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F-zero, la série - L'analyse
Plus qu'une simple série, F-zero est devenu un genre à part entière et a inspiré de nombreux clones. Michael a analysé longuement l'essence du jeu de course futuriste ultime dans un dossier remarquablement documenté de 16 pages.
Les milles et une régressions de Rez, puis, Wipeout qui simule une trame LCD (en haut, au centre)

L'exemple de Wipeout est significatif. Dans Wipeout, sans aucun doute l'autre grand jeu de course futuriste - mais avec des armes - hé bien, ces armes, justement, sont symbolisées à l'écran par un motif abstrait, un motif simulant des barres cristaux liquides. Donc, des motifs volontairement très contraints par une 'trame', car ils sont obligatoirement constitués de morceaux de celle-ci, comme les chiffres des montres à quartz (découpés dans un 8 rectangulaire), mais aussi, comme les éléments des Game&Watch, les lettres des autoradio. etc. Donc, voilà un autre type de visuel futuriste faisant référence à une contrainte technique, datant ici du début de l'électronique. Et celle-ci n'est pas en rapport direct avec le jeu en question, ni une étape de son développement. Contrairement aux lignes de codes, on ne construit pas un jeu vidéo ou un programme, quel qu'il soit, sur une trame L.C.D. Mais la trame L.C.D., simulée par certain jeu, est une technologie qui se voit, comme toutes les technologies à leur début. C'est vraiment l'aspect "début des technologies" (et de toutes les technologies) qui fait futuriste !

IV-d. Le début de toutes les technologies !

La preuve avec cette image, très récente. Il s'agit d'une publicité pour une émission de télé sur les jeux vidéo. Le sujet de l'image est un groupe de robots guerriers géants ( = un groupe de mechas). C'est le prototype même du futurisme vidéoludique et on retrouve bien tout ce qui fait futuriste, c'est à dire toutes les carences techniques des débuts de l'informatiques : Fond noir, pauvreté en détails, formes géométriques, répétition d'un même motif, frames rectilignes style 1er téléviseur, monochromie... Le vieux nous inspire donc bien plus que le neuf : il nous inspire du futur !

Et maintenant les preuves avec F-Zero. Retraversons la série une dernière fois pour voir l'évolution de l'esprit technoïde. Enumérons, chronologiquement, ces fameux signes "low-tech" qui donnent aux jeux ce fameux style "high-tech".

Nous parlions, quand nous décrivions le premier F-Zero, d'une certaine ambiance "éléctrique", on l'a disait très singulière - c'est le moment de regarder ce qu'il en est exactement. Un premier élément de réponse : A l'extérieur de la piste, sur le sol, grouillent des motifs géométriques et répétitifs très "cybers". C'est un peu comme un entrelacement de câbles, une sorte de patchwork géométrique et électronique en perpétuel mouvement. La répétition d'un même motif participe vraiment à cette ambiance, d'autant que ce premier F-Zero ne perd jamais une occasion de clignoter : pendant la course (les Checks annonçant un dépassement potentiel, les véhicules roses explosifs ou lorsqu'un vaisseau touche le bord de la piste) à l'arrivée (les scores et les temps finaux), ça clignote, ça clignote ; cela rend le jeu très "videogames" et le joueur très "videogame-maniac".

Version SNES : à l'extérieur, un même motif se répète à l'infini. A droite, version BS F-Zero : un écran de chargement très "fil de fer".

Sur N64, toujours à l'extérieur, mais plus bas dans les profondeurs, on retrouve souvent le même patchwork répétitif. Sur la piste, le sol est parfois un damier, cela a le double avantage d'augmenter l'impression de vitesse et de rendre l'univers encore plus infini, alternatif, cyber. Mais, sur 64, le sol ne fait pas tout. Ainsi, dans Red Canyon, des espèces de carrés alambiqués, verts et lumineux (le vert cyber !) s'étendent le long des rambardes. C'est comme si les arabesques - traditionnelles de certaines cultures et normalement toutes en courbes - avaient su trouver ici leur équivalents anguleux, en d'autres termes leurs pendants technoïdes et pixelisés.

A propos des pixels, une variante est la lampe. La différence est infime, mais l'effet visuel est différent. Alors que le (gros) pixel est carré, la lampe est ronde. Quand on se sert de lampes pour créer des motifs, ceux ci possèdent un style technologique (car la technologie est visible), rétro (très contraint par la technique), et aussi très tangible : les motifs à lampes rappellent plein de panneaux de la vie courante (au dessus des autoroutes, dans les gares, dans les flippers...etc.). Dans cette version, les lampes sont à la fête. Aux départs des courses : les chiffres du compte à rebours sont dessinés avec des lampes, et à la fin d'un championnat : ce sont les visages des joueurs victorieux qui apparaissent ainsi dans le ciel (si votre pilote termine sur la première place du podium).

Version N64 : les lampes du compteur et le damier au sol

Maintenant, la GameCube. Nouvelle version. Nouveau cap. Le technoïde a encore gagné du terrain, surtout depuis qu'A.V. a repris les rênes. Regardez le menu, ou plutôt : Regardez à l'arrière du menu, le fond. Cette succession de carrés enivrants, hypnotiques. Les formes se succèdent inlassablement, en boucle... On se croirait dans Wipeout. Mais, puisque nous abordons les détails de l'interface, parlons aussi de l'écran-écrin, celui sur lequel on vous pose les circuits avant chaque course : ici, les pistes sont présentées en 3D sur un quadrillage vert qui pivotent. Cyber, cyber. Et puis, jusqu'en l'aN 64, la série avait su rester - malgré la couleur musicale très Hard Rock de l'épisode - tout à fait mélodique. Maintenant, la techno a totalement pris le dessus. Comme si c'était inéluctable. Pas de doute F-Zero a encore fait un pas vers le technoïde.

A présent, il est temps de retourner en pèlerinage dans la grotte de Sand Ocean, là où tout a commencé (enfin, ce chapitre) pour savoir ce qui est apparu, exactement, à notre FireStingray (mon aéroglisseur c'est un peu la Bernadette Subaru® du 26e siècle - je plaisante bien sûr). Il y a (en vrac) : des plaques de pierres répétées à l'infinis ; des escaliers, très carrés, très nets, bordés d'or (une ode à l'Aliasing ?) ; des hologrammes ; une pyramide tournoyante, en matière transparente, presque énergétique (on se croirait dans un dépliant vantant les mérites de la Scientologie). Bref, tout à l'heure, cette grotte nous apparaissait comme un oasis de futurisme perdu dans un désert de Passé Antique, mais, finalement, nous sommes bel et bien dans le prolongement. Nous sommes toujours dans le Passé, un autre passé, plus technologique : le palais de la géométrie, des formes primitives et des débuts de l'Informatique.

Mais changeons de course. Dans Aeropolis, on remarque au centre de la piste une sphère géante, d'un style comparable, avec des espèces d'éclairs qui gravitent partout autour. Cette même course se fend d'un autre exercice de style, très habile : les textures plaquées au mur des immeubles sont génialement ambigüs. A mi chemin entre les fenêtres et les circuits imprimés de cuivre. Elles jouent donc leur rôle premier, figuratif : de près, elles montrent des fenêtres, des murs ; mais, elles rappellent aussi, dans un second temps (et surtout lorsque l'on s'en éloigne) des éléments technologiques, normalement cachés au fin fond des appareils : des circuits imprimés. C'est vraiment très fort !

Version NGC : La course Aeropolis, en plus des écrans jaunes très épurés, on remarquera la sphère géante et les immeubles "circuits imprimés"

Et enfin, terminons par Port Town et le gars Rob : Il a une bonne tête, le vieux robot de plastoc, et tant pis s'il fait un peu mastoc, il s'intègre parfaitement dans le jeu, comme toutes les autres vieilleries du futurisme. D'ailleurs, dans le lointain de cette course, la plus grande régression de Rob c'est sans aucun doute son déplacement saccadé, ses mouvements robotiques sont vraiment caricaturaux. Et pour cause : au Japon, le jouet va bientôt fêter ses vingt ans.

Conclusion de la parenthèse sur le futurisme

Depuis que Rob a piqué les moustaches de Mario, il ne cesse d'imiter Roland Magdane

Le début de l'informatique et la carence technique qui en découle, se traduisaient visuellement par des unités élémentaires visuelles assez grossières : il y en a eu plusieurs, la plus évidente étant le pixel. En effet nous avions de grospixels sur nos écrans. Une autre unité élémentaire peut être le motif à cristaux liquides s'inscrivant dans une trame générale, et offrant à l'œil, là encore, de drôles de mosaïques, très contraintes par la technique. Enfin, citons aussi les gros polygones "fil de fer" à 4 ou 5 faces ou bien, plus anecdotiques, les vecteurs allégeant d'autant les calculs des processeurs (voir pour cela les explications de Laurent dans le dossier Vectrex).

Un pixel

Avec les progrès de la technique, toutes les unités élémentaires deviennent de moins en moins visibles, de plus en plus fines. Les pixels subissent un sérieux régime alimentaire ainsi qu'un pic démographique incroyable : ils mincissent et se multiplient. Les motifs 'cristaux liquides' sont, eux aussi, de plus en plus nombreux - augmentant ainsi le nombre de combinaisons, devenant bien souvent de petites lignes multiples, allant dans tous les sens, pour offrir ainsi plus de liberté - ils tendent même vers la transformation en de simples points. Enfin, de leurs côtés, les polygones se compliquent sans cesse, ils s'agglutinent et se lissent. Bref, quelles qu'elles soient, les unités élémentaires deviennent de moins en moins visibles... Sauf quand on veut suggérer ces unités. Mais dorénavant : C'est un choix ! D'ailleurs, d'autres passéismes se rencontrent encore, toujours volontairement : une certaine monochromie, la répétition d'un motif un grand nombre de fois etc.

Mais pourquoi suggérer visuellement ces éléments associés à une période de carence technique, alors que cette époque est totalement révolue ? Et bien paradoxalement, pour faire futuriste. Les exemples où le passé de l'informatique s'exposent l'air de rien (au détour d'un décor) se piochent à la pelle et presque uniquement dans les jeux futuristes, les jeux aux univers plus ou moins technoïdes. C'est paradoxal mais cela montre que cette époque, très tributaire de la technique, a créé de nouvelles sortes d'images. Celles-ci ont marqué l'œil des gens à jamais. Bien qu'elles soient vieilles, ces images sont associées à "l'idée dela technique", et cette même "idée de technique" est associée au modernisme et au futur. Grâce à l'intermédiaire "technique qui se voit" on forme une chaîne allant du Passé au Futur. C'est parce qu'il y a carence, et seulement pour cela, que la technologie se voit, que la technologie a une esthétique particulière. Sans carence : liberté totale, et donc pas d'identité visuelle. Alors, pour connoter un univers très futuriste, très technologique (nous ne sommes plus dans la logique mais dans l'effet visuel), on met une technologie qui se montre, qui se sent, on met des bouts de passé informatique. Et ça ne connote pas vieux, ringard, dépassé. Au contraire, ça ne sera jamais passé de mode, c'est infiniment moderne, intemporel. C'est notre Antiquité, à nous, les gens qui gravitent autour des images techniques. Moderne comme toutes les Antiquités. Et pour son identité visuelle, un jeu futuriste n'a pas besoin d'autres choses que de paysages modernes et intemporels.

D'ailleurs, dans les jeux futuristes, l'Antiquité, la vraie, et les éléments visuelles qui lui sont habituellement associées (obélisques, pyramides, sculptures primitives, pierres brutes...), se rencontrent, là encore, constamment - l'Antiquité est décidément indémodable et justifie, un autre paradoxe, la présence d'éléments historiquement aussi vieux dans un jeu censé se situer aussi tard. Et l'Antiquité, s'intègre même très bien. Elle ne dénote pas face aux autres éléments du décorum de ce genre de jeu, même si ces autres éléments sont nettement plus évidents : ils traduisent, en toute logique, un développement technologique. Et si certains sont optimistes, d'autres sont totalement pessimistes, cela va des grands immeubles bien calmes aux ruines les plus hostiles.

Enfin, et c'est valable pour toutes autres choses, chaque époque a eu son propre type de futurisme, ressemblant beaucoup à l'esthétique qui était alors d'actualité, mais transposé dans le futur. F-Zero ne doit pas faire exception à la règle (on se revoit dans 30 ans pour en reparler) mais surtout, F-Zero, le sait, et en joue en simulant, justement, un futurisme du passé. Il n'y a qu'a voir les vaisseaux, ces fers à repasser High Tech' joue à outrance la carte du Futur Old School. Et c'est l'ensemble visuel de la série qui est dans cet esprit. Un vrai parti pris : Les différents développeurs qui se sont succédés, semblent même s'être imposés de choisir un futur très "âge d'or de la BD américaine" comme pour mieux conjurer le fait qu'un jeu n'a pas vraiment la possibilité d'inventer un cadre visuel inédit pour suggérer son futur. Quitte à copier, la série préfère copier à outrance et choisi un des futurs les plus ringards qui soient, histoire d'être toujours un peu second degré, le look fiftees crée une distance critique.

Dans le futur, Calor de Braun diversifie ses activités et se lance dans la construction d'Hovercraft.
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