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Jail Break
Année : 1985
Système : Arcade, Amstrad CPC, C64, ZX Spectrum
Développeur : Konami
Éditeur : Konami
Genre : Beat'em all / Action / Arcade
Par chatpopeye (15 octobre 2012)

Qu'il est loin le temps où pour s'adonner à leur passe-temps favori, les joueurs de mon âge en étaient réduits à fréquenter des salles de jeux oh combien mal fréquentées, mais terriblement attirantes, avec leurs belles bornes colorées (ou non), leurs flippers aux bruitages si délicieux, les musiques d'attract-mode qui tel le chant des sirènes enjoignaient les malheureux jeunes enfants que nous étions à succomber aux charmes des bornes d'arcade. Bien évidemment, chaque partie se monnayait 1 franc, ou 2 francs pour les plus récentes (disons à partir de 1986-1987). Aussi, chaque partie était précédée de plusieurs tours de repérage dans la salle, avant de se décider à jeter son dévolu sur une borne. Un peu comme à la fête foraine, dont on fait généralement le tour deux ou trois fois avant de décider quelles sont les deux attractions que l'on va pouvoir s'offrir avec le maigre pécule octroyé par nos parents.

Le flyer japonais. Merci au site Arcade Flyer Archive !

Certains jeux d'arcade, très rentables pour le tenancier de la salle, étaient affublés par les clients du sobriquet de « baise-fric », soit parce qu'ils encourageaient le joueur à remettre régulièrement des pièces dans le monnayeur, à l'instar de Double Dragon ou de Golden Axe, afin de tenter d'arriver au bout, soit parce qu'ils étaient diaboliquement difficiles. Dans cette deuxième catégorie, on trouve Jail Break.

L'écran d'accueil... et la scène d'introduction.

L'histoire est on ne peut plus simple. Nous sommes à New-York. C’est en tout cas ce que laisse supposer le flyer japonais, avec ses gratte-ciel imposants, dont notamment le World Trade Center (sans doute avant que le King Kong de 1976 ne fasse des dégâts dessus). Le directeur de la prison (on va dire pour le folklore qu’il s’agit d’Attica ou de Sing-Sing) a été pris en otage par les détenus et il vous revient d'aller le délivrer, par tous les moyens possibles. Beaucoup se sont fait la belle, d'autres sont là pour de simples cambriolages. Ils ont donc pris la clé de la prison et des champs, après avoir descendu les gardiens et ouvert en grand les portes du pénitencier qui pourtant ne se trouve pas à La Nouvelle-Orléans. Le SWAT étant visiblement indisponible, vous vous retrouvez bien seul pour affronter la horde de prisonniers en cavale. On retrouve là un grand classique des jeux d'arcade des années 80 : Madonna enlevée par les skins, Reagan kidnappé par les ninjas... À chaque fois, il est visiblement impossible de mettre sur pied une équipe d'intervention digne de ce nom.

On sort de sa voiture... et on commence à tirer. Notez l'enfant geignard à sauver en haut de l'écran.

C'est parti !

Bref, c'est armé d'un pistolet aux cartouches en nombre illimité que vous commencerez votre mission. Votre voiture s'arrête au beau milieu de la rue, vous en sortez, et le tir aux canards commence. La prison souffrait visiblement de surpopulation, car les ennemis sont en nombre conséquent. De même, les taulards ont pris la peine de piller soigneusement la réserve d'armes, et ont eu le temps de fabriquer un grand nombre de cocktails Molotov, preuve que les ateliers de réinsertion au sein des établissement pénitentiaires vous apprennent un vrai métier. C'est à l'aide de ces éléments que les détenus vont tenter d'arrêter votre progression. Certains tenteront même de s'opposer à vous à mains nues, les fous !
À la manière d'un run'n gun, vous progressez à travers un scrolling horizontal de la gauche vers la droite, le défilement n'étant pas automatique. Il ne vous est pas possible de revenir sur vos pas (pourquoi faire, d'ailleurs ?). La fuite n'est pas une option. Coûte que coûte, l’avenir est devant vous (!). Vous ne pourrez même pas compter sur l’aide d’un collègue à deux jours de la retraite : s’il est possible de jouer à deux, ce sera uniquement chacun à son tour. La borne ne dispose de toute manière que d’une manette et de deux boutons (en réalité quatre car même les gauchers peuvent jouer, seuls les manchots se retrouvent exclus), un pour tirer et un pour changer d’arme.

Il en sort de partout. Des bouches d'égouts jusqu'aux fenêtres.

Vite, un flingue !

Le pistolet n’est pas la seule arme à votre disposition. Régulièrement, vous croisez des civils de trois types : la gamine qui pleure, la femme avec son bébé dans les bras qui court, et le brave prolo qui traverse benoîtement la chaussée, sans se soucier le moins du monde des balles qui sifflent. Si vous parvenez à “récupérer” le premier civil, une nouvelle arme vous est attribuée : un bazooka. Si vous réussissez à en atteindre un deuxième, vous gagnez un lance-grenades (de type lacrymogène semble-t-il). Il suffit d’une pression sur le deuxième bouton du tableau de commande pour passer d’une arme à une autre. Mais attention ! Si vous avez le malheur de tuer un civil, vous perdez automatiquement les armes que vous aviez récoltées. Saleté de monde... Notez que les civils peuvent se prendre des pruneaux provenant des détenus à jeun, cela ne leur fera rien du tout. Ils ne sont sensibles qu’à vos munitions. Et on s’étonne que la police ait mauvaise presse après ça...

Bien évidemment, si vous perdez une vie, vous rendez les armes...

Curieusement, contrairement à bon nombre d’autres jeux, les armes que l’on acquiert au fil de sa progression ne sont pas nécessairement plus intéressantes ou meilleures que l’arme de base. Le bazooka n’est réellement utile que contre les détenus motorisés (et pour détruire les barils), et vous ne vous servirez du lance-grenades que pour atteindre les méchants perchés à la fenêtre des immeubles. En fait, rien ne vaut un bon pistolet. À propos des barils, lorsque vous en explosez certains au bazooka, il arrive qu’ils révèlent un Batman (ce qui vous apporte un bonus de points). On retrouve d’ailleurs dans le jeu Goonies 2 un personnage “inutile”, Konami man, qui adopte la même posture lorsqu’on le rencontre.

Les barils, une fois explosés, révèlent parfois une surprise.

Les méchants.

Les ennemis sont de plusieurs types : braqueurs, dealers, pyromanes, agents immobiliers... Non, je plaisante, il n’y a pas de pyromanes. En fait, les ennemis, donc, se présentent sous plusieurs formes : ceux qui sont armés de cocktails Molotov ou de fusils, ceux qui se battent à mains nues, et les petits malins qui ont pensé à prendre les clés des fourgons cellulaires (à moins qu'il ne s'agisse d'un camion-poubelle, le terme "Trash" figurant sur le camion pouvant prêter à confusion), et qui roulent comme des sauvages en manquant de vous écraser au passage, et ce au mépris de la priorité à droite. Des gibiers de potence je vous dis ! Pour ces derniers, une seule solution : le bazooka ! (récolté dès le premier civil sauvé).

D’autres seront vaincus de façon plus efficace grâce au lance-grenades, notamment les fourbes qui se nichent derrière une fenêtre, et qui, allez savoir pourquoi, en disparaissant, laissent place quelques instants à une jolie demoiselle totalement dévêtue, certes à moitié cachée par le bas de la fenêtre, mais c’est toujours ça de pris en ces temps de crise. Attention, pour avoir droit de vous rincer l’oeil, il vous faudra auparavant avoir récupéré quatre otages d’affilée. Sinon, vous n’aurez droit qu’à un vulgaire quidam pas sexy pour un sou.
Chose curieuse : les prisonniers sont pour la plupart entravés par un boulet attaché à leur cheville, ce qui est pour le moins curieux en cette fin de XXème Siècle, cette pratique fort pittoresque ayant été abandonnée plusieurs décennies auparavant. Même en Alabama. De même, certains autres se cachent sous une plaque de bouche d’égout, et cette dernière disparaît en même temps que le bandit qu’elle abritait...

Ils ont même volé le camion des éboueurs !

Les niveaux

Le premier niveau semble se dérouler dans les rues de New-York City. Et déjà, la tâche s’annonce rude. Une seule balle vous fait perdre une vie (comme quoi, le jeu sait se montrer très réaliste), et arriver au bout du niveau vous donnera du fil à retordre et des ampoules aux doigts. Pour ma part, je n’ai que très rarement réussi à atteindre la fin de ce premier niveau. À la fin de ce niveau, vous êtes confronté à plusieurs vagues d’ennemis, qui, une fois terrassés, vous laissent le champ libre pour poursuivre dans le deuxième niveau, à l’instar de jeux de la même époque, tels Gradius, du même Konami, ou le Commando de Capcom. On croit d’ailleurs être aux portes de la prison, mais en fait, non...

Le deuxième niveau vous entraîne dans un parc, le troisième niveau sur les quais d’un port. Le quatrième niveau se déroule sur un pont, dont la couleur rouge évoque immédiatement le Golden Gate Bridge, ce qui ajoute un peu plus à la confusion quant à la localisation de la ville dans laquelle se déroule l’action. Je veux bien admettre que notre héros est endurant, mais de là à nous faire croire qu’il a traversé les USA d’Est en Ouest pour aller libérer le directeur de la prison de San Quentin...

Le dernier niveau, enfin, se déroule à l’intérieur de la prison. Au bout de ce niveau se trouve le directeur, ligoté à une chaise piégée de plusieurs bâtons de dynamite. Et là, l’affaire se corse. Si vous avez le malheur de toucher le directeur d’une balle perdue, la partie est terminée. Définitivement. Quel que soit le nombre de vies qu’il vous reste. Ceci-dit, si vous êtes arrivé jusque-là, c’est que vous avez acquis suffisamment de bouteille pour ne pas tirer n’importe comment sur n’importe qui. Lorsque tous les ennemis ont été terrassés, vous libérez le directeur qui vous gratifie d’un gros câlin, et on enchaîne avec le niveau des douches de la prison.

Mais non ! Une fois le directeur sauvé, on recommence depuis le début. D’après le site International Arcade Museum, la difficulté augmente jusqu’à votre 20ème run. Après cela, elle se remet au niveau originel. Je ne suis bien évidemment pas allé vérifier cette rumeur, mais si le coeur vous en dit.... D’après le même site, il existe une autre rumeur selon laquelle un biker arrive et vous tue si vous restez trop longtemps au même endroit. Sachant que les ennemis arrivent de façon incessante, je ne vois pas comment il est décemment possible de rester au même endroit plus de cinq secondes.

Les niveaux 2 et 3.
Sur le pont et dans la prison.

La difficulté

Comme vous avez dû le comprendre, le jeu est extrêmement difficile. Les balles fusent dans tous les sens, les cocktails Molotov ont une trajectoire qu’il n’est pas si évident que cela à prévoir, et très souvent, votre instinct, sur lequel on ne peut pas toujours compter, vous fait courir droit sur un ennemi ou une balle en approche. Ajoutez à cela le fait que les ennemis planqués derrière une fenêtre sont inatteignables sans avoir recours au lance-grenades et que les points de passages ne sont pas si fréquents, et vous pourrez vous estimer très doué si vous arrivez à passer le premier niveau. Il faut souvent faire appel à sa mémoire pour anticiper l’apparition de tel ou tel voyou. Autant dire que cela ne marche qu’un laps de temps très court.

La maniabilité du personnage, bien qu’elle ne présente pas spécialement de défauts en soi, n’est pas si évidente que cela à maîtriser sur le plan des tirs. Vous pouvez tirer dans la plupart des directions, et viser n’est pas une mince affaire. Je rapprocherais volontiers cette difficulté à celle du Commando sus-cité. Enfin, les ennemis ne vont pas disparaître de l’écran comme ça. Vous devez impérativement les éliminer, et rapidement, car l’écran peut très vite fourmiller de taulards en goguette.

Le bazooka est le seul à venir à bout des véhicules.

Les adaptations

Le jeu a été adapté sur Amstrad CPC et Commodore 64 en 1986, puis sur ZX Spectrum en 1987.
Outre les différences évidentes de graphismes et de sons, c’est le fait que l’on ne peut tirer en diagonale qui change la difficulté. Les ennemis étant également privés de cette possibilité, la difficulté s’en trouve amoindrie. La version C64 est la seule (version arcade comprise) à comporter une musique durant le jeu. Les versions CPC et ZX Spectrum disposent quant à elles d’une voix digitalisée sur l’écran de présentation, celle que l’on entend au début du jeu dans la version arcade (“The warden has been taken hostage. Free him, no matter what the cost”, soit, pour ceux et celles ayant pris bulgare en 1ère langue, “Le directeur de la prison a été pris en otage. Libérez-le, coûte que coûte !”). Dernière chose concernant ces conversions, les points de contact des ennemis sont plus difficiles à atteindre. Pour une meilleure efficacité, visez la tête !

Les versions C64, ZX Spectrum et CPC.

Alors ?

Jail Break, vous l’aurez compris, est un jeu très difficile. Bien représentatif des années 80, de par son univers “justicier seul contre tous”, ainsi que des jeux d’arcade de l’époque au rythme effréné, il vaut le coup d’oeil, même si les décors sont extrêmement répétitifs à l’intérieur d’un même niveau. Il vaut également le coup d’oreille. Même si le jeu est dépourvu de musiques, il comporte des voix digitalisées : les pleurs de l’enfant à récupérer, la femme qui court avec son bébé dans les bras “ Hey ! I’m over here !” ou bien encore la même voix que dans l’introduction qui vous enjoint à laisser l’otage passer devant vous. Pour le joueur qui découvre ce jeu en 1985, ces voix digitalisées produisent leur petit effet et restent marquantes des années après, même si l’utilisation de voix digitalisées n’était pas une nouveauté (Kung-Fu Master, Star Wars ou Bagman en utilisaient déjà avant Jail Break), et que celles-ci ne sont pas forcément très nettes.

Vous pouvez l’essayer via un émulateur MAME, ou bien l’acquérir sur la Game Room de la Xbox 360. Dans cette version, vous aurez deux possibilités de jeu : le mode classement, avec, comme son nom l’indique, un classement des joueurs en temps réel, et le mode classique où l’on a à tout moment la possibilité de revenir en arrière en appuyant sur un bouton. Il va sans dire que dans ce cas, on ne peut prétendre à figurer dans un quelconque classement. Or, c’est pourtant l’une des principales motivations qui vont vous amener à persévérer dans ce jeu : pouvoir battre son propre record et celui des autres. Donc, pour se faire la main, jouer au mode classique est préférable, avant de passer peu de temps après au mode classement.

Si enfin, vous souhaitez vous rincer l’oeil à peu de frais, préférez la version MAME. Sur la version de la Game Room, la jeune fille qui apparaît à la fenêtre lorsque vous avez zigouillé un ennemi au lance-grenades (voir plus haut), porte toujours des vêtements. À croire que cette version a été développée pour être jouée sur Facebook, par des gusses qui mériteraient bien un séjour dans une prison dont on ne pourrait s'échapper, cette fois...

chatpopeye
(15 octobre 2012)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Arcade Museum
Arcadeflyers
Une video complète du jeu pour les images des niveaux 2, 3, 4 et 5
Mobygames pour les images du des versions C64 et CPC
World of Spectrum pour l'image de la version Spectrum




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"Jail Break", par chatpopeye

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