Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Ce dernier point est important ; au-delà d'une question de gameplay, c'est une question de philosophie de game design : dans tous les Metroid qui suivent le premier épisode sur NES à l'exception notable de Metroid Other M, les combats sont en réalité assez secondaires, servant de remplissage ou de mini-puzzle (lorsqu'il faut geler les ennemis pour s'en servir de plateforme par exemple, ou lorsqu'on doit les éliminer selon une procédure très spécifique comme c'est souvent le cas dans les Metroid Prime). En effet, à partir du moment où l'on peut tirer à distance sur des ennemis attaquant au contact, les choses sont franchement déséquilibrées, il s'agit d'une extermination plutôt que d'un affrontement, surtout lorsque les créatures sont peu agressives voire vivent leur vie sans faire trop attention à nous, ce qui est fréquent dans le bestiaire de la série - Metroid n'est pas Contra ! On l'a déjà brièvement évoqué : même Metroid Fusion, qui cherche à créer un climat continu de tension, le fait davantage par sa mise en scène que par son gameplay ; sur le fond, l'action n'y est guère différente des deux jeux qui l'ont précédé, y survivre tient davantage à savoir garder ses distances, à être prudent et méthodique lorsqu'on "nettoie" une zone, et à recharger régulièrement ses (nombreuses, jusqu'à 20) réserves d'énergie (99 points de vie chacune) - bref, à l'endurance, plutôt que ça ne tient à l'adresse, aux réflexes, ou à la coordination - bref, à la performance. Dans Environmental Station Alpha, on ne peut pas garder ses distances, on commence le jeu (au mode de difficulté "Normal", le seul mode disponible à l'origine) avec 10 points de vie pour le finir dans le meilleur des cas avec 30 points de vie, et le seul moyen de recharger son énergie se trouve aux points de sauvegarde ou aux points de réparation. En plus de ça, les ennemis que l'on doit affronter au contact sont très mobiles et agressifs : sautant, volant, se laissant tomber brutalement sur nous, tirant des projectiles, grossissant avec chaque tir, se subdivisant, etc. - difficile de s'y frotter sans y perdre des plumes ; la survie n'est pas ici une simple toile de fond narrative ou une vague menace de long terme, c'est un impératif aussi concret et immédiat que dans un jeu d'arcade : sera-t-on seulement capable d'arriver vivant au prochain point de sauvegarde ou de réparation ? Cette âpreté de la survie est particulièrement prononcée face aux boss : ceux-ci sont redoutables, spectaculaires, souvent articulés en plusieurs phases, et ils sont surtout très nombreux, au point où des joueurs malicieux ont décrit Environmental Station Alpha comme un long "boss rush" entrecoupé de courts intermèdes - c'est une plaisanterie plutôt pertinente, le jeu débloque d'ailleurs un authentique "boss rush" dans la zone volcanique de la station (il est excellent) après que tous les boss aient été vaincus. J'ai choisi de dévoiler ici un seul boss (cf. deux images plus haut, un boss plutôt mineur) afin de ne pas gâcher le plaisir de la découverte... On retrouve dans les boss de Environmental Station Alpha les mêmes qualités que dans les autres ennemis du jeu : beaucoup de vivacité, de la variété, une forte exigence de réactivité et de rigueur, et une excellente animation. Le jeu en général est difficile, mais les boss sont particulièrement brutaux : il est courant de perdre l'intégralité de sa barre d'énergie en quelques secondes lors de ses premières rencontres, mais il ne faut pas se décourager - pour peu que l'on soit attentif et que l'on sache s'adapter, on progresse régulièrement jusqu'à la victoire, les boss (comme les autres ennemis) ayant le bon goût de ne pas être des sacs à points de vie : là encore, la performance est privilégiée par rapport à l'endurance. La gestion des points de sauvegarde est parfaitement adaptée au défi relevé du jeu : ils sont très nombreux, il y en a toujours un à proximité des boss, et renaître après un Game Over est presque instantané. D'ailleurs, sauvegarder est aussi très rapide : au lieu d'occuper une pièce à part, les points de sauvegarde sont placés au beau milieu de passages fréquentés, et il suffit de presser un bouton pour les utiliser et recharger son énergie, sans animation particulière ni message intrusif. La philosophie de game design qui structure les combats structure également le platforming et l'exploration : dans les Metroid, le platforming a un rôle encore plus secondaire que les combats, l'exécution des actions n'est pas le problème ; il s'agit davantage de trouver quel outil utiliser à quel endroit (saut spatial, boule araignée, grappin, super vitesse, shinespark, saut mural, saut en vrille) plutôt qu'il ne s'agit (là encore) d'adresse, de réflexes, ou de coordination. Dans Environmental Station Alpha, les outils sont simples et intuitifs, souvent typiques des "hardcore platformers" ; on y croisera certes des blocs colorés franchissables uniquement grâce à certains powerups, mais ces derniers sont d'abord pratiques. Le grappin est un exemple idéal puisqu'il se trouve à la fois dans Super Metroid, Axiom Verge et Environmental Station Alpha, comparer ses différences au sein des trois jeux permet de bien comprendre les spécificités propres à chaque logique ludique :
On voit bien les différences : le grappin de Super Metroid est intimidant, avec un gros potentiel ludique tant en ce qui concerne l'exploration que l'action, mais en réalité, sa seule difficulté survient à son acquisition, alors que l'on tente de se souvenir où l'on a déjà vu sur la carte les accroches qui lui correspondent - tout le reste (identifier les points d'accroche à l'écran, l'usage du grappin) est facile ; le grappin de Axiom Verge évacue quant à lui l'action (son usage est ridiculement facile), mais déterminer où l'on doit s'en servir alors que l'on erre dans Sudra est bien moins évident ; et enfin, le grappin de Environmental Station Alpha semble à l'inverse de Axiom Verge tiré tout droit d'un "hardcore platformer", avec un usage simple (il suffit de presser un bouton) et intuitif (l'inertie et l'accélération lors de nos déplacements semblent parfaitement naturelles), mais aussi une forte exigence de précision. Les autres outils d'exploration du jeu suivent la même logique : bien sûr, il y a quelques "clefs colorées" qui déverrouillent certains accès, mais il s'agit avant tout d'outils de platforming qui nous font penser "Ça va être diablement utile !" et qui bouleversent notre façon de jouer très concrètement et durablement, plutôt que l'on pense "Je vais enfin pouvoir passer les blocs rouges !". Tout comme Environmental Station Alpha tempère l'exigence de ses combats avec sa gestion des points de sauvegarde, le jeu tempère l'exigence de son platforming avec une fluidité d'exploration exemplaire. La station est excellemment bien conçue, on sait toujours intuitivement où l'on se trouve : on visualise facilement l'emplacement de ses zones principales (volcanique, sous-marine, marécageuse, archéologique, etc.), on mémorise naturellement le flot de ses embranchements et ses diverses particularités, et on brûle toujours de l'explorer plus en avant. La carte automatique aide beaucoup en cela : sa vue générale est immédiatement lisible, et on dispose d'un zoom détaillé qui précise pour chaque emplacement déjà visité quels types d'objets s'y trouvent - lorsque ces objets existent en plusieurs exemplaires, ceux qui ont déjà été collectés sont grisés. Pour encore resserrer le rythme, on débloque très rapidement l'accès à des téléporteurs qui évitent les temps morts et les redites ; pour ce qui est de ces dernières, elles sont aussi neutralisées par un gameplay qui se renouvelle à chaque acquisition de powerup et par une station qui évolue plusieurs fois en cours d'aventure. Enfin, les enregistrements laissés par l'équipage, représentés à l'écran sous la forme de petits ordinateurs, indiquent régulièrement notre prochain objectif sur la carte (mais il n'est pas forcément pertinent de s'y précipiter tout de suite) ; les ordinateurs en question sont aussi utilisés par Arvi Teikari pour clarifier certains aspects du jeu et dissiper tout malentendu, quitte à briser le quatrième mur. Jouer à Environmental Station Alpha est ainsi spectaculairement agréable et fluide... mais heureusement pas liquide ! En effet, le jeu a beau aménager son gameplay d'exploration à la Metroid afin de ne pas contrarier la nervosité de l'action, il reste néanmoins structuré de façon à stimuler la curiosité, l'observation, l'initiative, l'expérimentation, la mémoire, etc. - l'exploration n'est pas linéarisée ou édulcorée. Ainsi, même si les objectifs sont explicites comme dans Metroid Fusion, on ne sait pas précisément comment s'y rendre, et à l'inverse du jeu de Nintendo, on reste ici constamment libre d'aller et venir où bon nous semble - on peut donc choisir par exemple d'aller dénicher au préalable d'autres améliorations afin de faciliter l'obtention du prochain objectif, surtout lorsque celui-ci est gardé par un boss. On l'a déjà dit pour le grappin mais c'est aussi vrai pour les autres outils : comme dans Axiom Verge, ceux-ci n'ont généralement pas des points d'application évidents - les aires de jeu sont ici beaucoup plus étroites donc il est plus facile de déduire ce que l'on doit faire pour progresser, mais il faut malgré tout prendre le temps de réfléchir. En fait, au lieu de contrarier l'exploration, la logique du "hardcore platformer" l'enrichit : en examinant les décors, on y remarquera divers endroits (une corniche, un mur, etc.) difficiles mais cependant possibles à atteindre grâce à une certaine prouesse, et en effectuant celle-ci par esprit de défi, on découvrira un nouveau passage ! Environmental Station Alpha comporte plusieurs moments de ce genre, et il faut aussi lire sa carte avec soin, voire même, à l'occasion, penser à désactiver certains powerups grâce au menu de "status" dédié. Il n'y a donc pas réellement de sacrifice d'un aspect du gameplay au bénéfice d'un autre, l'action se marie harmonieusement avec l'aventure et l'immersion tout au long de notre progression au sein de la station. En vérité, l'exigence des combats et du platforming (qu'il faut relativiser, on ne va pas mourir ici dix fois par écran comme dans un pur "hardcore platformer") profite à l'immersion en rendant les lieux plus vivants et plus concrets, de la même façon qu'un objet qui nous fait du mal semble soudain plus palpable. Les décors et l'ambiance de Environmental Station Alpha sont par ailleurs servis par une excellente réalisation. Vous l'avez bien évidemment remarqué grâce aux captures d'écran : la résolution du jeu est très basse, 160x120 pixels sans le HUD, moins qu'une Game Boy (160x144 pixels) - voilà ma foi des pixels de fort belle taille ! Depuis le succès du jeu vidéo néo-rétro, des joueurs se sont agacés d'un certain systématisme du pixel art à très basse résolution, reprochant aux développeurs d'adopter la solution de facilité. Dans le cas présent, c'est parfaitement exact : comme Arvi Teikari l'a confié en interview, il a une façon particulière de travailler (mais partagée avec de nombreux autres développeurs indépendants), il est incapable de se consacrer à un jeu s'il n'est pas motivé. Pour composer avec cela, il alterne entre plusieurs projets, passant de l'un à l'autre dès qu'il se lasse. Pour éviter un temps de développement trop long qui aurait pu lui faire perdre le fil de son projet ou sa motivation, il a donc décidé de simplifier la création des graphismes de son jeu en optant pour une grille de pixels grossière. Cela ne signifie pas que les graphismes de Environmental Station Alpha seraient négligés, ils sont en réalité très soignés, avec plusieurs niveaux de scrolling parallaxe, des arrière-plans animés, des particules (cendres incandescentes, débris végétaux, etc.), des effets de déformation ou de traînées de lumière, une grande variété d'environnements et d'ambiances, et, comme cela a déjà été dit, des sprites très bien animés. Je tiens aussi à préciser que la résolution est véritablement respectée, il n'y a pas d'éléments qui "sortent" de la grille de pixels (je hais quand un jeu néo-rétro fait ça). Pour ma part, je trouve le jeu magnifique, mais j'ai grandi avec un Amstrad CPC et son mode 0 aux énormes pixels rectangulaires (160x200 pixels), ça aide ! J'adore cet impressionnisme numérique qui suggère plutôt qu'il ne montre et fait ainsi travailler l'imagination. L'aspect "carré" du style graphique profite aussi à l'action, les zones de collision sont ainsi bien nettes et intuitives. Les musiques du jeu, composées par Roope Mäkinen, contribuent beaucoup à l'atmosphère : elles sont étonnamment douces, peu agressives ou menaçantes mais très suggestives - pensez aux pistes les plus relaxantes de la bande originale de Super Metroid (comme les profondeurs de Brinstar ou les deux thèmes de Maridia), mais en plus léger, dynamique et expressif ; elles établissent un climat permanent de mystère qui imprègne toute l'expérience. En parlant de mystère, la quête principale de Environmental Station Alpha a une longueur plutôt classique pour un jeu du genre, comparable à celle de Axiom Verge ou d'un Metroid en 2D, et cette longueur sera bien sûr optimisée à chaque nouvelle partie : comme l'action et la survie occupent ici le premier plan, rejouer au jeu est très agréable et se prête bien au speedrun ; mais c'est surtout le contenu additionnel que Arvi Teikari a accumulé au fil du temps qui garantit dans un premier temps la rejouabilité du jeu, l'essentiel de ce contenu faisant la part belle aux énigmes et à l'aventure... En effet, Arvi Teikari fait partie de ces développeurs qui continuent de s'occuper de leurs jeux bien après leur sortie : Baba Is You compte énormément de mises à jour, et Environmental Station Alpha a lui aussi bénéficié de nombreuses améliorations, parmi lesquelles des corrections de bugs, des équilibrages de difficulté, un mode "facile", un mode "défi", et surtout de nouvelles zones... En tout, le contenu "post-game" fait plus que doubler la longueur du jeu (!), avec plusieurs fins alternatives ! Cette prolongation de l'expérience se divise grossièrement en trois catégories : de nouveaux objectifs qui se situent dans la lignée du jeu principal, des sections d'adresse (combats, platforming) extrêmement difficiles au point qu'on y est pour le coup dans un gameplay "hardcore", et enfin, des énigmes parfois très complexes conçues pour être résolues par effort collaboratif, dans le style de Fez ou La-Mulana (sans toutefois atteindre les sommets d'opacité de ce dernier jeu). Pour ma part, je préfère nettement la quête principale de Environmental Station Alpha à son "post-game" : j'aime les objectifs qui semblent continuer naturellement notre exploration de la station, complétant notre carte de façon très satisfaisante et éclaircissant certains mystères ; j'aime aussi que l'ambiance glisse petit à petit vers l'abstrait avec des divinités typiquement lovecraftiennes et quelques éléments surréalistes (on dirait que notre robot devient fou ou perçoit une nouvelle réalité, ce qui serait plutôt justifié par l'histoire) ; mais j'ai moins aimé les énigmes à base d'alphabet à déchiffrer ou de codes à entrer au clavier après s'être placé à des endroits précis, ainsi que certaines épreuves d'adresse d'une difficulté tout bonnement ahurissante. Ceci étant dit, la plus grande qualité du contenu "post-game" (dont une partie existait déjà à la sortie du jeu) est qu'il n'interfère pas négativement avec le jeu principal : j'ai découvert Environmental Station Alpha après qu'il ait été entièrement complété, et rien ne m'a gêné - on se rend bien compte qu'il y a des choses louches ici ou là dans la station, mais cela renforce l'ambiance mystérieuse du jeu sans générer la moindre confusion. Au final, j'ai pris grand plaisir à atteindre les 203% maximaux de l'aventure, me régalant quand le jeu conservait le même type de gameplay et picorant librement dans le reste comme s'il s'agissait d'un buffet : on peut en effet choisir de relever les défis qui nous plaisent "à la régulière", et pour le reste, suivre un guide ou tricher sans vergogne puisque le fichier de sauvegarde du jeu est un simple fichier texte que l'on peut éditer, il est ainsi facile de s'octroyer autant de points de vie qu'on le souhaite, ou bien démarrer une session sur n'importe quelle case de la station dont on connaît les coordonnées. Joué "à la régulière" ou pas, le "post-game" est donc facultatif, varié, intéressant et bien conçu, et bénéficie au jeu en suggérant un univers beaucoup plus large que ce que l'on en perçoit au départ ; mais même sans celui-ci, Environmental Station Alpha serait très nettement mon jeu préféré du genre. Malgré (voire en partie grâce à) ses énormes pixels, je préfère en effet Environmental Station Alpha à Hollow Knight (de loin), à Axiom Verge, ou à n'importe quel épisode de Metroid, même si évidemment le jeu a une énorme dette envers Nintendo. C'est le seul jeu du genre à me captiver aussi totalement dès le démarrage d'une nouvelle partie, me conduisant irrésistiblement jusqu'à sa conclusion à chaque fois, sans anicroche, sans impatience, sans frustration, sans confusion, en cumulant à la perfection l'excitation de l'action, le charme de l'exploration, le sens du mystère, et l'horreur cosmique à la ALIEN que j'affectionne particulièrement. Pour conclure, il est intéressant de noter que le jeu a été façonné par les limitations de son moteur logiciel, Multimedia Fusion 2 : comme Arvi Teikari l'a déclaré en interview, il a dû sacrifier de nombreux concepts afin que tout fonctionne correctement, dont des puzzles avec des blocs à pousser ou des sections en antigravité où nos tirs permettent de se projeter dans l'espace. En lisant cela, je me suis dit que je préférais le jeu tel qu'il est maintenant - comme quoi, même avec l'énorme puissance des machines actuelles, les jeux vidéo continuent d'être le produit d'une série de contraintes, et ce sera sans doute toujours le cas... Quoi qu'il en soit, cela garantit une chose : si Arvi Teikari sort un jour une suite à Environmental Station Alpha, elle sera fortement différente de l'original, et c'est très bien ainsi ! Simbabbad (26 mars 2022) Sources, remerciements, liens supplémentaires : Cet article a été publié initialement sur le blog de Simbabbad, à cette adresse.
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