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Candy Box (1 & 2)
Année : 2013
Système : Mac OS X, Linux, Windows
Développeur : anywey
Éditeur : n/a
Genre : Aventure / Stratégie
Par MTF (20 février 2017)

Nous avons peut-être tendance à l'oublier, mais le jeu vidéo est, avant et surtout, une affaire de chiffres. Constamment, ils nous entourent à chaque instant de notre partie, quel que soit le genre auquel nous nous essayons : l'or que nous récoltons, l'expérience que nous engrangeons, les points de vie que nous perdons ou les dégâts que nous infligeons, tout cela est chiffré, d'une façon ou d'une autre. Plus profondément encore : les jeux vidéo, comme émanation de l'informatique, sont programmés et codés au moyen de formules mathématiques complexes, et quand bien même n'aurions-nous pas toujours accès à des consoles nous permettant de voir le squelette de nos titres favoris, les chiffres sont toujours là, tapis, et décident de tout ce que nous accomplissons, pouvons accomplir ou n'accomplirons pas. Pourquoi donc ce propos liminaire ? Eh bien, pour évoquer un type de jeu récemment apparu, avec les navigateurs Internet et les téléphones intelligents, et dans lesquels le chiffre est non seulement la machine permettant à l'ensemble de tourner, mais également l'objectif ultime d'une partie. Il s'agit d'un genre de jeu peu considéré encore, même si, à l'instar des tower defender dont j'avais parlé jadis concernant Plants Vs. Zombies, ils font partie des jeux les plus pratiqués de l'époque moderne, loin devant les platformers, les RPG et autres FPS : je veux parler des jeux incrémentaux, aussi appelés Idle Games ou Clicker Games. Il est difficile de leur prêter une généalogie, et de pointer du doigt leur origine véritable. Comme ce sont des jeux, dit-on, sans enjeux, les historiens et les joueurs, en général, ne leur prêtent aucune attention. Mes recherches m'ont cependant conduit à quelques noms en particulier : et dans cet article qui se veut à la fois revue d'un jeu spécifique et présentation d'un genre nouveau, je me permets de réfléchir ici à son origine.
En 2002, un développeur indépendant du nom d'Eric Fredricksen mit en ligne un jeu du nom de Progress Quest. Il s'agit d'une parodie de jeu de rôle à la Everquest, dans lequel le joueur n'a strictement aucun contrôle sur sa partie. Au tout début, un personnage est créé : on lui prête alors une classe, un nom, des caractéristiques de force, de défense et ainsi de suite. Cependant, toute l'aventure se déroule automatiquement par l'intermédiaire d'une fenêtre et de barres de progression : le programme se charge d'avancer dans l'histoire, de faire les quêtes, d'améliorer l'équipement. Seule une ligne de texte, en bas de l'écran, nous indique ce que notre héros fait à cet instant : il s'aventure dans tel donjon, il affronte tel boss, est défait et repart de son village natal, et ainsi de suite jusqu'à la victoire. Cette expérience, évidemment, se voulait infiniment sarcastique : il s'agissait de mettre en avant l'aspect répétitif et stéréotypé non seulement de ce genre de jeu, mais du jeu vidéo en général et de dévoiler, en les grossissant, les traits les plus saillants du média. Le site officiel du jeu propose même toute une histoire complexe (lien externe) destinée à colorer cette aventure, mais personne n'était dupe.

Si ce n'est observer la barre de progression se remplir, le joueur n'a rien à faire. On peut cependant profiter des descriptions truculentes : dans cette « partie », j'étais ainsi un poney parlant...

Le programme eut un succès d'estime à son époque, et nombreux sont ceux qui en parlèrent. Les tentatives suivantes restèrent dans le domaine de la parodie : Cow Clicker (lien externe), sorti en 2010 sur le réseau social Facebook, est une création du philosophe (et game designer) américain Ian Bogost. Son objet était proche de celui de Fredricksen : il s'agissait de dévoiler les mécaniques secrètes de nos jeux vidéo, et notamment de ceux qui fleurissaient alors sur téléphone portable et sur les réseaux sociaux, à l'instar de Farmville qui, en 2009 et malgré sa répétitivité, défraya la chronique. Cow Clicker, comme son nom l'indique, ajoute une composante à Progress Quest : l'interaction. Celle-ci prend la forme d'un clic de souris, que l'on ne peut accomplir initialement que toutes les six heures ; mais plus l'on clique, plus l'on a le droit de cliquer, et plus on a le droit de cliquer, plus on a le droit de cliquer, et ainsi de suite.

Cow Clicker, et Ian Bogost. Ce dernier enseigne au Georgia Institute of Technology.

À la vue de ces exemples, je pense que vous commencez à comprendre le principe de ces jeux. L'objectif d'un Incremental Game consiste à amasser le plus de « richesse » possible, richesse représentée par un chiffre. Ce dernier peut augmenter avec le temps, sans rien faire comme dans Progress Quest, ou bien grimper suite à une certaine action de notre part, généralement un clic de souris. Ces jeux n'ont, en général, jamais de fin : par définition, il peut toujours y avoir un nombre supérieur à un nombre donné. Cependant, le temps avançant, les choses devinrent un peu plus complexe.
Peu de temps après Cow Clicker, en 2013, le ténor du genre vit le jour : Cookie Clicker. Il s'agit d'un jeu français, programmé par un développeur indépendant du nom de Julien Thiennot, qui consiste à produire le plus grand nombre de cookies. Pour ce faire, l'on peut cliquer, certes ; mais l'on peut surtout acheter, avec nos cookies fabriqués, différentes structures améliorant notre production. On débloque ainsi progressivement des « fermes à cookies », des « usines à cookies », des temples anciens nous permettant d'accéder à plus de chocolat, et ainsi de suite. Le chiffre est à la fois une fin et un moyen, et il serait facile de faire de ces jeux des représentations parfaites du système capitaliste, puisqu'ils consistent en une accumulation illimitée de richesses, sans fin envisageable ni accomplissement particulier.

Cookie Clicker est encore beaucoup fréquenté : on débloque des « succès » au fur et à mesure de la partie, la communauté est très active... Qui l'aurait cru ?

On comprendra aisément pourquoi ce type de jeu, qui connaît depuis quelques années un engouement certain, n'est pas des mieux considérés. Le gameplay est effectivement réduit à sa portion congrue, un clic de temps à autres pour acheter un bâtiment ou une amélioration, rien de plus : après, il suffit de laisser l'application ouverte pour engranger des ressources, qui nous permettent d'acheter d'autres améliorations, et ainsi de suite. Pourtant, il y a quelque chose de fascinant dans ces jeux : sans doute doivent-ils titiller quelque glande profondément enfouie dans notre cerveau et qui libère une hormone du plaisir lorsque nous voyons un chiffre augmenter ; peut-être aussi est-il profondément rassurant d'oublier l'existence du jeu, d'y revenir à l'occasion et de voir que l'on peut, alors, acheter d'un seul coup énormément de bâtiments ; enfin, peut-être est-il agréable de se dire, finalement, que l'on peut réussir et « gagner » sans nécessairement investir temps et énergie.
Quelle que soit la raison, force est de reconnaître que ces jeux fleurissent : ils sont très présents sur les plates-formes de téléchargement et se déclinent en un nombre quasi infini de saveurs, du monde de l'heroïc-fantasy à celui des poneys en passant par la fabrication de cookies ou, j'y viens à présent, à l'univers des sucreries.

Que se cache-t-il dans la boîte à bonbons ? (Indice : ce sont des bonbons.)

Candy Box et sa suite Candy Box 2 (liens externes) sortirent en 2013 et se fondent sur le principe de Cookie Clicker. Il s'agit une fois encore d'un jeu français, programmé quasi totalement par un développeur de Caen pseunommé « aniwey ». Si je choisis d'en parler ici, c'est qu'il s'agit sans doute du plus « vidéoludique » des Idle Games ; du moins, il me semble que de tous ceux que j'ai pu essayer, il est le mieux réussi et, peut-être, le plus intelligent.
Que ce soit Candy Box ou Candy Box 2, vous incarnez un petit personnage (représenté par le symbole « \o/ ») qui n'a pour tout objectif que de récupérer tous les bonbons du monde, rien que ça ! Alors, lorsque le jeu (accessible, l'un comme l'autre, via un navigateur) débute, un décompte s'enclenche et vous gagnez un bonbon par seconde. Hmpf... cela prendra du temps ! Heureusement, au bout d'un moment, si vous ne mangez ni ne jetez les bonbons, les choses s'emballent. Au bout d'une certaine somme, des options supplémentaires apparaissent : un marchand vous propose d'acheter une épée ou vous aurez accès à une carte, et le jeu commence réellement.

Au début du jeu, les bonbons s'accumulent... Vous pouvez sauvegarder, manger les bonbons ou les jeter, mais si vous attendez un peu, le marchand viendra vous voir. (Candy Box)

Première chose à préciser : le jeu n'est pas, contrairement aux précédents, « infini ». Quand bien même pourrait-on toujours le laisser tourner pour engranger des ressources supplémentaires, il s'agit surtout de terminer ici une quête représentée par la succession de plusieurs niveaux. La différence avec un jeu « traditionnel », c'est que pour progresser dans ces différents niveaux, il convient de récolter des bonbons ou, plus tard, des sucettes et des barres de chocolat, qui permettent d'acheter des armes plus puissantes et, partant, d'affronter de nouveaux dangers.
On observe alors comme un semblant de narration dans ces jeux : on disposera rapidement d'un inventaire, qui sera constitué des objets glanés dans telle ou telle mission, on rencontrera l'un ou l'autre marchand ou sorcière, qui amélioreront notre équipement ou accéléreront l'obtention des ressources. On affrontera surtout de terrifiants adversaires : des sorciers, des licornes, des dragons voire Chuck Norris, dans un esprit qui fleure bon les références les plus connues d'Internet.

Un combat contre son double, et l'exploration d'une cave sous-marine. Les ennemis sont représentés par des symboles : « F~H » pour un poisson, « OCT » pour une pieuvre et ainsi de suite. (Candy Box)

Si le principe des deux épisodes est globalement le même, la présentation est en revanche fondamentalement différente. Le premier a un côté Wizardry plus ou moins prononcé, du moins il renvoie à ces ancêtres du jeu de rôle dans lesquels les options se choisissaient par l'intermédiaire de menus déroulants. On choisira ainsi la quête que l'on veut faire ; par un menu toujours, l'amélioration dont on souhaite bénéficier, et ainsi de suite.
Le deuxième épisode s'inspire peut-être davantage des Dragon Quest : l'on a accès à une carte et à un village en vue surplombante, on fréquente des marchands et des forgerons, on explore des déserts, des mers profondes et des forêts impénétrables avant de finalement partir à la conquête d'un château fortifié, dans lequel un dragon colossal garde, dit-on, une réserve immense de bonbons.

Le premier jeu vous demande à choisir votre niveau par un menu, tandis que le second propose une belle carte aux nombreuses zones... dont certaines cachées ! (Candy Box & Candy Box 2)

Le jeu se déroule la plupart du temps automatiquement : une fois votre équipement choisi et votre quête sélectionnée, votre bonhomme explore la zone de lui-même, combat les ennemis et accède, ou non, à la fin de la zone. Les dégâts infligés, ceux reçus sont calculés automatiquement, et c'est là que l'aspect Idle se ressent : manger des bonbons permet d'augmenter ses points de vie et d'améliorer son équipement, condition sine qua non pour progresser.
On pourra sinon louvoyer : il est notamment possible d'acheter des potions permettant de devenir invulnérable ou de blesser tous les ennemis de la zone, ou encore d'être accompagné d'un mignon qui fera office de bouclier. Certaines épreuves ne pourront être réussies qu'ainsi ; et dans le deuxième épisode, certains niveaux vous demanderont de participer à quelques phases de plates-formes, histoire de justifier votre participation.

Après l'exploration d'un désert où vous tuerez des chameaux, l'énigme du cyclope exercera votre sagacité... (Candy Box 2)

Quelque part, le premier épisode serait le pendant minimaliste du second, ou le contraire : cela se ressent y compris dans le dessin ASCII des jeux, bien plus fourni dans le deuxième épisode et qui parvient, finalement, à transmettre des émotions rigolotes. Il faut voir ainsi notre personnage se transformer selon les bonus dont il bénéficie, les dialogues souvent incisifs et les descriptions des différents lieux et ennemis, qui laissent toujours la place au bon jeu de mot.
Candy Box est également loin d'être aussi simple qu'il n'y paraît ; du moins, il ne suffira pas uniquement d'attendre pour acheter une arme ultime et terminer les quêtes en série. S'il faudra à certains moments en passer par là, lorsque l'on doit détruire une théière qui a plus d'un million de points de vie ou emmagasiner suffisamment de bonbons pour acheter une nouvelle épée, la majorité des situations peuvent se surmonter avec un peu de jugeotte. On pourra ainsi concocter diverses potions améliorant notre attaque ou notre défense, ou élaborer une stratégie simplexe pour affronter tel ou tel ennemi. Si cela n'est point comparable aux grands noms des jeux de rôle que j'ai pu citer à l'instant, on appréciera cependant cette profondeur bienvenue dans un genre qui, comme vous le voyez, ne s'y prête pas réellement.

Voici l'inventaire du premier jeu, qui vous permet aussi d'accéder à la hutte de la sorcière... (Candy Box)
... et voici l'inventaire du second. Vous pouvez choisir votre arme, votre couvre-chef, vos gants, les enchanter ou non... Les possibilités sont assez nombreuses pour ce type de jeu. (Candy Box 2)

Le deuxième épisode est de loin mon préféré : il est non seulement le plus ingénieux, non seulement le plus complexe (l'énigme du cyclope vous tiendra longtemps en haleine !), mais il est aussi le plus élaboré de tous. On appréciera les petits secrets qui rendent sa progression agréable, ainsi que les nombreux détails qui enrichissent notablement son parcours. Mine de rien, j'y reviens régulièrement depuis sa découverte, il y a de cela quelques années, et je ne crois pas avoir fait deux parties consécutives identiques : il y a toujours moyen de privilégier telle ou telle approche, et le mode difficile, qui vous empêche d'améliorer vos points de vie, permet de redécouvrir ce jeu intéressant, qui connut une fois encore un joli succès d'estime.

Passé un stade de l'aventure, on pourra fabriquer des potions diverses. Il faudra respecter au mot près la recette pour réussir... (Candy Box 2)

Comme ces jeux sont entièrement gratuits, je ne peux que vous encourager à les essayer ; et le cas échéant, à vous y plonger davantage, car il y a là des perles d'ingéniosité, minuscules certes, mais brillantes dans la nuit sucrée.

Le forgeron, l'un des écrans les mieux réussis à mon goût. (Candy Box 2)
MTF
(20 février 2017)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Voici les liens menant aux jeux :

- Candy Box
- Candy Box 2

Les jeux peuvent être réglés en français, et les sauvegardes s'effectuent dans un fichier local, que l'on peut copier sur un autre ordinateur pour reprendre la partie en cours.
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