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Viewpoint
Année : 1992
Système : Neo Geo ...
Développeur : Sammy
Éditeur : Sammy
Genre : Shooter
Par David (10 février 2003)
Le logo de Sammy

En 1992, alors que le genre du shoot'em up semblait s'engluer dans un classicisme des plus lassants - que le scrolling fut vertical ou horizontal, plus rien ne semblait pouvoir marquer les esprits, pas même R-Type Leo, suite de la suite de l'illustre ancêtre, R-Type -, un éditeur pour ainsi dire inconnu décida de marquer de son empreinte l'histoire d'un genre quasi-moribond en développant View Point, l'un des rares jeux de tir à scrolling diagonal en 3D isométrique.

R-Type Leo : les mêmes ficelles, encore et encore ! View Point : les mêmes ficelles... bien que.

3D isométrique ? Késako ?

La 3D isométrique est, en réalité, une fausse 3D dans laquelle la position de l'observateur n'exerce aucune influence sur la représentation d'un objet ou d'un décor. Alors que, dans un décor en vraie 3D, un objet éloigné de l'observateur paraîtra plus petit que tous ceux se trouvant au premier plan, ce même objet apparaitra de la même taille que tous les autres dans un décor en 3D isométrique, qu'il soit au "premier" ou à l'"arrière plan".

Un bon exemple de 3D isométrique. Un mauvais exemple de 3D isométrique. Un plus mauvais exemple encore.

C'est cette représentation qui fut adoptée par l'équipe responsable du projet View Point. La 3D isométrique a toujours été très en vogue dans le monde du jeu vidéo. Dès le début des années 80, des compagnies aussi mythiques qu'Ultimate firent leurs choux-gras de cette troisième dimension simplifiée, bien utile il est vrai pour afficher avec clarté tous les éléments de décor d'un Knight Lore ou d'un Gunfright sur ZX-Spectrum. Plus récemment, des titres comme Diablo ou Les Sims usent et abusent de cette fausse 3D. À dire vrai, les jeux ayant adopté cette approche visuelle se comptent, depuis l'avènement du jeu vidéo, par centaines.

Knight Lore, dans toute sa splendeur. Diablo, dans toute son horreur.

Rien de bien original donc à voir débouler en 1992 ce View Point... si ce n'est que les jeux de tir ayant tiré parti de ce type de représentation furent extrêmement rares. Il est même étonnant qu'après la réputation extraordinaire dont profita ce shoot de Sammy, aucun projet similaire ne vit le jour. En réalité, il faut surtout voir en ce choix visuel un grandiose hommage à l'un des shoot'em ups les plus en avance sur son temps, j'ai nommé le légendaire Zaxxon.

Zaxxon

En 1982, soit dix ans plus tôt, Sega avait en effet conçu un jeu de tir totalement déroutant pour qui était habitué au déplacement simpliste d'un vaisseau sur un seul plan. L'effet de profondeur qu'apporta Zaxxon contraignit le joueur à revoir toutes ses techniques de jeu, puisqu'il lui fallait désormais s'adapter, tant bien que mal, au nouveau critère que constituait la gestion de l'altitude. Inutile donc de dire que, d'un point de vue personnel, mes premières parties se limitèrent à quelques maigres secondes, tant cette nouvelle donne s'avérait désarçonnante. En réalité, le déplacement du vaisseau de Zaxxon se faisait toujours sur un seul plan, puisque seuls les déplacements latéraux et verticaux étaient autorisés. Il n'empêche : éviter les missiles adverses tout en se frayant un chemin dans les brêches d'un décor s'élevant vers les cieux n'avait aucun équivalent à cette époque.

View Point reprit la recette qui fit la gloire du hit de Sega, à ceci près que les déplacements verticaux liés à l'altitude furent ici abandonnés au profit de déplacements multi-directionnels sur un unique plan horizontal. Ce choix tient au fait que les décors dans View Point ne constituent que très rarement des obstacles contre lesquels le vaisseau peut venir se crasher - au contraire de Zaxxon. Ici, seuls l'alien, ses déplacements et ses projectiles représentent une réelle menace pour le joueur. Le scrolling diagonal fut, bien entendu, conservé, auquel s'ajouta un léger scrolling vertical dont le but était d'agrandir sensiblement l'aire de jeu. Mais à une époque où le tout-3D semblait devenir la norme - même les consoles, jusqu'alors adeptes de la 2D, succombaient au charme de la troisième dimension (cf. Starfox et sa puce spécialisée, sur Super Famicom, début 1993) -, Sammy ne put résister à l'appel des sirènes en donnant à son jeu de tir un look parfaitement en adéquation avec la mode du moment. Ainsi, la page de présentation plonge immédiatement le joueur dans l'ambiance, avec un gros plan du vaisseau principal tournoyant sur lui-même et laissant apparaître une architecture faite de polygones dont les contrastes sont affectés par une source virtuelle de lumière.

Waaah ! Ça tourne, eh !

Inutile de dire que la Neo-Geo ne calcule ici absolument rien en temps réel. Elle se contente d'afficher, image après image, cette superbe animation calculée au préalable par des ordinateurs bien plus puissants que la plus performante des consoles 16-bits. Une fois le jeu commencé, l'on se rend compte à quel point ce principe de fausse 3D précalculée a été conservé de bout en bout. Chaque ennemi semble en effet arborer avec fierté ses polygones, animés de la plus belle et la plus fluide des façons. Visuellement, le résultat est stupéfiant. En contre-partie, tant d'étapes d'animation s'avère très gourmand en mémoire, et on imagine alors aisément comment sont employés les 74Mbs de cette cartouche, qui représentent tout de même plus de 3 fois la taille d'un Final Fantasy 6 sur SNES !

Des polygones par centaines.

Une bande-son d'enfer.

Puisque nous évoquons la taille mémoire de View Point, il serait judicieux de consacrer quelques lignes à l'ambiance sonore qui se dégage de ce titre. Bourrée de samples à n'en plus finir, elle est, elle aussi, en grande partie responsable de cette utilisation massive de MégasBits. L'éclectisme affiché par les différents morceaux dont est composé ce View Point est impressionnant, et transforme, le temps d'une partie, la Neo-Geo en jukebox capable de rivaliser avec les lecteurs CD-ROM flambant neufs de l'époque. Tantôt pop, tantôt jazzy, toutes ces musiques donnent la pêche ! De fait, l'envie d'aller plus loin dans l'espoir de découvrir un nouveau morceau n'en est que plus grande.
Avec le recul, cette bande-son a un peu perdu de sa superbe, mais le choc auditif qu'elle procura il y a maintenant plus de dix ans restera à jamais gravé dans l'esprit de nombreux joueurs.

Des niveaux somptueux.

Constitué de 6 niveaux, View Point se décline en autant de thèmes différents particulièrement dépaysants. Le premier niveau n'est pas bien difficile et permet de s'accoutumer au déplacement original du scrolling ainsi qu'aux diverses possibilités du vaisseau. Armé d'un simple tir, ce dernier se verra très vite doté de deux canons latéraux supplémentaires, triplant ainsi sa force de frappe et procurant des protections latérales bienvenues. À tout moment, il est possible de déclencher, à la manière d'un R-Type, l'envoi d'un tir très puissant en appuyant sur la gâchette du joystick quelques secondes, puis en la relâchant. En outre, trois types de "smart bombs", distinguées par leurs couleurs et leurs lettres, permettent de se sortir d'un mauvais pas éventuel en faisant tout exploser à l'écran.

Le "tir concentré" est à utiliser en permanence !

Un armement limité donc, mais largement suffisant pour ce niveau d'introduction futuriste dans lequel seul le boss de fin peut poser de vagues problèmes pour qui n'a pas l'habitude de slalomer entre une dizaine de balles fusant vers le vaisseau... en diagonale.

Les plaques tournantes sont superbement animées. Un boss de mise en jambe !

Le deuxième monde, aquatique, se révèle vite d'une grande beauté. Poissons et crustacés y vivent en parfaite harmonie, et c'est presque un arrache-cœur que de devoir venir y semer ravage et désolation. C'est dans ce niveau que les premiers éléments de décor réellement dangereux interviennent : des piliers de pierre s'élèvent puis redescendent lentement tandis qu'une carpe géante -à moins que ce ne soit là une truite (Phyl pourra nous le dire)- vous agresse sauvagement en déposant ci et là des mines n'attendant que votre passage pour exploser. Le gardien de cet univers cauchemardesque est un gigantesque crabe dont les énormes pinces ainsi que les bulles aussi solides que du roc mettront vos nerfs à rude épreuve. Détruit, il lancera ses dernières forces dans la bataille sous la forme d'un cerveau bipède (?!).

Une attaque de poissons volants Les anémones de mer, c'est quand même vachement agressif.

De retour sur terre dans le niveau suivant, vous découvrirez un univers très buccolique. À l'image du niveau 2, peu d'engins de métal s'y déplacent ; au contraire, ce sont des armées d'insectes tous plus fourbes les uns que les autres qui vous y attendent. Chenilles, guêpes, vers et autres limaces feront tout pour mettre un terme à votre aventure. C'est à partir de ce niveau que les choses se gâtent réellement. Une pluie de projectiles envahit fréquemment l'écran, les monstres gagnent en rapidité, et le boss de fin -une sorte d'abeille géante accompagnée de son pote la chenille- s'avère extrêmement coriace. Comme à l'accoutumée, ce boss, une fois mort, ne l'est pas vraiment, puisqu'il revêt alors sa véritable identité -une guêpe mutante- pour assaillir votre vaisseau de ses boules d'énergie autoguidées. Vous êtes toujours là ?

Des vers forment un barrage. Une abeille et son pote la chenille forment un barrage.

Direction le désert. Ici, la technologie reprend ses droits, et seuls quelques scorpions vous rappelleront à quel point la nature a joué un rôle décisif dans le design de ce jeu. Avec le 4ème niveau, c'est le délire absolu qui commence. Passage dans des tunnels étroits, flammes coupant le passage et colonie de chars vous attendant de pied ferme à la sortie ne sont qu'un exemple des pièges vicieux que vous réserve l'armée adverse. Le clou du spectacle consistera à anéantir, après le balai incessant de six véhicules prêts à tout pour vous écraser, un crâne à quatre faces correspondant à autant d'attaques différentes. Je vous laisse découvrir la dernière, qui frise la démence.

Ça commence à chauffer. Votre pire cauchemar.

Le niveau cinq s'avère décevant à plus d'un titre puisqu'il regroupe, à lui seul, tous les poncifs du shoot'em up. En premier lieu, son univers de feu rappelle moultes titres plus anciens. Vulcan Venture, Salamander ou Dragon Spirit ont tous mis en scène un tel niveau. Mais là où ces quelques classiques surent représenter ces univers déchainés avec beauté, dynamisme et intelligence, View Point se contente d'une simple mer de lave dont le cyclage de couleurs peu inspiré se trouve parfois surmonté de plusieurs colonnes de feu molassonnes. On est bien loin des langues de feu gigantesques d'un Salamander ! Pire : on se rend très vite compte que ce simple décor, d'un seul écran de long et se répétant à l'infini, n'est qu'un prétexte à faire réapparaître, les uns après les autres, tous les boss déjà vaincus pour un ultime affrontement. Soyons honnête : autant ce type de niveau, très à la mode il fut un temps, ne me gênait que moyennement il y a 10 ans, autant je les trouve aujourd'hui franchement pénibles. Certes, c'était là un moyen très économique d'allonger la durée d'un jeu, mais il n'en allait pas de même pour le joueur d'arcade fauché qui, à l'idée de devoir affronter le boss du niveau 4 une nouvelle fois, préparait déjà fébrilement ses petites pièces tout en pensant au maigre repas dont il allait devoir se contenter le soir.

Un avant-dernier niveau bien fade.

Loin de moi l'idée de renier cette mode du niveau entièrement dédié aux boss, mais il est bon de se rappeler que certaines firmes comme Konami avaient au moins le mérite d'intégrer à ce type de niveau des monstres inédits et, ce qui ne gâchait rien, particulièrement bien pensés. Un peu plus de temps et d'efforts auraient été nécessaires pour que Sammy en fasse ici de même. Afin de laisser la surprise de la découverte aux plus courageux d'entre vous, je me garderai bien de vous dévoiler le dernier niveau de View Point. Sachez toutefois qu'il n'est, bien heureusement, pas plus difficile que les précédents, et que le boss final s'avère même relativement accessible. La victoire est proche !

Et l'intérêt du jeu, dans tout ça ?

C'est là que le bât blesse. View Point n'est pas un mauvais jeu, loin de moi pareille pensée. Sa réalisation, on l'a vu, ferait pâlir bien des shoots plus récents. La beauté de son univers ainsi que l'ambiance générale qui s'en dégage sont telles qu'il parait difficile de résister à l'appel du joystick tant que les six niveaux de cette étonnante épopée n'ont pas été explorés. Quelques ralentissements, voire même quelques scintillements, font leur apparition ici ou là, mais rien de suffisamment nuisible pour assombrir un tableau particulièrement idyllique.

Un tableau idyllique

Hélas, la difficulté presque surhumaine de cette aventure rend l'expérience particulièrement inadaptée au joueur béta à la recherche d'un jeu de tir tout simplement accessible. Seuls les passionnés de la première heure trouveront en ce titre matière à passer des journées entières devant leur écran ; seuls ceux prêts à recommencer le même niveau des dizaines de fois seront récompensés par des progrès qui, évidemment, en appelleront d'autres une fois lancés dans le niveau suivant. Même s'il est utile, le "par-cœur" consistant à connaître sur le bout des doigts l'ordre d'apparition des ennemis n'est, ici, pas absolument indispensable. Seules une dextérité à toute épreuve, ainsi qu'une connaissance approfondie des modes d'attaques des diverses créatures, vous sortiront de la plupart des mauvais pas. La moindre destruction de votre vaisseau vous renvoyant quelques mètres en arrière avec un armement minimum, vous comprendrez aisément à quel point vous devrez vous armer de patience si vous comptez atteindre le boss ultime.

À condition d'être configurées de façon adéquate, certaines versions d'arcade permettaient à deux joueurs d'affronter l'ennemi simultanément à l'écran, rendant ainsi le combat beaucoup plus équilibré puisque sans interruption -aucun retour en arrière- et avec une puissance de feu deux fois plus grande. Beaucoup de possesseurs de Neo-Geo auraient vendu leur âme pour profiter de cette option salvatrice, tant les quatre crédits octroyés en début de partie paraissaient bien maigres face à l'ampleur de la tâche qui les attendait. Ceci étant, à une époque où la Neo était particulièrement critiquée pour la trop grande facilité de ses jeux, View Point tombait à point nommé pour faire taire les détracteurs de la machine.

Ce jeu est... dur.

Une conversion Megadrive méritante, mais...

Programmée sur une cartouche de 16 Mbs, une des rares adaptations de ce jeu sur console de salon -Neo Geo exceptée- fut sur la 16-bits de Sega. Le résultat ? Une conversion étonnante de fidélité, reprenant quasiment tous les éléments de la version originale. Chacun des ennemis rencontrés en arcade répondent à l'appel, et tous possédent la plupart des étapes d'animation qui firent la beauté et la fluidité du jeu sur Neo.

La version Neo-Geo...
...et la version Megadrive.
Une truite sur Neo-Geo...
...reste une truite sur Megadrive.

Toutefois, en raison des limites de la Megadrive, on est en droit de se demander si une conversion si ambitieuse paraissait raisonnable. Tout d'abord -et cela n'étonnera personne-, la bande-son a énormément perdu en qualité. Certes, les mélodies se reconnaissent aisément, et certains samples ont été conservés, mais l'ensemble sonne désormais très -trop- "cheap". Ensuite, le graphisme pâtit des capacités réduites de la 16-bits de Sega à afficher simultanément un grand nombre de couleurs a l'écran. Comme souvent sur cette console, tout -ou presque- parait terne ; et seules quelques rares sections de niveaux parviennent à conserver l'éclat de la version originale.

Pas gai tout ça.

Enfin, et c'est là le caractère le plus rédhibitoire de cette conversion, l'animation souffre d'une quantité de ralentissements si insupportable que l'envie de coupler deux Megadrive "des fois que ça irait plus vite" se fait de plus en plus pressante au fur et à mesure des parties. Disons-le tout net : ces ralentissements quasi-permanents gâchent absolument tout plaisir de jeu et rendent, de fait, l'existence même de cette cartouche parfaitement discutable. Dommage, car sans ce défaut majeur, la Megadrive tenait là certainement la meilleure adaptation possible de View Point.

Sammy est passé tout près de l'exploit.

Sortie un peu plus tard dans l'anonymat le plus total, la conversion Playstation ne fit pas bien mieux. Pour l'occasion, les graphismes furent retravaillés et adoptèrent un look résolument plus métallique. Hélas, la lenteur excécrable de ce titre ainsi que ses innombrables ralentissements eurent tôt fait d'anéantir nos espoirs de joueurs de trouver là la conversion ultime de ce shoot mythique.

En fait, c'est sur le X-68000 de Sharp qu'il fallut se diriger pour obtenir ce qui s'approchait le plus de la version Neo : malgré une bande-son assez décevante, ses graphismes, identiques ainsi que son animation, particulièrement fluide, procurèrent au joueur japonais l'adaptation que le monde occidental attend, hélas, encore.

Verdict final

Quel que soit votre intérêt pour le shoot'em up, vous vous devez d'essayer View Point. À l'évidence, ce titre possède suffisamment d'atouts dans sa besace pour séduire même le plus réfractaire au genre. Cependant, en raison de sa difficulté d'un autre temps, que vous éprouviez l'envie de dépasser le troisième niveau après la perte d'une cinquantaine de vies est, clairement, une autre histoire.

The end
David
(10 février 2003)
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