Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Call of Duty
Année : 2003
Système : Mac OS X, Windows ...
Développeur : Infinity Ward
Éditeur : Activision
Genre : FPS
Par Thezis (16 septembre 2013)

Saving Private Ryan et sa médaille d'honneur

Lorsque Steven Spielberg lance la production de Saving Private Ryan, le film de guerre n'est clairement plus un genre en vogue à Hollywood. Peu importe pour le réalisateur américain, qui a donné à sa carrière une nouvelle orientation depuis La Liste de Schindler (1993), dorénavant tournée vers l'Histoire et en particulier l'Histoire américaine comme le montraient déjà La Couleur pourpre (1985) et L'Empire du soleil (1987). Décidé à faire œuvre pédagogique, Spielberg développe une imagerie forte pour rendre le choc et la violence de la Seconde Guerre Mondiale, pour témoigner de ce qu'ont enduré les vétérans américains. Véritable manifeste esthétique bouleversant et reformulant les canons du film de guerre, la première demi-heure dédiée au débarquement américain sur Omaha Beach propose une représentation inédite de la guerre et de sa violence. La mise en scène choisit de situer l'action au niveau du simple soldat en adoptant la vue subjective et les plans serrés. Elle invite comme cela le spectateur à ressentir l'intensité immédiate et bouleversante du combat. L'ennemi n'apparaît qu'à peine à l'écran – quelques ombres abattues à bout portant dans des échanges de coups de feu brefs – et sa présence se traduit seulement par les salves continues de tirs qu'essuient les soldats alliés dans leur progression. Les bruits du combat emplissent l'espace, se superposent les uns aux autres et produisent la sensation d'un mur sonore s'abattant sur le spectateur afin de l'immerger au cœur de la bataille. Le traitement sonore de la séquence se veut en parfaite concordance avec celui de ses images et plonge le spectateur dans le spectacle de la guerre sans lui laisser aucun répit. Ainsi, les couleurs des prises de vues ont été affadies et le nombre d'images par seconde a été volontairement diminué afin d'accentuer l'irréalité des mouvements et le sentiment de flou éprouvé au cœur de la bataille. Chaque image a été travaillée et retravaillée, usant d'effets visuels sanglants repris du cinéma gore pour servir un propos-choc. Le spectateur en ressort désorienté, estomaqué et paradoxalement... diverti. Si le film fait effectivement date et devient immédiatement un classique du genre, il véhicule une image ambiguë de la violence guerrière et de l'armée ainsi qu'un patriotisme sans nuance.

À droite, l'un des célèbres artworks de la série, tout en héroïsme.

Saving Private Ryan est produit par DreamWorks, la société fondée en 1994 par Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen. Conçue comme un studio multimédia dès sa création, elle comprend dès 1995 une branche dédiée aux jeux vidéo, DreamWorks Interactive. Éditeur de The Neverhood, DreamWorks Interactive réalise en interne l'adaptation officieuse du film de Spielberg. C'est d'ailleurs sous l'impulsion de celui-ci que la production du titre est lancée, le cinéaste en écrivant les grandes lignes. Il n'est pas le seul homme du septième art faisant partie de l'équipe puisque Dale Dyle, conseiller militaire, et Michael Giacchino, compositeur, sont aussi inscrits au générique. Nommé Medal of Honor, en référence à la plus haute récompense militaire américaine, le jeu sort sur PlayStation en 1999, une époque où les FPS sont pourtant réputés inadaptables sur console, et se révèle une énorme réussite critique et commerciale.

Le titre vous place dans les rangers du lieutenant Patterson, un soldat rapidement recruté par l'OSS, les services secrets américains, pour différentes missions effectuées derrière les lignes ennemies durant les deux dernières années de la guerre. Loué pour son réalisme et sa puissance cinématographique, le jeu est classé par de nombreux magazines comme l'un des meilleurs de la PlayStation (huitième meilleur jeu de tous les temps pour l'Official UK PlayStation Magazine et vingt-et-unième pour IGN) ! Le succès est tel que Medal of Honor devient le premier épisode d'une prolifique série : 16 épisodes et add-on en 13 ans !

Si DreamWorks Interactive s'occupe de la suite directe en 2000, dernier épisode réalisé par le studio avant le rachat par Electronic Arts, c'est à une équipe extérieure qu'est confié le troisième opus, exclusif au PC dans un cocasse retour aux sources pour un FPS appelé à devenir la nouvelle référence du genre. Étonnamment, alors qu'il s'agit d'une grosse licence pour son éditeur, le travail est confié à 2015, responsable jusque-là de trois FPS, deux jeux et un add-on qui ne sont pas restés dans les mémoires. Et pourtant, le résultat est excellent et va marquer le genre d'une pierre blanche : quoi que l'on puisse penser du jeu, il y a un avant et un après Medal of Honor : Allied Assault.

En effet, le titre réalise un très gros travail de mise en scène bien aidé par le moteur de Quake III qui offre un rendu graphique sans précédent. L'approche hollywoodienne de la série se développe pleinement et la scène du débarquement à Omaha Beach (tiens, tiens...) reste dans toutes les mémoires. Si le joueur incarne toujours un membre des services secrets américains et se voit surtout offrir des missions individuelles, 2015 ose aussi quelques scènes de combat en groupe même si le tout demeure assez peu naturel. Le jeu offre des phases d'affrontements plus longues, des déplacements à couvert sous le feu ennemi, une architecture travaillée des niveaux traversés... Il emprunte aussi à la narration d'Half-Life l'utilisation constante des scripts, jusqu'à rendre l'environnement moins dynamique mais le cheminement plus clair et linéaire, à tel point que l'espace se transforme souvent en longs couloirs dans lesquels les autres personnages ne sont pas seulement là pour incarner une menace à laquelle le joueur devra faire face, mais souvent pour jouer un rôle dans le récit. Ici, un médecin en train de secourir un blessé, là, un couard en train de pleurer, là encore, un soldat ennemi en pleine crise d'angoisse. À la manière d'une suite de saynètes, d'un enchaînement de petites représentations théâtrales non-interactives qui mises bout à bout dans l'espace traversé par le joueur produisent un récit de guerre et développent un discours sur l'héroïsme. Nous touchons ici au cœur du style 2015 : un recours continu aux situations scriptées et aux comportements pré-programmés. Abhorrée par les uns pour son absence de rejouabilité et son manque d'incertitude, portée aux nues par les autres pour sa grandiloquence cinématographique et le spectaculaire de sa mise en scène, cette technique possède cependant le mérite de construire un contexte narratif convaincant et inédit pour l'époque qui ne fait qu'intensifier les séquences de combats.

Un passage de l'extension "En Formation" (Spearhead, Electronic Arts Los Angeles), et un autre, cette fois de l'extension "L'Offensive" (Breaktrough, TKO Software).

Comme pour le premier épisode de la série, la presse est dithyrambique et loue le réalisme ainsi que l'intelligence artificielle des ennemis. On notera que la mise en avant de ces deux caractéristiques illustre un certain manque de recul et d'analyse de la part des spécialistes du jeu vidéo tant l'I.A. fonctionne surtout selon un grand nombre de scripts et le « réalisme » tient plus du spectacle que de la simulation... mais nous reparlerons de ce dernier point plus loin. Pour plus de détails sur Medal of Honor : Allied Assault, je vous renvoie vers l'article que Babos lui a dédié.

Call of Duty : Un nouveau départ ?

Jason West, Grant Collier et Vince Zampella.

Alors que sort Medal of Honor : Allied Assault en 2002, Vince Zampella, Jason West, Grant Collier et 22 autres membres de 2015, soit au total la moitié de l'équipe, quittent le développeur pour fonder un nouveau studio : Infinity Ward. Les raisons de ce départ demeurent peu claires. Certains évoquent la volonté d'Electronic Arts de confier les épisodes suivants de Medal of Honor à d'autres développeurs, d'autres parlent d'une offre d'Activision. En effet, même s'il est indépendant, Infinity Ward se met sur pied grâce à un contrat avec Activision, trop heureux d'accueillir des auteurs de son grand concurrent ainsi que leur savoir-faire dans un genre en plein succès. Très vite, un nouveau titre est mis sur pieds, Call of Duty. En parallèle au développement sur PC laissé à Infinity Ward, Activision achète auprès de Spark Unlimited, une équipe montée autour d'anciens développeurs des premiers Medal of Honor, un épisode dédié aux consoles Xbox, PlayStation 2 et Gamecube : Call of Duty Finest Hour/Le Jour de Gloire. Il sortira finalement à la fin de l'année 2004, en même temps que la version N-Gage développée par Nokia.

La version N-Gage, si elle est très réussie graphiquement, pêche par sa maniabilité pénible que ne rattrape pas un multijoueur à quatre.

Chez Infinity Ward, le développement se fait autour d'une équipe réduite, les 25 anciens de 2015, et est rapide, à peine plus d'une année. Le studio est aidé en cela par sa connaissance du moteur de Quake III, à nouveau utilisé ici. La musique, elle aussi, est l'œuvre d'un habitué du genre puisqu'elle est réalisée par Michael Giacchino, déjà au travail sur les deux premiers Medal of Honor et collaborant régulièrement sur des grosses productions hollywoodiennes. En 2003, constatant la qualité de l'opus PC finalisé, Activision achète le studio Infinity Ward, et donc la licence Call of Duty, pour un total de 5 millions de dollars. Une décennie et quelques milliards de dollars de chiffre d'affaire plus tard, impossible de ne pas y voir un sacré flair de la part de la boîte de Bobby Kotick, quoi que l'on puisse penser de ce polémique patron. Le jeu sort en octobre et est accompagné d'une conséquente campagne publicitaire.

Quand Call of Duty est publié en 2003, je le considère d'emblée comme un sous-Medal of Honor, avec les mêmes défauts et l'abondance des scripts qui rendent le tout si peu naturel, comme un théâtre géant qui offrirait une suite de saynètes dans lesquelles le joueur se balade. La démo ne me convainc d'ailleurs pas plus que ça. Deux ans plus tard, profitant d'une promotion sur la version deluxe vendue avec l'add-on, je me lance finalement. Dès la première mission commencée, on se retrouve en terrain connu, tout rappelle effectivement Medal of Honor : le moteur de jeu, les écrans de chargement, les armes américaines, les objectifs (détruire des canons de la DCA), la sempiternelle Normandie... Néanmoins, quelque chose de différent se faire sentir, comme une petite musique qui se jouerait en fond sonore. Et plus j'avance dans le jeu, plus celui-ci exprime sa singularité. En fait, avec ce premier épisode, c'est une nouvelle écriture du genre qui va s'imposer.

Utiliser Hollywood pour dépasser Hollywood !

Il faut dire qu'en nous plaçant dès le tutorial dans les rangers d'un parachutiste de la 101ème division, Call of Duty ne cherche pas vraiment à nous dépayser. Pourtant, dès cette introduction, le joueur attentif remarquera les petits détails qui annoncent la spécificité du jeu. En effet, l'instruction donne de nombreux conseils déjà entendus dans les pointus Close Combat (Atomic Games, 1996-2000) et Operation Flashpoint (Bohemia Interactive, 2001) mais qui détonent dans un jeu plus grand public : « N'avancez que d'abri en abri », « Tir de suppression puis contournement »... La maniabilité elle-même change avec un viseur qui s'élargit quand on se déplace et une arme à mettre en joue pour mieux viser, deux idées piochées auprès des simulateurs à nouveau et que tous les FPS/TPS adopteront par la suite. Tout simple aussi, le fait de pouvoir se pencher derrière un mur, possibilité héritée des FPS tactiques comme Rainbow Six (Red Storm Entertainment, 1998) et qui semble annoncer un gameplay plus complexe.

À gauche, un exemple de Shellshock.

Puis le jeu commence à proprement parler et le joueur retrouve un cadre habituel servi depuis des années : on saute sur Sainte-Mère-l'Église pour aller trucider du nazi ! Mais très vite, Call of Duty joue sa propre partition. Les balles font vraiment mal et obligent à bien se couvrir, ce qui occasionne un rythme à première vue plus lent mais surtout des situations souvent plus délicates. Voilà que je me lance à l'assaut d'un hôtel de campagne et qu'une explosion me projette à terre sans toutefois me tuer. Ralenti, désorientation, bourdonnement sonore... Tout un panel de sensations est alors simulé à l'écran pour tenter de reproduire le fameux « Shellshock » ou « choc de l'obus ». Whoua, ça c'est nouveau ! Et très représentatif de ce que le jeu va mettre en œuvre pour prendre le joueur dans son monde. La campagne américaine se déroule dans cet esprit, comme une suite de grands moments avec le sommet que constitue la traversée des lignes ennemies en voiture civile. Extraordinairement bien pensée pour être à la fois « too much » mais pour ne jamais faire sortir le joueur de l'histoire, cette séquence, qui tient finalement du simple rail shooting, fait passer son artificialité grâce à sa mise en scène et sa suite quasi-ininterrompue d'excellentes idées mises bout à bout.

Le menu du jeu change selon la campagne jouée, le genre de détail qui fait son petit effet.
Les deux missions du Pegasus Bridge s'inspirent d'une véritable opération à la réussite miraculeuse.

Après sept missions américaines, le jeu dévoile une autre excellente idée piquée à Operation Flashpoint : varier les points de vue en changeant les soldats jouables à travers trois campagnes différentes qui alternent les armées alliées. Vous jouerez donc un soldat américain puis britannique et enfin soviétique, ce qui permet de varier les armes, les situations et les contextes. De quoi proposer encore plus de diversité et de spectaculaire après tous ces jeux américano-centrés ! Et les séquences-choc ne manquent pas, avec pour chaque campagne un sommet comparable à la mission américaine en voiture. La prise du pont de Bénouville, dit « Pegasus Bridge », par les parachutistes britanniques tient en haleine tout au long de l'attaque et de la contre-attaque. Pour les Soviétiques, c'est le débarquement à Stalingrad, directement inspiré du film Stalingrad (Ennemy at the Gates, Jean-Jacques Annaud, 2001), qui enflamme la presse de l'époque par son intensité, même si cette intensité se retournera par la suite contre la série mais nous y reviendrons. Que la dernière mission du jeu soit une séquence soviétique et montre que la conquête de Berlin a été réalisée sans les Américains offre une toute autre image du conflit. Cette approche, qui valorise justement les multiples intervenants de la Seconde Guerre Mondiale, rappelant au passage que finalement les Américains ne l'ont pas gagnée à eux seuls, rend d'autant plus incompréhensible l'évolution idéologique de la série par la suite. Mais c'est une autre histoire pour un autre article, quand les autres épisodes auront été traités sur GrosPixels.

Mais la différence que met le plus en avant la campagne publicitaire de l'époque tient au nombre, au combat collectif : « Personne n'a jamais gagné une guerre seul »/« In war, no one fights alone ». En effet, le joueur est presque toujours accompagné par d'autres soldats qui n'hésitent pas à combattre et à foncer vers les ennemis ! Certes, ils s'arrêtent régulièrement pour ne pas vous laisser en rade, on ne sort jamais vraiment du côté artificiel de la chose, mais ils se révèlent étonnamment efficaces pour abattre vos adversaires. Cette caractéristique donne l'impression au joueur d'être un élément parmi une multitude d'autres dans le tumulte de la bataille, un homme dans un groupe de soldats qui avancent et combattent en fonction d'objectifs fixés par le commandement sans intervention du joueur. Comme si la bataille se déroulait avec ou sans lui. Ce théâtre fictif représentant la bataille en cours se déplace avec le joueur en même temps que ses « frères d'armes ». Ceux-ci montent à l'assaut dans un double mouvement d'aspiration (« Suivez-moi soldat ! ») et de mise en situation vraisemblable (« On va prendre cette position ensemble ! »). C'est-à-dire que le jeu utilise les mêmes éléments d'écriture pour à la fois créer un cadre crédible et immersif ainsi qu'un mouvement et un rythme. Il n'y a au final aucune interaction réelle avec les autres soldats mais simplement une remarquable mise en situation qui insuffle au genre un dynamisme nouveau.

Et c'est là que réside tout le génie d'Infinity Ward, toute la force de Call of Duty, dans une mise en scène extraordinaire et sans équivalent jusque-là. Ainsi, chaque mission est conçue comme une succession de moments forts pensés chacun pour déployer tout leur potentiel spectaculaire. Vous fuyez vers l'arrière pour aller chercher un bazooka ? Le tank qui vous poursuit va abattre le mur à côté duquel vous passez ! Vous quittez un camp de prisonniers après y avoir organisé une évasion ? Un compteur se déclenche pour vous mettre la pression avant l'arrivée des renforts ennemis !

Par son sens de sa mise en scène, la série Call of Duty rejoint la vision du combat développée par le film Saving Private Ryan : il ne s'agit plus de faire place nette, d'éliminer tous les ennemis à la manière des anciens films de guerre ou des premiers FPS, mais de survivre au chaos, d'avancer en tirant parfois sans réellement viser, en somme de s'en sortir sain et sauf comme de simples hommes sur un champ de bataille... Le game design montre bien cela avec l'utilisation de vagues infinies d'ennemis. Cette technique, presque archaïque à l'échelle de l'histoire des formes vidéoludiques, démontre bien que le titre vise moins le réalisme que les sensations ludiques. Ces ennemis infinis montrent bien que le cœur des FPS scriptés ne réside pas dans la maîtrise de l'espace par le combat, puisque le joueur ne sera jamais récompensé dans cette démarche, mais dans sa traversée ultra-rapide : « Avance ! ». Call of Duty n'est pas un FPS mais un « FPRunner ». En cela, il rejoint la frénésie des premiers titres d'arcade, les Berzerk (Stern Electronics, 1980) et autres Pac-Man (Namco, 1980). Outre ses qualités ludiques et l'aide d'un puissant marketing, le succès de la série découle sans doute de sa capacité à rendre avec violence une situation de danger, en éliminant tout repère, en limitant la profondeur de champ, en réduisant l'expérience à l'instant immédiat, au mouvement de panique, à une fuite en avant dans un foisonnement de sensations fortes.

Mais cet art de la mise en scène n'est pas sans poser problème. La mission du débarquement à Stalingrad, si encensée par la presse de l'époque, incarne bien cela. Tout d'abord, le spectaculaire de la séquence se paie d'une interactivité faible, le joueur n'a qu'à avancer en croisant les doigts pour éviter les balles. Ensuite, parce que chaque épisode suivant va devoir se lancer dans une escalade vers plus d'étincelles. Et cette course au spectaculaire d'année en année causera le vieillissement de ce premier épisode, pas tant en lui-même que par rapport aux suites toujours plus ébouriffantes.

Le réalisme, Medal of Honor et Call of Duty

Pendant de nombreuses années, Electronic Arts a vendu ses épisodes de Medal of Honoren vantant leur réalisme, surfant sur la popularité de Counter-Strike. Lançant sa série des Call of Duty, Activision a repris cette rhétorique et insisté pour rendre l'action la plus crédible possible. Et comme beaucoup d'autres jeux se déroulant durant la Seconde Guerre Mondiale, le premier Call of Duty est dédié aux soldats ayant combattu durant ce conflit. De plus, de nombreuses citations différentes viennent s'afficher à chaque mort du joueur, le plus souvent en référence au caractère tragique de la guerre. Nous pouvons donc lire Erasme (« La guerre est douce à ceux qui l'ignorent. »), Hérodote (« En temps de paix, les fils enterrent leurs pères. En temps de guerre, les pères enterrent leurs fils. ») ou encore Hemingway (« On écrivait jadis qu'il est doux et bienséant de mourir pour son pays. Mais dans la guerre moderne, votre mort n'a rien de doux et de bienséant. Vous mourrez comme un chien, sans raison valable. ») dans ce premier Call of Duty, comme d'ailleurs dans le premier épisode d'Operation Flaspoint, déjà évoqué ici.

Dessin de Nathan Fox.

La comparaison avec le titre de Bohemia Interactive nous éclaire sur la question du réalisme car elle montre bien au final, une fois le jeu achevé et digéré, que tout ce réalisme revendiqué par Call of Duty, ainsi que par les Medal of Honor d'ailleurs, tient du leurre. En effet, il n'est pas nécessaire dans le titre d'Activision de faire preuve de tactiques complexes, de tirs de couverture, d'attaque de flanc ; non tout cela participe à la mise en scène générale qui multiplie les astuces, les références cinématographiques mises au goût du jour et les idées de séquences spectaculaires pour masquer encore plus brillamment que ses aînés l'aspect très scripté et passif du déroulement de l'histoire. Bref, on l'aura compris, le réalisme tant vanté tient plus du crédible, du vraisemblable que de la simulation.

Mais en fait, pourquoi reprocher aux deux séries d'avoir tant vanté leur réalisme ? Après tout, ce n'est pas la première fois que le jeu vidéo nous fait passer des vessies pour des lanternes, rappelez-vous de chaque STR qui devait « révolutionner le genre » entre 1995 et 2005 ! La question importe toutefois, autant pour le gameplay que par ses implications morales. Mon hypothèse, c'est que les FPS scriptés ont embarqué avec eux l'idéologie guerrière tapie au sein des films, surtout Saving Private Ryan, dont ils s'inspirent. Il en résulte des jeux qui instrumentalisent l'Histoire au service d'un spectacle valorisant finalement la violence, dévoilant la guerre comme une succession de montagnes russes et valorisant l'armée de manière assez manichéenne. Bref, et c'est, je pense le cœur du problème du « réalisme » des FPS scriptés, leur spectaculaire, même armé d'intentions honorables, valorise la guerre plus qu'il ne la dénonce.

Call of Duty United Offensive : quand trop de spectaculaire tue le spectacle.

À noter qu'en 2004, Activision éditera un add-on pour Call of Duty appelé La Grande Offensive (United Offensive) et développé par Gray Matter avec l'aide de Pi Studio. Réalisé avec soin, cet opus propose des batailles encore peu vues ailleurs et très bien rendues graphiquement. Il ose aussi quelques nouveautés mais se veut surtout très respectueux du rythme de Call of Duty. Rythme tout orienté vers le spectaculaire, un peu trop d'ailleurs avec l'abus de vagues d'ennemis infinis, de séquences de défense tirées par les cheveux et d'explosions en tous sens. Mais globalement, La Grande Offensive vaut l'investissement. Dommage qu'il n'ait jamais été portée sur consoles au contraire de l'épisode réalisé par Infinity Ward en 2009. Disponible avec les éditions collector de Call of Duty : Modern Warfare 2 ou directement achetable sur le XBLA et le PSN, ce premier opus, renommé Call of Duty Classic, est la transposition telle quelle de la version PC par le développeur Aspyr. On remarquera que la barre de vie a été conservée ainsi que les medikits mais pas la possibilité de sauvegarder quand et où on le souhaite.

Succès populaire et critique, obtenant 90 fois le titre du « jeu de l'année » et 50 fois celui de l'« Editor's Choice Awards », Call of Duty aura fait découvrir aux joueurs une qualité d'immersion et de rendu de scènes crédibles poussées au maximum de leur potentiel spectaculaire. Bref, toutes les leçons de Half-Life sur la puissance narrative et immersive des FPS couplées au sens du rythme et du spectaculaire hollywoodiens.

Thezis
(16 septembre 2013)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Alexis Blanchet pour sa relecture d'un article à paraître sur les rapports entre Call of Duty et le cinéma.
- L'excellent article du défunt Barre de vie.
- Le wikia Call of Duty.
- GenGAME, Jeuxvideo.com, Map Mod News, Mobygames, Wikipedia.
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(35 réactions)