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Wario Land
Année : 1994
Système : Game Boy
Développeur : Nintendo
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action

Wario Land: Super Mario Land 3
Game Boy - Nintendo (1994)

En 1994, soit plus ou moins un à deux ans après la première apparition triomphale de Wario dans Super Mario Land 2, ce dernier revient dans son propre jeu... même si l'ombre de Mario plane néanmoins dans le titre de cet épisode. Cela était bien évidemment un choix stratégique pour Nintendo : il s'agissait de placer ce titre dans la continuité d'un des grands succès de la Game Boy pour assurer des revenus confortables. Avec une campagne marketing restée dans toutes les mémoires, axée sur le plaisir indéniable de contrôler pour la première fois le méchant lui-même, le jeu fit énormément parler de lui.
Cependant, ceux qui s'attendaient à n'avoir qu'une suite de Super Mario Land 2 avec un simple changement de personnage se trompaient lourdement, car Wario Land ne se joue ni se conçoit comme un jeu de plateformes « Mario ». Je lui trouve même, avec le recul, un petit côté « Arcade » qui surprend de la part de Nintendo. Reprenons les choses du début.

Les publicités étaient assez grimaçantes, et terriblement fascinantes.

Après avoir été éconduit de son beau château par Mario, Wario ne perd pas espoir d'avoir un domaine à lui. Il entend alors parler d'une monstrueuse affaire : une statue en or massif, représentant la princesse Peach, a été dérobée à cette dernière par le tristement célèbre gang de pirates Syrup, mené par le capitaine du même nom qui se trouve être, cela est suffisamment rare pour être signalé, une femme. Alléché par l'espoir d'une substantielle récompense, Wario se rend immédiatement sur l'île où ceux-ci mouillent l'ancre dans l'espoir de retrouver la statue... et d'avoir assez d'argent pour s'offrir le château de ses rêves.
L'introduction du jeu laisse rêveur. Sur une mer calme, un bateau pirate vogue paisiblement avec, dans sa vigie, un canard. Regardant à gauche, puis à droite à l'aide de sa longue-vue, il donne soudain un signal d'alarme et demande à fuir aussi vite que possible. Le danger qu'ils désirent éviter à tout prix n'est nul autre que Wario ramant de toutes ses forces, le sourire narquois aux lèvres, dans un tonneau de fortune. Après une rapide course-poursuite, le méchant bonhomme finit d'un violent coup d'épaule par renverser entièrement l'embarcation et à en prendre possession. Le jeu commence alors, le bateau le menant, bon gré mal gré, sur « Rice Beach », premier monde de cette riche aventure.

Et une grande aventure commence !

La progression de Wario autour de l'île s'inspire énormément de celle de Super Mario World. Des points représentent les différents niveaux, chaque monde se termine par un boss ouvrant la route vers le suivant. Les lieux traversés s'inspirent de mets divers : l'on aura donc droit au « Mont Théière », au « Bateau Tasse de Thé » ou encore à l'« île Sorbet ». Certains niveaux possèdent deux sorties, la seconde ouvrant un chemin alternatif menant souvent à un autre niveau et, pour l'un d'entre eux, à un monde entièrement caché. L'intérêt de ces niveaux annexes, souvent, revient à trouver des trésors, premier aspect novateur de ce titre (du moins pour un jeu de plateformes « Mario »). Dans certains mondes en effet, Wario trouvera une clé. Munie de celle-ci, il devra trouver un coffre scellé dans lequel se trouve un objet de valeur. Il y en a quinze à récupérer en tout au cours du jeu, et il faut tous les obtenir pour débloquer la « bonne fin » du jeu.
Car oui, et c'est là la deuxième nouveauté, le jeu possède plusieurs fins une fois le dernier boss battu. Au fur et à mesure de votre aventure, Wario collectera des pièces et des trésors. Ceux-ci sont constamment gardés en mémoire, et viennent remplir un « compte en banque ». Selon alors la somme collectée au cours du jeu, Wario obtiendra une demeure plus ou moins luxueuse, d'une cahute en bois jusqu'à un beau château... et une demeure mystère si vous finissez le jeu avec tous les trésors et le maximum de pièces. Je n'en dirai rien pour ne pas gâcher la surprise, mais sachez que ma joie fut immense lorsque je la découvris ! Les pièces se ramassent au cours des niveaux, parfois en trouvant des passages secrets et en jouant à des mini-jeux, accessibles en fin de niveau. Ceux-ci ressemblent à des « tout ou rien » ; et autant on peut gagner gros, autant l'on peut tout perdre... Je passe volontiers sur cet aspect annexe du jeu même si, comme vous le verrez, les mini-jeux auront une importance cruciale dans les épisodes suivants.

Dans Wario Land, tout se paie... même les checkpoints (le crâne de vache sur la gauche) ! À droite, un Thwomp qui va servir de transport pour franchir cette lave en fusion...

Wario possède également, tout comme Mario, une vaste collection de power-up. Le premier, et le plus important de tous est la gousse d'ail, qui permet à « petit Wario » de devenir « Super Wario ». Ensuite, Wario possède trois pouvoirs distincts, qui auront tous leur utilité, notamment dans le fait de trouver les trésors en question. Le premier est « Wario-Taureau », accessible si Super Wario ramasse une seconde gousse d'ail ou un casque de taureau. Possédant un coup d'épaule dévastateur et capable de détruire les blocs en un seul coup (plutôt qu'en deux pour Super Wario), c'est la forme violente par excellence. Le second est « Wario-Dragon », accessible en ramassant un casque de dragon. Wario peut alors souffler du feu par les naseaux de sa nouvelle coiffe, ce qui lui permet de détruire les blocs et les ennemis. Enfin, mon petit préféré, « Wario-Avion », accessible une nouvelle fois en trouvant un chapeau particulier, permet à Wario de se déplacer sur de longues distances en volant, ce qui permet non seulement de traverser les niveaux à vitesse grand V, mais aussi de trouver de nombreux secrets.
À côté de cela, le jeu partage de nombreux points communs avec Super Mario Bros. 2, notamment dans le fait que Wario est capable de soulever et de lancer les ennemis qu'il rencontre. Inutile, en effet, de leur sauter dessus : cela ne fera que les étourdir. Il faut pour les détruire les prendre dans la main et les lancer sur un autre ennemi ou un piège, les pics, Thwomps et autre lave étant tout aussi mortels pour eux que pour vous. Il est rigolo de voir par ailleurs que si Wario peut s'affranchir par ce biais sans problèmes des petits ennemis, les plus gros l'obligeront à se déplacer plus lentement, et il les lancera bien moins loin que les autres. Enfin, l'arme principale de Wario, si ce n'est lorsqu'il est dans sa forme « Dragon », est le coup d'épaule qui lui permet non seulement de tuer les ennemis, mais aussi de briser les nombreux blocs qui se dressent sur son passage. Il possède pour ce faire également d'un « saut-rodéo », bien pratique souvent. Petit Wario, quant à lui, est incapable de donner des coups d'épaule ou de casser ces blocs. À chaque ennemi abattu, Wario gagne un cœur (il peut également en gagner dans certains blocs), cent lui octroyant une vie ; et dernière petite caractéristique, tout se paie dans Wario Land : en appuyant simultanément sur haut et B, on crée une grosse pièce d'or (qui en vaut dix petites), qui va être utilisée comme jeton pour activer les checkpoints et, pire ! les sorties de niveau. On ne peut donc finir un niveau du jeu (sauf le premier et les stages du boss) si l'on a moins de dix pièces en poche. Heureusement, on trouve de la monnaie très régulièrement, donc cela n'est jamais un problème.

À gauche, Wario dragon. À droite, Wario-Taureau et son fameux coup d'épaule.

Si je trouve à ce jeu un côté « arcade », cela vient probablement du maniement du personnage, bien moins léger et sautillant que son frère de lumière. Lourd, pesant, Wario ne saute pas très haut et pas très loin. On sent véritablement le poids du personnage, plus ici d'ailleurs que dans les autres jeux de la série. Aussi, le rythme de l'aventure est bien plus lent, bien plus contemplatif même pourrait-on dire qu'un Mario ; un niveau de Wario Land s'arpente d'un train de sénateur, en tuant tous les ennemis, en explorant les moindres recoins des niveaux qui regorgent d'échelles et de portes menant à de nombreux secrets, en se trémoussant sur le rythme de la musique, formidable mais également pataude comme La marche du bébé éléphant (Baby Elephant Walk). Les boss et les ennemis sont à son image : lourdauds et lents. Un rythme bien à lui qui nous fait bien comprendre que Wario Land, ce n'est pas Mario Land.
Mais si le jeu se fait relativement facile pour celui qui ne cherche pas spécialement à le finir à 100% ou à trouver tous les trésors et nombreux passages secrets qui émaillent le jeu, les développeurs ont cependant pris un soin particulier pour faire en sorte de briser la linéarité qu'un tel jeu suppose, notamment en faisant en sorte que la complétion d'un niveau, voire d'un monde, ait des répercussions sur l'architecture même de celui-ci. Pour donner un exemple, une fois le premier monde, « La plage de Riz », terminé, l'eau aura rogné les côtes, ce qui fera que les premiers niveaux seront partiellement inondés, permettant ainsi d'accéder à des zones inaccessibles au premier abord. Le monde 2, quant à lui, joue entièrement sur cette idée, puisqu'il faut activer un interrupteur dans le dernier niveau accessible pour abaisser le couvercle de la « Théière » et ainsi accéder au boss, donnant véritablement l'impression de traverser deux niveaux différents. De même, on trouve dans certains niveaux des perles d'ingéniosité, comme ces niveaux en train ou en wagon, ou encore cette ascension d'un arbre géant qui finit par donner le vertige. Wario Land est un modèle de level-design, un bijou d'inventivité et de créativité qui deviendra, sur la longueur, la marque de fabrique de la série entière.

Dans le château du Captain Syrup. À droite, un des trésors. À noter qu'en sus de trouver la clé et de trouver la porte menant au coffre, il faut impérativement être grand Wario ou l'une de ses transformations pour l'ouvrir : il faut en effet donner un coup d'épaule (ou de flammes) pour obtenir le bibelot.

Si je m'attarde volontiers sur le gameplay de ce Wario Land, c'est bel et bien car c'est ce qui m'avait le plus frappé à l'époque, surtout en comparaison d'un Mario. Contrairement aux apparences, l'on pourrait très bien arguer, et ce serait je pense une position tout a fait défendable, que malgré le sous-titre Super Mario Land 3, Wario Land n'est pas un Mario Land, ni même un Super Mario Bros. Et comme pour enfoncer définitivement le clou, Nintendo a bien voulu le faire comprendre en faisant en sorte que les univers eux-mêmes soient fondamentalement différents. L'univers de Mario, finalement, est assez joyeux et cela lui a été longuement reproché par le passé. Si l'on écarte quelques Ghost Houses et les derniers mondes recouverts par la lave, tout est souriant : les ennemis semblent nonchalants, les collines sourient, les nuages rigolent. Wario Land se positionnerait quant à lui dans un univers parallèle qui serait un négatif complet de celui-ci : les blocs, objets divers et ennemis froncent des sourcils, Wario le premier ; les boss vous attaquent avec violence, on trouve partout des crânes humains ou de vache. La musique même semble suivre cette direction avec des thèmes sourds, lents, patauds : même celui de la plaine, qui est la première mélodie du jeu, pourrait figurer au sein d'un des châteaux de Bowser dans un Mario. Bien entendu, le thème de la piraterie servant de toile de fond au scenario du jeu, l'on ne pouvait que s'attendre à cette dimension menacante de l'univers ; mais force est de constater que l'univers de Wario est décidement glauque, ce qui détonne pour un jeu Nintendo.
De même, alors que Mario donne l'impression de constamment risquer sa vie héroïquement face aux nombreux périls et ennemis qui s'opposent à lui, Wario a ceci de jouissif qu'il donne le sentiment inverse. On tue probablement autant d'ennemis et on ramasse sans doute autant de pièces dans Wario Land que dans un Mario Land, mais le but et le rythme du jeu, le rôle de l'argent, les coups d'épaule dévastateurs, l'abondance de blocs du décors que l'on détruit, la terre et les ennemis qui tremblent lors d'un « saut-rodéo », les nombreux power-ups surpuissants, le rictus sardonique du gros sprite de Wario face à des personnages généralement plus petits et plutôt « mignons » (voire sans défense, jusqu'à l'équivalent des blocs « points d'interrogation » qui ont une mine innocente avant qu'on les frappe et une mine renfrognée après), donnent vraiment l'impression de jouer un « méchant », un sale type qui vient tabasser tout le monde et mettre une zone paisible sens dessus-dessous pour la dépouiller entièrement. Cet aspect « défoulement » et ce sentiment de surpuissance (voire d'invulnérabilité) est important dans la série, et sera accentué dans les suites directes de Wario Land. L'on ne peut ainsi qu'être admiratif devant le travail énorme accompli par les développeurs, créant une continuité formidable entre musique, graphismes et personnalité du personnage principal lui-même : par ses motivations purement égoïste, il n'est en définitive pas si glorieux que cela de permettre à Wario d'atteindre ses fins. Le jeu ne délaisse pour autant pas l'humour, Wario faisant des mimiques incroyables au fur et à mesure de ses pérégrinations, les ennemis poussent des cris de douleur improbables en trépassant, et les boss sont tous plus fendards les uns que les autres. Ce n'est pas peu dire que ce jeu fait partie des grands noms de la Game Boy. Je ne compte plus les heures passées sur ce titre, le faisant et le refaisant encore et encore, et je ne peux que vous encourager à vous y essayer, car à tous les niveaux, c'est du grand Nintendo.

Après chaque niveau, le jeu vous récapitule le nombre de pièces collectées et vos trésors. À droite, ce boss dérangeant vous attaque avec des crottes de nez enflammées.
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