Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par RobertGlucose (25 mars 2015)
Otocky est un jeu relativement peu connu chez nous, et pourtant tout à fait remarquable à plusieurs titres. Tout d'abord, il est une œuvre indissociable de son créateur : Toshio Iwai. Cet "artiste visuel" japonais, né en 1962, a pour spécialité les installations numériques mêlant son, image, et interactivité. Ainsi, en 1995, avec Piano as Image Media, il propose de dessiner des points lumineux sur une surface plane, grâce à une trackball. Les points ainsi dessinés se déplacent de plus en plus vite vers le haut, jusqu'à "frapper" les touches d'un vrai piano, qui joue les notes de musiques correspondantes. Une démonstration de l'installation est visible dans la vidéo ci-dessous, à 1'20. Plus récemment, il conçoit un instrument de musique électronique en collaboration avec Yamaha, appelé Tenori-on (cf. photo ci-dessus). Cet appareil permet de générer de la musique électronique, en même temps que des effets visuels sur une matrice de LEDs. Voyez plutôt. L'œuvre de Toshio Iwai est intéressante, parfois fascinante, et partage la même obsession tout au long de sa carrière : susciter des émotions via une synesthésie entre son, image, et interaction. Le plus beau pour nous, c'est que l'artiste a aussi fait des jeux vidéo. Vous vous souvenez peut-être d'Electroplankton, sorti en 2005/2006 sur Nintendo DS, y compris en Europe. Ce titre atypique, plus proche de l'œuvre d'art interactive que du jeu traditionnel, utilisait les spécificités de la machine (stylet, micro) pour générer sons et images éphémères, au sein de petits ateliers interactifs. C'est une des créations vidéo-ludiques de l'artiste, qui reprenait d'ailleurs certains mini-jeux de Composition on the Table. Bien avant Electroplankton, en 1987, Toshio Iwai a 25 ans et sort de l'université de Tsukuba avec un diplôme en arts plastiques et arts multimédias. Il collabore alors avec ASCII Corporation pour sortir son tout premier jeu vidéo, sur le nouveau Famicom Disk System de Nintendo : Otocky. Pour résumer, Otocky peut être décrit comme un shoot'em up musical. Le joueur dirige le petit personnage éponyme, sur un scrolling horizontal. Avec le bouton A, Otocky peut tirer des projectiles en forme de boules rouges ou bleues, dans les huit directions tout autour de lui. Une fois tirées, ces boules reviennent à lui à la manière d'un yo-yo. Elle ont deux fonctions principales : attaquer les ennemis, et attraper les notes de musiques, et autres bonus cachés dans le décor. Le bouton B permet quant à lui de larguer une grosse bombe plus puissante, dans la mesure où le joueur en a collecté au préalable. Pour progresser, il faut attraper un certain nombre de notes de musiques, sans quoi le niveau va boucler indéfiniment au bout d'un moment, à la manière de Fantasy Zone. Au bout de chaque niveau, un boss nous attend, sous la forme d'une énorme note de musique : croche, double-croche, blanche, triolet, etc. Petit détail amusant : la barre de vie du boss est justement celle que l'on vient de remplir en attrapant les notes. Vous l'aurez compris, le thème global du jeu est : la musique. Jusqu'ici, rien de révolutionnaire dans le petit monde des cute'em up. Néanmoins, Otocky a une autre particularité qui le démarque nettement de la production existante : chaque action du joueur, et chaque événement dans le jeu génère un son dynamiquement, et synchronisé avec la musique ! Partant de ce principe, le jeu parvient à varier considérablement les sons générés. Ainsi, le son du tir dépend de la direction choisie parmi les huit, mais aussi de l'arme utilisée. Chaque arme est associée à un instrument de musique : piano, orgue, violon, etc. Selon l'arme, les boules lancées n'ont pas la même apparence ni le même comportement, et évidemment, produisent un son en rapport avec l'instrument associé. Comme les captures d'écran ne rendent pas justice au jeu, étant donnée sa nature, je vous invite à visualiser la vidéo suivante, pour vous en faire une meilleure idée : https://www.youtube.com/watch?v=FT7CydZT9nYLes décors sont composés d'éléments abstraits, souvent inspirés d'instruments de musique, avec beaucoup de formes géométriques, rappelant parfois l'art moderne. Les couleurs sont vives, avec de forts contrastes, et contribuent à donner une identité graphique propre à chaque niveau. Globalement, la génération procédurale du son fonctionne bien. Le résultat produit est à la fois original, assez agréable à l'oreille avec un petit côté hypnotique, et impressionnant techniquement, étant données les capacités sonores limitées du support (5 canaux). S'il n'impressionne pas vraiment en tant que shoot'em up pur et dur, Otocky est remarquable par son côté extrêmement novateur et en avance sur son temps. Alors que le jeu vidéo en est encore à ses débuts, à définir ses genres fondateurs, on a ici affaire à un vrai jeu d'auteur, une vision d'artiste, qui annonce clairement les œuvres à venir de Toshio Iwai. C'est aussi le premier jeu à incorporer une bande son procédurale, synchronisée avec la musique. Si ce concept a été utilisé plusieurs fois dans le jeu vidéo aujourd'hui, il est incroyable pour l'époque, rendez-vous compte, en 1987 ! Il faudra attendre 15 ans par la suite pour que Mizuguchi reprenne l'idée. Pour finir, si vous vous demandez qui est la jeune femme en photo sur la boîte du jeu, il s'agit de Natsuki Ozawa, chanteuse idol, actrice de cinéma et de TV, qui a fini sa carrière dans les vidéos pour adultes, ce qui n'a pas manqué de créer un mini-scandale à l'époque. Je vous invite donc vivement à essayer Otocky, ne serait-ce que pour des raisons historiques. RobertGlucose (25 mars 2015) Envie de réagir ? Cliquez ici pour accéder au forum |