Le 8 avril 2024, les serveurs gérant les fonctionnalités en ligne de la 3DS et de la WiiU ont été éteints par Nintendo, de la même façon qu'ils le firent, jadis, pour la Wii et la DS. C'est là le sort attendu pour les consoles vieillissantes, et même si des initiatives open-source, à l'instar de Pretendo, visent à compenser ces fermetures, reste que l'on peut s'interroger sur la pérennité, en général comme en particulier, du jeu vidéo en ligne.
Pour un grand nombre de jeux, la chose est sans doute moins importante que d'autres, en fonction de la place qu'ils laissent au multijoueurs, de leur exclusivité ou, encore, du focus qu'ils portent sur la création et le partage en ligne de nos œuvres. Super Mario Maker est de cette dernière famille. Et même si, depuis, une suite sur Nintendo Switch remporte un franc succès, on ne peut que regretter la fin de ce qui a été, pour nombre, le premier des contacts avec le game design.
De Mario à Mashiko
Nintendo a, depuis longtemps, développé des outils de création pour ses consoles de salon. L'un des pionniers du genre, Mario Paint, a influencé la création de Super Mario Maker comme on le verra au long de cet article, mais il faudrait citer également la Game Boy Camera, qui permettait de modifier (et d'imprimer, avec le Game Boy Printer) des photos, Mario no Photopi et Mario Artist sur la Nintendo 64 et le 64DD, ou encore la série des Art Academy sur DS.
Finalement, ce qu'il manque à cette liste, ce sont des éditeurs de niveaux de jeux vidéo. Il y en a eu, bien entendu : on peut citer l'outil de création de courses dans l'Expansion Kit de F-Zero X sur 64DD ou, plus tard, WarioWare: Do It Yourself, mais cela restait chiche. Notamment, à ce jour, il n'y a aucun logiciel officiel de création de niveaux de Metroid ou de Mario Kart, et il a fallu attendre 2019 et le remake de Link's Awakening sur Switch pour voir apparaître, mais d'une façon très limitée, un outil de création de donjons de Zelda.
Pour Mario, c'est en ligne que les options apparurent et notamment par l'intermédiaire de Lunar Magic (lien externe), un logiciel d'édition de niveaux pour Super Mario World et dont j'avais parlé, jadis, dans mon article sur les Kaizo Mario. D'autres logiciels, pour les autres aventures du plombier, suivirent rapidement. Mais il a fallu attendre 2015 et la WiiU pour que Nintendo nous offre, sous la propulsion de Takashi Tezuma et de Hiroyuki Kimura, ce qui semblait frappé du sceau de l'évidence : un moyen officiel de créer nos propres niveaux de Super Mario Bros.
Enfin, la chose n'a pas été aussi simple en vérité. Le jeu commença son développement, j'y reviens déjà, comme une version améliorée de Mario Paint. Il est vrai que le gamepad de la WiiU, cette créature si étrange qu'elle embarrassa quasiment tout le monde à l'époque, se prêtait admirablement bien à cette idée. De fil en aiguille, le projet muta pour devenir ce créateur de niveaux génial, sur lequel j'ai passé plusieurs centaines d'heures.
Il y a eu, je crois, deux étapes successives dans la découverte de Super Mario Maker. La première, c'est celle du logiciel de création lui-même : son ergonomie, la façon dont il présente ses nouveautés de gameplay et dont il nous invite à la créativité et, chemin faisant, à l'apprentissage compliqué du design : tout comme Vigée Le Brun n'est pas devenue géniale en un jour, que Sarah Bernhardt dut apprendre la comédie ou que Pat Benatar apprit un jour le solfège, on ne naît pas game designer du jour au lendemain. La seconde, c'était la découverte de ce que les joueurs et les joueuses du monde entier avaient su faire avec les mêmes outils que nous... et la tristesse de voir que nous n'avions fait qu'effleurer le sujet.
J'organiserai ainsi cet article sous ces angles successifs, car il me semble que c'est ainsi que l'on pourra faire le tour de l'un des « ludiciels » les mieux fourbis de sa génération, tant et si bien qu'il a pu être considéré (non sans raison) comme un system seller pour une console qui fut la plus-aimée de son temps (non sans raison [bis]).
Plus c'est intelligent, plus c'est amusant
Le mode « création » de Super Mario Maker est le premier auquel nous sommes confrontés. Le jeu propose tant plusieurs petits niveaux à modifier, que l'option de partir d'une page entièrement vierge. Tout se fait, dans ce mode, au Gamepad et au stylet : en choisissant et en déplaçant les objets (blocs, ennemis, plates-formes, etc.), nous composons une course comme nous le souhaitons et, d'un bouton, on peut l'essayer à n'importe quel moment. L'interface fait, une fois encore, penser à du Mario Paint, avec ces carrés figurant les éléments que l'on peut disposer et même le petit chiot qui sert à effacer le dernier geste (le Andu Inu ou Undo Dog) est de retour, avec son « wouah ! » caractéristique.
Le jeu propose une bonne soixantaine d'éléments basiques à disposer (presque cent en comptant les variations de ceux-ci), six environnements distincts (la surface, les souterrains, le monde sous-marin, la maison hantée, l'escadrille volante et le château) et quatre modes de jeu, correspondant aux grands succès de la licence : Super Mario Bros., Super Mario Bros. 3, Super Mario World et New Super Mario Bros. U. On bascule, là encore et très facilement, entre ces thèmes et ces modes grâce à un bouton toujours accessible. Un niveau ne peut se dérouler que dans un seul mode de jeu (impossible de commencer un stage dans SMB et de finir dans SMW), et des tuyaux permettent de naviguer entre deux sous-zones qui peuvent être distinctes dans leur environnement : on peut ainsi commencer à la surface et explorer les profondeurs, ou passer d'un château à un monde sous-marin sans mal aucun.
Le choix du mode et du thème n'est pas exclusivement cosmétique, comme on peut le croire de prime abord. Certes, il est déjà rigolo de voir les ennemis changer entre les différents jeux, et les plates-formes et les pièges évoluer selon l'environnement comme ces picots qui, sous l'eau dans le mode SMB3, se transforment en méduses électriques ; mais surtout, des options changent notablement. Le mode de jeu influence de prime abord les power-ups à notre disposition. Si le Super Champi et la Fleur de Feu resteront communs à tous les modes, le Champi Hélico ne se trouvera que dans NSMBU et la Plume dans SMW, par exemple. Aussi, les mouvements de Mario ne seront pas tout à fait les mêmes : SMB3 lui donne accès à la P Speed, qui lui permet de courir plus vite et de sauter plus loin, tandis que NSMBU donne accès au rebond mural.
Si ce n'est ces quelques petites exceptions cependant, on remarquera qu'effort a été fait d'homogénéiser au maximum l'univers de Mario, quitte même à créer des formes et des concepts inexistants dans des jeux antécédents. Ainsi, si l'univers de la maison hantée n'apparaît véritablement que dans SMW, des versions « demake » ont été composés pour l'occasion, musiques comprises, pour SMB et SMB3. Si les Thwomps, ces blocs de pierre hargneux qui chutent à notre approche, n'apparaissent que dans SMB3, on les a cependant créés pour SMB premier du nom, et ainsi de suite.
Ces options sont particulièrement agréables, et laissent même entrevoir des sortes d'univers alternatifs où ces objets et ces pièges ont connu une autre vie que celles que nous connaissons. Le soin apporté, également, à ces nouveautés, fait plutôt illusion : si, bien entendu, ce que propose Super Mario Maker dépasse les vieillissantes capacités de la NES ou de la SNES, on pourrait aisément croire que l'équipe de développement a sorti du carton des concept arts inexploités ou des musiques bootleg.
Il est aussi rigolo de voir des options de jeu qui étaient, jusque là, contraintes ou quasiment inédites. La Botte de Goomba, qui ne faisait qu'une apparition dans un seul niveau de SMB3, fait à présent partie des éléments que l'on peut placer dans l'aire de jeu ; les ennemis terrestres comme les Goombas ou les Wigglers peuvent nageotter sous l'eau, et les Boos nous surprennent à présent en-dehors des châteaux et des maisons hantées. Cela n'a l'air de rien dit comme ça, mais pour un fan de la saga, c'est révolutionnaire ; et l'ensemble garde une cohérence rigolote grâce à un dessin fort et expressif, qui rend toutes les combinaisons viables. On pourra toujours déplorer quelques absences, les Rotodiscs ou les bougies vivantes de SMB3, Boom-Boom, les Koopa Kids, mais dans l'ensemble, la sélection est variée et pertinente.
Super Mario Maker ne propose cependant pas uniquement de disposer ces différents éléments, même si c'est déjà exceptionnel. On trouve, en plus, plusieurs nouveautés qui dynamisent absolument notre approche du design d'un jeu Super Mario. Déjà, il faut noter l'ajout, ou le retour, de plusieurs power-ups qui enrichissent notamment les possibilités de jeu. Mario peut maintenant se casquer d'une carapace de Scarabée Bourdonnant, ce qui fait rebondir les projectiles sur sa tête et le protège des picots au plafond, et d'une carapace de Hériss, qui lui permet de blesser les ennemis par en-dessous et de briser des blocs massifs. On a également, pour le mode SMB seulement, le retour du Méga Champi de New Super Mario Bros., qui agrandit démesurément Mario et lui permet de détruire les blocs sous lui. Sous l'effet de ce champignon, l'écran prend d'ailleurs un filtre imitant une vieille télévision cathodique et les ennemis sont modifiés, un peu comme lorsqu'on finit le monde secret de Super Mario World.
Ce n'est pas tout : toujours dans le mode SMB, il est possible d'obtenir des « Champi Mystères », qui transforment Mario en différents personnages. On peut devenir ainsi Link, voire Sonic ou un Pikmin, bruitages compris ! Mario conserve sa taille la plus petite, mais il a tous les avantages, sinon, d'un Super Champi. Ces costumes s'obtiennent soit via les Amiibo, ces figurines vendues par Nintendo et qui débloquent, dans plusieurs jeux, différents bonus et objets secrets, soit en finissant certains modes de jeu.
Il y a plus encore. Il est possible de combiner les ennemis et divers éléments pour les transformer et changer leurs comportements : un Super Champi les agrandit, des ailes les font voleter ou accélèrent leurs déplacements, on peut les mettre dans les machines volantes de Bowser pour les rendre plus mobiles et dangereux. Plus encore, on peut combiner les ennemis et les objets avec d'autres éléments du décor : on peut les faire sortir des tuyaux, qui distribuent donc autant des plantes carnivores que des fleurs de feu ou des goombas, dans des blocs points d'interrogation voire des canons, qui éjecteront donc quasiment tout ce qu'on leur donne à manger à une vitesse fulgurante.
Vous en voulez encore ? Allez, parce que c'est vous ! On peut faire se superposer les ennemis, qui demeureront ainsi solidaires jusqu'à ce que l'un tombe ou disparaisse. On peut ainsi mettre des plantes sur des goombas, ou faire un totem de koopas si cela nous amuse : les possibilités sont particulièrement nombreuses, et jusqu'à assez longtemps dans la vie du jeu, on découvrit encore de nouvelles interactions.
C'est, d'ailleurs, l'un des grands plaisirs de la création de niveaux : voir les modifications des éléments que l'on met dans l'aire de jeu, créer des réactions en chaîne et construire des niveaux fascinants et déroutants, qui prennent parfois vie au-delà de ce qu'on avait initialement prévu. L'interface, il faut le redire, est particulièrement intuitive et riche, le petit inventaire précédent ne rendant absolument pas justice à toutes les possibilités offertes.
Les premières fois cependant, nous étions loin, individuellement, d'avoir tout vu des possibilités créatives offertes. Alors, on choisissait peut-être de mettre en ligne son niveau : il fallait pour cela le terminer en une fois, sans mourir, et de même à partir des checkpoints (un maximum par sous-zone). Le jeu nous avertissait lorsque quelqu'un s'essayait ou terminait notre stage, ou s'il l'avait apprécié ; mais c'était surtout dans l'exploration des niveaux des autres qu'on finissait rapidement par se tourner.
La pêche à la ligne
Super Mario Maker proposait deux grands accès aux niveaux mis en ligne par la communauté par l'intermédiaire du Miiverse, le réseau social de Nintendo créé pour la WiiU. Le premier, c'étaient des listes organisées selon différentes entrées (modes et thèmes, par exemple) mais, surtout, par difficulté et par popularité. La difficulté d'un niveau était estimée non par les créateurices mais par une formule opaque, mettant en relation le nombre total de parties lancées, le nombre total de parties arrivées jusqu'au bout du niveau et d'autres facteurs encore, qui n'ont pas été totalement compris. Le système était fonctionnel, mais imparfait ; et il avait notamment tendance à plutôt surestimer la difficulté des niveaux, répartis en quatre degrés : Facile, Normal, Expert, Super Expert.
Le classement par popularité était beaucoup plus simple à comprendre. On pouvait donner à un niveau une étoile, qui signifiait qu'on l'avait apprécié ; et plus un niveau était valorisé, plus il montait dans le classement. On pouvait ainsi voir les niveaux les plus populaires de tous les temps, ou ceux du mois ou de la semaine : et plus un créateur ou une créatrice avait de succès, plus il ou elle recevait de médailles marquant sa réputation et plus il lui était possible de mettre en ligne des niveaux, jusqu'à cent maximum.
Le système de recherche de niveaux était, disons-le tout de go, une horreur à utiliser précisément. S'il faisait l'affaire, et si on pouvait notamment s'abonner à des designers que l'on aimait bien, impossible, par exemple, de chercher le titre d'un niveau ou même un mot-clé, ou de voir ce qui se faisait dans son pays ou un autre. Il manquait, globalement, de métadonnées pour rendre le système efficace. La chose était tellement mauvaise que Nintendo lui-même créa un site internet, à présent désactivé, Super Mario Maker Bookmark pour faciliter la recherche de niveaux, et quelques initiatives amatrices complétèrent le tableau.
Mais même au-delà de ça, si on voulait échanger nos niveaux, ou simplement en essayer par l'intermédiaire des sites communautaires, il fallait rentrer un code à SEIZE symboles (lettres et chiffres) ! Impossible de passer par une autre méthode, ne serait-ce que par l'intermédiaire du Miiverse. Rien n'était définitivement insurmontable, mais la chose était cruellement maladroite et fastidieuse, et définitivement représentative du peu d'expérience de la compagnie en matière de jeu en ligne.
L'autre façon de parcourir les niveaux, c'était par l'intermédiaire du « Challenge des 100 Marios ». Il consistait à finir un certain nombre de stages, différents selon le niveau de difficulté choisi (8 en Facile, 16 en Normal et en Expert, 6 en Super Expert) en commençant avec un pécule de cent vies. Il n'était pas possible d'en amasser davantage, et on ne pouvait récupérer que trois vies maximum par stage. Outre le plaisir de découvrir de nouveaux niveaux, c'était aussi l'occasion de débloquer les costumes spéciaux dont je parlais plus haut pour s'en servir dans le mode « création ». Sans ça, on pouvait toujours en profiter dans les niveaux des autres mais, sinon, il fallait l'Amiibo correspondant pour s'en servir.
J'ai passé énormément de temps dans ce mode de jeu, et on y faisait toujours de très belles découvertes. Certes, la (grande) majorité des niveaux proposés étaient médiocres au mieux, quand ils n'étaient pas tout simplement injouables, remplis de blocs cachés donnant des étoiles d'invincibilité ou autres astuces connues seules de la personne ayant mis en ligne le niveau, de pièges débiles et impossibles à éviter, et d'autres détestables idées. La plus grande majorité des niveaux était dans le style NSMBU, comme c'était le premier proposé dans le mode de création, et Super Mario Maker était l'exemple même qu'on ne s'improvise pas Miyamoto en claquant des doigts. Mais, à côté de ça, il y avait d'autres niveaux bien, bien plus intéressants.
Le génie des autres
Car à côté des niveaux se contentant d'aligner les obstacles sans ordre ni mesure, ou qui se présentaient comme « impossibles » pour celui ou celle qui n'avait pas l'astuce permettant de finir le niveau, il y a eu de véritables chefs d'œuvre. Il y a eu des niveaux extraordinairement bien fourbis, tant et si bien qu'on aurait pu effectivement les croire issus des meilleurs épisodes de la licence, avec une courbe de difficulté et un thème bien définis, et menés de bout en bout sans fausses notes.
Il y a eu aussi des niveaux plus complexes, fondés non seulement sur la plate-forme mais aussi sur l'exploration, voire une suite de challenges divers, malins et intelligents. Il y avait des énigmes tenant sur un seul écran, où l'on devait trouver la bonne série d'actions pour atteindre le point d'arrivée et des épreuves d'endurance ou de survie, où notre maîtrise du personnage et notre connaissance des mécanismes de jeu étaient éprouvées.
Il y a eu, aussi, des niveaux Kaizo, dont j'ai parlé plus haut et que j'évoquais dans cet article. Des niveaux comme « Pit of Panga: P-Break » (lien Youtube) ont fait la réputation d'un grand nombre de joueurs et de joueuses, et ont su faire connaître à une population inédite ce principe des niveaux outrageusement difficiles mais cruellement satisfaisants. Il y avait même des kaizo pour débutants, et c'est grâce à ceux que j'ai su accomplir mes premiers hauts-faits, mes premiers shell jumps et mes premiers spring drops.
Aux côtés de ça, vous aviez des niveaux Trolls, qui jouirent également d'un très grand succès, notamment sur Youtube et sur Twitch. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il y a toute une science de ces niveaux destinés à tromper et à nous faire mourir injustement en exploitant des interactions rares et des réflexes bien ancrés dans nos pratiques ludiques. Si vous êtes sceptique, je vous invite ainsi à consulter ce Google Doc de 80 pages, vademecum absolu détaillant les grands principes d'un niveau trollesque réussi. Cette communauté n'est, d'ailleurs, pas si éloignée de celle des Kaizo, et elle est passée maîtresse dans la création de niveaux diaboliques, davantage destinés à faire rire aux dépends de qui s'y essaie, que d'être sincèrement parcourus.
Et puis, il y a eu toute une famille de niveaux artistiques, de différentes façons : des niveaux qui se servaient des blocs pour dessiner des fresques complexes, qui ne se dévoilaient parfois que par la vignette de prévisualisation du stage, avant de le lancer ; d'autres qui racontaient des histoires ou recréaient des scènes (voire des niveaux entiers) d'autres jeux ; d'autres qui étaient automatisés, il suffisait de ne pas toucher à la manette, ou de maintenir un ou deux boutons, pour faire mille cascades et arriver à la fin du niveau sans mal aucun, tout au plus avec un poil de moustache roussi ; enfin, certains niveaux composaient de véritables mélodies. Super Mario Maker est un jeu mélodique. On se rappellera, effectivement, qu'il y a dans Mario Paint un mode de jeu pour composer ses propres musiques. S'il n'y a rien d'aussi spécifique dans le jeu, on trouve pourtant beaucoup d'idées approchantes. Déjà, il est possible d'adjoindre aux objets et ennemis des effets sonores spécifiques, pour créer des situations rigolotes, même enregistrer des bruitages avec le micro du Gamepad. Ensuite, quand on place des objets dans le mode de création, chacun a son propre petit son dédié, et la tonalité monte ou descend selon l'emplacement où on le place, ce qui crée une sorte de symphonie artisanale particulièrement agréable. Et puis, surtout, il y a les blocs « notes de musique ».
Ces blocs rebondissants ont été introduits dans SMB3, et ils apparaissent depuis très régulièrement dans les aventures de Mario. Ils peuvent contenir des objets et des ennemis et, ce qui est intéressant, c'est que d'autres ennemis, ou d'autres objets, peuvent rebondir sur eux. Déjà, ce sont des pièges intéressants, qui compliquent toujours une situation de jeu traditionnelle ; mais, surtout, on peut les changer en blocs roses. À ce moment-là, non seulement leur tonalité dépend, comme pour n'importe quel geste créatif, de la hauteur où ils se situent mais aussi, le bruit qu'ils font dépend de ce qui rebondit dessus.
Certains ennemis font un bruit de guitare ; d'autres, de piano ; cet objet qui rebondit, c'est davantage une guitare ou une voix pseudo-humaine. Le système est incontestablement rudimentaire, mais il faut véritablement voir sur Youtube ce qu'on avait su en tirer. De la musique savante, des airs populaires, du rock'n roll et des génériques de série animée... Tout cela, souvent, couplé avec un level design d'exception, qui rendait ces stages extraordinairement plaisants à faire et à refaire.
Il était également possible de télécharger sur sa console n'importe quel niveau créé, afin de voir un peu ce qui se passait « sous le capot ». Certaines interactions et certains mécanismes étaient effectivement plutôt malins, comme ces niveaux qui savaient si on regardait à gauche ou à droite, ou si l'on sautait ; et pour ce niveau qui semblait effectivement impossible, on pouvait ainsi repérer les sorties secrètes et les astuces malhonnêtes qui facilitaient la vie.
On avait ainsi tout en main pour être génial, et pour reproduire tel ou tel phénomène que l'on aimait bien, et dont on ne comprenait pas le fonctionnement. La quantité de niveaux que l'on pouvait sauvegarder était tout limitée, mais c'était tout de même suffisant pour s'en faire une petite réserve, et refaire ceux qu'on préférait encore et encore.
Être et avoir été
Mais tout cela, tout le génie, l'inventivité, la roublardise, la méchanceté parfois, de ces niveaux, tout cela disparut. Il y a eu deux étapes successives à l'arrêt des serveurs : en 2021, quelque six ans après la sortie du jeu sur WiiU, cinq après son portage sur 3DS, deux ans après la sortie de sa suite Super Mario Maker 2 sur Switch, en 2021 donc, il ne fut plus possible de mettre en ligne de nouveaux niveaux en ligne. Il y avait donc un nombre arrêté de stages, mais il y en avait encore bien trop pour tous les essayer même si une équipe imposante, la « Team 0% », a réussi à finir les niveaux récalcitrants avant la fermeture des serveurs (lien externe). Puis, le 8 avril 2024, tout se termina.
Aujourd'hui, que reste-t-il de Super Mario Maker ? Un mode de création de niveaux, toujours aussi complet et riche, mais qui ne peut profiter qu'à nous, et à celles et ceux qui joueront sur notre console. Les stages téléchargés précédemment, que l'on peut refaire tant qu'on ne les supprime pas. Une petite poignée de niveaux créés par Nintendo, comme illustration de ce qui est ou était possible d'accomplir. Et c'est tout.
Il y a presque de la poésie, là-dessous, sait-on. Quelque chose d'éphémère et de précieux, qui a vécu et qui est mort dans un temps déterminé, sans réelle possibilité de le maintenir en vie. Comme je le disais en introduction, des initiatives personnelles relancent des serveurs amateurs, et nombre des créateurices les plus populaires ont, depuis, migré sur Super Mario Maker 2. Parfois, ils ont refait leurs stages : mais même en refaisant exactement la même chose, comme les interactions, la physique, les effets ont été modifiés, plus ou moins légèrement, plus ou moins notablement, ce n'est pas tout à fait la même chose. On peut s'y tromper, mais un œil aguerri voit immédiatement les différences nombreuses.
C'est curieux, quand j'y pense. Depuis longtemps, Nintendo a voulu célébrer sa longue et riche histoire, à renforts de remake, de jeux encyclopédiques comme Super Smash Bros., de musées quitte, comme Disney, à réécrire ou à embellir son passé : ce sont les vainqueurs qui décident. Avec les consoles virtuelles, il y a la tentation de construire un patrimoine unique, de la compagnie, du jeu vidéo lui-même peut-être ; et il serait difficile de leur donner tort, tant l'importance de Nintendo, depuis presqu'un demi-siècle, est extraordinairement puissante.
Et puis, il y a Super Mario Maker, comme une anomalie, un accident de parcours, une vignette, presqu'une erreur. Quelque chose d'important, dans son principe comme dans sa licence, d'incroyablement puissant et ingénieux, non sans défauts que sa suite corrigera, mais sincère, intelligent, malin, évident, ergonomique, communautaire, joyeux : et, depuis le début, vain, nécessairement vain. Dès la sortie du jeu, je savais, tout le monde savait que les serveurs finiraient par s'éteindre tôt ou tard. Ceux de la Wii et de la DS, qui furent les consoles les plus populaires de leur temps, n'y échappèrent pas : alors, pensez comme si la WiiU allait suivre !
Mais il en va des jeux comme il en va de l'enfance, de la vie même. On sait qu'ils finissent par finir. Que les cartes sont rangées, que l'adolescence s'achève, que le tombeau nous attend. Et même en sachant ça, même en le portant dans notre chair, on accepte de vivre, pourtant. Ce n'est pas toujours facile. Il faut bien du courage et de la force, parfois. Mais c'est bien parce que ça se termine, que ça a de la valeur. Même s'il ne restera jamais plus, de Super Mario Maker, qu'une coquille vide, qu'une trace sur le sable, qu'une ombre, ce qui habitait ces mémoires était beau, et nous avons eu de la chance de l'avoir.