondre à quelques questions d’ordre philosophique ! Tous ont leur petit caractère et apprécient certaines choses, d’autres non, et il faudra faire preuve d’audace, de patience et d’abnégation pour convaincre les plus récalcitrants.

Si MC est le seul à posséder l’option Talk, ce n’est pourtant pas le seul à avoir un impact sur ces discussions. Pixie par exemple, démon qui vous rejoint d’elle-même au début du jeu, disposera vite de l’option Seduce qui est très efficace sur des démons masculins, mais pas du tout sur la gent féminine. D’autres pourront harceler pour obtenir des objets ou de l’argent, là où certains démons seront capables de convaincre immédiatement sous certaines conditions – je pense à Valkyrie et sa capacité SoulRecruit qui persuade un démon masculin agressif, ou même l’option Brainwash qui enrôle net un démon dont le niveau est inférieur de 10 à celui du lanceur !

Les démons peuvent être têtus, gentils, compréhensifs, philosophes ou tout bonnement imbuvables...comme les humains ! Ainsi les négociations peuvent prendre une tournure pour le moins inattendue...

La seconde possibilité de recrutement réside dans les Fusions. Très tôt dans le jeu vous ferez connaissance avec un moine défroqué occupant un lieu appelé la Cathédrale des Ombres, où vous pourrez tenter de fusionner deux, voire trois démons ensemble pour en former un nouveau plus puissant. Véritable laboratoire du docteur Frankenstein, c’est le lieu de prédilection pour créer les démons les plus puissants, tout en respectant certaines règles précises (aucun démon de niveau supérieur à MC). L’avantage principal est que le démon ainsi créé hérite de plusieurs capacités de ses deux parents, il est donc possible d’obtenir un démon avec des sorts uniques et extrêmement utiles de la part d’un autre dont vous n’avez plus besoin. Plus les démons impliqués ont progressé depuis leur obtention et plus ils donneront de capacités à leur héritier, mais dans certaines limites – un démon de feu n’apprendra jamais une attaque de glace. Ce système de création de groupe semble hérité des jeux de rôle à l'occidentale, où les personnages constituant le groupe du joueur sont nombreux et peuvent être changés à l'envi. C'est une des nombreuses influences qui marquent le jeu...

Ces deux options de recrutement sont inféodées à un même système, celui du cycle lunaire. Ou plutôt le cycle de Kagutsuchi, le nouvel astre qui règne sur ce monde post-Conception et qui est indiqué en permanence en haut à gauche de l'écran. Faisant office de soleil et de lune à la fois, il passe par huit phases qui évoluent au fur et à mesure que MC se déplace. Selon la phase en question, les négociations changent de nature : si Kagutsuchi est plein (en phase Full), la plupart des démons refuseront la discussion car l'influence de l'astre les rend bien trop agressifs pour cela ! Alors qu'au contraire, certains groupes de démons auparavant rétifs consentiront cette fois à discuter. En revanche, certains types de démons dédaigneront systématiquement vos tentatives, quelles que soient les phases. Kagutsuchi influence également les Fusions, car certains démons ne peuvent être obtenus que lors de phases précises... Pire encore, si vous êtes en phase de Pleine « Lune » (marquée Full), les chances d'échouer une Fusion augmentent ! Mais en contrepartie, vous aurez accès aux Fusions triples, où trois démons pourront être sacrifiés ensemble afin d'en créer un nouveau bien plus fort.

Kagutsuchi est plein, il est possible de créer des démons encore plus forts ! En revanche, inutile de discuter avec ces deux-là...

Le cas de MC est unique en son genre car sa progression est marquée non seulement par le gain de niveaux, lui octroyant 3 points à répartir entre plusieurs statistiques, mais aussi par les Magatama, objets mystiques qu’il obtiendra tout le long du jeu.

Le jeu laisse complètement tomber tout système d’équipement, que ce soit pour les démons (qui n’ont rien d’autre que leurs statistiques, résistances et faiblesses) ou pour MC qui a les Magatama. Chacune d’entre elles vous donnera plusieurs choses : des points bonus dans certaines statistiques, des résistances et faiblesses fixes, ainsi qu’un ensemble de capacités actives (attaques directes, sorts) ou passives (résistances supplémentaires, régénération, etc.) à gagner au fur et à mesure des niveaux. MC et ses démons ne peuvent apprendre que huit capacités au maximum, et doivent oublier l’excédent. En sachant que l’on peut changer de Magatama à l’envi seulement en dehors des combats, MC peut donc alterner entre elles afin d’obtenir un mélange optimal, et tenter de s’adapter le mieux possible aux différentes situations : garder une Magatama faible au Feu alors que le boss spamme les Agi (sort de feu basique) vous conduira vite à lui donner des Press Turns, et même à la mort. Car oui, comme MC est l’invocateur du groupe, sa mort seule signifiera la fin de partie immédiate ! Son évolution est primordiale et plus complexe qu’il n’y paraît, car plusieurs manières de le personnaliser se dégagent très vite : en ferez-vous un pur attaquant ? Un guérisseur ? Un spécialiste des sorts de soutien ? À moins que vous ne préféreriez un mage offensif ? Il y a un total de 25 Magatama en tout et pour tout, et la première – nommée Marogareh - vous est donnée au tout début du jeu. Elle n’a ni points forts ni points faibles, parfaite pour débuter.

Les différents lieux que vous visiterez vous confronteront non seulement à des ennemis de plus en plus coriaces, mais aussi à des donjons particulièrement retors. Il y a évidemment des labyrinthes avec des portes à ouvrir grâce à des mécanismes parfois éloignés ou obscurs, mais aussi des trous qui font tomber à l'étage inférieur, des dalles qui blessent MC et son groupe (ils perdent la moitié de leur points de vie toutes les secondes, ce n'est pas rien), des salles entières empoisonnées, des ascenseurs, des points de non-retour, des téléporteurs... Le level-design est assurément un des points forts du jeu, non seulement parce que les différents lieux sont assez difficiles quoique très « logiques », mais également grâce à leur apparence. Même vides et désertiques, ils arrivent toujours à exprimer quelque chose d'ancien, leur vie d'avant la Conception.

Et puis, il y a Amala.

J'ai écrit plus haut que nous avions eu droit à la seconde version du jeu, dotée d'aménagements et de nouvelles possibilités, notamment d'une nouvelle fin. Celle-ci, baptisée True Demon Ending, n'est accessible que via ce fameux labyrinthe d'Amala... mais avant tout, je me permets un petit aparté sur le fonctionnement des différentes fins.

Au fur et à mesure de l'avancement dans le jeu, il apparaît que ce monde post-Conception n'est qu'une transition, destiné à préparer la venue d'autre chose. Les rares êtres non-démoniaques ont en effet la possibilité d'utiliser l'astre Kagutsuchi pour reconstruire le monde selon leurs envies, en suivant certaines règles précises. Il leur suffit de collecter assez d'énergie mystique (appelée Magatsuhi) pour attirer l'attention d'un être ordre divin, qui leur donnera en retour une Raison, la matérialisation de leur idée d'un monde nouveau en quelque sorte. Plusieurs personnes vont se démener pour trouver leur propre Raison, et il est donc bien normal que ceci va déclencher des conflits entre eux. MC étant mi-humain mi-démon, il ne peut avoir accès à ce privilège et est donc ravalé au rang de suiveur, il ne peut que s'allier à celui ou celle dont la Raison lui plaît le plus, et l'aider à accomplir cette tâche. Le jeu calcule quelle Raison vous ralliez grâce aux réponses que vous donnerez à ces personnes tout au long de la partie, et arrivé à un point critique, il « fixe » la fin que vous obtiendrez après avoir battu le Boss final. Il y a donc cinq fins différentes que l'on peut obtenir de cette manière...

La troisième partie d'Amala sera l'occasion de jouer au chat et à la souris avec Dantedans une partie de chasse pour le moins stressante.

Plus une sixième, qui passe par ce fameux Labyrinthe d'Amala ! Inutile de prendre en compte vos choix, le seul pré-requis pour cette dernière fin considérée comme canonique est de boucler ce donjon avant le point critique. En effet, ce que vous y trouverez au tout dernier étage changera toute la vision qu'MC avait de ce système et lui permettra, lui aussi, d'avoir une Raison, pour le moins expéditive ! Amala est constituée de cinq parties distinctes, chacune ayant au minimum cinq étages. Mais pour y accéder, il vous faudra entrer en possession de candélabres du même type que le jeune garçon vous a remis au début du jeu. Très vite, on se rend compte que l'on est pas le seul à avoir reçu ce cadeau, et onze autres personnes briguent aussi le privilège de terminer Amala, et il vous faudra les trouver et les affronter. Ces « Maudits » sont attirés par votre propre lumière et viendront vous défier à certains endroits et moments-clés. Ce sont des affrontement facultatifs, souvent bien plus difficiles qu'un boss « normal », il vous faudra beaucoup de patience et de tactique pour espérer les vaincre !

Chaque Maudit vaincu vous donne son propre candélabre, avec lequel vous pourrez débloquer l'accès aux étages d'Amala. Ce labyrinthe lui-même est très spécial : on ne peut y accéder que depuis un point de sauvegarde, il n'y a pas de raccourcis à proprement parler, il y est impossible de discuter avec les démons et le seul moyen de s'y soigner est de payer grassement un fantôme, ou de consentir à être transporté vers l'entrée. Il vaut donc mieux venir préparé, accompagné d'une bonne équipe, avec des objets et sorts de soin ainsi que des moyens de récupérer des points de magie. Amala lui-même a une apparence différente des autres, vous circulez entre les étages via des conduits ressemblant beaucoup à des vaisseaux sanguins et l'atmosphère qui y règne est très organique. Cela fait partie de toute une stratégie d'Atlus pour que les joueurs ressentent l'importance des changements qu'apporte la Conception sur les corps (les tatouages et l'ingestion des Magatama de MC, par exemple) et les pensées des survivants... car les gens vont changer et fortes sont les chances que vous n'en appréciiez pas les résultats ! Transformations physiques, retournements de veste, négation du passé, voire possession par des esprits venus d'une autre dimension, vous aurez le droit à la totale. La fameuse TrueEnding mélange d'ailleurs une lueur d'espoir et un nihilisme iconoclaste d'une manière confondante...

Le premier Maudit à vous défier. Matador est un boss bien difficile à ce stade du jeu, et il convient d'avoir saisicertaines complexités du système de combat. Ingérer la Magatama « Wadatsumi »,être accompagné du démon Uzumi et avoir le sort Dekaja sont les trois conditions pour espérer le vaincre.

Il faut tout de même reconnaître qu'au début de l'aventure, on se sent terriblement perdu. Bien que les jeux d'aventure (et les RPG en particulier) se reconnaissent entre autres à leurs textes fleuves et à leurs longs discours, Lucifer's Call est très peu bavard ! Il y a finalement assez peu de dialogues et ceux-ci sont courts, il est rare de passer plus de deux minutes sur un même discours sans retourner au jeu. Les cinématiques sont logées à la même enseigne, et même si le récit ne manquera pas d'illustrer certains moments-clés en fanfare, il ne compte clairement pas sur cela. Tout se fonde sur deux choses, les non-dits et le choc thermique émotionnel. En effet la Conception, la vie dans ce nouveau monde de transition et la recherche d'une Raison va pousser les survivants à changer, parfois de manière radicale, ce qui provoquera des scènes dramatiques où la confiance, l'amitié et le bon sens voleront en éclats face à la recherche de puissance. Encore une fois, ces choses ne seront que très peu explicitées, beaucoup de choses sont laissées à l'appréciation du joueur sur tout ce qui concerne les relations entre les protagonistes.

Ceci dit, cette manière de faire entraîne un inconvénient : le joueur peut se sentir largué. À plusieurs moments, il s'avère difficile de deviner la marche à suivre tant les indices manquent, et progresser dans le jeu sans aide extérieure peut relever du hasard... quand on ne se fait pas tuer de manière cruelle. J'ai toujours trouvé qu'Atlus a du mal à régler la difficulté de ses jeux de manière optimale, et Lucifer's Call en est une belle démonstration : les jeux de cette firme sont plus difficiles que la normale (chose que je ne remets pas en cause, loin de là!), mais cette difficulté n'est pas toujours progressive et on peut buter sur pas mal de passages parfois trop durs, ou au contraire naviguer tranquillement dans toute une zone où aucun démon ne pourra s'opposer à notre groupe. D'autant plus que le joueur peut passer un certain temps à trouver où est le problème : est-ce son groupe qui n'est pas au niveau ? Ou l'ensemble de leurs capacités et immunités qui n'est pas adapté à la situation ? Faut-il une stratégie particulière (très vrai contre les Maudits) ? Il est loin d'être l'exemple le plus extrême car y jouer reste un plaisir, mais tout de même.

Aciel est un boss assez énervant : il vous vole vos MP afin de lancer « Sol Niger », qui réduit vos points de vie à 1...et utilise son dernier Press Turn pour vous achever ! Le pire est qu'il devient un ennemi normal par la suite.

L'autre raison de cette perte de repères du joueur vient du langage. Les MegaTen emploient en effet un vocabulaire unique en ce qui concerne les différentes capacités. Il existe donc des éléments parmi lesquels le Physique, le Feu, l'Air (nommé Force), la Glace et la Foudre.

Si les appellations des attaques physiques ne posent pas de problèmes, ce sont les autres qui méritent qu'on s'y attarde. Tout sort de Feu porte la racine Agi, autour de laquelle vient se greffer préfixes et suffixes. Agi est donc le sort de feu de base, touchant un ennemi ciblé ; pour signifier que ce sort va toucher tous les ennemis d'un coup, on lui colle le préfixe Ma-. Ainsi, un sort de feu général est appelé Maragi. Le suffixe détermine la puissance du sort en question : les faibles n'en ont pas et se contentent de la racine, les moyens gagnent un A ou un O, ce qui donne Agilao pour un sort de feu moyen. Enfin, les sorts puissants gagnent un -dyne ou un -on : Agidyne pour le sort de feu puissant, Hamaon pour le sort de lumière puissant (la racine Hama + le suffixe -on) ou encore Diarahan pour le grand sort de soin (la racine Dia + -rahan, suffixe propre aux sorts de soin forts).

Ainsi, pour le feu on a Agi, Maragi, Agilao, Maragion, Agidyne et Maragidyne. Formuler des sorts de foudre donnera Zio, Mazio, Zionga, Mazionga, Ziodyne, Maziodyne. Les soins eux, se prononcent Dia, Media, Diarama, Mediarama, Diarahan, Mediarahan. Quant aux sorts d'altération d'état c'est encore autre chose. Bien sur, comme tout langage, celui des MegaTen comporte ses exceptions ! Dans les sorts de feu on trouvera les sorts Prominence, Ragnarok ou encore MagmaAxis, ou encore VioletFlash dans la lumière ou BoltStorm dans la foudre ! Et pourtant, ce langage qui avait l'air si étrange, étranger la première fois, devient très vite une seconde nature, il participe au dépaysement et à la sensation de jouer à un jeu unique, qui porte tout naturellement ses propres codes, tout comme on s'installerait durant quelques mois en vacances dans un pays à la fois exotique et proche de nous. On se rendrait compte ensuite qu'on a perdu le billet de retour, et qu'on s'en fiche car on y est bien.

C'est en cela que Lucifer's Call est si fascinant : il a beau avoir des défauts plutôt marqués, il a tant de charme, de personnalité, de parti-pris parfaitement assumés et de qualités pures qu'on est content d'avoir franchi le pas, d'avoir vaincu son appréhension pour se lancer dans l'aventure. C'est un jeu qui aime laisser son joueur profiter de lui, sans lui imposer quoi que ce soit, mais il aime aussi le faire souffrir, le défier, lui balancer des combats ou des lieux retors, à la limite de l'injustice ! Mais c'est pour ça qu'on l'aime, et les joueurs ne s'y sont pas trompés car le jeu a su conquérir efficacement le public qu'il visait en premier lieu : les joueurs assidus et avides de nouvelles contrées. Ce n'était pourtant pas bien parti, la science-fiction et plus encore le post-apocalyptique ayant du mal à se trouver une place dans le jeu d'aventure. Ainsi, Atlus a tout de même réussi à atteindre la niche qu'il espérait. Mais, douce ironie, cette fameuse niche s'étendra de manière considérable quelques années plus tard grâce à l'un des dérivés de MegamiTensei, car Persona3 rencontrera un succès tel que le spin-off a une réputation qui dépasse la série d'origine... tant pis, MegaTen n'aime pas trop la lumière, lui préférant les landes sombres, arides, les terres désolées et les bâtiments à moitié détruits.

Persona 3 et 4 ont eu beaucoup de succès. Intégrer des éléments de jeu de dragueet une gestion de l'emploi du temps à la minute près était une très bonne idée !
Tama
(04 mai 2015)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Remerciements particuliers à :

- l'article du rédacteur Shou Suzuki du site Quartertothree qui a comparé en détail le jeu avec ses inspirations orientales :
http://www.quartertothree.com/inhouse/columns/77/
- la solution complète d'Ivan Kwiatkowski (alias SniperZWolf) sur Gamefaqs, bourrée de détails, d'interprétations et de données brutes, ce qui m'a permis de finir le jeu avec sa vraie fin ! :
http://www.gamefaqs.com/ps2/582958-shin-megami-tensei-nocturne/faqs/38696