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Daedalus Encounter
Année : 1995
Système : 3DO, Mac, Windows
Développeur : Mechadeus
Éditeur : Virgin Interactive
Genre : Aventure / Film Interactif
Par Marc G. (10 mars 2004)

La voiture, c'est...

L'aventure. Des premiers micros 8-bits jusqu'aux machines actuelles, s'il est un style qui a toujours su évoluer et attiser la flamme des joueurs du monde entier, c'est le jeu d'aventure. Depuis le mode texte jusqu'à l'immersion 3D en passant par le « point & click », des millions de ludo sapiens se sont ainsi retrouvés tour à tour pirate, touriste américain et j'en oublie. Les débuts ne sont pourtant guère réjouissants : du texte, du texte et encore du texte. Cependant, les choses, et surtout les machines, évoluent rapidement : l'aventure est maintenant graphique et les ordres se font à l'aide d'une interface reprenant les principales actions, via une liste de verbes, à effectuer par l'intermédiaire de son avatar. Le prochain bond en avant est réalisé grâce à une trouvaille fabuleuse : on déplace son personnage jusqu'à un objet, ce dernier pouvant subir divers traitements. Je parle bien évidemment du « point & click ».

Après quelques années de domination, une nouvelle révolution vient bouleverser notre quotidien : le CD-ROM. Grâce à ce dernier et à sa mémoire de masse, le jeu d'aventure explore de nouvelles voies, l'une d'entre elles étant la vidéo interactive. Dans ce type de programme, le joueur se retrouve face à des acteurs filmés puis incrustés dans des décors, le plus souvent générés par ordinateurs. Malheureusement, plusieurs défauts viennent entacher le genre. Le premier, et non des moindres, est la faible participation du joueur : tout étant déjà filmé et précalculé à l'avance, l'amateur de jeu se retrouve bien souvent dans un état contemplatif. Le second est l'incrustation proprement dite : une impression de superposition entre les personnages et les décors se fait sentir et nuit fortement à la crédibilité de l'univers décrit. Fort de ces faiblesses, le concept sera rapidement abandonné. Toute règle possédant ses exceptions, je vais maintenant m'attarder sur l'une d'elles... (NdL : Voir aussi les articles sur Under a Killing Moon, In the 1st Degree, Gabriel Knight 2, ou encore The 7th Guest, qui sont autant de jeux géniaux basés sur des séquences filmées - Ça fait quand même beaucoup d'exceptions, sans oublier Ripper)

Du texte intégral jusqu'au « click & play » en passant par l'interface verbale, le jeu d'aventure suit pas à pas l'évolution des machines pour notre plus grand confort.

Un accouchement difficile

Mechadeus : le nom de ce développeur ne vous dit probablement rien mais il est pourtant un de ceux à avoir su créer une de ces fameuses exceptions. Après les bons résultats de son Critical Path commercialisé fin 1993 par Mediavision, la société se remet immédiatement à la conception d'un nouveau projet. Cette fois, la surenchère est de mise, le précalculé et les têtes connues étant à l'affiche. Seule ombre au tableau, la faillite de Mediavision qui, suite à une gestion frauduleuse, vient ralentir les opérations. Le travail réalisé par le studio ne restera cependant pas lettre morte, Virgin s'en étant octroyé les droits pour une distribution européenne et américaine sur micros. Sur le coup, le célèbre éditeur américain a eu le nez fin, les gens de Mechadeus maîtrisant particulièrement bien leur sujet. Une version sur les machines 3DO est aussi prévue, son adaptation étant laissée aux bons soins de Palmsoft, filiale de Panasonic, elle-même division de Matsushita Electric Corporation. Le jeu est, après 16 mois de développement, commercialisé en mai 1995 sur PC et Mac, la version console suivant peu après.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

La version 3DO s'étale sur 4 CD, contrairement aux versions micros qui n'en occupent que 3. Les raisons d'une telle conversion sont évidentes : ce type de jeu correspond parfaitement à la machine ciblée et de plus, les outils de programmation de celle-ci ne sont autres que des Macintosh gonflés à bloc, ce qui nous fait deux adaptations pour le prix d'une. Vive le capitalisme.

La technique, c'est...

Fantastique. Comment peut-on autrement qualifier le procédé utilisé pour incruster les acteurs dans un jeu vidéo ? Ce système est pourtant basé sur une formule des plus simples : comme vous le savez probablement, le magnifique fond bleu que vous apercevez sur une des photos illustrant cet article se trouve être invisible pour les caméras. Les acteurs sont donc filmés devant cet arrière-plan des plus sobres et sont ensuite incrustés dans des décors créés par ordinateur. Le tout est ensuite retraité en une image, sur laquelle vient se greffer les multiples effets spéciaux. Cette méthode possède évidemment certains avantages pour l'industrie vidéoludique : les scénaristes peuvent laisser libre cours à leur imagination pour créer des environnements particulièrement soignés, les contraintes « physiques » pouvant être mise de côté. Le tournage se révèle être beaucoup moins long, l'inexistence de décors et le nombre de comédiens généralement restreint favorisant ce dernier point. Dans le cas qui nous préoccupe, le casting n'est, pour une fois, pas des plus décevant : Tia Carrere, bien connue pour ses apparitions dans True Lies, Rising Sun ou encore Wayne's World et Christian Bocher, méconnu dans nos vertes contrées mais grand habitué des séries et téléfilms outre-Atlantique (Freddy's Nightmares, Eden, Greenhorn, First Shot...). Le choix des artistes est, pour ce style de logiciel, particulièrement important, ces derniers exécutant leurs actions sans aucuns repères. Le travail n'en est donc que plus délicat. Grâce au gain de temps de cette technique, les deux heures et quelques de vidéo sont tournées en 10 jours par nos deux compères.

Le story-board, en haut, est une phase importante dans la création d'un tel type de jeu : il permet au réalisateur de placer et diriger correctement les acteurs. Les comédiens sont ensuite filmés sur fond bleu et incrusté dans les décors. Pour une fois et contrairement à la plupart des productions du genre, les artistes employés ne sont pas d'illustres inconnus ou des vedettes plus ou moins oubliées. Un véritable régal.

Aïe

Année 2135, dernier jour du premier conflit intergalactique : lors d'une mission de routine près de la planète « Beta trianguly six » dans votre magnifique intercepteur TAS Talon, vous êtes, avec vos deux coéquipiers, le pilote Ariel Matheson et le copilote Zach Smith, pris pour cible par un groupe de chasseurs Vakkar. Le combat tourne rapidement à votre désavantage et l'éjection reste votre seul espoir. Si vos amis réussissent l'opération sans trop de casse, il n'en est pas de même pour vous.

Ari et Zach : le scénario tire parti d'un ficelle maintes fois utilisée par le cinéma. Le couple infernal, à l'image du tandem Harrison Ford/Carrie Fisher dansLa Guerre des Etoiles, fonctionne à merveille. À droite : une photo de vous après votre dernier lifting.

Explosions, douleurs, vide... C'est à peu près tout ce dont vous vous rappelez. Ah oui, votre nom aussi : Casey O'Bannon. Après deux mois d'une intense convalescence, vous ouvrez enfin les yeux. Les yeux... ou plutôt l'œil. Ou encore la caméra. C'est que je ne vous ai pas tout dit : vos bras et vos jambes ne sont plus. Idem pour votre corps. Devant le piteux état de votre organisme, enfin de ce qu'il en reste, la décision de ne garder que votre cerveau, qui se trouve être miraculeusement intact, a été prise. Le résultat est là : une splendide boîte de conserve. S'il est maintenant certain que votre prochain plan drague tombera à l'eau, tout n'est pas si noir. Grâce aux progrès de la technologie moderne, les chirurgiens et techniciens chargés de vous soigner / réparer ont pu vous équiper d'une interface bien pratique. Avec elle, vous pouvez alors transcender votre état végétatif en effectuant une foule de choses plus sympathiques les unes que les autres, l'une d'entre elles étant l'activation et le déplacement d'une sonde qui vous permet des déplacements dans le monde environnant. Pas mal pour un cerveau.

À gauche, sur micro, votre interface et votre champ de vision. À droite, la même scène sur console. Si les versions micros bénéficient aussi du « full screen »t, cela se fait au détriment de l'interface qui se retrouve alors masquée. Un simple appui sur une touche suffit cependant à basculer.

Les récupérateurs

La guerre étant maintenant terminée, nos trois amis, pour éviter les affres de l'inactivité, se voient rapidement contraints d'effectuer une reconversion. L'affrontement récent et le trafic spatial générant une foule d'épaves à récupérer ou de vaisseaux à secourir, la nouvelle voie semble toute tracée : récupérateur. C'est évidemment lors d'une de vos missions que les problèmes commencent.

À gauche, le début d'une mission commence par l'envoi d'une sonde en reconnaissance. À droite, le début de vos ennuis commence après le crash de l'Artémis, votre vaisseau.

Suite à la découverte d'un mystérieux objet lors d'une récupération ordinaire, vous décidez de vous rendre dans le système Mizar. L'arrivée dans ce dernier ne se passe malheureusement pas sans mal, votre engin percutant un immense astronef semblant dériver nonchalamment. Après avoir réactivé les systèmes vitaux de votre appareil et ramené vos compagnons à la dure réalité, vous décidez immédiatement d'envoyer une sonde à l'extérieur pour estimer les dégâts. Le constat se révèle être des plus affligeants, votre fidèle Artémis semblant irrémédiablement hors d'état. L'unique solution qui s'offre à vous n'est guère réjouissante, mais devant ce choix plus que limité, impossible de reculer. L'introspection de la carcasse du vaisseau inconnu commence et se conclut rapidement alors que vous découvrez ce qui semble être une entrée. L'intrusion de votre équipe effectuée et l'analyse de l'air ambiant donnant satisfaction, la ballade peut enfin commencer...

Ce qui me plaît dans mon métier ? Les rencontres sympathiques et les petites bouffes entre amis.

Du déjà vu...

Si ce style de programme est maintenant parfaitement maîtrisé, il faut bien reconnaître que l'interaction se limite le plus souvent à l'appui d'un bouton à un moment précis. Cependant, grâce à l'interface développée, les actions à effectuer sont ici bien plus nombreuses : répondre aux questions, analyser, stocker des données, activer votre bras, éclairer, communiquer grâce à un code de couleurs, activer votre sonde et enfin, diagnostiquer et lancer cette dernière.

Pour enfoncer le clou, il vous faut encore diriger votre sonde dans de tortueux labyrinthes ou la placer de manière à accéder à certains endroits dans le but de vous accaparer de singuliers objets. Les développeurs auraient pu s'en tenir à ce panel déjà bien éclectique mais, pour notre plus grand bonheur, ils ne s'arrêtèrent pas là. Des énigmes, rappelant immanquablement le célèbre Seventh Guest, ont donc été disséminées tout au long de l'aventure. On peut penser que ces dernières ne sont placées que pour allonger artificiellement la durée de vie mais il n'en est rien, leur mise en place se faisant de manière très cohérente. Ajoutons à tout cela l'une ou l'autre scène de tir et attaquons sans plus tarder la réalisation.

De la réflexion, de l'action et des scènes interactives : de quoi varier agréablement l'aventure. Les casse-têtes, distillés de manière intelligente, sont toujours très logiques et ne représentent donc pas un frein conséquent. Le tout étant d'en deviner le fonctionnement et la finalité...

...très bien fait

D'un point de vue purement technique, un des plus fréquents griefs contre ce type de jeu est l'incrustation des acteurs dans les décors. Tantôt trop effacés, tantôt trop proéminents, ces derniers (les acteurs, pas les décors) ne sont bien souvent pas à leur place. Dans le cas qui nous occupe, cet aspect des choses se trouve être irréprochable : Ari, Zack et vous-même faites partie intégrante de l'ensemble imaginé par les concepteurs. Pour ne rien gâcher, l'introduction de certaines scènes est réalisée de façon magistrale, digne des plus grandes productions hollywoodiennes.

La présentation de certaines séquences est vraiment bien pensée. Dans cette scène, le vaisseau s'approche de la caméra et l'on finit par se retrouver dans le poste de pilotage en compagnie de nos deux amis. Du grand art.

Juste un mot sur le design des différentes aires visitées et les quelques aliens rencontrés : impressionnant, tant ceux-ci transpirent d'une réelle recherche. Terminons la partie graphique en signalant la diversification des lieux et la magnificence des écrans, malgré la basse résolution utilisée, le tout en plusieurs millions de couleurs. Pour les bruitages et la bande sonore, généralement des plus navrants sur ce genre de production, une fois encore, le travail fourni est exemplaire : l'équipe de Herhouse Productions, à laquelle Mechadeus s'est adressée, a réalisé un véritable travail d'orfèvre.

Des couleurs tantôt chatoyantes, tantôt inquiétantes, oscillant entre le pastel et le vif : un régal pour les rétines. Mention spéciale pour l'architecture de certains quartiers visités, ces derniers bénéficiant d'une recherche réellement atypique pour ce type de jeu. Les occupants du vaisseau ne sont cependant pas oubliés, ceux-ci collant remarquablement bien aux différents endroits visités.

Conclusion

Basé sur un scénario archi-connu (au hasard Alien), ce programme arrive à combiner intelligemment différents styles : déplacement écran par écran, réflexion, shoot, aventure (bien sûr) et interactivité (évidemment) sont au rendez-vous. Sa réalisation hors-pair, sa durée de vie conséquente (pour le genre) et sa difficulté modulable viennent encore embellir le tableau. À noter l'implication croissante du joueur qui permet de se familiariser en douceur avec cette interface des plus étranges. Une excellente aventure, malheureusement tout en anglais sur 3DO, proposant des dialogues et des moments allant du rire au tragique. À moins que cela ne soit finalement qu'un film de science-fiction interactif, où même le replay value n'a pas été oublié, différentes fins étant disponibles selon votre parcours. Si le titre n'a pas eu l'effet escompté par l'éditeur, il n'en reste pas moins un jeu impressionnant qui n'a pas pris une ride, digne représentant du genre. Un incontournable à essayer de toute urgence.

La publicité de Daedalous dans un magazine 3DO (cliquez sur les images pour les agrandir). Notons l'économie de budget réalisée par le distributeur : d'une pierre, trois coups.
Marc G.
(10 mars 2004)
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