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Way of the Samuraï - La Série
Année : 2002
Système : Playstation 2, Playstation 3, PSP, Xbox 360 ...
Développeur : Acquire
Éditeur : Eidos Interactive
Genre : Aventure / Action / RPG
Par Tama (21 novembre 2016)

Avant-propos

Parler de Way of the Samuraï, c'est avant tout plonger dans une période faste, entre 2002 et 2012, où a fleuri un sous-genre : le jeu d'action open-world sur consoles. Le PC perd de plus en plus l'exclusivité du genre, car les consoles de salon de cette génération embarquent suffisamment de puissance pour donner naissance à des mondes de plus en plus vastes. Il me paraît très difficile d'être passé à côté du phénomène qu'a représenté GTA III à sa sortie par exemple. Et un peu comme tout le monde, j'ai tenté le coup... pour constater avec une relative amertume que les open-worlds et moi, on n'était pas copains.

GTA 3 et Fable ont dû être mes deux premiers jeux open-world sur console. Je n'en garde pas un souvenir impérissable, malheureusement : je ne sais pas s’il est possible de finir le premier sans tricher, et le second se noyait dans ses possibles non réalisés.

Ce n'est pas qu'une histoire de mauvais timing, de rendez-vous manqué. Étant amateur de jeux d'aventure et d'exploration, la promesse d'un monde ouvert regorgeant de possibilités aurait dû me parler et me parle encore aujourd'hui. Il m'a fallu jouer, jouer encore, et réfléchir à cet échec, avant de comprendre pourquoi je semblais passer à côté d'une telle occasion. Et aussi pourquoi, au fur et à mesure de mes recherches et des hasards, j'en suis venu à jouer à une série sur les samouraïs que j'adore aujourd'hui. Le fruit de mes réflexions s'oriente autour d'un axe principal, celui du centre d'attention.

Le choix, lié aux actions du joueur, est toujours au centre de toutes les réflexions des développeurs de jeux vidéo. Mais leur importance continue encore aujourd'hui d’être de véritables casse-têtes. Le joueur de jeux vidéo n'a de cesse, tout au long de la partie, d'avoir un impact sur son environnement. Quand on s’occupe du game-design, on est bien obligé de se demander ce que va faire le joueur à l'instant T, dans le lieu L : va-t-il suivre le chemin tracé ? Sera-t-il assez curieux pour parler aux personnages qu'il croisera ? Ou au contraire, est-ce qu'il va tout ignorer et foncer en ligne droite ? Est-ce qu'il va essayer de sauter par-dessus le talus pour voir ce qu'il y a derrière (indice : il n'y a rien...) ? Passera-t-il les dialogues à toute vitesse parce qu'il se fout pas mal des malheurs de ces pauvres villageois harassés – quand il n'essaiera pas carrément de les tuer en mettant de grands coups de masse ?
À ses tout débuts, le média n'était pas tant concerné que ça, mais au fur et à mesure que les limites techniques furent repoussées, les ambitions des développeurs de jeux ne cessèrent d'augmenter, se rêvant par-là conteurs, égaux des troubadours et surtout des réalisateurs de cinéma. Le jeu vidéo s'est fait tout naturellement plus complexe, plus bavard...et dans ces récits interactifs, la place du joueur a été sérieusement remise en question. Plus on veut raconter une histoire, plus il faut que le joueur l'écoute : donc il faut trouver un moyen pour que ce dernier se taise, qu'il pose son épée ou sa mitraillette quelques temps, afin de lui transmettre ce qu'on a à dire.

Les RPG les plus anciens, ou les jeux d'aventure comme Zelda, ouvraient leur environnement en utilisant les limites techniques comme un interrupteur activant l'imagination. Ainsi, l'impression d'ouverture se basait surtout sur ce qu'on ne voyait pas – encore. Et la simple définition d'open-world peut être malléable en fonction du genre : Streets Gangs était très ouvert pour un beat'em all !

Plusieurs solutions furent proposées : récits linéaires, choix de dialogues, narration environnementale, textes audio lus en temps réel... Or les jeux vidéo ne répondaient par là qu'à une seule partie de la question, celle de la place du joueur dans le récit, acteur, spectateur, ou quelque part entre les deux. Ils en oubliaient la seconde, celle de son impact, qui lui ne changeait pas.
Qu'on lui laisse le champ libre ou que l'on lui « vole » ses moments de jeu via des cinématiques, le joueur restait au centre de la narration et du jeu à proprement parler : c'était lui le héros – ou antihéros, c'était autour de lui que se structurait le jeu, le récit, le dénouement de l'histoire. Sans lui, jamais le monde ne serait sauvé. Sans lui, jamais le monde ne serait à sa merci. Le grand méchant (qui a certainement des raisons très nobles de vouloir asservir l'humanité...) n'allait pas se vaincre tout seul ! Les mondes grandissaient, s'ouvraient inexorablement, mais continuaient à tourner invariablement autour du joueur, véritable centrifugeuse à captiver l'attention.

« Sans joueur, il ne peut pas y avoir de jeu », tout comme avec un livre, un film, etc. C'est normal, et les jeux vidéo se sont construits autour de cette logique, celle de border le joueur pour ne pas qu'il s'en aille. Seulement, à force d'avoir peur de le blesser, le jeu vidéo a fini par s'enfermer dans une logique de bienfaisance et ne plus vouloir explorer d'autres voies, qui auraient pu être, par exemple :

  • Sans jeu, il n'y a pas de joueur.
  • Un jeu, sans le joueur.
  • Le jeu et le joueur ensemble, qui s'influenceraient mutuellement.

Les possibilités me semblent infinies, compte tenu de la relative jeunesse du média. Malgré sa croissance, ses évolutions, le jeu vidéo ne continuait de marcher qu'à cloche-pied. Il fallait que le joueur, même bousculé ou nargué, se sente chez lui. Rien ne devait le faire dévier de son chemin de grandeur, même si celui-ci porte parfois les oripeaux du mal et de la décadence. Même dans les mondes les plus ouverts, il doit pouvoir s'autoriser quelques « écarts de conduite » comme une mise à sac, un carnage de piétons en voiture sur le trottoir, des meurtres totalement gratuits en place publique, sans que cela ne l'empêche d'atteindre son but premier.
Le sens des responsabilités n'est pas franchement à l'ordre du jour dans le média, et quelque part tant mieux. Les jeux les plus linéaires, s’ils proposent l'avantage de pouvoir contrôler ce sale gosse indiscipliné, ont l'inconvénient de le faire se sentir à l'étroit, ce qui a fini par se voir alors que les consoles et PC proposaient des spécifications techniques de plus en plus brillantes. Le joueur en avait marre d'être le centre de l'attention dans des couloirs, il fallait aussi qu'il le soit dans de grandes arènes, de grandes villes, au sein de la planète, de l'univers entier.

Sleeping Dogs et Kingdom of Amalur auraient pu être deux jeux susceptibles de me taper dans l’œil. Encore une fois je suis passé à côté. Dommage, j'aime beaucoup les films d'action H.K !

Je ne remettrai pas en cause le bien-fondé de l'abreuver de liberté. Moi aussi, j'aime qu'un jeu me caresse dans le sens du poil. La question que je me pose, c'est toujours la seconde partie de la problématique, celle de l'impact. Le joueur restait toujours le soleil autour duquel tournent les astres. Alors, est-il possible de faire en sorte que le joueur se mette au service du jeu et de son environnement ? Un jeu vidéo est-il capable de proposer un gameplay qui fasse sentir que même sans joueur, le monde continuera de tourner ?
Certains jeux, comme les MMORPG, ont répondu à cette problématique à leur propre manière, qui est la démultiplication des dits joueurs. En effet, plus on ajoute de décideurs, d'acteurs et plus on dilue leur impact à l'échelle individuelle. Ce qui les pousse à travailler ensemble et à s'allier en groupes, en guildes, en raids gigantesques, qui eux-mêmes n'ont d'impact que sur le joueur, et non pas sur l'organisation du monde virtuel.

Ce sont des réponses parmi d'autres. Le studio japonais Acquire, lui, en propose une autre.

Fondée en 1994, cette société japonaise s'est fait connaître 1998 en créant Tenchu: Stealth Assassins sur Playstation, un jeu d'infiltration dans lequel le joueur incarne un ninja dans une époque féodale. Mélange de discrétion, d'habileté, de créativité et de mythes et légendes japonaises, Tenchu a remporté un franc succès qui continue encore aujourd'hui. À l'époque, la réussite des deux premiers épisodes permet à Acquire de se lancer dans un projet plus confidentiel sur une Playstation 2 encore jeune et avide de jeux. C'est ainsi que la série de jeux d'action Way of the Samuraï naîtra en 2002.

Au moment où sont tapées ces lignes, la série compte quatre épisodes, deux sur PS2, et deux sur XBOX 360, PS3 et PC. Si elles diffèrent bien évidemment par leur aspect technique et les différents ajouts, on retrouvera des éléments essentiels qui les démarqueront de toute éventuelle (et peu nombreuse) concurrence. Leur structure consiste moins en un monde ouvert, mais en de petites zones interconnectées par l'espace et le temps qui passe, et dans lesquelles vous pourrez faire des actions qui pourront avoir un impact significatif sur la suite et le dénouement de l'histoire – car les jeux ont de nombreuses fins différentes. Ce n'est pas, comme les jeux ouverts modernes de 2016, une grande autoroute à plusieurs voies qui mènent à une seule sortie, mais plusieurs sentiers forestiers qui aboutiront tous à des endroits sensiblement différents.
On y incarne toujours un rônin, samouraï errant sans maître à servir, dans un Japon traversé par des changements politiques et sociaux profonds, parfois brutaux. Mais surtout, ils s'illustrent par leur construction du récit allant à l'encontre de ce que fait le jeu vidéo. Si on garde la structure classique d'une histoire introduction / élément perturbateur / résolution, le héros de jeu est le personnage principal amené à traverser ces trois étapes, jusqu'à la fin de l'histoire qui lui est contée. Mais Way of the Samuraï renverse aussi la perspective en ne mettant pas le joueur dans la peau de celui qui résout les problèmes, mais bien dans le rôle de l'élément perturbateur du récit ! Vous n'êtes pas que celui que tout le monde attendait, mais celui dont personne n'avait prévu la venue, la variable foireuse au sein d'une équation parfaite, la mouche dans le gâteau d'anniversaire, le grain de sable dans la mécanique d'horloger. Ce positionnement se traduit dans toute la série par trois faits marquants.

Premièrement, votre errance vous amène systématiquement au sein d'une agglomération régie par des relations de pouvoir bien établies. Trois groupes de personnes se disputent la main-mise sur tout ou une partie des lieux. Cette lutte (qui peut être ouverte ou tacite) oppose en général :

  • Les dépositaires légaux du pouvoir actuel. Ils peuvent être des légats, des policiers ou encore une famille ancestrale et influente.
  • Un groupuscule dissident. Bandits, voleurs, futurs yakuza, ce sont dans tous les cas des rebelles réfractaires à l'ordre établi défendu par le premier groupe, avec lesquels ils finiront (si ce n'est pas déjà fait) par déclarer la guerre.
  • Le peuple. Des gens normaux, des paysans, petits commerçants, qui tentent de vivre leur vie comme ils le peuvent, sous la pression des deux autres groupes qui les rançonnent régulièrement, quand ils ne sont pas tout simplement victimes de violences.

Que cette situation pour le moins tendue soit récente, ou au contraire profondément ancrée dans la vie quotidienne depuis des décennies, elle est amenée à changer incessamment sous peu car, deuxièmement, quelque chose est sur le point de se produire. C'est en général un événement grave, comme un conflit ouvert entre les factions, et qui va se passer peu de temps après votre arrivée en ville. Il faut bien comprendre que, quoi que vous fassiez ou ne fassiez pas, cet événement se produira. Ce n'est pas quelque chose d'anormal ou de soudain, mais bien la goutte d'eau qui fait déborder le vase, une poudrière trop remplie où on a enfin allumé la mèche. C'est le cours normal et violent des choses, et votre place là-dedans reste à déterminer : allié des uns, ennemis des autres, ou encore spectateur indifférent ? C'est là encore la conséquence des actions que vous accomplirez au cours des jours précédant l'incident. Que vous soyez là ou non, rien n'y changera... en revanche, vous pourrez peut-être influer sur le déroulement et les dégâts que tout ceci causera. Mais ce n'est pas comme si qui que ce soit attendait monts et merveilles de vous. Et pour cause...

Enfin, et troisièmement, quel que soit l'épisode, le Japon que vous visiterez est en période de paix nouvelle et chèrement acquise. Plus personne n'a besoin de guerriers, et les nouveaux sabres sont la plume et les réformes politiques. Vous êtes un des derniers vestiges d'une caste à l'agonie, car les samouraïs ont perdu tous leurs droits et privilèges ! Ainsi, et depuis longtemps, les mythes et légendes accompagnant ceux qui suivaient le Bushido ont été battus en brèche. On ne vous voit plus comme un sur-homme sauvant la veuve et l'orphelin, se contentant de repas frugaux et d'un ascétisme martial loin des tentations matérielles, mais bien au contraire comme une brute, un meurtrier, un mercenaire sans foi ni loi s'offrant à la bourse la plus remplie ou au chef de guerre qui crie le plus fort. L'heure de gloire est terminée, les samouraïs sont à ranger à côté des mauvais souvenirs que le peuple tente d'oublier. On vous méprisera, trouvera très louche votre port du sabre pourtant prohibé, on vous reprochera la mort de dizaines de familles désormais incapables de manger à leur faim, et on vous proposera les travaux dignes d'exécuteurs de basses besognes.
Ceci étant dit, le nom de la série a son importance et celui-ci n'est jamais choisi au hasard ! « Way of the Samuraï », la voie de celui qui suit le Bushido. Peut-être que, parmi ceux qui ne vivaient que par le sabre et ont terni le nom de cette caste, vous serez celui qui redorera le blason, ou mieux encore, celui qui incarnera le trait d'union vers cette nouvelle ère de paix ! Ou alors vous serez tout autre chose, c'est à vous de décider, en n'oubliant pas que la marche de l'Histoire n'attend personne et ne se souvient que des grands noms.

Je clos cet avant-propos pour présenter un manga, nommé Tokyo Toybox et sa suite Giga Tokyo Toybox. On y suit les (més)aventures de Tenkawa Taiyô, créateur de jeux et président du studio G3, tellement obsédé à ré-inventer la roue à chaque jeu qu'il en oublie les délais, les bonnes relations au sein de l'équipe et les pénalités de retard. La raison pour laquelle je le mentionne est que le récit a été inspiré (librement) du studio Acquire lui-même ! Les auteurs sont allés interviewer les développeurs de la série et en ont extrait des moments de vie et des anecdotes pas piquées des hannetons...On peut le deviner à plusieurs reprises, notamment quand on se rend compte que la série fétiche crée par Taiyô, nommé « Samuraï Kitchen », ressemble quand même beaucoup aux Way of the Samuraï ! En fait, je ne peux pas m'empêcher de trouver que les déboires traversés par le studio G3 font écho à ce qu'a pu vivre Acquire tout au long de leur carrière... en tous cas, je recommande chaudement.

Sur ce, place aux jeux eux-mêmes, et à Way of the Samuraï, premier du nom.

Les quatre épisodes ont été localisés en Europe, mais le quatrième a été laissé en anglais. Les trois premiers ont les textes intégralement en français. Pour la piste audio, le premier n'a pas de doublages, le deuxième est doublé en anglais, et les deux derniers ont un double-audio anglais/japonais.
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