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Cinemaware
Alors que les fans de jeux rétro sont aux anges en voyant ce développeur légendaire faire son grand retour, revenons sur son parcours entre 1986 et 1991.

En 1988 toujours, Cinemaware lance le premier de ses jeux dont on va réellement parler en dehors des USA depuis Defender of the Crown : The Three Stooges. Le jeu s'inspire des aventures de Moe, Larry et Curly, trois frères vaguement clochards et un un peu crétins qui ont fait hurler de rire l'Amérique des années 40 avec une série de petits films comiques qui n'ont jamais traversé l'Atlantique mais ont tout de même donné à Iggy Pop le nom de son groupe dans les années 60.

Le jeu, sur la base d'un scénario maison (les 3 frères doivent trouver 5000$ en trois jours pour sauver de la fermeture un orphelinat, et participent à toutes sortes d'épreuves dont le but est de gagner de l'argent), constitue une sorte de "best of" des gags et des situations les plus célèbres du trio. Sans être Américain, le joueur verra donc lui passer largement au dessus de la tête une bonne partie du sel du jeu, mais dans l'ensemble The Three Stooges est un jeu hilarant et sympathique malheureusement engourdi par des accès disque longs et fréquents. Le comique "slapstick" est avant tout une affaire de rythme, et c'est ce qui manque le plus à The Three Stooges. Les petits jeux d'action qu'il contient sont jouables, mais ils durent très peu de temps, et cette fois les cinématiques intermédiaires ne suffisent pas à maintenir l'intérêt. Côté réalisation, en revanche, c'est une réussite totale qui met superbement en valeur le talent des graphistes de Cinemaware.

Les trois personnages principaux sont adorables, et leurs attitudes sont à mourir de rire, surtout lors de cette scène où ils se mettent des gifles à tour de bras (gag récurrent des Stooges) ou balancent des tartes à la crème à des hommes d'affaire en costumes. La bande sonore, qui marie des samples des films (comme "Don't worry 'bout it lady, we'll get the money and we'll get it quick !!" prononcé à 200 à l'heure !) et un arrangement rigolo du thème qu'on y entendait à chaque fois, est probablement l'élément le plus efficacement comique du jeu.

En résumé, en tant qu'Européen on est complètement largué car tout ça fait référence à une culture trop Américaine pour qu'on ait essayé de la faire partager à nos grands-parents, mais peu importe tant qu'on se tape bien les cuisses. A noter que le jeu est resté assez célèbre aux States pour apparaître dans le film L'Arme Fatale 3lors de l'allumage fortuit d'un PC par Mel Gibson (mais c'est la version Amiga que l'on voit sur l'écran). Du reste Gibson est un grand fan des Three Stooges et a produit un téléfilm biographique sur eux en 2000.

Lords of the Rising Sun (1989) revient au sérieux. Cette fois, il s’agit d’un Defender of the Crown transposé dans le Japon du 12e siècle. Le joueur incarne un personnage influent, choisi entre deux frères en début de partie, qui rêve de dominer tout le pays. Pour ce faire, il doit lever une armée, conquérir des territoires, prendre des villages et envahir des châteaux. La routine, quoi. Le menu principal propose de passer en revue ses troupes ou de partir dans une marche conquérante. Chaque territoire se gagne au prix d’une bataille qui donne lieu à une phase d’action. Le jeu ne propose rien de neuf, mais sa réalisation soignée parvient à convaincre, d’autant qu’il existe bien peu de jeux 16-bits occidentaux inspirés par la culture Japonaise qui proposent autre chose que des combats d’homme à homme.

Les bataille contre les troupes ennemis rencontrées en chemin se font par une vue aérienne lors de laquelle il est possible de diriger ses troupes au moyen de la souris. Elles suivent les mouvements du pointeur, attirées comme par un aimant. D’autres phases sont au programme, comme la défense de son propre château (on tire à l’arc depuis une fenêtre sur des soldats ennemis), l’attaque d’un château ennemi (des phases de jeu en vue aérienne à la Gauntlet), ou cette phase où l’on fait face à une attaque de ninjas qui évoque les bonus-stages de Shinobi (vue subjective dans un couloir, les ninjas sortent de diverses portes le long des murs et lancent des shurikens).

En cas de victoire sur une armée ennemie, une autre épreuve attend le joueur, cette fois en vue 3d isométrique, lors de laquelle il poursuit à cheval le chef vaincu qui tente de s’enfuir. Le jeu se contrôle entièrement à la souris, et en dehors des attaques de ninjas, très difficiles à contrer et qui peuvent être mortelles, tout est très jouable. Les sauvegardes garantissent la possibilité de toucher au but bout sans consulter une solution. (voir pour plus de détails l'article de Magma sur ce jeu).

Encore une fois, Cinemaware est salué pour son perfectionnisme, mais on commence à reprocher à ses jeux une certaine incohérence ludique et une trop courte durée de vie. A la fin des années 80, Les 16-bits, qui se sont imposés sur le marché de la micro et sont sur le point de le faire sur celui des consoles, proposent des jeux parfaitement maniables, dont les sensations sont proches de ce que l’on peut ressentir devant une borne d’arcade. Un gameplay approximatif est donc de plus en plus difficile à pardonner.

Cinemaware va alors redoubler d’effort, et tenter de pousser son système chéri, l’Amiga, dans ses derniers retranchements. Comme un Electronic Arts avant la lettre, c’est avec des simulations sportives que le studio entend s’imposer, tout en continuant en parallèle d'explorer la pop-culture des fifties. Deux jeux sont donc mis en œuvre : TV Sports Football, et It Came From The Desert. Pour ce dernier, reportez-vous à l’article que nous lui avons consacré. C’est une réussite magistrale, un des grands moments du jeu d’aventure sur 16-bits.

TV Sports Football, de son côté (sorti en 1990), entame de superbe façon une série de simulations sportives, en commençant par un sport auquel peu de passionnés de jeu vidéo ont alors pu se frotter : le football américain. Comme le titre du jeu l’indique, il s’agit non seulement de proposer une bonne simulation de football, mais en plus de restituer l’ambiance d’une retransmission télévisée d’un match. Le jeu débute par la constitution de l’équipe, dans un menu qui indique les différentes capacités des joueurs. Les noms de ces derniers sont ceux de célébrités du football légèrement déformés. Ensuite, le match commence, non sans avoir pu admirer une magnifique séquence d’introduction typiquement Cinemaware dans ses graphismes.

Le jeu s’avère très plaisant à jouer, même si chaque mise en jeu donne à choisir une stratégie parmi plusieurs dont tout le monde ne saura pas en quoi elles consistent au juste. La maniabilité est correcte, le scrolling fluide, et les graphismes superbes. Chaque touch-down donne lieu à une cinématique, ce qui permet de garder en permanence l’ambiance d’un match télévisé. Pour la première fois, Cinemaware réalise un jeu dont une seule phase interactive constitue l’essentiel. Les fioritures graphiques ne sont là que pour l’ambiance, et l’essentiel est dans le jeu effectif. C’est là la preuve de la capacité du studio à exceller même dans un game-design classique, éloigné de ses habitudes. Par ailleurs, TV Sports Football est un jeu incroyablement avant-gardiste, si l’on se réfère aux simulations sportives qu’Electronic Arts réalise aujourd’hui.

It came from the Desert, sorti à peu près en même temps, confirme que Cinemaware est capable de réaliser de vrais jeux, qui tiennent la route par leur seules qualités ludiques en plus d’être superbes et merveilleusement dépaysants. C’est l’apogée d’un studio dont chaque jeu est annoncé comme un événement. Un studio qui pourtant est proche de la fin. Les méthodes de travail imposées par John Cutter, basées sur une remise en question permanente et de longues phases de test avant lancement, et les écarts de Robert Jacob qui voit trop grand sont en train de mettre les finances de Cinemaware plus bas que terre. La mise en place d’équipes de développement de 12 à 15 personnes pour un seul jeu est bien trop coûteuse, même si elle préfigure ce qui se passera quelques années plus tard. Si Sega ou Konami peuvent se le permettre en 1990, s’adressant à un public avide de jeu vidéo, le marché occidental sur 16-bits est encore trop restreint et la plupart des jeux sur Amiga et ST sont encore développés par 3 ou 4 personnes au maximum.

Autre problème pour Cinemaware : son attachement trop marqué à l’Amiga, qui commence à fléchir à partir de 1989, avec l’arrivée des PC Engine et Megadrive. Cinemaware ne réussira jamais vraiment à briller sur un autre système, et surtout pas le PC de l’époque, support idéal pour des jeux comme Lords of the Rising Sun grâce à son disque dur et son mode VGA, mais encore peu répandu chez les joueurs. Evidemment, la question de s’associer avec un grand fabricant de consoles se pose, et des négociations ont lieu avec Sega et NEC. Ce dernier se montre plus offrant, et voilà Cinemaware parti pour adapter ses jeux sur la console Turbo Grafx (version Américaine de la PC Engine), mais celle-ci essuie un gros échec commercial aux USA, tandis que la Megadrive (Genesis) y triomphe. Finalement, seule la série des TV Sports sera adaptée sur Turbo Grafx, et une version shoot'em'up sur Megadrive de It came from the Desert sera tout de même réalisée. Ce mauvais choix portera un coup fatal à Cinemaware.

La suite de l’histoire comporte encore son lot de bons moments, et le moins qu’on puisse dire est que Cinemaware a su négocier une fin de carrière digne des grands, avec des jeux qui figurent parmi ses meilleurs. La série des TV Sports continue dans un premier temps, avec en 1990 TV Sports Basket Ball, TV Sprts Boxing et TV Sports Baseball. Seul le premier présente un réel intérêt, les deux autres étant baclés. Du reste, TV Sports Baseball n’est pas sorti aux USA et s’est vu distribuer par Mindscape.

Par contre il faut saluer les deux derniers gros titres de Cinemaware : Antheads et Wings. Antheads est la suit de It Came from the Desert. Là encore, se reporter à notre article sur ce jeu. C’est de nouveau une réussite totale, même si la formule n’est plus une surprise.

Wings est présenté par les gens de Cinemaware comme un "cadeau d’adieu à la communauté des joueurs". Cette formule n’est en aucun cas exagérée. Wings est un chef-d’œuvre, une pure merveille de design, l’aboutissement d’un savoir faire. Ce jeu met le joueur dans le blouson, l’écharpe et les lunettes d’un pilote de combat de la guerre de 14-18. Arrivé en France, il doit subir un entraînement avant d’aller affronter les Fokker sur le terrain.

Entièrement supervisé par John Cutter, le jeu débute par une cinématique montrant le premier vol réussi des frères Wright, considérés comme les premiers aviateurs de l’histoire. Sur un terrain verdoyant, une drôle de machine qui ressemble à un enchevêtrement de toiles et de pièces de bois muni d’un moteur s’élance, s’élève de quelques pieds, fait un vol d’une trentaine de mètres, et se pose en douceur. A côté, des hommes exultent, une musique martiale et fringante retentit, l’aviation est née. En incrustation une citation des frères Wright apparaît : "nous pensions que notre invention rendrait toute guerre virtuellement impossible". L’image cède la place à celle d’un biplan de combat en plein vol.... Fabuleux ! C’est l’une des intros de jeu vidéo les plus belles, émouvantes, et intelligentes jamais vues. Avec ça, inutile de préciser que le joueur est d’emblée conquis, et la suite ne va pas le décevoir.

Le jeu est entièrement chapitré comme un film muet du début du siècle, à savoir que les descriptions sont représentées par des panneaux qui apparaissent entre les séquences. C’est le personnage incarné par le joueur qui s’exprime, dit ce qu’il ressent. L’arrivée en France pour ce jeune Américain n’est pas facile à vivre. Le dépaysement qu’il ressent est palpable, surtout grâce à la musique qui prend des accent Français avec l’aide d’un accordéon, instrument très rarement entendu dans une musique de jeu sur Amiga !

Il faut d’abord créer un pilote, puis passer plusieurs épreuves visant à gagner ses "wings", ou galons de pilote combattant. Ce épreuves peuvent donner lieux à deux types de mini-shoot’em’up, en 3d isométrique à la Zaxxon, ou en vue verticale, ou en 3d avec le moteur graphique qui constitue l’attraction principale du jeu puisqu’on le retrouve par la suite dans les principales missions de combat d’un jeu qui en comporte plus de 300.

Dans ces phases 3d qu’aucun Amigaiste n’a pu oublier, la caméra est placée derrière la tête du héros, dont l’écharpe vole aux quatre vents. Les instruments de navigation sont bien sûr inexistants. Seul le vol à vue est de mise, et on comprend rapidement pourquoi le pilote avait la tête à l’air libre dans de tels avions, mais aussi pourquoi la caméra nous montre celui-ci. En effet, le seul moyen de se diriger est de suivre le regard du héros, qui peut observer les environs quasiment sur 360° et se tourne dans la direction où il se passe quelque chose, vers les ennemis ou la base une fois la mission accomplie et qu’il faut rentrer.

Les phases en 3d sont les plus rapides et maniables qu’on ait vues sur Amiga. Les graphismes des décors, en fil de fer "faces pleines", sont très honorables, les avions autres que celui du joueur sont très bien modélisés, et surtout les mimiques du pilote sont géniales, sans oublier les effets graphiques comme l’hélice qu’on voit tourner ou les impacts de balles et la fumée qui sort du moteur quand on est touché. La jouabilité est parfaite, et on se régale à enchaîner les missions, qui se résument presque toujours à abattre un certain nombre d’avions ou de Zeppelins ennemis avec l’aide d’un ou plusieurs pilotes alliés. A l’issue de chaque mission, on fait le compte pour savoir qui a abattu qui, et un bon nombre de victimes à son actif permet de prendre du grade et d’accéder aux missions supérieures.

On ne dira jamais assez à quel point Wings est un jeu attachant, beau, passionnant. Il aura fallu ça pour supporter par le suite une décennie sans entendre parler de Cinemaware.

Le jeu vaudra même à John Cutter d’être considéré comme un grand designer. Par la suite, il intègrera le studio Dynamix, dont les jeux sont assez proche de ceux de Cinemaware dans leur conception, et sera à l’origine du jeu Betrayal at Kondor, un remarquable RPG sur PC sorti en 1993. Lorsqu’en 2000 le très réputé magazine Américain Computer Game World établit son classement des 100 meilleurs jeux de tous les temps, Cutter se trouve être le concepteur de 5 d’entre eux.

Renaissance

Après Wings, c’est le black-out. Cinemaware disparaît, et se voit rangé parmi les reliques de l’ère Amiga. Il faudra attendre la fin du millénaire pour que le phénomène de l’émulation révèle que les joueurs n’ont pas oublié ce nom magique. Un site Cinemaware est lancé sur le net. On y trouve des infos sur les principaux jeux du studio, dans une ambiance rétro. Le succès obtenu par ce début de revival indique qu’une renaissance du studio pourrait être commercialement viable. Finalement, le 3 Septembre 2000, Lars Batista et Sean Vesce, deux anciens de Cinemaware qui ont par la suite travaillé pour Activision sur des jeux comme Mechwarrior 2 et Interstate 76, annoncent qu’ils reforment le studio.

Defender of the Crown : Robin Hood

Au menu : Des rééditions du catalogue Cinemaware dans des versions relookées sur PC, X-Box et PS2 et des adaptations plus fidèles sur les formats portables ou on-line : Game Boy Advance, Java, Wap et Flash. Le Cinemaware nouveau s’adresse donc essentiellement aux joueurs nostalgiques mais désireux de profiter des technologies modernes. Les versions Amiga et PC des anciens titres deviennent libres de droits, et on les trouve sur le site www.cinemaware.com.

Les nouveaux jeux annoncés sont Defender of the Crown : Robin Hood, un jeu nouveau inspiré de ce qui reste à ce jour le plus gros succès commercial du studio, des versions GBA de Wings et The Three Stooges, ainsi que des versions "remastered" des anciens classiques sur PC et Mac.

Wings sur GBA

Defender of the Crown : Robin Hood permet au joueur d’incarner Robin des Bois et comprend des phases en 3d. Le jeu est prévu sur PS2 et PC en février 2002. Defender of the Crown : Remastered Edition reprend le même gameplay que son illustre ancêtre, mais avec des graphismes et des sons correspondant à ce qui se fait aujourd’hui sur Mac et PC. Le même traitement sera réservé à The Three Stooges, et l’ensemble sera distribué en Europe par la société Allemande Blackstar. Wings et The Three Stooges sont annoncés sur GBA, et c’est là certainement l’événement le plus attendu de cette renaissance de Cinemaware.

Les versions "remasterisées" de Defender of the Crown et The Three Stooges

Tout ceci est trop frais, nous y reviendrons ultérieurement.... On peut tout de même déjà dire que les première captures d’écran laissent entrevoir quelque chose de magnifique, et totalement dans l’esprit des classiques du studio. Les sites rétro et les fans bavent d’impatience. Espérons juste qu’en cas de succès commercial massif on nous épargne certains abus.

Conclusion

Cinemaware mérite vraiment son statut de légende du jeu vidéo, malgré une production limitée en nombre de titres et l’intérêt pas toujours évident de certains. Ce qui frappe le plus quand on se penche sur le passé de cette société, c’est l’avance sur son temps dont elle a fait preuve dans son fonctionnement. Aujourd’hui, on peut aisément dire que beaucoup de jeux vidéo très importants sont conçus comme l’étaient les jeux Cinemaware. Des jeux, certes, mais qui pour l’ensemble sont parés des mêmes atours cinématographiques qu’un Defender of the Crown ou qu’un King of Chicago, ceux-ci ayant même dans certains cas tendance à nuire au plaisir ressenti par le joueur. C’est notamment le cas sur des hits comme Metal Gear Solid 2, dont la révélation finale provoque des réactions mitigées. Certains sont comblés par la somme audiovisuelle et narrative que représente le jeu, d’autres pestent contre le temps passé à regarder et écouter sans pouvoir vraiment jouer. Les jeux Cinemaware ont à leur époque suscité les mêmes discussions, et 15 ans après leur apparition, le magnifique effort créatif qu’ils représentèrent subsiste dans les mémoires, contrairement aux reproches sur le gameplay.

Laurent
(28 avril 2002)
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