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Clockwork Knight 2
Année : 1996
Système : Saturn
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Plate-forme
Par Niloc Nomis (10 octobre 2005)

Qu’il est dur d’être un preux chevalier quand on a pour épée une clé de tiroir et pour fidèle destrier une bouteille de Chianti sur roulettes, qui plus est atteinte d’un strabisme changeant qui amène à douter de ses capacités réelles. Un chevalier dont la monture prête à sourire est-il preux ? Est-il capable d’affronter mille dangers ? Avec une clé de tiroir en plus ? Tout en se prénommant Pepperouchau ? Allons bon...

Le hasard faisant bien les choses, la belle Chelsea, dont notre héros s’est énamouré, s’est faite kidnapper par un étrange objet ressemblant beaucoup à un tyrannosaure. Que voilà une occasion en or pour Pepperouchau de faire preuve de son courage et de sa bravoure ! Seulement les choses ne sont pas aussi simples. Il y a un rival. Valeureux, il a bien plus fière allure avec son armure argentée et sa grande taille. Mais étrangement il est lui aussi armé d’une clé, et sa monture est une brosse à vêtements dont la poignée ressemble à s’y méprendre à une tête de cheval.

Les cinématiques présentent les différents personnages et assurent les transitions entre les niveaux. Pixellisées (on est sur Saturn) mais franchement réussies artistiquement.

Remarquez, quand on fait attention lors de la sublime introduction en images de synthèses, on se dit que ces personnages sont plutôt cohérents avec leur environnement, malgré leur aspect qui se situe à mi chemin entre Mac Gyver et Emmaüs. Qu’y voit-on ? Les protagonistes suscités, accompagnés d’une balle de base ball sautillante, d’une toupie à moustaches, d’une quille affriolante (oui ça existe) et bien d’autres jouets – car c’est de cela qu’il s’agit – dansant tous ensemble sur une chanson latin jazz endiablée. Cette présentation est inoubliable et euphorisante. On lui pardonne du coup sans rechigner sa longueur excessive et sa pixellisation caractéristique des vidéos sur Saturn.

Ce jeu vous propose donc d’aller sauver votre belle des griffes d’un infâme tyrannosaure mécanique, but original s’il en est. Mais on ne va pas y chercher de folle originalité. En tout cas pas dans le gameplay. Il faut le replacer dans son contexte, Clockwork Knight 2 regorge de trésors pour qui y a joué lors de sa sortie en 1996, et qui venait tout juste de quitter l’univers des 16-bits.

Comment faire pour sauver la princesse ? Toujours à droite mon bon monsieur, vous connaissez le principe je crois. C’est un gameplay typique de jeu de plates-formes tel qu’il en a paru des centaines depuis les années 80. La réelle raison d’être de ce jeu, ce sont les 32-bits affichés par la Saturn, qui faisaient encore forte impression en ce début d’année 1996 sur les joueurs fort nombreux qui s’amusaient encore sur Megadrive ou Super Nintendo. S’appuyant sur une base de jeu ancrée dans la mémoire collective – qui n’a jamais joué à un jeu de plates-formes sur 16-bits – Clockwork Knight 2 agit comme un feu d’artifice avec ses images aux couleurs innombrables, ses musiques de folie et ses phases de jeu à dos de bouteille de Chianti.

Un air de famille indéniable. Mêmes formes, mêmes couleurs, même architecture du décor. Malgré la 3D du petit nouveau, c’est l’aîné qui conserve le level design le plus intéressant.

Le jeu n’est pas bien long mais propose des niveaux aux environnements très variés, tous situés dans une seule et même maison dont on visitera les pièces en fonction de la progression du jeu, à la manière de Toy Commander (Dreamcast, 1999) par exemple. Chaque environnement est divisé en deux niveaux puis d’un boss, ce qui nous fait un total de huit niveaux pour quatre pièces de la maison.

Tout commence dans une chambre d’enfant sur un parcours aux diverses embûches tout à fait classiques. Ennemis, trous, mécanismes basiques... On est ici dans le déjà-vu mais on est ébahis. Pourquoi ? L’arrière plan est constitué d’une immense image, progressivement dévoilée par le scrolling du jeu, fourmillante de détails et aux couleurs pétantes. Plus près, Pepperouchau, ainsi que tous les sprites, sont des personnages animés en 3D puis transformés en sprites 2D (à la manière de Donkey Kong Country), comme c'était la mode au milieu des années 1990. Bien qu’un peu pixellisés, ils bénéficient d’animations fluides et très nombreuses, et souvent drôles. Mais c’est le premier plan, où évolue le héros, qui impressionne le plus. Entièrement modélisé en 3D, le joueur retrouve dans ce niveau les grands classiques du jeu de plates-formes dans un emballage high tech flamboyant du plus bel effet. Comment ne pas considérer ce niveau, qui ressemble étrangement au monde des jouets dans Mickey Mouse Castle of Illusion (Megadrive, 1990) comme un hommage, toutes proportions gardées, aux chefs-d’œuvres du genre ? Enfin, pour que le tableau soit complet il ne faut pas oublier de mentionner la musique. "Bontempiesque" à souhait mais très ample, elle semble avoir été écrite par un Charlie Oleg déchaîné, superbement appropriée à chaque ambiance traversée. Hystérique et haute en couleurs dans la chambre, elle se fait jazzy mais tout aussi rythmée dans le deuxième niveau, la bibliothèque, où des graphismes n’ont jamais été aussi cosy. Ils donnent envie de s’affaler dans un bon fauteuil club du fumoir d’un manoir isolé de la campagne anglaise.

Après un premier monde à la construction très classique, le deuxième propose deux plans parallèles. Idéal pour se rapprocher des rayonnages.

Dès lors le jeu prend une dimension supplémentaire en proposant des niveaux en deux plans qui peuvent être atteints par le biais de canons. Ces derniers nous gratifient d’un beau zoom, et nous permettent au passage d’admirer de plus près un arrière plan encore une fois très soigné, à base de boiseries, de tableaux champêtres, de livres et de fauteuils, dans des tons d’une grande chaleur. En ce qui concerne le gameplay, le challenge s’enrichit un peu avec des ennemis aériens, le maniement du zippo aux multiples usages, et un Pepperouchau qui peut exprimer pleinement ses aptitudes : il pousse des livres pour écraser des ennemis, tire une boîte de thé et envoie des fusées fatales aux hargneux du second plan qui permettent de libérer certains passages. La bibliothèque est donc l’environnement le plus interactif de ce titre.

S’ensuit le niveau le plus réussi : la salle de bains. Tout, des décors à la musique, y est vaporeux et évanescent, une réussite totale. Le point d’orgue en est le passage sur les plantes vertes suspendues au plafond, proposant au joueur une vue imprenable sur la baignoire aux couleurs fraîches, et ses brumes issues de la chaleur du bain, d’une poésie domestique de toute beauté.

Voici le plus beau niveau du jeu. Laissez-vous envahir par cette ambiance à la fois délicieuse et survoltée, et peut-être vous envolerez-vous...

Ce niveau est réellement enivrant. Bien que son challenge soit plus limité que lors de la traversée de la bibliothèque, l’ambiance qu’il dégage est un tel enchantement que sa simplicité de conception n’empêche aucunement le plaisir de vous envahir. Plus de plans parallèles ici, seulement des ennemis encore un peu plus coriaces, et les assauts réguliers des remous du bain, qui obligent le père Pepperouchau à rejoindre dare-dare le canard en plastique le plus proche. Une merveille de simplicité dans un univers détonnant propice aux réactions en chaînes.

La chambre et la salle de bains ont en commun un niveau de "montagnes russes" tout aussi jouissifs l’un que l’autre. Sur une musique typée country/western parodique vous devez choisir judicieusement les embranchements en évitant les pompiers belliqueux, les requins prêts à vous happer, les quilles instables, et surtout les mauvaises chutes. Ce sont là des moments très intenses qui tirent autant leur valeur du challenge proposé que de l’orgie de sensations qui en émanent. C’est beau, c’est drôle (les sauts de cabri de la bouteille !), ça va vite, c’est le bonheur.

A dos de bouteille de chianti le jeu dévoile tout son délire musical et visuel. Jouissifs et inoubliables, ces deux niveaux sont les plus réussis du titre.

Cet aspect du jeu est également très proche de l’esprit des boss. Ils sont gros, bougent beaucoup, utilisent plusieurs plans, et sont surtout très originaux. Que ce soit le serpent rockeur en cubes, la feuille de papier tirée d’un roman qui se transforme en animaux sauvages, ou le poulpe en caoutchouc qui émerge de la baignoire, les boss ressortent l’essence des derniers niveaux traversés dans un crescendo visuel et sonore des plus plaisants. Ce sont là encore de grands moments de jeu, même si dans l’absolu il n’y a, une fois encore, que peu d’innovations.

Ils sont gros, ils bougent beaucoup, ils sont très expressifs et bien impressionnants, voici les vrais 4 Fantastiques.

Ce jeu est rempli de bonne humeur et de la volonté manifeste de donner du plaisir au joueur. Malgré tout il ne peut pas être considéré comme une véritable réussite. Un gros défaut vient entacher le constat : la jouabilité laisse malheureusement à désirer. Pas de beaucoup, d’ailleurs on s’en rend à peine compte lors des trois premiers environnements. Mais quand arrive le quatrième et dernier, qui se situe dans les rouages d’une horloge, on subit de plein fouet son imprécision, alors que le jeu y demande des sauts millimétrés. Un défaut qui devient vite réellement rédhibitoire et rend pénible la conclusion du titre. Cette jouabilité capricieuse a cependant le bon goût de se faire plutôt discrète durant les trois premiers quarts de la progression.

Clockwork Knight 2 n’est donc pas un chef-d’œuvre. C’est même plutôt un jeu mineur. Cependant il a tout de même beaucoup de choses pour lui qui peuvent facilement séduire qui veut bien s’y essayer.

Il faut enfin noter que ce jeu a fait des émules. L’adaptation vidéo-ludique de Toy Story, sur Megadrive et Super Nintendo, a par exemple complètement repris son code visuel (un premier plan qui donne l’illusion de la 3D), ce qui rend d’ailleurs encore plus troublante la concomitance des deux univers. Quelques mois plus tard sortira un autre jeu, Pandemonium (Playstation puis Saturn et N-gage), qui sur le même principe du jeu de plates-formes 2D ira encore plus loin dans l’exploitation de la 3D et de ses possibilités.

Les deux Clockwork Knight ont manifestement étrenné une évolution éphémère du jeu de plates-formes. Après 1997 les jeux employant cette représentation visuelle sont extrêmement rares.
Niloc Nomis
(10 octobre 2005)
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