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Dead Rising
Année : 2006
Système : Windows, Playstation 4, Xbox 360, Xbox One
Développeur : Capcom
Éditeur : Capcom
Genre : Action / Aventure / Survival Horror
Par Laurent (11 août 2008)

Des zombies et des hommes

Lorsque le jeu vidéo s'inspire du cinéma, le résultat peut être banal s'il s'agit simplement de miser sur l'affection du fan envers tel ou tel univers filmique pour lui imposer un gameplay fourre-tout. Mais lorsque des développeurs aussi doués que respectueux s'y collent, une connivence totale avec le joueur est de mise et le meilleur à espérer. Dead Rising découle évidemment d'une telle démarche, et dès les prémices du projet aucun doute n'était à formuler sur sa qualité. La seule incertitude concernait la manière dont le jeu allait parvenir à surprendre, comment il s'approprierait des références bien précises, tant sur le plan ludique que visuel ou narratif, pour proposer une expérience unique.

Prochain cas à 15h00

12h30. Scoop : les zombies, quand, pourquoi, comment

Si je vous dis que les zombies existent, vous allez croire que je débloque, que je donne dans le journalisme à sensation, et pourtant...

Les zombies nous viennent de la mythologie vaudou. L'orthographe exacte (issue du créole) est "zombi", mais sa traduction anglaise "zombie" s'est généralisée.

Un zombie est une personne morte que l'on aperçoit dans la nature plusieurs jours, ou même plusieurs années, après ses funérailles. Il s'agirait en fait d'une personne vivante et en bonne santé à qui un prêtre vaudou (ou "houngan") a administré de la tétrodotoxine, une substance hautement toxique puisée dans l'organisme du tétraodon, poisson dont les Japonais apprécient beaucoup la chair lorsqu'elle préparée par un cuisinier capable d'en expurger le poison. Dans le cas de l'envoûtement du zombie, la tétrodotoxine est utilisée sous forme de poudre et appliquée par surprise sur la peau (les Haïtiens appellent cela "un coup de poudre"). La dose introduite dans le sang est donc non-létale mais la victime est plongée dans un état de mort apparente, inerte bien qu'ayant toujours conscience de ce qui se passe autour d'elle. Tout le monde la croit morte et elle est alors enterrée. La suite du processus relève du folklore : la victime serait extraite de sa sépulture puis soignée (grâce à un antidote sur lequel on ne sait pas grand chose) par le sorcier qui ensuite utiliserait des drogues à effet hypnotique pour la contrôler et en faire un esclave, ou terroriser les populations.

Des zombies, représentés par le peintre haïtien Hector Hyppolite.

Des cas de "zombification" célèbres sont connus et reposent sur des faits parfaitement avérés, mais comme à chaque fois qu'il est question d'envoûtement, les théories scientifiques sur ce qui est observé divergent. Si certains pensent qu'il est effectivement possible de ranimer quelqu'un de cliniquement mort après contact avec la tétrodotoxine, d'autres penchent plutôt pour une explication basée sur l'hypnose, d'autres encore sur des bouffées aiguës de schizophrénie. Toujours est-il qu'en 1980 un certain Clairvius Narcisse, mort 18 ans plus tôt en Haïti d'une maladie non diagnostiquée, frappa à la porte de sa famille. Il prétendit avoir été zombifié par un houngan puis travaillé des années durant dans une plantation avec d'autres zombies, drogué quotidiennement jusqu'au jour où il est parvenu à s'échapper. Une enquête sérieuse prouva qu'il n'y avait pas usurpation d'identité et que Narcisse avait bien été enterré en 1962. Il est resté le plus célèbre des zombies réels et son cas a fait l'objet d'études très sérieuses menées par le professeur Wade Davis de l'université de Harvard, qui en a tiré deux ouvrages dont l'un a été librement adapté au cinéma en 1985 par Wes Craven sous le titre L'Emprise des Ténèbres (pas exactement un grand film, je vous l'accorde). Selon Davis, la drogue utilisée pour contrôler Narcisse après zombification serait un extrait de datura stramoine, une plante très commune (même en Europe) mais extrêmement toxique (en ingérer quelques feuilles est mortel).

13h30. Scoop : George A. Romero, père du zombie moderne

George A. Romero, surnommé "Big George" à cause de sa taille (1m96)

Si l'exploitation des croyances vaudoues par l'industrie cinématographique s'est limitée à quelques films dédiés (Angel Heart d'Alan Parker et Les Envoûtées de John Shlesinger sont probablement les plus intéressants) et de vagues clins d'oeil plus ou moins caricaturaux, Hollywood s'est en revanche emparé des zombies pour en faire un mythe qui a été servi, dans les années 30 à 60, à toutes les sauces. Citer tous les films qui les ont mis en scène pendant cette période serait fastidieux et hors sujet dans le cadre de ce reportage, alors rompons le continuum espace-temps (provoquant ainsi l'émergence d'une nouvelle chaîne chrono-événementielle) pour nous rendre directement en 1968 auprès d'un jeune cinéaste, George Andrew Romero, né en 1940 à New-York d'un père cubain et d'une mère lituanienne.

Pendant ses études à l'université de Carnegie Mellon, Pittsburgh, Pennsylvanie, George A. Romero se passionne pour le cinéma, en particulier le film Les Contes d'Hoffmann, de Michael Powell (1951), dont les visions répétées lui donnent envie de devenir metteur en scène. A partir de 1960 il se fait la main en tournant quelques publicités, puis réalise un épisode de la série pour enfants Mister Rogers' Neighbourhood diffusée par la chaîne de télé WEQD, basée à Pittsburgh. Dans l'épisode en question, le fameux Mr Rogers subit une amygdalectomie, ce qui inspirera à Romero l'idée de se spécialiser dans les films d'horreur - c'est étrange mais c'est lui qui le dit. Il monte alors une société de production nommée Image Ten et se lance en 1967 dans l'écriture de son premier long métrage avec l'aide d'un de ses associés, John A. Russo. Le budget dont ils disposent n'est que de 114.000 dollars, aussi certains choix narratifs s'imposeront-ils pour limiter les coûts de productions, et c'est en partie grâce à eux que le film sera révolutionnaire, influencera une génération d'auteurs de films et de romans fantastiques, et ouvrira un cycle couvrant la carrière de Romero sur quatre décennies.

15h00. Cas 2-1 : Night of the Living Dead (1968) (expiré)

Au départ, le film devait s'appeler Night of the Flesh Eaters, mais il en existait un autre possédant ce titre, alors Romero s'est rabattu peu avant la sortie sur Night of the Living Dead, s'obligeant du même coup à inscrire son film dans la mythologie des morts-vivants alors que le script initial parlait plutôt de "goules". C'est paradoxal, car le copyright sur le film n'a jamais été correctement déposé, et de fait il est aujourd'hui dans le domaine public. Vous pouvez le voir sur n'importe quel site de vidéo en streaming et vous avez parfaitement le droit de le télécharger (par exemple ici), à moins que vous ne décidiez de vous rabattre sur une des 30 éditions DVD existant, dont certaines sont vendues 1 euro dans une pochette en carton. Bref tout ça pour dire que vous n'avez aucune excuse pour ne pas avoir vu Night of the Living Dead, mais par contre j'en ai une pour vous spoiler la fin, car il est important de la connaître afin de bien saisir ce qui caractérise le cinéma de George Romero, à savoir ce côté subversif qui en fait un cinéaste si passionnant, maudit et adulé, au point que par la suite Capcom préfèrera s'inspirer, pour créer des jeux vidéo, de ses films plutôt que de ceux d'Olivier Assayas.

Pour éviter des dépenses inutiles, donc, Romero et Russo ont choisi de situer la quasi-totalité de leur film dans un même lieu, une maison située en pleine forêt, loin de tout autre décor qu'il faudrait construire ou occuper le temps du tournage, et pas trop grande afin que quelques personnages suffisent à occuper le champ. D'autre part le film est tourné en noir et blanc (la pellicule est moins chère) et Romero en profite pour lui donner l'aspect d'un documentaire télévisé de l'époque. Au moment du casting les prétendants ne se bousculent pas, au point que certains acteurs recrutés ne correspondent pas au rôle prévu, ce qui entraîne une réécriture partielle du scénario, une part d'improvisation, et surtout le choix surprenant pour l'époque, et qui fera d'emblée de Romero un cinéaste engagé, d'un acteur noir dans le rôle principal.

Vaguement inspiré du roman I am a legend, de Richard Matheson, le film raconte le calvaire d'un groupe de 7 personnes qui se retrouvent dans une maison abandonnée assiégée par des morts-vivants. Ben, le Noir, a pris le commandement grâce à son courage et son sens de l'initiative, et barricade portes et fenêtres aidé par Barbra, Harry (qui supporte mal que Ben le domine), son épouse, sa fille, et un jeune couple. L'idée principale du film est de faire de la présence de ces morts-vivants un contexte plutôt que le sujet central du film. Dès le début ou presque ils sont là et on ne saura jamais précisément pourquoi. Lorsque nos survivants seront informés sur ce qui se passe via un poste de télévision, ce sera plus pour apprendre que le monde est en train de s'effondrer que pour obtenir des explications sur l'origine du phénomène. Le vrai coeur du récit, ce sont leurs relations, leur difficulté à s'entraider, à s'organiser, et les erreurs de jugement qu'ils commettent face au danger. A cette innovation narrative Romero en ajoute une autre, formelle, en ayant recours à une violence graphique sans précédent pour donner du sens à ses images, ce qui est très banal aujourd'hui mais surprenant et risqué à une époque où on est encore habitué aux films d'épouvante baroques et théâtraux. Night of the Living Dead contient donc quelques effets sanglants et de longs plans sur des morts-vivants se livrant au cannibalisme (en particulier une petite fille zombifiée qui mange les restes de son père !). Enfin, le film se démarque du commun des productions fantastiques de son temps par son refus du happy end auquel Hollywood est très attaché. Chaque personnage sera soit tué soit transformé en mort-vivant après morsure, y compris Ben lors d'un final dont Romero, même s'il a toujours nié avoir engagé l'acteur Duane Jones pour sa couleur de peau, ne peut qu'avoir prémédité l'effet : un message télévisé à indiqué aux survivants que le gouvernement dépêchait dans toutes les zones infestées des gens armés pour exterminer les morts-vivants. Lorsque le film se termine, Ben est seul et réfugié au sous-sol de la maison, dans laquelle les morts ont fini par entrer. Le jour s'est levé et un groupe de rednecks arrive pour faire le ménage au fusil de chasse. Lorsque Ben essaie de leur faire signe, il est pris pour un mort-vivant et abattu...

Film comptant parmi les plus rentables de tous les temps (il a rapporté plus de 12 millions de dollars à sa sortie), Night of the Living Dead, par son sens de l'économie mise au service de l'efficacité, par la manière dont il rend crédible une situation fantastique en y attachant des personnes ordinaires et des décors banals, va servir de modèle à nombre de films d'horreurs sortis dans les années 70 et 80. On pense en particulier à Evil Dead, de Sam Raimi (1982), Vendredi 13 et ses suites (à partir de 1981), ainsi que les films de John Carpenter, dont le Assault on Precinct 13 (1976) doit autant à Romero qu'à Howard Hawks. Et même pour le roman fantastique la leçon sera retenue, en particulier par un certain Stephen King, futur collaborateur de Romero. Son premier roman célèbre, Carrie, est raconté à la manière d'un rapport de police, tout au premier degré, et se situe dans une petite ville sans intérêt particulier. Il en sera de même pour nombre de ses romans.

Pour ce qui est de Capcom, l'emprunt le plus direct à Night of the Living Dead se situe dans le chapitre 2-2 de Resident Evil 4, lorsque Leon est enfermé dans une petite maison en compagnie de Luis Sera, au rez-de-chaussé dans un premier temps puis à l'étage, repoussant les assauts des villageois possédés pendant un temps qui semble interminable. L'ambiance visuelle de cette phase de jeu et la manière dont le décor est progressivement exploité par un gameplay complèement axé sur la survie sont des références directes au film de 1968. Quant aux trois premiers épisodes de Resident Evil, leur progression narrative peut être considérée comme "romerienne" dans l'esprit, mais on n'y retrouve que peu d'éléments de ce premier film.

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