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Le 5ème Axe
Année : 1985
Système : MO5 ...
Développeur : Loriciel
Éditeur : Loriciel
Genre : Action
[voir détails]
Par Sebinjapan (19 avril 2010)

Gare à vos têtes, l'univers bascule !

Telle est la formule qui nous accueille dans ce jeu, programmé par les frères Didier et Olivier Guillon, à une époque lointaine où des petits génies de l'informatique peuvent encore développer des softs dans leur coin, afin d'illuminer les yeux de milliers de passionnés. En effet, Didier l'ainé est étudiant alors que le cadet Olivier est encore lycéen lorsqu'ils s'attaquent au développement de ce soft, qui a marqué les mémoires des joueurs français de tous poils. Pourtant, ils ont déjà une certaine expérience de la programmation vidéo-ludique et une reconnaissance dans le milieu en cette année 1985 : l'éditeur parisien Loriciels leur demande d'adapter leur hit Vega sur l'ordinateur en vogue du moment : le Thomson MO5.

VEGA : un jeu d'action nerveux sur Commode 64.
Le MO5 : une machine qui fait rêver les élèves de CM2, mais pas les instituteurs censés apprendre à s'en servir ...

Sachant pertinemment que le fleuron de l'industrie française ne sera pas en mesure de reproduire l'animation de Vega et que l'adaptation se fera au rabais, les frangins Guillon refusent. Mais ils ne peuvent ignorer l'opportunité qu'ils ont de développer sur une machine très bien implantée sur le marché français : suite au plan IPT lancé par le gouvernement, le MO5 a envahi les foyers et un bon jeu d'action (chose très rare sur la machine) fera forcément un carton commercial.

Ils se mettent alors à développer un autre jeu qui leur est inspiré par une particularité du MO5 : ce dernier permet en effet de gérer de manière indépendante 2 plans à l'écran, l'un en noir et l'autre en couleur. Les frangins Guillon comptent exploiter cette fonction afin d'obtenir un personnage noir bien animé se déplaçant devant un plan coloré, ce qui aboutira, ils l'espèrent, à un jeu d'action satisfaisant.

Un univers de SF aux multiples influences

Il ne reste plus qu'à mettre leur futur hit en situation. Passionnés de science-fiction, ils élaborent avec talent un scénario riche en références à leurs œuvres fétiches. L'univers du jeu est ainsi présenté sous forme de fichiers informatiques auquel le joueur peut accéder après un premier chargement du programme.

Une "vidéo-lettre" pour plonger le joueur dans l'univers du 5ème Axe.
Quelques articles bien intéressants.

On y apprend l'histoire du professeur Gern B. Dick qui, en 2410, est parvenu à mettre au point une machine à voyager dans le temps dans son laboratoire situé sur un satellite artificiel orbitant autour de la planète Saturne, et dans lequel travaillent des cyborgs chargés de l'assister.
Malheureusement, après quelques expériences pendant lesquelles le professeur récupère des objets de différentes époques pour les étudier dans son laboratoire, la machine explose et ses morceaux, appelé Anachronons, se retrouvent éparpillés dans 10 lieux et époques différentes. Conséquence quelque peu malheureuse : la trame spatio-temporelle se retrouve perturbée et risque de provoquer l'anéantissement de l'univers !
Le professeur Dick met donc au point une seconde machine à voyager dans le temps, qui devra être utilisée d'une part pour renvoyer les objets disposés dans le laboratoire vers leurs époques respectives, et aussi pour récupérer les anachronons dans ces mêmes époques. Mais la tâche ne sera pas aisée : les cyborgs qui travaillaient aux cotés du professeur sont devenus fous et menacent de tuer quiconque s'approchera. Ce sera donc au joueur, combattant d'élite, de s'acquitter de la tâche.

Mais pour bien mettre les joueurs dans l'ambiance, et parce que l'univers du 5ème Axe sorti de l'imagination des frères Guillon méritait d'être plus développé, les fichiers mis à disposition incluent des articles, encore une fois truffés de références aux œuvres de grands écrivains de la science-fiction comme Asimov, Dick ou Barjavel, mais aussi débordant d'humour. Ainsi l'article de "Art et décoration du satellite" n'hésite pas à fustiger le laboratoire du professeur en le décrivant comme ne possédant aucune préoccupation esthétique et manquant singulièrement de couleurs subtiles, ce qui est peut être une critique déguisée des auteurs envers les capacités du MO5 ! Notons également l'interview du psychiatre du héros qui met bien en avant ses tendances suicidaires ! Pas de doute, on va mourir une paire de fois avant d'atteindre la fin de ce jeu !

Mais avant de parler de la fin, commençons par le début...

Créer son héros

Une fois que le joueur a terminé cette lecture fort agréable, le programme reprend son chargement et on arrive sur un nouveau menu qui permet d'abord de nommer son héros, puis de lui attribuer des points dans 3 attributs de la plus haute importance : la force, l'agilité et la vitalité.

Le menu pendant lequel on peut écouter le même air de musique classique déjà utilisé dans Vega, mais ici péniblement restitué par le MO5.
Un choix qui aura des conséquences certaines sur vos chances d'arriver à la fin du jeu.

La vitalité influe sur les points de vie du héros, et la force sur sa capacité à infliger des dégâts à ses ennemis. Ahhh, le 5ème Axe est un jeu de rôle alors ? Non, on est bien dans un jeu d'action, mais gardez à l'esprit que la force diminue à chaque fois que vous frappez tandis que vous perdez des points de vie si vous chutez de deux étages ou plus. L'attribut d'agilité détermine non seulement la vitesse de déplacement du héros mais aussi - surtout - la longueur de ses sauts. On verra plus tard qu'il n'y a pas de formule idéale, mais il est important de bien choisir en fonction de sa façon de jouer.

Une fois préparé, on pénètre dans le laboratoire du professeur Dick.

Un miracle technique sur MO5.

La revue "Art et décoration du satellite" n'avait pas menti : il est en effet peu orthodoxe, ce laboratoire de 16 étages parsemé de trous béants et d'ascenseurs aux couleurs criardes. Si les graphismes ne sont pas ce qui s'est fait de plus beau sur un micro-ordinateur 8 bits, il faut tout de même reconnaitre que la sobriété de l'ensemble permet une lisibilité parfaite et que les différents sprites sont finement dessinés.

On commence donc à arpenter les étages et dès les premiers pas on reste bouche bée : l'animation du héros est d'un fluidité jamais vue sur un Thomson MO5, et peut-être même sur n'importe quelle autre machine à l'époque. Même si l'animation du sprite rappelle l'excellent Impossible Mission de Epyx sorti sur Commodore 64 un an avant, elle est ici bien plus détaillée. Notre personnage s'élance en effet à grandes enjambées avec l'agilité d'un félin, ses bras effectuant un mouvement de balancier pendant sa course, et lorsqu'il bondit, c'est tout son corps qui reproduit à merveille le geste. Face au premier cyborg qui croise notre route, on déverse bientôt une furie de coups de poings et de coups de pieds, eux aussi parfaitement reproduits.

C'est bien calme ici...
Ils sont tous venus, ils sont tous là !

En 1985 c'est vraiment bluffant. Il faudra attendre 1989 et le mythique Prince of Persia pour voir une animation encore plus impressionnante d'un sprite dans un jeu 8 bits. Et après avoir explosé notre premier adversaire, nouveau choc avec le cri que pousse ce dernier : un cri métallique, inhumain, sorte de déchirement de l'acier, son unique et puissant qu'un Ben Burtt aurait pu inventer pour un film Star Wars. Un son inoubliable pour les possesseurs de MO5.

Un bon coup de poing en pleine course...
... suivi d'un coup de pied faisant exploser le cyborgdans un cri d'agonie.

Plus impressionnant encore est le scrolling faisant défiler l'écran tandis qu'on sprinte dans le laboratoire : il est certainement ce qui s'est fait de plus fluide et de plus rapide (à l'exception du shoot-them-up Alienator sorti tardivement) sur un micro-ordinateur de la marque française.

La mission.

Mais assez rêvassé devant tant de délices techniques 8 bits ! C'est qu'on a une mission à accomplir. Il nous faut en effet récupérer de nombreux artefacts issus d'époques lointaines qui sont dispersés dans les couloirs du laboratoire / labyrinthe (un laboryntoire ?). Blason venant du moyen-âge, disquette de données récupérée dans le futur, ou calices issus de l'antiquité seront quelques-uns des trésors à collecter pour qu'ils soient plus tard ramenés à leurs époques respectives.

On trouvera également d'autres objets aux formes géométriques : ce sont des clés qui permettent d'actionner à des endroits précis un champ de force qui déplace le héros au-dessus des fameux trous qui ont transformé le labo en gruyère. S'il est possible de sauter par-dessus certains d'entre eux, en fonction des points répartis dans la compétence agilité au début du jeu, d'autre nécessiteront obligatoirement l'utilisation d'une clé pour être franchis afin de peut-être atteindre un nouvel ascensseur et progresser toujours plus haut en quête de nouveaux objets. Les ascenseurs justement sont placés à plusieurs endroits de chaque étage, et sont de largeurs diverses rendant leur emploi plus ou moins compliqué, selon qu'on est en pleine course ou au milieu d'un combat.

De nombreux objets à ramasser.
Passage au-dessus d'un trou en utilisant une clé.

Et bien entendu, on croise également les fameux cyborgs devenus fous du professeur Dick. Ces derniers sont de plusieurs types et toujours composés de 2 blocs mis l'un sur l'autre. Le bloc supérieur, qui représente un homme, un oiseau, un dragon ou d'autres formes étranges, définit la force et la résistance d'un cyborg. Le joueur apprendra vite, souvent à ses dépends, que le dragon est particulièrement dangereux ! Le bloc inférieur représente les capacités de déplacement du cyborg, c'est à dire sa vitesse et, dès le second niveau, la possibilité de voler au dessus des trous.

Je vous prends l'un après l'autre !
Avec ces deux là, ce sera plus difficile...

En haut de l'écran se situe un indicateur de pourcentage de 5ème Axe. Lorsqu'on détruit un cyborg ou que l'on ramasse l'un des objets issus d'une autre époque, ce compteur augmente. Tous les 10%, la machine à voyager dans le temps du professeur Dick se met en marche et le héros est projeté dans une autre époque ou il doit récupérer un anachronon.

Voyage dans le temps

Les escapades dans d'autres époques se traduisent par une phase d'action ou l'on se déplace de gauche à droite, et où il faut éviter divers obstacles qui peuvent se situer au niveau des jambes, du corps, ou de la tête du héros. Il faudra réagir en conséquence et sauter, frapper ou s'abaisser. Afin de négocier au mieux ces obstacles, il est possible de ralentir ou d'arrêter sa course, mais attention car le temps est compté et chaque collision fait perdre de précieuses secondes. Ainsi dans l'Égypte des pharaons il faudra frapper ou éviter des lances ; dans les rues de Paris des années 80, on nous jettera des couteaux tandis qu'il faudra sauter par-dessus des plaques d'égouts ; tandis qu'au Moyen-Âge des hallebardes venant de face et des rochers tombant du haut de l'écran seront les dangers à négocier. Dix époques devront ainsi être traversées au cours de l'aventure, nous emmenant dans des temps et des décors variés, mis en valeur par des motifs de circonstance apparaissant dans deux petites frises encadrant l'écran de jeu.

Petit florilège d'époques à traverser :

Une fois l'anachronon récupéré, on revient dans le labo et on continue sa cueillette des objets et le « défouraillage » de cyborgs. Mais le jeu devient de plus en plus dur...

Techniques de jeu

Comme on l'a vu au début de cet article, le joueur est amené à répartir des points dans plusieurs caractéristiques de son héros. Si l'agilité a été privilégiée, alors le joueur pourra avec facilité sauter par-dessus les trous pour accéder plus facilement et plus rapidement aux objets à ramasser, tout en évitant soigneusement les affrontements avec les plus dangereux cyborgs afin de préserver sa vie. Si au contraire, on a investi dans la force, on pourra alors se jeter poings en avant sur le premier tas de ferraille passant à sa portée au détriment de la quête d'objets. Des styles de jeu assez différents sont donc possibles, ce qui est assez rare pour un jeu de cette époque. Cependant, on s'apercevra vite que c'est un mélange des deux qu'il faudra adopter pour s'approcher du succès de sa mission. Il va falloir devenir un prédateur de cyborgs afin d'en éliminer le plus possible en préservant sa force (qui je le rappelle décroit à chaque coup porté) et sa résistance.

Et pour cela de multiples techniques existent. On pourra donc arriver derrière un cyborg à proximité d'un trou et l'y envoyer mourir d'un direct du droit bien placé. Malheureusement, de nouveaux cyborgs ayant la capacité de voler au dessus des trous vont faire leur apparition, et deviendront de plus en plus nombreux et de plus en plus rapides au fil de la progression du joueur. Le jeu va alors devenir frénétique et nous obliger à esquiver les cyborgs les plus dangereux, en sautant dans un trou ou en s'échappant avec un ascenseur, tout en continuant à chasser les cyborgs les plus faibles pour augmenter son pourcentage de 5ème Axe.

Il faudra également maîtriser la technique de frappe en pleine course, qui non seulement inflige plus de dégâts, mais en plus permet de repousser le cyborg au loin afin de reprendre encore de l'élan et d'éviter de se retrouver pris en tenaille entre plusieurs ennemis.

Un cyborg envoyé dans un trou.
Là, ça se complique...

On s'aperçoit donc que le 5ème Axe est un jeu qui présente un gameplay particulièrement profond pour un soft de 1985, permettant au joueur de s'améliorer à chaque partie tandis qu'il affine ses techniques et apprend à reconnaître les différents types de cyborgs, tout en se familiarisant avec l'emplacement des ascenseurs et trous faciles à négocier à chaque étage.

Le 5ème Axe : à classer dans le Top-5 des meilleurs jeux français ?

Au sein de la production de jeux sur micro-ordinateurs Thomson, le 5ème Axe est un OVNI : une animation rapide, une action trépidante, un gameplay profond, un univers SF développé... Ce sont des caractéristiques qu'on trouvait rarement au milieu des ludo-éducatifs développés en basic qui pullulaient à l'époque sur ces machines. Mais en plus que marquer les possesseurs de MO5, MO6 et autres TO8, le 5ème Axe fut une référence du jeu d'action qui a su s'imposer grâce notamment à l'animation ultra-détaillée de son héros, chose exceptionnelle à l'époque.

Tous les anachronons sont éliminés.
The End ! Ah bin oui, vous vous attendiez à quoi ? Une cinématique en images de synthèse ??

Quand on évoque la grande époque de la "french-touch" dans les jeux vidéo, on repense à Another World, Alone in the Dark ou l'Arche du Captain Blood. Mais les frère Guillon ont eux aussi su imposer le savoir-faire français en matière de jeux video avec ce 5ème Axe d'une part, mais aussi avec leur production suivante, une aventure préhistorique nommée Sapiens...

Les autres versions :

L'année suivante, le 5ème Axe est sorti sur Amstrad CPC et sur Commodore 64. La version Amstrad, quoique la plus fidèle des deux adaptations, se démarque sur plusieurs points.

Le 5ème Axe sur Amstrad CPC.

Tout d'abord, et c'est regrettable, tous les textes et faux articles de journaux décrivant l'univers du jeu ont disparu. Ne possédant pas l'original, j'ignore s'ils étaient inclus d'une manière ou d'une autre à la notice du jeu : si ce n'est pas le cas, c'est bien dommage.

Ensuite, on remarque que la musique lors de l'intro est différente : il s'agit d'une composition originale de Gilles Soulet, dont la mélodie dynamique et l'instrumentation bien choisie en ont fait un classique de la machine. On la retrouve avec plaisir pendant le jeu lui-même. C'est d'ailleurs toute la partie sonore qui est ici un cran au dessus du MO5 avec de plus de nombreux bruitages absents de la version originale.

Les graphismes ont eu aussi subi une "amélioration" avec la présence de motifs sur les murs du labyrinthe. Le résultat, plutôt criard, nous fait regretter la sobriété de la version Thomson. Et enfin, l'animation se révèle un peu moins rapide que sur MO5 (si si). Malgré le parti-pris graphique qui ne plaît pas à tout le monde, cette adaptation est tout aussi plaisante à jouer.

Le 5ème Axe sur Commodore 64.

Les graphismes ont encore une fois été revus pour la version Commodore 64, apparemment uniquement disponible en langue anglaise (tandis que les versions CPC et Thomson semblent uniquement disponibles en version française, ce qui semble évident pour la seconde mais a dû priver la première d'une carrière internationale amplement méritée).

Les décors du laboratoire sont détaillés et variés d'un étage à l'autre ; mais le résultat donne un écran surchargé et dont la cohérence graphique est peu évidente. Les passages transportant le héros à une autre époque sont ici différents : le principe reste identique mais les obstacles à éviter sont disposés différemment. Ainsi le premier voyage nous demande d'éviter des rochers tombant du haut de l'écran en lieu et place des lances qui venaient de la droite : cela se révèle plutôt soporifique comparé aux séquences originales.

L'animation du héros quand à elle se trouve être plus lente que dans la version CPC, elle-même plus lente que la version MO5. Mais le plus gros problème ici provient d'une jouabilité en demi-teinte avec des coups qu'on peine à sortir au bon moment en pleine course pour infliger de gros dégâts aux cyborgs.

Même si elle reste de bonne facture, cette version C64 est clairement moins agréable à jouer que ses deux consœurs. En revanche, la machine de Commodore se démarque une fois de plus musicalement avec le même thème que sur CPC mais orchestré avec de meilleurs instruments, et la présence d'une seconde musique inédite pendant les voyages dans le temps.

Sebinjapan
(19 avril 2010)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Le site de Didier et Olivier Guillon : http://www.myriad-online.com/fr/index.htm
- Sur le blog du même site, l'entrée à propos du 5ème Axe : http://www.myriad-online.com/cgi-bin/blog/blog.pl?n=1149606933
- Transcription des documents consultables en début de partie du 5ème Axe : http://www.myriad-online.com/images/blog/5eme%20axe.html

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