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Batman: The Caped Crusader
Année : 1988
Système : Amiga, Atari ST ...
Développeur : Special FX Software Ltd.
Éditeur : Ocean Software Ltd.
Genre : Action / Aventure / Réflexion
Par Laurent (08 mai 2002)

Réalisé près d'un an avant la sortie du film de Tim Burton, Batman – The Caped Crusader (BCC) n'est en rien un produit dérivé de la « batmania » et c'est tant mieux car c'est un vrai jeu, parfaitement pensé dans tous ses aspects, et non l'exploitation mercantile d'une licence, chose à laquelle l'éditeur Ocean s'est pourtant de nombreuses fois livré.

Écran de présentation version ST et version Amstrad CPC.

Les jeux au concept les rendant susceptibles d'être aussi bien jouables sur 8-bits que sur 16-bits ont toujours possédé un charme particulier. Combinant le soin apporté à la réalisation avec une certaine économie de mouvement à l'écran, ils ne proposent pas une action frénétique, trouvant leur intérêt dans un gameplay posé et réfléchi à base d'énigmes à résoudre, n'utilisant pas la surenchère visuelle pour maintenir en éveil le joueur. C'est sur cet équilibre fragile que repose la réussite de BCC.
Le jeu s'inspire de la série télévisée Batman réalisée dans les années 60, totalement délirante et elle même très inspirée de la BD de DC Comics sur le plan visuel. Grâce à une diffusion sur Canal + dans les premières années de la chaîne (vers 1985-86), le public français a pu découvrir ce monument de comique et de ringardise assumée, mettant en scène l'acteur Adam West dans le rôle de Bruce Wayne/Batman, et un grand nombre de vedettes hollywoodiennes renommées incarnant les divers méchants.

Nantie d'un énorme succès, la série déboucha en 1966 sur deux longs métrages exploités en salles (seulement aux US), qui furent froidement accueillis, ce qui empêcha Adam West de décoller en tant qu'acteur. Le Batman de la série n'a pas grand chose à voir avec celui qu'ont plus tard incarné Michael Keaton, Val Kilmer, Georges Clooney et Christian Bale. Loin de l'être torturé et avide de vengeance qu'on connaît, il est plutôt prétentieux et ridicule, assez maladroit, et à son costume moulant un peu rococo s'ajoutent tout un tas d'accessoires très rigolos aux noms démentiels mais qu'on ne verra que rarement en action, faute d'effets spéciaux dignes de ce nom. Les épisodes, filmés en studio, sont constitués à 90% de dialogues ineptes récités avec le plus grand sérieux, entrecoupés de bagarres lors desquelles des bruitages de BD apparaissent à l'écran. Mais ne vous y trompez pas : c'est un régal !

C'est ce Batman qu'on retrouve dans le jeu d'Ocean et le joueur va devoir l'accompagner dans deux aventures : A bird in the Hand contre le Pingouin, et A fête worse than Death contre le Joker. La première chose qui frappe lorsqu'on découvre les versions ST et Amiga, c'est la qualité graphique du jeu et la petite taille de la zone d'écran qu'il occupe. Pour ce dernier point, les choses s'expliquent rapidement : en fait, le jeu est affiché à la manière d'une bande dessinée dont les cases s'empilent les unes sur les autres. À chaque fois que l'on change de lieu, le suivant apparaît dans une nouvelle case qui vient se superposer aux précédentes, qui, pour créer un effet de relief, ne sont plus que partiellement visibles et passent en &« grisé ». L'effet est magnifique et c'est une vraie trouvaille, qu'on a vu dans aucun autre jeu (en dehors de Comix Zone, qui ne reprend pas l'idée d'empilement mais situe aussi son action au sein d'une BD).
L'ensemble du jeu consiste à parcourir différents lieux, ramasser des objets, et les utiliser au bon endroit et au bon moment, avec à la clé des énigmes qui, sans être trop ardues, demandent une certaine réflexion que la forte présence d'ennemis ne facilite pas. Batman peut se défendre à coups de pieds ou en utilisant son Batarang, boomerang en forme de chauve souris. Par moments, une légende apparaît en haut à gauche de l'écran, exactement comme dans les BD, et indique dans quel lieu on se trouve en ajoutant un petit commentaire sur l'action qui renferme souvent de précieux indices pour la progression.

Les combats, contre des hommes de main du Pingouin ou du Joker, ne sont là que pour compliquer un peu la tâche du joueur, BCC étant bel et bien un jeu d'aventure, dans lequel la gestion de l'énergie du héros devient vite une obsession. On touche là le point discutable du jeu : à tout moment, le fait de presser le bouton de tir tout en tirant le joystick fait apparaître un inventaire. Les nombreux objets que Batman est amené à ramasser apparaissent et il est possible de les utiliser ou de s'en débarrasser. Au centre, la tête de Batman est dessinée, symbolisant l'énergie du héros. Celle-ci se change peu à peu en squelette à mesure que son énergie diminue. Non seulement le processus ne s'arrête pas lors des accès à l'inventaire, mais en plus il est d'une effrayante rapidité ! Chaque utilisation d'un objet est l'occasion de constater qu'on a perdu beaucoup d'énergie, et le joueur se retrouve mis sous pression alors qu'il aimerait bien savourer tranquillement le jeu.
Même s'il est possible de se refaire une santé en mangeant une banane ou un bonbon trouvés ici ou là, la sensation de devoir faire vite tout en étant confronté à des phases d'exploration et de réflexion parfois difficiles est omniprésente, et fait de BCC un jeu particulièrement frustrant que l'on devra recommencer de nombreuses fois depuis le début (les sauvegardes sont possibles, mais on est souvent bloqué). La présence de deux histoires différentes n'est donc pas superflue puisqu'elle permet de rompre la monotonie en passant d'une à l'autre.

La première aventure confronte Batman au Pingouin. C'est celle-ci qui inspire la magnifique page de présentation du jeu, particulièrement réussie sur ST, dont les couleurs plus vives que celles de l'Amiga étaient pour l'occasion tout à fait appropriées. Batman doit contrecarrer les plans de domination mondiale du Pingouin. Pour ce faire, il va devoir pénétrer le repaire de son ennemi (une usine), et introduire une disquette plombée d'un virus dans son ordinateur. La deuxième aventure nous montre un Batman touché au point sensible : son pire ennemi le Joker vient de capturer son fidèle ami Robin.
Les deux aventures démarrent dans la Batcave, QG secret de Batman, puis se déplacent dans divers endroits de Gotham City avant de se terminer en terrain ennemi, chez le méchant. Batman se déplace tout le long à pied. Pas de Bat-wing au programme, donc, pas de course en Batmobile, ni de vol d'immeubles en immeubles accroché à des Bat-grappins (ce qui est logique dans une adaptation du Batman télévisuel). Toute la difficulté réside dans le temps réduit dont on dispose et la combinaison de différents objets, dont certains sont parfois sibyllins, comme par exemple un nez rouge de clown (qui sert en fait à se rendre invisible des ennemis !).

Si les graphismes sont en tous points superbes, dignes d'une très bonne BD, la bande son laisse perplexe. Reprenant à l'envi le thème rigolo de la série télé, elle prend très rapidement la tête mais on se demande un peu si ce n'est pas un fait exprès, tant on est vite tenté de réduire le volume sonore quasiment à zéro. Il n'y a aucun effet sonore qui ponctue l'action, et la musique a le même rendu quelle que soit la version du jeu.
La maniabilité du héros est parfaite, même si on peut déplorer qu'il mette un petit laps de temps à se retourner lors d'un brusque changement de direction, ce qui peut être fatal par moments. Le sprite est magnifiquement, animé notamment la longue cape bleue et la démarche très décidée du héros, qui lui donne un air pénétré par ce qu'il fait, rappelant l'interprétation d'Adam West.

Les auteurs de BCC, Jonathan Smith, Charles Davies et Keith Tinman (formant à l'origine le studio Special FX), ont par la suite continué d'œuvrer pour Ocean, réalisant quelques jeux issus de licences de films et en reprenant différentes scènes pour en faire des minis-jeux d'action, comme par exemple The Untouchables (Les Incorruptibles, d'après le film de B.de Palma), avec à chaque fois une certaine réussite, surtout si l'on considère la qualité médiocre de ce genre de jeu. Jamais ils ne retrouveront toutefois l'inspiration qui fut la leur pour ce Batman. Après la sortie du film Batman, et le raz-de-marée médiatique sans précédent qu'elle provoqua (quel tapage quand on y repense ! à côté, Le Seigneur des Anneaux semble sorti dans l'intimité), un jeu intitulé Batman The Movie sera lancé, estampillé du label Ocean, comme il se doit. Ni vraiment raté ni vraiment réussi (la course en Batmobile est fort bien réalisée mais les autres phases de jeu sont quelconques), c'est un produit de série comme il en est tant sorti sur ST et Amiga, mais qui a eu pour effet de faire tomber The Caped Crusader dans l'oubli.

Versions C64 et Spectrum.

Aujourd'hui, BCC prend sa revanche. Les sites rétro reviennent volontiers sur ces qualités étonnantes de gameplay et de réalisation, qui en font tout simplement un des meilleurs jeux jamais édités par Ocean, et peut-être un des meilleurs jeux mettant en scène l'homme chauve-souris.

Laurent
(08 mai 2002)
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