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Flower, Sun and Rain
Année : 2001
Système : DS, Playstation 2
Développeur : Grasshopper
Éditeur : Rising Star Games
Genre : Aventure
Par Tama (24 décembre 2012)

Dans la « carrière » de chaque joueur, il y a des jeux qui rentrent dans des catégories assez nettes.

Il y a les excellents jeux qui sont unanimement reconnus comme tels. Pour certains d'entre eux ce sont des jeux cultes qui reviennent très souvent dans la liste des meilleurs jeux sur leur plateforme, ou de leur époque.
Il y a les très bons jeux qui sont de véritables surprises parce qu'on ne les attendait pas. Ce sont régulièrement des jeux qui sont passés sous le radar de la presse spécialisée, et peut-être même qu'ils vont faire l'objet d'un culte de la part d'un groupe réduit de fans.
Il y a les déceptions, d'autant plus amères que ce sont des titres que l'on pensait très bons.
Il y a les petits jeux très sympathiques, qui ne révolutionnent rien mais sur lesquels on a passé des moments agréables.
Il y a les jeux mauvais dont on n'attendait pas grand chose, et le jeu a répondu à nos attentes (ou à notre absence d'attente). Au pire, ils serviront de boucs émissaires dans les discussions entre amis pour leur taper dessus.

Dans la vie de joueur, il y a de tout ça.

Mais il y a aussi Flower, Sun and Rain.

Lui ne rentre pas dans une catégorie précise, et encore maintenant je n'arrive pas à me décider si je l'apprécie ou pas...

Les jeux vidéo sont habitués à chatouiller le quatrième mur. Ça ne date pas d'hier, mais on constate une recrudescence des petits clins d'œil ou des moqueries ces dernières années, surtout venant des jeux issus de la scène dite « indépendante ». Mais très souvent elles ne portent pas à conséquence, et sont là pour faire rire, ou pour faire un clin d'œil appuyé, comme un signe de reconnaissance entre vétérans.
Mais que se passerait-il si un jeu pousserait le vice jusqu'au bout ? S'il prenait carrément le joueur à parti pour lui parler de son activité de joueur même et de son inanité ? Et qu'il allait jusqu'au « suicide » pour rendre son propos d'autant plus palpable ?
C'est exactement ce qui se passe dans Flower, Sun and Rain. Autant vous le dire tout de suite, je vais vous parler d'un des jeux les plus étranges auquel il m'ait été donné de jouer !

Sorti en 2001 sur PS2 au Japon, FSR va connaître une seconde vie sur DS en 2009 et aura la chance de sortir des frontières nippones, cette fois. Développé par Grasshopper Manufacture, la décision d'une sortie mondiale a probablement été motivée par le succès de No More Heroes sur Wii, voire du relatif succès d'estime de Killer 7 avant lui. Quoi qu'il en soit, le jeu revient sur la portable de Nintendo avec des énigmes supplémentaires et optionnelles, ainsi que la possibilité de débloquer des costumes avec un New Game +... ce qui est totalement inutile. Le jeu de base se suffisait à lui-même et ces rajouts ne servent à rien, et surtout pas à améliorer l'expérience de jeu... qui n'avait pas besoin de ça de toutes façons.

La version PS2.
Killer 7

L'histoire donne le ton : vous incarnez Sumio Mondo, un « chercheur » qui est envoyé sur l'île de Lospass pour résoudre un problème insoluble. Un terroriste menace de faire sauter l'avion de Lospass à la fin de la journée, et on doit l'en empêcher. Cependant, on apprend très vite que l'île est prise dans un champ magnétique si particulier que les habitants sont condamnés à revivre le même jour en boucle.
Première contradiction : pourquoi vouloir empêcher un attentat s'il va recommencer éternellement ?
Rassurez-vous, ce n'est pas la première bizarrerie du jeu, qui va prendre un malin plaisir à les aligner. Que ce soit Sumio qui donne des noms affectueux à sa voiture ou sa valise, un camionneur faisant des allusions sexuelles pour le moins étranges (« Entrez. En moi. ») ou un crocodile domestique rose, FSR porte la marque de Suda Goichi à tous les niveaux, et le fait avec un zèle impensable.

Dans la pratique, il s'agit d'un point'n click, où l'on va diriger Sumio sur l'île de Lospass et résoudre des énigmes. Notre « chercheur » (qui semble chercher n'importe quoi, tant qu'on annonce la couleur) est hébergé à l'hôtel Lospass où va se dérouler l'écrasante majorité du jeu. Pour l'aider, le maître d'hôtel Edo MacCallister va donner au héros le guide de voyage de l'hôtel... le rapport ? En fait, toutes, et je dis bien TOUTES les solutions aux énigmes du jeu se trouvent dans ce guide. Bien entendu les réponses sont cryptées et il va falloir deviner comment les interpréter. Parfois c'est tellement simple que c'en est insultant (on retrouvera un peu ce style dans les énigmes de Killer 7), et à d'autres moments c'est si abscons qu'il me paraît difficile de trouver sans l'aide d'une soluce.
Une fois la solution trouvée, il va falloir brancher Catherine, votre ordinateur à tout faire. Il faut la connecter avec une prise à l'endroit où il faut résoudre l'énigme, ce qui laisse une bonne part à l'absurde puisqu'elle peut être branchée partout, y compris sur un être humain ! Ensuite, il faut taper le chiffre ou le nombre correspondant à la réponse.
Un exemple tout bête : au début du jeu, on vous demande de taper votre date de naissance sur une porte pour l'ouvrir. Il faut donc choisir la date que vous avez entrée dans votre DS, et l'afficher pour débloquer la porte.
Alors oui, ça ne semble faire aucun sens mais c'est très logique en fin de compte. Enfin, FSR est très cohérent dans sa folie, j'aborderai ce point plus tard.

Sumio Mondo.
Le guide en question.

La structure du jeu, elle, est assez simple : pendant la journée vous allez tenter de résoudre les mystères de l'île avant d'être interrompu par un habitant de l'hôtel qui a besoin d'aide. Bonne poire, Sumio accepte, ce qui vous demandera de vous plonger dans la lecture du guide afin de trouver la solution de l'« énigme ». Je mets des guillemets car je sur-estime les problèmes des résidents ! L'un cherche à discuter de foot et veut connaître la formation de telle équipe nationale pendant telle Coupe du Monde, ou bien le barman vous demande les dosages pour faire un cocktail en particulier ; ou encore ce sera un luchador qui n'arrive pas à progresser dans ses combats et qui a besoin de motivation. Bref, Sumio est trop gentil et sert ouvertement de coursier bénévole. Et le temps que vous finissiez ce que vous avez à faire, l'avion piégé par le terroriste explose et la journée prend fin. Vous recommencez ensuite la journée et un autre résident viendra quémander votre aide, etc. etc.

Je mets fin au suspense tout de suite, même si je ne suis pas certain qu'il y avait du suspense au premier abord : le jeu est clairement mauvais. Pour commencer il est très laid, au point que le portage réussit à être pire que l'original sur PS2. Chapeau.
Ensuite, son gameplay en entier n'a rien pour plaire. L'idée de devoir fouiller sans cesse dans ce fichu guide finit par énerver très vite, d'autant plus que la difficulté est en dents de scie. Une fois la réponse saute aux yeux, et deux minutes après il faut se livrer à une interprétation fantasque de signes pour arriver à comprendre ce que veut le jeu. Plusieurs passages semblent avoir été conçus pour rendre le joueur chèvre. De plus, le jeu fait exprès d'aligner les aller-retours inutiles et les discussions qui ne semblent faire aucun sens.
Bref, le jeu est mauvais sur le plan visuel et ludique et très franchement, je pourrais très bien m'arrêter là et me contenter de dire que FSR est un calvaire à jouer.

Mais je ne le ferai pas, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, il y a une ambiance complètement géniale qui se dégage de ce jeu. On passe de répliques hilarantes de second degré à des instants où on frise la scène d'horreur indicible. Le jeu s'amuse à sauter du coq à l'âne dans une incohérence de façade qui a un charme incroyable. Cela tient aux dialogues très bien écrits, aux musiques parfaitement insérées dans le récit, aux silences parfaitement bien gérés...C'est trop bon pour être honnête, j'ai eu l'impression de me retrouver dans un épisode de la série Twin Peaks, il faut creuser le sujet.

Un catcheur en manque de motivation.
Tout le monde a besoin de votre aide...

Ensuite, et ça va faire très « fanboy », c'est un jeu estampillé Grasshopper, et donc il y a Suda Goichi aux commandes. Et il est à la fois trop sérieux et trop cinglé pour se contenter de faire un jeu pareil sans arrière-pensée. Après tout on commence à le connaître, l'animal.

Et pour finir sur une note plus pragmatique, le jeu semble vouloir parler au joueur. Et c'est ce point, très dérangeant dans son élaboration, que je vais aborder.

Les jeux vidéo, comme toute œuvre de fiction, partent du principe que le joueur et le créateur forment un « pacte » implicite. Le premier fait semblant de ne pas voir qu'il effectue des tâches similaires et répétitives à longueur de temps ; et le second donne son maximum pour que la répétitivité - et au fond, l'ennui - de son gameplay se voit le moins possible, voire pas du tout...L'idéal étant que le joueur croit vraiment qu'il fait sans cesse quelque chose de différent et d'intéressant, alors que tout ce qu'il fait est d'appuyer sur des boutons au bon endroit et au bon moment. Pour faire une comparaison, il y a des trucages dans les films d'action, que ce soit des câbles, des fausses explosions ou des cascadeurs. Le spectateur se doute bien que les gens ne meurent pas pour de vrai, ne volent pas à des mètres de hauteur ou ne se font pas vraiment tirer dessus ! Tout ça, c'est du chiqué, c'est pour de faux. Mais on fait semblant, et tout le monde y trouve son compte, créateur comme spectateur (NDMTF : Gérard Genette parle pour la Littérature de « pacte fictionnel », bien qu'on utilise plus régulièrement l'expression « suspension d'incrédulité » [suspension of disbelief en anglais] pour les arts visuels en général.) (NDChatpopeye : j'allais le dire.)
FSR, lui, met ce pacte à nu sans aucun scrupule et le brise, en piétinant le quatrième mur et dit à haute voix ce qui doit être passé sous silence pour que le pacte fonctionne. Du coup, ça ne marche plus !

Avant de continuer, je me permets un petit écart. Cette déconstruction, analyse et moquerie des gestes du joueur moyen a été au centre des réflexions de Suda Goichi pendant un bon moment, au moins pendant le trio Flower, Sun and Rain/Killer 7/No More Heroes. Il a changé de fusil d'épaule récemment avec Shadows of the Damned et Lollipop Chainsaw où il aborde la place des genres et des sexes dans le couple, ainsi que le concept de virilité et de féminité.

Les dialogues font rarement sens.
Les boucles temporelles en œuvre.

Bref, revenons à notre hôtel et à notre boucle temporelle. C'est en cela qu'il fait exprès d'être mauvais : FSR prend un malin plaisir à exposer au grand jour les ficelles du jeu vidéo, et à s'en moquer à haute voix. Seul Sumio semble respectueux des apparences et fait tout pour préserver un tant soit peu de mystère, en vain. Le jeu est radical car il ne prend pas de gants et va jusqu'au bout de son idée : à aucun moment il ne va être plaisant à jouer sur le plan du gameplay. Tout est archi-guidé, linéaire au possible (le jeu se moquera même de vos piètres tentatives de faire des écarts) et vous devez sans cesse ouvrir ce satané guide pour trouver des solutions. Que ce soit clair : on ne joue pas à FSR pour le plaisir de jeu, mais pour le plaisir de voir qu'un jeu peut être jusqu'au-boutiste en alliant son gameplay (et ses carences) à son propos. Mais dans ce cas, c'est fait de manière si extrémiste et carrément nihiliste qu'il est très difficile de dire si on a affaire à un bon jeu. En cela, je pense que le jeu est très représentatif de la période Grasshopper à ses débuts, alors que Suda Goichi se cherchait un peu et n'avait pas encore affiné son style. Ses jeux suivants seront en effet bien plus agréables à prendre en main et garderont toujours cet aspect iconoclaste... même si on pourra leur reprocher d'être plus « gentils ». Et encore.

Mais comment cela se traduit-il dans les faits ?

En général, quand un jeu s'essaie à l'art de titiller le quatrième mur, il le fait via son personnage principal. Le héros fera montre d'une répartie cinglante, et peut-être même que le narrateur fera des siennes, de sorte à faire du joueur une sorte de voyageur omnipotent, un complice dans la blague que constitue le petit affront à ce fameux pacte. Le jeu fera donc de nombreux clins d'œil au joueur avec beaucoup d'humour et des références vidéo-ludiques.
Il y a bien sûr le cas Metal Gear Solid qui mérite un aparté. Ici, la frontière entre le jeu et le joueur est ébranlée par le gameplay lui-même. Les occasions sont très nombreuses, comme de chercher la station de Codec pour contacter Meryl au dos de la boite du jeu même, ou le personnage de Psycho Mantis qui « lit dans votre esprit » en scannant votre carte mémoire ou vos inputs sur votre manette, vous obligeant à changer de port pour le tromper.
Mais tout ceci, aussi réussi et plaisant soit-il, reste de l'ordre du clin d'œil qui ne porte pas à conséquence grave sur l'expérience et sur le pacte tacite. Car dans le cas de FSR qui utilise un bulldozer (ou un avion détourné...) pour démolir carrément ce fichu mur, les choses sont très différentes.
Sumio Mondo n'est pas un héros « à qui on ne la fait pas » et qui se fend de répliques de vétéran. Ce n'est pas non plus un parfait ignorant, bien au contraire ! Il se pose comme le garant, le protecteur de ce pacte : il sait très bien qu'il est un protagoniste de jeu vidéo, et sait qu'il n'est pas censé le divulguer. Il sait qu'il est contrôlé, que le jeu dans lequel il évolue est le produit du travail de développeurs. Mais il pense dur comme fer qu'il doit garder le secret à tout prix et que la première personne à ne pas mettre dans la confidence est le joueur lui-même. C'est très important car non seulement ce sera le seul personnage à faire montre d'autant de prévenance, mais c'est aussi exactement ce qui l'empêche d'atteindre son but, à savoir finir son enquête/le jeu.

Un vrai altruiste.
Catherine l'ordinateur.

Dans le jeu, on voit que cette « comédie » est exposée de la plus brutale des manières via le personnage de Shotaro. Pour faire court, c'est un sale gosse résidant à l'hôtel qui va vous demander d'aller chercher son ballon...et vous couvrir d'insultes en tous genres. Si ce n'était que des remarques d'enfant de 8 ans, on aurait passé l'éponge ou Sumio aurait rapporté les faits à sa maman. Mais non, Shotaro se fout éperdument de lui en lui signalant que la musique du jeu n'est faite que de remixes de Debussy, que son guide est tout pourri et que c'est vraiment crétin que le jeu l'oblige à faire sans cesse des allers-retours alors que son objectif est juste derrière le portail de l'hôtel, bloqué par un mur invisible ! Et là, Sumio craque. Lui que l'on croyait placide, professionnel, gentil, serviable et toujours maître de lui-même entre dans une colère noire ! Il lui hurle dessus comme un acteur engueulerait un caméraman qui aurait raté sa prise alors qu'on tourne pour de vrai, là. Va jusqu'à réclamer son expulsion du jeu, si ce n'est pas son exécution pour crime majeur ! Sumio résiste et se pose comme le gardien, fragilisé, d'un secret ancestral. C'est l'exemple le plus brutal, et à partir de là le jeu commence à prendre une tournure assez... incroyable. Imaginez que vous soyez au cinéma avec le réalisateur du film en personne, qui vous commente et vous fait lire le script en même temps que vous visionnez le film. C'est presque s'il ne vous raconterait pas des anecdotes croustillantes sur le tournage !
En vrac, vous aurez le droit à un cadre supérieur qui recherche l'affection d'une femme, au point de se déguiser en lapin rose et de faire des chorégraphies dignes de la danse des canards. Un ange sera de la partie, et ce sera un moindre mal devant ce duo de musiciens qui vous demanderont de réparer leur sono dernier cri, qui se révèle être un vrai vaisseau volant. Et bien sûr, une jeune fille qui vous veut du bien (si si) cherchera son crocodile rose, animal qui fera office de mur invisible pour le moins élégant. Derrière tout ça, des chèvres mutantes capables de créer des yeux conférant l'immortalité et le contrôle du temps, élevées en batterie dans des usines high tech. Un géant, ayant raté le casting pour figurer dans la série Evangelion, émergera de son sommeil, parce que ça manquait un peu de robots, non ?
Vous pensez que j'ai tout dit ? Je n'ai rien révélé du tout, en fait. Vous allez devoir comprendre pourquoi toute cette galerie de personnages et de situations toutes plus improbables les uns que les autres, vont vous aider à finir le jeu.
Reste tout de même un détail, sa parenté avec The Silver Case, autre jeu de la firme. En effet, un bon nombre de personnages de FSR sont issus de ce jeu et en feront référence. Ça peut être gênant dans la mesure où The Silver Case n'a jamais franchi nos frontières... mais honnêtement vous ne raterez rien, si ce n'est quelques clins d'œil. Je crois même qu'à ce stade-là, le jeu instille volontairement le doute alors que ce n'est pas nécessaire.

Toute l'histoire de FSR, et de la vraie quête de Sumio Mondo, se trouve là. Cette histoire de boucle temporelle et de menace terroriste est directement liée à la condition du détective, avatar indispensable mais remplaçable du joueur. Car Sumio se sait indispensable... mais n'arrive pas à saisir pourquoi il a si peu d'importance au final. Pourquoi est-ce qu'il échoue sans cesse, recommence la même journée et ne progresse pas ? C'est ce que le jeu va lui apprendre, car tous les autres protagonistes du jeu sont partie prenante de cette quête initiatique qui fait office de mise en abyme spectaculaire. Ils vont essayer de « réveiller » Sumio et de lui faire comprendre qu'il est remplaçable, qu'il n'est qu'une « vie » au compteur du joueur et qu'il doit tirer partie de cela pour « battre » le terroriste Sundance Shot et finir le jeu pour de bon. Que c'est lui qui va sauver l'île, mais ce ne sera pas nécessairement « lui ».
Le jeu se fendra même du cas de Game over (et de Continue) le plus louche que j'aie jamais vu.

Le genre d'énigmes que vous serez amené à résoudre.
Shotaro, tais-toi !

Résumons :

Sumio arrive sur Lospass pour qu'il fasse montre de ses talents de détective, afin de délivrer l'île d'un mal qui la ronge. Il ne sait rien de cette île et se retrouve plongé malgré lui dans un univers dont il va devoir apprendre les codes.
Le joueur, lui, met le jeu dans sa console et commence la partie en découvrant l'univers et les mécaniques de gameplay au fur et à mesure.

Sumio utilise Catherine, une valise ultra-perfectionnée, pour se « brancher » aux énigmes et pouvoir les résoudre.
Le joueur utilise sa console de jeu ultra-perfectionnée pour « se brancher » au jeu et participer à l'aventure et résoudre les énigmes qui lui sont imposées.

Sumio se lève chaque jour et accomplit les tâches qui lui sont imposées pour, lui dit-on, sauver l'île de la double menace qui la ronge.
Le joueur allume sa console quand il veut/peut et avance dans le jeu en accomplissant les tâches que le jeu lui impose, dans l'espoir de finir et voir la fin du jeu.

Sumio effectue les mêmes tâches rébarbatives et sans intérêt, s'en rend compte et finit par comprendre que sa présence dans ce décor grotesque n'est pas celle qu'il espérait. Que sa quête n'a pas du tout le sens qu'il lui prêtait.
Le joueur effectue les mêmes tâches en boucle, et le jeu lui explique que ce qu'il fait depuis le début n'a rien à voir avec « sauver le monde » ou « battre les terroristes », mais seulement appuyer sur des boutons quand et comme on le lui demande. Comme un cobaye obéissant.

Sumio est très déçu car ce n'est pas à ça qu'il était préparé.
Le joueur est très déçu car ce n'est pas à ça qu'il s'était préparé. De ne pas avoir eu le spectacle, le divertissement qu'il était en droit d'attendre.

Cette déception vient du propos central du jeu : l'illusion du choix.

Cet angle de vue fait encore plus sens quand on se souvient du contexte. En effet, les jeux vidéo étaient de plus en plus photo-réalistes mais aussi de plus en plus vastes. Les mondes explorés devenaient de plus en plus grands, et les joueurs avaient la sensation de pouvoir faire ce qu'ils voulaient à l'intérieur.
FSR met à bas cette illusion. Non, un joueur ne fait pas ce qu'il veut, mais ce que les développeurs veulent bien lui laisser faire. Et le jeu vous balance ce fait brut de décoffrage, sans aucun tact, en mettant le joueur en face des absurdités qu'il effectue à longueur de temps dans un jeu vidéo sans même s'en rendre compte puisque le tout est masqué, rendu intéressant (du moins on l'espère) par les développeurs.
Par exemple, on demande à Sumio à un point du jeu de faire la correspondance entre deux personnages. Ceux-ci sont très éloignés, presque aux opposés de l'île, ce qui force le joueur à faire des allers-retours incessants. C'est déjà assez pénible comme ça, et une tâche évidente aurait été de la « maquiller » sous forme de quête, en donnant une information importante en récompense par exemple. Bref, faire sentir que ce que fait Sumio est utile et que l'effort vaut la peine.

Le crocodile devant l'hôtel.
Sumio peut tout trouver.

FSR ne se donnera même pas cette peine. Vous allez faire ces fichus trajets pour que les deux protagonistes se racontent leur vie et disent ce dont ils auraient besoin si...bref, vous ferez ça pour rien. Et pendant que vous faites le coursier, l'avion décolle et explose, vous forçant à recommencer la journée en espérant trouver une autre solution.
Bien sûr, Sumio réagit. Un peu agacé, il finit par être presque vulgaire envers les personnages et leur reproche leur inutilité, celle de la tâche qui lui est confiée, et l'ennui qui se dégage de ce moment. Cette phase est très ennuyeuse pour le joueur et pour Sumio, qui se sent du coup très ennuyeux aussi (quelque part, on est ce que l'on fait). Tout ça pour montrer, de but en blanc, la nature exacte de ce que fait le joueur : des tâches simples et répétitives, en boucle, à longueur de temps. Ce n'est pas un héros ou un sauveur, mais un idiot qui appuie sur des boutons en rythme et sur demande.
Sumio aurait pu refuser la tâche. Il aurait pu faire autre chose pour essayer d'empêcher l'avion d'exploser. Mais il ne peut pas parce qu'il n'est pas libre de ses choix, et ce même si Lospass est tout de même une île assez grande. Il va où on lui dit d'aller pour résoudre une énigme qui n'avance pas au rythme qu'il voudrait. Normal : ce n'est pas lui décide.

Toute cette argumentation pour vous montrer à quel point FSR est un jeu qui va loin dans son entreprise. Trop loin ? Suffisamment pour que son propos soit parfaitement intelligible. Comment faire réaliser que les jeux vidéo sont par nature une succession de faits rébarbatifs et de tâches ennuyeuses ? En mettant le joueur devant les faits. Ça paraît logique, non ?
Logique, oui ? Mais est-ce acceptable ? Est-ce que le jeu ne va pas trop loin, justement ? Je laisse le joueur seul juge. Après tout, c'est lui qui décidera si oui ou non il éteint sa console. Et c'est encore lui qui, au moment d'en parler, choisira si l'aventure lui a plu ou non. Et c'est bien le seul choix dont il ne peut pas être privé.
FSR est un jeu extrême dans tout ce qu'il fait. Dans ce qu'il fait de bien et de mal...ce qui revient au même, dans son cas. La réelle problématique qu'il pose, volontairement ou pas, est la suivante : est-ce légitime de voler le plaisir de jeu tel qu'on l'entend, pour faire passer son message et faire vivre une expérience de jeu unique ?

Bon courage...
Sumio est trop gentil.

Je vais être sincère : je n'en sais rien. Il y a quelques années j'aurais répondu par la négative, mais FSR est venu bousculer mes certitudes. Parce qu'il n'est pas amusant au sens courant du terme, pas au sens de jeu. Mais il l'est dans ce qu'il fait passer via le jeu.
Je reçois un courrier, mais le facteur me fait un spectacle de claquettes improvisé si réussi et si amusant que la lettre elle-même est fade et sans intérêt. Voilà un peu ce que m'évoque ce jeu. Ennuyeux et carrément pénible, mais captivant quand même, parce qu'il le fait exprès.

Je ne le conseille pas à tout le monde, loin de là ! Il faut pas mal de patience, de compréhension et même de masochisme pour jouer à un jeu pareil. Vous aurez la sensation de vous être fait voler votre temps en le lui donnant...mais il vous rendra autre chose. Est-ce que cet « autre chose » en vaut la peine ?

C'est à vous de voir.

Tama
(24 décembre 2012)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Les images proviennent de jeuxvideo.com
- Cet article m'a été inspiré d'une critique du site Destructoïd, sans laquelle je n'aurais pas eu le dixième de cette réflexion. La voici : Lien
- Je cite également l'article de Chronicart qui a apporté beaucoup d'eau à mon moulin : Lien
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