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Saturday Morning RPG
Année : 2014
Système : Mac, Windows
Développeur : Mighty Rabbit Studios
Éditeur : Mighty Rabbit Studios
Genre : RPG
Par Odysseus (24 mars 2014)

Distribué dans la plus stricte confidentialité, au grand regret de ses auteurs, Saturday Morning RPG est un jeu de rôle atypique à plus d'un égard. Baignant dans un univers retro-nostalgique particulièrement imprégné par la pop-culture américaine des années 80, sa structure et son orientation sont pourtant celles d'un jeu de rôle japonais. Comment un tel mélange des cultures a-t-il pu se mettre en place sans risquer d'y laisser des plumes ? Plus encore, de quelle façon cette collaboration, que certains considéreront à tort comme contre-nature, a-t-elle pu donner un aussi bon résultat ? C'est ce que nous allons tenter de comprendre.

Tell me doctor, where are we going this time ?

Notre paisible héros ne se doute pas un instant qu'à son réveil, être en retard au lycée sera le dernier de ses soucis.

L'aventure débute au milieu des années 80 lorsque Marty, un lycéen sans histoires, s'endort paisiblement dans sa chambre en laissant la télévision allumée. Dans son sommeil, notre héros rêve. Le voici projeté dans un monde régit par un terrible génie du mal, le Commandant Hood, qui dirige une gigantesque armée d'une main de fer. Mais même sous un gilet pare-balles bat un petit cœur, lequel se languit dans sa solitude. Aussi décide-t-il d'enlever Samantha afin de l'épouser. C'est sans compter sur Marty qui est secrètement amoureux de sa jolie camarade de classe. Ni une ni deux, notre héros fonce à sa rescousse ! Hélas, la seule volonté ne fait pas tout et Marty se retrouve au tapis en quelques secondes... Alors que tout semble perdu, un mystérieux personnage appelé « le Sorcier » fait son apparition. Équipé d'un Power Glove, ce mage d'un nouveau genre propose son aide à Marty en lui offrant un objet magique fabuleux : un cahier de texte.

Oui, là, comme ça, on a vu mieux question artefact prodigieux aux pouvoirs millénaires. Mais attendez un peu la suite.

Ce cahier de texte, en plus de contenir diverses notes sur la quête de notre héros, permet de coller sur sa couverture des badges magiques qui vont lui conférer le pouvoir de chaque objet imprimé sur l'image ! Mieux encore, Marty peut désormais utiliser comme une arme destructrice tout objet à sa portée, qu'il s'agisse d'un compas, d'un avion en papier, d'un jouet « Transformers » ou d'un ballon de basket.

À gauche, le commandant Hood et ses troupes viennent de s'emparer de Samantha. L'inspiration de l'univers de GI Joe est évidente, d'autant que le commandant Hood n'est pas sans rappeler le Cobra Commander, chef sans pitié des vilains de la célèbre série animée.

Grâce à ces objets et à ses nouvelles compétences, Marty va pouvoir sauver Samantha in extremis, en pleine cérémonie de mariage, quand soudain... Le voici qui se réveille.

Mais très vite, ce qui ne semblait qu'un rêve devient petit à petit réalité, à commencer par le fameux cahier de texte qu'il retrouve au pied de son lit. Car comme tout génie du mal qui se respecte, le commandant Hood a décidé de se venger et a infiltré le monde réel ! Marty va alors commencer une grande quête pour tenter de faire échouer les multiples plans diaboliques du commandant Hood et de ses sbires, lesquels ont infiltré toute la ville en se fondant dans la population. Qui va donc croire notre héros déjà bien peu populaire ? À qui va-t-il pouvoir faire confiance ? Les cadeaux du Père Noël que le commandant a volés seront-ils retrouvés à temps ? Vous en saurez plus en lisant la suite de cet article !

Fabriqués dès la fin des années 70 par la société Mead, ces cahiers de texte (Trapper Keeper) sont rapidement devenus extrêmement populaires chez les écoliers américains, et ce jusqu'à aujourd'hui. Si leur conception pratique explique en partie ce succès (beaucoup d'adolescents utilisent le rabat pour y glisser leur magazine préféré qu'ils lisent discrètement durant les cours), ce sont surtout les couvertures très variées de ces cahiers de texte qui vont faire l'essentiel du travail. Car si certaines sont des créations originales, beaucoup s'inspirent de différentes licences, qu'il s'agisse de dessins animés, de films ou même de jeux vidéo. Mieux encore, certaines éditions permettent de retirer l'illustration de couverture et d'y glisser une autre, faite maison. De nos jours, les anciennes éditions, les plus rares, sont l'objet d'un véritable marché entre collectionneurs.
Autre phénomène de mode typique de cette époque, les Scratch'n Sniff. Il s'agit de petits autocollants illustrés qui, une fois grattés, dégagent l'odeur liés à leurs illustrations respectives. Apparus sous cette forme à la fin des années 70, ces petits autocollants furent initialement conçus pour permettre à la population de reconnaître l'odeur de certains gaz en cas d'attaque soviétique.
Durant toute la décennie des années 80, la société Creative Teaching Press fait le bonheur de millions d'écoliers américains qui, à la manière de nos cartes Panini, s'échangent leurs doublons et les collent sur leur cahiers de texte. En parallèle, divers petits badges adhésifs développés par la concurrence font leur apparition. Ceux-ci ont la particularité d'être recouverts d'une fine couche transparente qui contient l'acide odorant, tout en préservant l'illustration.

Is this the 50's, or 1999 ?

Construit et présenté sous la forme d'épisodes télévisés inspirés des émissions jeunesses des années 80, Saturday Morning RPG propose quatre aventures successives. Fait rare, la version PC comporte tous les épisodes actuellement créés pour un prix de vente unique. Un cinquième épisode est également prévu par les développeurs.

Construit comme un jeu de rôle japonais, Saturday Morning RPG propose au joueur de mener une série de quêtes en réalisant de petites missions annexes auprès de divers PNJ et en explorant son environnement. C'est l'occasion de découvrir l'univers de Marty, un adolescent moyen des années 80 dont le seul véritable ami – un as de l'informatique – et l'amour secret qu'il porte à Samantha constituent l'essentiel de sa vie de lycéen. Car Marty n'est ni sportif, ni particulièrement intelligent, et encore moins drôle. En tout cas, pas volontairement. Pire encore, il est régulièrement maltraité par les brutes du coin ainsi que ses professeurs qui ne cessent de le blâmer. Mais il a maintenant avec lui cet incroyable cahier de texte qui va changer bien des choses, au-delà de ce qu'il espérait.

L'univers de Saturday Morning RPG est constitué de telle sorte que le joueur effectue un voyage de plain pied 30 ans en arrière. On y retrouve avec délice une ambiance unique faite de blousons fluos, de rockeurs à moustaches, de DeLorean et surtout de personnages improbables sortis tout droit de quelques-unes des plus célèbres séries animées américaines de cette époque. Sur ce point, la force de ce jeu de rôle tient à deux choses. Tout d'abord, ce titre unique ne se contente pas d'énoncer des références pour jouer sur la corde nostalgique du joueur. Bien au contraire, tous ces éléments font partie intégrante de l'histoire, des quêtes et des personnages rencontrés avec une parfaite fluidité et une synergie certaine. Ensuite parce que ces personnages et événements, souvent issus d'univers très différents, se complètent de façon totalement naturelle. Pas simplement dans le jeu, mais aussi dans l'imaginaire du joueur. Car comme l'explique l'auteur, tous ces éléments sont constitutifs d'une culture populaire commune, inscrite dans l'inconscient collectif occidental, et parfois de manière trans-générationnelle. À partir de là, il n'est en rien choquant que des GI Joe combattent des Transformers, lesquels semblent venus du futur avec l'aide de Bisounours roulant en DeLorean volante. Et donc Marty d'utiliser un over-board pour faire le tour de la ville.

Il y a cependant quelques spécificités qui, pour nous autres joueurs français, peuvent nous échapper, ces composantes de la culture populaire américaine n'ayant – hélas – pas traversé nos frontières. Ces particularités restent malgré tout compréhensibles et, d'une certaine façon, peuvent être perçues comme une incitation pour le joueur non-familier à ces éléments culturels d'approfondir ses connaissances et d'en découvrir d'avantage.

Si les références à des films tels que Retour vers le Futur et Invasion Los Angeles sont prépondérantes dans l'épisode 2, on retrouve également nombre d'éléments annexes, en particulier sociétaux. Il est par exemple régulièrement question de la lutte anti-drogue opérée par le gouvernement d'alors, allant parfois jusqu'au ridicule dans sa volonté de s'adresser aux jeunes.

Paradoxalement, si l'univers de Saturday Morning RPG est typiquement américain, son système de combat est en revanche proprement japonais. Fonctionnant au tour par tour, celui-ci prend une tournure assez stratégique en faisant alterner les joutes entre Marty et les différents ennemis présents à l'écran. Le joueur doit alors gérer avec justesse ses différentes phases de jeu, en prenant en compte que chacune de ses décisions aura nécessairement des répercussions à court ou moyen terme à l'échelle du combat en cours. L'auteur ne se cache d'ailleurs pas d'un lien de parenté avec un certain Paper Mario, non sans y avoir ajouté sa petite touche personnelle.

En préambule d'une série de combats, il est recommandé de gérer son inventaire, à commencer par ses badges et ses couvertures de cahier de texte. En effet, selon le choix effectué, chacun de ces éléments apporte une série de bonus et de malus qui viennent s'ajouter aux spécialisations du joueur. À noter que les badges les plus intéressants sont aussi les plus difficiles à gratter, phase obligatoire en début d'affrontement durant laquelle le joueur doit agiter son stick comme un forcené pour gratter les badges qu'il a installé.
Un écran de combat type, ici face à l'une des brutes qui harcèlent Marty. Comme indiqué, le joueur ne peut utiliser qu'un maximum de cinq objets bonus en plus de son attaque de base, lesquels voient la puissance de leurs effets conditionnés par la jauge de fury du héros. Cette jauge, en bleu sous la barre de vie, se remplit et se vide au fil de chaque combat, là aussi sous diverses conditions. On peut également l'utiliser pour multiplier jusqu'à 10 fois la puissance d'un objet à travers différents mini-jeux qui ne sont pas sans rappeler la série Dragon Ball.

À cela s'ajoute la présence de mini-jeux pour quasiment toutes les actions à réaliser. Il peut tout aussi bien s'agir de boutons à presser le plus rapidement possible que de combinaisons à reproduire avec justesse, d'un timing bien précis à placer voire d'une petite partie de Pong !

Ce mélange des genres et des approches confèrent à Saturday Morning RPG quelque-chose d'unique, qui prolonge l'expérience retro-nostalgique de l'univers du titre tout en réclamant de la part du joueur une certaine rigueur tant les victoires s'obtiennent souvent sur le fil. D'autant que la marge de progression est assez faible une fois passé le premier épisode et que le joueur doit savoir faire preuve d'une certaine capacité de gestionnaire quant aux armes et bonus dont il s'équipe. Il faut donc être en mesure d'anticiper les prochains combats à venir et de prévoir les tours de chacun d'eux, un peu à la manière d'un jeu d'échec.

Si la plupart des objets peuvent être trouvés au terme d'une petite quête ou d'une exploration approfondie de la zone de jeu, d'autres en revanche doivent être achetés dans des distributeurs automatiques. Pour connaître leurs effets et leur efficacité, le joueur peut se référer au codex inclus dans son cahier de texte afin de construire le meilleur « deck » d'objets selon la situation du moment.
À chaque victoire, un tableau statistique récapitule les actions du joueur et le récompense par une note allant de F à SSS. En fonction de ses actions, un certain nombre de points d'expérience lui sont attribués, et chaque pallier de niveau franchi offre la possibilité d'améliorer une compétence particulière (vitesse, force, magie, défense, etc.).

All I wanted to do was play my guitar and sing!

Tout comme de nombreux jeux vidéo, Saturday Morning RPG bénéficie d'une bande son particulièrement intéressante, à bien des égards. Aux commandes, on retrouve un certain Vince DiCola, auteur de plusieurs morceaux sur Staying Alive, Rocky IV et le film d'animation Transformers, mais aussi de nombreux jeux comme Gran Turismo. Il a par ailleurs reçu plusieurs récompenses, dont un Golden Globe. Celui-ci est accompagné par Kenny Meriedeth, à qui l'on doit notamment des centaines de musiques de séries télévisées comme celles de Duck Tales, Power Rangers, X-Men et diverses collaborations avec de grosses pointures de la Motown. Il a également été nominé aux Emmy Awards.

De gauche à droite : Kenny Meriedeth et Vince DiCola. Les deux amis de longue date se retrouvent lors de l'enregistrement de l’anthologie musicale de Turrican, sur laquelle ils travailleront en collaboration avec Chris Huelsbeck, Yuzo Koshiro (Ys, Street of Rage) et Allister Brimble (Alien Breed, Descent 2).
Le duo a pris soin de composer une bande son qui corresponde à l'univers très particulier du jeu avec une aisance certaine. Et pour cause, puisqu'ils avaient déjà travaillé en partie sur les musiques des séries et films dont Saturday Morning RPG s'inspire. En terrain connu, mais aussi à l'aide de leurs différentes expériences dans le domaine du jeu vidéo, les deux amis ont su saisir avec intelligence et humour les besoins du jeu, tantôt pour appuyer un événement particulier, tantôt pour conférer à l'ensemble une ambiance musicale propre aux années 80, sans jamais tomber dans la caricature.

À souligner tout particulièrement le thème des combats qui, cerise sur un gâteau déjà particulièrement délicieux, se permet de coller à toutes les actions réalisées par le joueur ainsi que de son orientation vers la victoire ou la défaite. Pour les plus curieux, vous pouvez écouter ou acheter cette surprenante bande son à cette adresse.

Fluide et accrocheur, ce jeu propose un challenge assez relevé pour qui souhaite explorer la totalité des épisodes, qu'il s'agisse de dénicher tous les objets cachés, battre les boss secrets ou résoudre certaines énigmes pour le moins originales. Car outre un mode « New game + » faisant peu de cas du joueur approximatif, Saturday Morning RPG se dote de deux modes entièrement consacrés aux combats.

Le premier, intitulé « Endless Battle Mode », permet d'enchaîner les combats contre des vagues d'ennemis avec le même équipement. S'il est possible de regagner un peu de vie et quelques objets déjà utilisés en fonction de la manière dont on a vaincu une vague, celui-ci reste particulièrement ardu et invite au challenge les joueurs du monde entier à travers un tableau des scores en ligne. Ce mode n'est d'ailleurs pas sans rappeler un certain mode « Hordes », apparu dans Gears of War 2, jeu sur lequel Josh Fairhurst a été testeur. Le second, qui répond au doux nom de « Mode Arena », permet d'affronter des ennemis uniques, particulièrement difficiles, mêlés à des ennemis de base. Dans les deux cas, il s'agit là de prolongements de l'expérience du joueur dont la mise en scène est élaborée de manière à évoquer les bagarres de bonshommes que nombre d'enfants se sont inventés sur le tapis du salon ou sous la couette, qui faisait alors office de cabane.

So take me away, I don't mind. But you'd better promise me, I'll be back in time!

Saturday Morning RPG est un jeu unique. Unique de par sa démarche à la fois rétro et actuelle. Unique de par son métissage réussi entre positions américaines et japonaises du jeu vidéo. Unique aussi par l'expérience qu'il procure, sa capacité à offrir au joueur un titre sans prétention, qui ne songe pas à réinventer le genre. Car à l'heure où le jeu de rôle est devenu le laboratoire de toutes les expérimentations, y compris les plus fantasques, il est salutaire qu'un jeu propose simplement de belles heures dont tous les enfants des années 80 sauront à coup sûr apprécier son agréable parfum de nostalgie.

Autour du jeu

Tout comme de nombreux projets financés par Kickstarter, Saturday Morning RPG a proposé à ses suiveurs différents contenus exclusifs et originaux. Parmi ceux-ci, on peut trouver un poster plastifié, un paquet de chewing-gum dédicacé par toute l'équipe, une cassette audio contenant la totalité de la bande originale ou encore une collection de VHS proposant une tonne d'exclusivités. Mieux encore, la possibilité pour les plus importants suiveurs d'apparaître dans le jeu en tant que PNJ lambda, voire en boss du jeu. Nec plus ultra, il existe une édition ultra collector d'une poignée de NES aux couleurs du jeu, dont voici le concept art :

Maintenant que vous savez tout ou presque sur ce jeu, nous vous invitons à lire l'interview que Josh Fairhurst, game designer et co-fondateur de Mighty Rabbit Studios, a accordée en exclusivité à Grospixels.

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