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The 11th Hour
Année : 1995
Système : Mac, Windows
Développeur : Trilobyte
Éditeur : Virgin Interactive
Genre : Aventure / Puzzle
[voir détails]

Penny Dreadful

Nous somme en 1995, 60 ans après les dramatiques événements survenus dans The 7th Guest. Vous incarnez Carl Denning, journaliste d'investigation pour l'émission TV "Case Unsolved". L'histoire débute tandis que la productrice de l'émission, Robin Morales, est portée disparue. Apparemment, Robin menait une enquête pour un futur épisode de Case Unsolved : plusieurs cas de meurtres et autres disparitions auraient eu lieu récemment dans la région de Harley-on-the-Hutson, et Robin aurait elle-même disparu tandis que son enquête l'avait conduite jusqu'à un manoir abandonné, ayant jadis appartenu à un certain Henry Stauf.

Carl se sent fatalement touché par la disparition mystérieuse de celle qui, il y a peu, était sa petite-amie en plus d'être sa collègue (situation qui mena, justement, à leur rupture). C'est alors qu'on lui livre un étrange petit paquet. A l'intérieur, il trouve un PDA, qui lui montre une vidéo de Robin, vraisemblablement retenue captive, et qui supplie pour qu'on lui vienne en aide. La vidéo montre aussi le manoir... Carl décide de s'y rendre. Après un long voyage à moto, il arrive à la nuit tombée sur le porche du manoir Stauf, et s'y introduit avec pour tout bagage son PDA (qui va vous servir d'interface), une lampe de poche, et ses neurones. C'est ici que vous prenez la main.

Les différentes cinématiques que vous découvrirez au fil du jeu racontent plusieurs sous-intrigues parallèles, agrémentées de flashbacks, et de flashbacks dans les flashbacks. Ajouté à plusieurs ellipses, et des rebondissements assez maladroits, cela n'aide pas à en faire un résumé. Mais je vais tâcher de faire au mieux en racontant tout de façon chronologique, depuis l'arrivée de Robin à Harley-on-the-Hutson, plusieurs jours avant son enlèvement.

Robin, donc, est à Harley-on-the-Hutson pour enquêter sur la vague de meurtres qui secoue la ville depuis quelque temps. Elle fait connaissance avec Eileen Wiley, serveuse dans un petit restaurant local, et pourvue d'une main artificielle. Lorsque Robin lui explique qu'elle aimerait en savoir plus sur le manoir Stauf, l'attitude d'Eileen change. Cette dernière explique qu'elle est allée au manoir Stauf, il y a des années de cela, et qu'elle y a perdu une main suite à la terrible morsure d'un chien. Robin n'est pas vraiment convaincue par l'histoire du chien, et sent qu'Eileen cache quelque chose... Parallèlement, on découvre la fille d'Eileen, prénommée Marie. C'est une jeune femme manipulatrice et dangereuse. Au terme d'une escapade en pleine nature avec un homme marié prénommé Chuck, elle donne à ce dernier la mission de tuer un innocent et d'emporter son corps jusqu'au manoir Stauf... De son côté, Robin continue d'enquêter sur les différentes disparitions. Elle fait connaissance avec le chef de la police locale, Jim Martin. Robin et Jim sympathisent, visiblement sensibles aux charmes l'un de l'autre. Grâce au policier, Robin rencontre le docteur qui avait soigné la main d'Eileen à l'époque, et obtient la confirmation qu'une telle blessure n'a pas pu être provoquée par un chien. Plus important, elle apprend qu'une autre personne se trouvait avec Eileen au manoir Stauf cette nuit-là : Samantha Ford. Issue d'une famille influente, sa présence au manoir fut étouffée... Prochaine étape pour Robin, interroger Samantha. Robin lui rend donc visite et découvre une femme à la fois obsédée et terrifiée par le manoir Stauf, qu'elle surveille sans cesse depuis sa demeure isolée.

Cliquez ici pour faire apparaître le reste de l'histoire [NB: cet encart contient des spoilers]

Après une réticence presque hostile, Samantha confesse l'horrible vérité à la journaliste : alors adolescentes, Samantha et son amie Eileen sont venues dans ce manoir abandonné pour y retrouver deux garçons. Mais une fois sur place, elles furent attaquées et violées par une force invisible. Samantha est d'ailleurs persuadée qu'il s'agissait de la maison elle-même. Et c'est en tentant de fuir qu'Eileen fut blessée, non pas par un chien, mais par la grille extérieure qui, animée d'une volonté propre, se referma sur sa main au point de la lui arracher... Puis Eileen et Samantha tombèrent enceintes. Terrifiée à l'idée de ce qu'elle pourrait enfanter, Samantha se fit avorter, mais une infection due à l'opération la priva de l'usage de ses jambes. Eileen, elle, décida de garder l'enfant, surtout par peur de l'avortement. Ainsi naquit Marie, pour qui l'adjectif 'démoniaque' prend tout son sens...

Marie apprend vite que Robin est au courant de la vérité, et voit désormais la journaliste comme une sérieuse menace. Elle persuade son amant Chuck de se débarrasser d'elle. Chuck s'introduit donc dans la chambre de Robin pour l'assassiner. Mais tandis qu'il croit l'avoir poignardée dans son sommeil, il réalise qu'il vient en fait de tuer le chef Martin (oui, les choses sont clairement devenues plus intimes entre la journaliste et le représentant des forces de l'ordre). Pris de panique, Chuck emporte le corps jusqu'au manoir, où il rencontre Stauf et une certaine Julia Heine (l'une des invitées de The 7th Guest, désormais fantôme à la solde de Stauf). Visiblement déçu par l'erreur de Chuck, le duo se moque de lui, puis le tue sans autre forme de procès.

Robin décide de tirer une fois pour toute les choses au clair et se rend au manoir. Sur place, elle est victime de plusieurs visions du passé et autres tourments chers à Stauf, puis finit par rencontrer le maître des lieux. Stauf lui explique alors que les meurtres sont nécessaires pour nourrir la maison. Il fait ensuite une proposition à Robin, lui promettant de combler son plus profond désir. Robin ressent un certain intérêt à l'idée d'être un jour la présidente de sa propre chaîne de télévision.

Après avoir appris la disparition de Robin, Carl se rend au manoir (cf. la cinématique d'intro, décrite en tête de ce chapitre), et devient le nouveau jouet de Stauf, expérimentant plusieurs phénomènes étranges et autres visions fantomatiques tandis qu'il résout un par un les puzzles imposés par Stauf... A la fin du jeu, tandis que Carl approche du but, Samantha se révèle à lui via le PDA. Elle lui apprend que c'est elle qui l'aide depuis le début en lui fournissant un maximum d'informations pour résoudre les énigmes de Stauf et sauver Robin. Elle admet toutefois qu'il est maintenant trop tard, que Robin est déjà perdue, et qu'il doit fuir. Mais Carl s'entête, et se retrouve confronté à Stauf, qui, bon joueur, improvise une parodie de jeu télévisé au terme duquel trois choix s'offrent au héros. Il doit choisir parmi trois portes, chacune menant vers l'une des femmes de cette histoire (et accessoirement vers l'une des trois fins possibles du jeu). Qui Carl va-t-il écouter ? Robin, qui lui jure qu'elle l'aime toujours ? Samantha, persuadée que Robin est perdue et qu'il faut fuir le manoir et le détruire ? Marie, dont Stauf, perfide, vante l'appétit sexuel ?

- Marie : Clairement pas le meilleur choix au vu des événements précédents. Et effectivement : Carl se laisse séduire par Marie, mais c'est Stauf qui apparaît à la place de la jeune femme... On retrouve plus tard Marie et Stauf, au cours d'un diner dont on comprend qu'il s'agit des restes de notre imprudent héros...
- Robin : Carl est venu pour une seule raison, il veut sauver Robin... Après une longue ellipse, on apprend qu'ils se sont mariés tous les deux. Mais Carl a ensuite disparu pendant leur lune de miel. Son corps a été retrouvé dans la rivière de l'Hutson. Robin, entretemps, est devenue la nouvelle présidente de "Stauf Broadcasting System"...
- Samantha : la "bonne" fin. Après qu'il a choisi Samantha, une ellipse amène Carl chez elle. Ensemble, ils assistent via les écrans de contrôle de Samantha à la destruction du manoir Stauf, en proie aux flammes. Comme pour consoler Carl, Samantha affirme que Robin s'est condamnée à la seconde où elle a montré de l'intérêt envers la proposition de Stauf...

« Back for more ? »

Dans The 11th Hour, il y a tous les aspects propres à The 7th Guest, auxquels se sont greffées plusieurs nouveautés. Peut-on en déduire que cette suite est comme l'original, mais en mieux ? Eh bien, c'est un petit peu plus compliqué que ça. Un certain nombre de changements sont bienvenus sur le papier, mais malmènent la cohérence globale du jeu. Par exemple, le changement le plus frappant tient dans les cinématiques. Avec The 7th Guest, le point de vue du joueur ne changeait jamais. Le jeu optait pour une vue subjective, les cinématiques se déclenchaient en toute fluidité, sans coupure, à la manière d'une pièce de théâtre (point de vue fixe, aucun montage). La narration semblait parfois un peu décousue, mais le tout s'incorporait bien dans le jeu. En revanche dans cette suite, les vidéos sont de vrais petits films, indépendantes de l'environnement ingame. L'histoire étant essentiellement basée sur les péripéties d'un autre personnage, on a vite l'impression de jouer à un jeu d'un côté, et de regarder un film de l'autre. Et pour les quelques passages mettant en scène notre personnage, passer de la vue subjective à la vidéo en 3ème personne casse l'immersion et empêche de s'identifier à lui.

Concernant les performances des acteurs, on évite le sur-jeu volontaire du premier opus (hormis peut-être pour Henry Stauf, mais c'est aussi le personnage qui veut ça). A la place, on bénéficie d'acteurs qui, sans être remarquables, font le job. A deux exceptions près : les deux personnages principaux. Le paradoxe, c'est que d'après IMDB, la plupart des membres du casting ne sont quasiment connus que pour ce jeu, alors que Suzy Joachim (Robin) et Douglas O'Keeffe (Carl) sont des vétérans du cinéma et de la télévision. Bien qu'ils n'aient jamais eu que des rôles très secondaires, on les retrouve dans de nombreuses productions, parmi lesquelles Meurtre à la Maison Blanche, Johnny Mnenomic, 24 Heures Chrono pour lui, et Souvenirs de l'au-delà, X-Files, Les vies rêvées d'Erica Strange pour elle. Bref, ce sont de "vrais acteurs". La piètre performance de Douglas O'Keeffe n'est donc absolument pas pardonnable ! Amorphe du début à la fin, il va vous faire regretter l'approche hystérique de The 7th Guest. Certaines scènes en deviennent gênantes, comme lorsqu'il tente de toucher l'épaule d'un personnage et passe au travers : il devrait être au minimum très étonné, sinon effrayé, de découvrir l'existence des fantômes (a fortiori la nuit dans un manoir abandonné, point central d'une série de meurtres et disparitions inexpliquées). Au lieu de ça, on dirait qu'il vient de découvrir qu'une chaussette a disparu dans sa machine à laver. Difficile de savoir si l'acteur n'en a rien à faire, ou s'il est mal dirigé, ou les deux. Ceci dit, comme pour le premier opus, j'ai envie de pointer du doigt l'équipe de tournage. Quand on voit à quel point les séquences ont été filmées au mépris des inévitables contraintes technologiques (résolution, etc.), et à quel point de nombreuses scènes sont incroyablement mal éclairées, il n'est pas impensable que les acteurs aient pu être dirigés avec le même manque de sérieux.

deux modes d'affichage pour les cinématiques, à choisir dans les options du jeu

The 11th Hour propose deux types d'affichage pour les scènes cinématiques : le plein écran, et un affichage plus petit, incrusté dans une image de gamepad (un peu à la manière du super Game Boy sur SNES). L'affichage en petit ne fait qu'1/4 de la surface de votre écran. Quand à l'affichage plein écran, il a malheureusement un effet scanline typique des productions de l'époque, qui permet aux vidéos d'être moins gourmandes en mémoire, mais noircit une ligne sur deux (ce qui revient à diviser la luminosité par deux) et affadit les couleurs...

Les énigmes

Cet aspect du jeu a lui aussi évolué depuis l'épisode précédent. On distingue désormais trois types de casses-têtes :

1. Le jeu de piste

Tout d'abord, et c'est une nouveauté, Stauf vous communiquera régulièrement via votre smartpho PDA (bienvenue en 1995) une énigme, dont la solution correspondra à un objet caché quelque part dans le manoir, et sur lequel il faudra cliquer pour obtenir l'énigme suivante. L'idée est intéressante, mais attendez-vous à faire chauffer vos neurones. Il s'agit souvent d'anagrammes, de jeux de mots, d'association d'idées, voire d'un mélange des trois. L'ensemble est particulièrement obscur pour quiconque ne maîtrise pas l'anglais (et plus précisément l'américain). Quelques exemples ?

  • "Put an olive in a stein, mix it up, and get the equivalent of a fool's London subway". Celui-ci peut se résoudre de 2 façons, chacune confirmant l'autre : premièrement, Stauf nous incite à 'mixer' les mots olive et stein, autrement dit à trouver un anagramme : television. Ensuite, le métro londonien est surnommé le tube, et le mot fool (ignorant, imbécile) peut avoir comme équivalent/synonyme booby (nigaud), ou plus familièrement boob. Or "boob's tube" est une expression américaine pour désigner la télévision. Il ne vous reste plus qu'à trouver une télévision dans le manoir...
  • Parfois, certains messages sont codés, par exemple avec les touches d'un clavier, décalées d'un cran ('hello' s'écrirait 'gzkki').
  • L'indice "500=100" vous mettra à la recherche d'un CD (en chiffres romains, 500=100 donne D=C, autrement dit D is C. Disc).
  • L'indice "Light piece from a great orchestra" devra être lu littéralement (Lumière, morceau de great orchestra. autrement dit torch)...

Oui, il va vous falloir penser à toutes les options pour résoudre les énigmes. Et la barrière de la langue peut vite devenir un problème. Du coup, si vous ne maîtrisez pas l'anglais, cette chasse au clic va vite ressembler à un obstacle qui empêche de jouer aux 'vrais' puzzles et de voir les cinématiques. Ces énigmes sont clairement une fausse bonne idée. Elles cassent le rythme du jeu, nous obligent à abandonner l'ambiance "maison hantée" pour plonger le nez dans un PDA virtuel à chaque nouvelle énigme de Stauf... On notera au passage que The 11th Hour a été intégralement traduit en français (funfact : Stauf est doublé par Laurent Ruquier. Oui, c'est encore plus pénible que ça en a l'air). La localisation adapte les jeux de mots et permet à l'ensemble de conserver son côté tordu, tout en devenant accessible aux francophones. La VF n'est à ce jour (2017) pas disponible à la vente sur les sites de jeux dématérialisés, et il vous faudra dégoter les 4 CD originaux pour jouer dans la langue de Molière. Et même là, faire tourner le jeu correctement sur un PC récent ne sera pas forcément chose aisée. (Pour ma part, bien qu'ayant précieusement conservé mon exemplaire de l'époque, je me suis simplifié la vie en rachetant le jeu en version téléchargeable à bas prix pour faire les captures d'écran de cet article).

Comme il n'y a pas de Game Over, rien ne vous empêche de cliquer au hasard sur tous les objets du manoir si l'envie vous en prend, mais à chaque erreur, Stauf se moque de vous en voix-off. Drôles dans un premier temps, ses très nombreuses moqueries deviennent rapidement agaçantes, et vous vous surprendrez vite à effectuer un clic droit pour lui couper la parole et continuer vos investigations tranquillement. De toute façon, vu que les objets cliquables sont nombreux, et qu'une fois que vous aurez trouvé le bon, il vous faudra en chercher un autre à l'aide d'un nouvel indice, la technique du 'clic au pif' n'est pas du tout payante...

Cette chasse au trésor va déverrouiller automatiquement de courtes saynètes en FMV, généralement dépourvues de contexte : ici une personne entre dans un restaurant, là un inconnu se fait tuer... L'idée est d'intriguer le joueur en lui donnant un bref aperçu de la longue cinématique qui le récompensera à la fin du chapitre en cours (on va en reparler plus loin).

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