![]() |
Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
|
||
![]() |
Un anti-jeu ? ...The Path, vous l'aurez compris, n'est pas un titre comme les autres. Expérimental, symbolique, voire ésotérique par instants, il procure un plaisir unique et dangereux, rarement entrevu par ailleurs. Mais pour le comprendre, et pour l'accepter, il convient de s'y plonger un peu plus, et de l'étudier avec précaution. Je délaisserai, pour l'instant, les questions les plus évidentes d'interprétation pour me concentrer sur le versant « ludique » du titre car, fondamentalement et à mon sens, il est une réflexion poussée sur la notion de jeu vidéo. ![]() Cependant, où que l'on regarde, The Path déçoit ou, plutôt, il est disphorique : c'est-à-dire qu'il reprend instantanément ce qu'il vous offre pour vous surprendre. Commençons par l'espace : le chemin est décevant, car il s'agit d'une ligne droite stricte, sans piège ni obstacle, où rien n'apparaît jamais. Pour récupérer, alors, des objets, il faut s'en éloigner et rentrer dans le bois. Mais celui-ci, de même, peine à satisfaire : il est sombre, labyrinthique, désordonné. Il est impossible de s'y repérer, et force est à parier que vous tournerez en rond longtemps, très longtemps, avant de rencontrer la moindre chose intéressante. Les règles : marcher est une torture tant la chose se fait lente, et courir est impossible, étant donné que le jeu ne nous permet pas d'observer où nous allons. Quant à l'interaction, celle-ci se fait à contre-courant de tous nos réflexes de joueur aguerri, puisqu'il faut, à proprement parler, « lâcher les commandes » pour déclencher l'action : il ne faut pas qu'il y ait un seul bouton d'appuyé pour déclencher la scène. Enfin, les enjeux : ils se contredisent. L'on ne peut, à la fois, trouver le loup et rester sur le chemin. Le jeu ne nous offre qu'une seule consigne, et afin d'avancer dans celui-ci, il est dans notre devoir de la transgresser. Mais est-ce que « trouver le loup » est, en soi, une avancée certaine, accomplit-on réellement quelque chose ? D'ordinaire, l'on cherche à éviter les ennemis, non à se précipiter sur eux... Et à la vue de ces images troublantes une fois arrivée chez mère-grand, l'on peut se poser la question de la « réussite » de cette action. Il ne faut pas, non plus, négliger le conte originel, que l'on avait jusqu'à présent perdu de vue, où le loup est synonyme de mort et de danger, chose qu'il faut éviter à tout prix. Vouloir rencontrer le loup reviendrait, dans Pac-Man encore, à foncer tête bêche dans un fantôme ! ![]() ... ou un véritable jeu ?Restreindre, cependant, ce titre à un délit d'initiés reviendrait à passer à côté du plaisir immense qu'il procure. Une fois ces particularités acceptées, l'esprit se trouve comme préparé à tout ce qui peut arriver. Et les sphères du ludisme, le vrai, cette fois-ci, s'ouvrent alors au joueur. En effet, jouer à The Path, c'est avant tout accepter son rythme particulier, placide, lent et posé. C'est renier la vitesse, inhérente au jeu vidéo depuis ses débuts, pour prendre le temps d'une balade calme, avancer sans savoir où notre trajet nous mènera, accepter de faire des rencontres inattendues. C'est laisser, véritablement, notre sensibilité prendre le dessus et imposer définitivement notre rythme au jeu là où, le plus souvent, le contraire survient. Le joueur pourra également choisir d'aller vite, de courir, de se perdre corps et biens dans cette épaisse forêt. Mais il lui faudra, également, accepter de perdre tout contrôle, puisque la caméra ne l'aidera pas dans sa folle chevauchée. C'est le plaisir de foncer sans savoir où l'on se rend, de se perdre volontairement sans secours d'aucune sorte. Quand la musique accélère, prend des tours sombres, l'on jurerait retrouver certains plaisirs oubliés de Grand Theft Auto quand, au soleil couchant, l'on roule à cercueil ouvert sur des routes sans fin, l'auto-radio judicieusement programmé, sans se soucier d'une mission ou d'un objectif. C'est, pour ainsi dire, la liberté, avec tout ce qu'elle implique de plaisirs et de conséquences. ![]() Lors de mes discussions avec Thezis (membre émérité de Grospixels s'il en est), discussions qui m'ont poussé à rédiger cet article, j'ai lâché une expression qui certes peut paraître malheureuse, mais qui me semble guère dénué de toute vérité : j'ai dit, textuellement, « c'est un jeu de femmes ». Avant que l'on ne se méprenne, que j'explique le sens de cette assertion qui n'est pas, comme on pourrait le considérer, péjoratif, du moins dans le sens que je l'ai employée. En disant « c'est un jeu de femmes », je n'exploitais pas certains stéréotypes qui feraient du jeu vidéo un domaine uniquement masculin, trop difficile ou trop complexe pour les joueuses ou, encore, que celles-ci devaient se tourner uniquement vers des titres à l'imagerie sensible ou pleine de mignardises, réservant les FPS et autres jeux d'action aux hommes. Je faisais davantage appel à une approche de l'esthétique et, incidemment, du gameplay qui en découle, tout comme on peut dire que Volver, de Pedro Almodovar, est un « film de femmes » ou, plutôt, un « film féminin ». Il y a déjà, comme je le montrerai dans les lignes qui suivent, les six petites filles qui peuvent représenter chacune une étape du développement psychosomatique du corps féminin, notamment dans les représentations archétypales que peut dénoncer une philosophe comme Simone de Beauvoir. Mais si The Path apparaît comme un « jeu féminin », et ce dans le sens de ce qui a été dit plus haut sur la « déconstruction du ludisme immédiat » et la création d'un « ludisme alternatif » ou d'un « méta-ludisme », c'est qu'il fait appel à un regard décalé et à un recul que l'on n'observerait pas dans d'autres jeux qui ont tendance à s'adresser à des joueurs pour qui le jeu vidéo répond à certains codes particuliers et s'attendent à les retrouver tels quels, du moins dans leurs grandes lignes. Il ne s'agit pas de dire, également, qu'une approche « féminine » est plus subtile ou plus élaborée qu'une approche « masculine », mais plutôt que son traitement fait appel à une symbolique et à une intelligence plus intériorisées. ![]()
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (43 réactions) |