Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Jean-Christian Verdez (09 septembre 2024)
Conduite, guerre, politique, ésotérisme, voyage spatial, pêche, vente de limonade... Tous les sujets possibles et imaginables ont été abordés par le biais du Jeu Vidéo. La médecine ne fait évidemment pas exception, et l'on peut se remémorer le génial Theme Hospital (1997), le coquinou Biing : Sex, Intrigues and Scalpels (1995), le déjanté Surgeon Simulator (2013), et pléthore d'autres productions en rapport avec le monde hospitalier, allant de Big Pharma à Two Points Hospital. La plupart du temps, le sujet est traité avec humour voire dérision, quand ce n'est pas carrément un simple prétexte pour des aventures délirantes à la façon de Rex Ronan: Experimental Surgeon sur SNES, ou du classique Microcosm (1993). Les jeux qui abordent le sujet avec un peu plus de sérieux sont déjà nettement moins fréquents. Citons tout de même Medic: Pacific War, sorte de Call of Duty prévu pour 2025 dans lequel vous êtes chargé de soigner les blessés sur le champ de bataille, et dans des styles plus anxiogènes, l'oppressant Plague inc. (2012) ainsi qu'un certain Autopsy Simulator qui vient tout juste de sortir... Mais la médecine ne consiste pas uniquement à faire des piqures et des transplantations tout en gérant le stock de pansements. Parfois, les maladies sont d'ordre psychologiques. Et concernant cet aspect, les jeux vidéo se font encore plus rares. (De mémoire, je ne vois guère que Tender Loving Care, ovni dont seuls les films interactifs ont le secret)... Aussi, comment ne pas être intrigué lorsqu'en 2017 sort The Infectious Madness of Doctor Dekker, un jeu d'horreur psychologique dont tout le gameplay repose sur le dialogue avec des patients atteints de troubles psychiatriques profonds... Tout ça, c'est dans ta têteLe Docteur Dekker, psychiatre, est mort. Il a été assassiné, poignardé à son cabinet de travail. C'est à vous qu'incombe la responsabilité de reprendre les dossiers de ses patients, non seulement pour continuer à leur venir en aide, mais aussi parce qu'il est hautement probable que le meurtrier se cache parmi eux. Mais en découvrant qui était le docteur Dekker, et de quelles angoisses complexes souffrent ses patients, c'est votre propre santé mentale qui pourrait être remise en question... Les suspects sont au nombre de six :
Vous aurez aussi l'occasion de traiter d'autres patients plus occasionnels, mais aux pathologie tout aussi particulières. L'un d'eux est convaincu de régulièrement changer de lieu lorsqu'il ouvre une porte (il se retrouve d'ailleurs dans votre bureau alors qu'il croyait aller aux toilettes dans un restaurant). Un autre pense avoir découvert la martingale ultime ; Ayant pris un peu trop au pied de la lettre certaines théories liées à la physique quantique, il est prêt à risquer toute sa fortune au casino, convaincu que sa victoire est inévitable car il choisit d'être dans un univers où il ne peut pas perdre... Vous recevrez aussi une patiente qui se croit capable de s'immiscer dans les rêves des autres, tandis qu'une autre peut communiquer avec les personnages dans les toiles de la galerie d'arts dont elle s'occupe... Si chaque patient a sa propre histoire, vous découvrirez tout de même quelques points communs au fil des séances. Déjà, il existe des liens entre les patients, même si ça tient parfois de la simple anecdote sans pertinence avec votre enquête. Par exemple, Bryce ira un jour dans la galerie d'art évoquée un peu plus haut. Deux autres patients, s'étant aperçus dans la salle d'attente, envisageront de sortir ensemble. Etc. Et puis, bien sûr, il y a le fameux Docteur Dekker, dont les intentions n'étaient peut-être pas toujours si louables que ça. Difficile d'en dire plus sans révéler des pans importants de l'intrigue. Disons simplement que soigner les patients ne semblait pas toujours être sa priorité, il avait parfois au contraire tendance à les encourager dans leurs croyances. C'est même à cause de ça que tout ce petit monde est suspect dans cette affaire de meurtre : chacun à un mobile. Autre fait important, notamment pour la replay value, le meurtrier est différent à chaque nouvelle partie. Entre tradition et modernitéLe déroulement d'une partie rappellera aux joueurs vétérans de lointains souvenirs issus du Jeu Vidéo des années 80 : devant vous, l'un des patients attend tranquillement, assis sur le divan (le fameux divan que tout bon psy se doit de posséder). À vous de lui poser une question. Oui oui, à l'ancienne, avec votre clavier et tout et tout. Ce gameplay, qui a notamment fait les grandes heures de la Fiction Interactive Graphique sur ce bon vieil Apple II, est bien sûr à mettre en balance avec la technologie moderne. Tout le jeu est filmé en HD, avec des acteurs réels, et à chaque question que vous poserez, une petite vidéo se déclenchera, montrant le patient vous répondre. Le système fonction essentiellement par mots-clefs, bien qu'il faudra formuler des questions à peu près correctes grammaticalement, ne serait-ce que pour obtenir une conversation logique. Il faut bien avouer que ce système, assez classique, fait son petit effet, surtout lorsqu'on réagit à une réponse du patient, qui lui-même réagit à son tour, etc. Si vous êtes en manque d'inspiration, vous pouvez aussi demander des indices au jeu. Vous aurez alors accès à quelques questions toutes prêtes, qui feront obligatoirement progresser l'histoire. Les indices ne sont pas pénalisants, ils vous empêchent juste d'obtenir certains achievements à la fin (notamment celui qui consiste à finir le jeu sans indice ^^). Mais si possible, il est préférable de poser les questions soi-même, l'expérience n'en sera que plus prenante et gratifiante. En outre, les indices ne donnent que des questions essentielles, afin que le joueur ne reste pas bloqué indéfiniment. Plusieurs sujets ne peuvent être abordés que "manuellement". Si vous activez les sous-titres (ce qui est très conseillé puisque le jeu est intégralement en Anglais), vous verrez que certains mots sont écrits en gras lorsque les patients vous parlent. il s'agit souvent de mots-clefs, qui vous permettront d'obtenir de nouvelles réponses sans que cela compte comme un indice. En outre, tout ceci est réglable dans les options. Vous pouvez même activer un délais avant qu'un indice ne devienne disponible, voire les désactiver totalement. À n'importe quel moment, vous pouvez passer d'un patient à un autre. La liste se trouve à gauche, et chacun d'entre eux se voit affublé d'un petit point coloré à côté du nom : Rouge signifie que vous devez encore poser des questions essentielles pour progresser dans l'intrigue. Orange signifie que toutes les questions importantes ont été posées mais qu'il reste des sujets abordables. Vert signifie que tout a été dit. Lorsque tous les patients sont au minimum en Orange, une option apparaît pour terminer la journée. Des événements que je ne vais pas spoiler surviennent, toujours avec le même principe de question/réponse, un peu comme un petit chapitre de transition. Puis le lendemain, une nouvelle journée de travail commence. Il y a 5 jours au total, au terme desquels vous devrez désigner le meurtrier. Il est également possible de revisionner les réponses précédentes ainsi que la liste de toutes les questions déjà posées. De plus, certains personnages vous donneront parfois des documents, qu'il faudra consulter pour éventuellement débloquer de nouveaux sujets de conversation. D'une partie à une autre, l'histoire reste toujours identique mais il y aura quelques petites différences selon l'identité du coupable. Quelques questions supplémentaires seront possibles, tandis que d'autres donneront des réponses différentes. Il n'est pas nécessaire de tout trouver à 100% pour identifier le meurtrier. Gardez d'ailleurs en mémoire qu'agir pour le bien du patient (en posant certaines questions ou en donnant certains conseils spécifiques) peut entrer en conflit avec votre enquête. A vous de choisir quelle est votre priorité, entre votre santé, celle des autres, et la quête de la vérité... Le jeu possède un système caché de points de démence, que vous gagnez ou perdez selon les questions posées. L'épilogue changera en fonction de votre score final, et donc de votre santé mentale. Un score élevé aura des conséquences néfastes sur votre avenir. Même chose pour vos patients, selon que vous aurez su ou non les conseiller de façon pertinente. Au total, ce sont plus de 1600 vidéos qui ont été compilées pour The Infectious Madness of Dr.Dekker, lui octroyant le record du monde du plus gros jeu en Full Motion Video. C'est grave docteur ?Ce qui est vraiment intéressant avec ce jeu, c'est sa capacité à ne pas se moquer des patients. Dans la grande majorité des jeux comportant des scènes dans des hôpitaux psychiatriques ou/et avec des personnages perturbés, le traitement est souvent léger et les malades y sont de gentils cinglés inoffensifs et rigolos. Un parti-pris récurrent dans les Point'n Clic et autres Fictions Interactives depuis les années 80. On peut tout de même citer Edna & Harvey : The Breakout (2008), qui après avoir mis en scène toute une ribambelle de doux-dingues, exploite certaines pathologies de façon étonnamment réaliste et sombre durant un dernier acte où quelques personnages se révèlent très dangereux pour eux et pour les autres. Mais même dans ce cas, cela reste épisodique, l'occasion de réfléchir quelques instants à la faveur d'un twist ironique, car on est avant tout dans un jeu d'Aventure fictif aux énigmes improbables... Alors que dans "Dr.Dekker", l'écriture se veut réaliste et crédible du début à la fin. Bien qu'il y ait occasionnellement des effets visuels surnaturels, ils sont rarissimes et très fugaces, au point qu'on pourrait se demander si on a vraiment bien vu ou si ce n'est pas un simple effet de mise en scène. On n'est jamais vraiment sûr que ce qui nous est montré ou dit soit réel ou non. Après tout, c'est peut-être simplement notre personnage qui, au fil des séances, se laisse contaminer par la folie de feu le Docteur Dekker... Bon, en réalité, on peut être pratiquement sûr que plusieurs faits sont authentiques. "Dr.Dekker" reste avant tout un jeu d'horreur psychologique, avec une ambiance Lovecraftienne ténue mais permanente. Mais la vérité n'est jamais dite explicitement, l'interprétation reste libre car tout se déroule selon votre point de vue et uniquement votre point de vue. Et puis les patients, qu'ils aient raison ou non dans leurs explications, sont avant tout des patients. Certains sont angoissés au point d'en souffrir au quotidien, d'autres sont des manipulateurs, mais tous ont fondamentalement besoin d'aide... Et vous, en tant que psychiatre, vous avez le devoir de les écouter et les aider à aller mieux. Sauf si bien sûr vous préférez contribuer à leur folie, augmentant ainsi un chaos ambiant qui ne déplairait pas à un certain dieu tapi au fond des océans... Pour mes honoraires, voyez au secrétariatD'Avekki Studios signe ici un bon jeu d'enquête, sous la forme d'un film interactif. Les acteurs sont très convaincants, et l'histoire bien ficelée nous fait oublier que tout se passe dans un décor unique. A bien y réfléchir, The Infectious Madness of Doctor Dekker n'est pas très éloigné d'un Her Story (2015), la principale différence tenant dans le fait qu'ici, vous ne consultez pas une banque de vidéos du passé, mais vous vivez au contraire les événements en direct, et interagissez vous-même avec les protagonistes. Cela rend l'enquête beaucoup plus captivante. D'ailleurs, les développeurs ne se sont pas arrêtés en si bon chemin, ils ont continué d'étoffer leur univers par le biais d'autres productions, indépendantes les unes des autres mais clairement situées dans le même univers. Par exemple en 2018, le personnage d'Elin a inspiré The Shapeshifting Detective, dans lequel vous incarnez un Changepeau ayant pour mission de résoudre un meurtre (le fait de se changer en différentes personnes permet d'obtenir des réponses inédites de la part de suspects qui ne réalisent pas le subterfuge). En 2020, des personnages récurrents se font remarquer dans Dark Nights with Poe & Munroe. Et depuis 2023, Murderous Muses propose de passer trois nuits dans une galerie d'Art maudite où l'on peut donner vie aux portraits, là aussi pour résoudre un crime... Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (5 réactions) |