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Marble Madness
Année : 1984
Système : Arcade ...
Développeur : Atari
Éditeur : Atari
Genre : Arcade / Action / Plate-forme
Par DSE76 (19 mars 2017)

La conception

En 1984, Atari ne va pas très bien. Un an auparavant a commencé l’une des plus grandes crises dans l’histoire du jeu vidéo : le crash vidéoludique de 1983, lors duquel plusieurs fabricants de consoles (Mattel, Coleco, des entreprises pas réellement versées dans le jeu vidéo) subissent des pertes financières et se retirent du marché ou bien ferment leurs portes. Atari survit mais pas sans dommages : les ventes de sa console, la fameuse Atari 2600 (ou VCS), s’effondrent à cause des innombrables titres plagiés qui sévissent sur sa machine et de titres maison à la qualité parfois douteuse comme le tristement célèbre E.T., dont l'ex-firme de Nolan Bushnell a fait enterrer un million d’exemplaires invendus dans le désert du Nouveau-Mexique.

Alamogordo, Nouveau-Mexique, 2014 : une cartouche d’E.T. déterrée lors de fouilles qui ont prouvé que cette histoire d'enfouissement des invendus n'était pas qu'une légende urbaine.

Suite à cette débandade, Atari perd de l’argent et sa situation financière est très instable. C’est dans ce contexte particulier que ses ingénieurs décident de créer le System 1, premier board électronique 16-bits pour jeux d'arcade, et qu’un certain Mark Cerny, jeune programmeur de 17 ans est engagé chez Atari Games. De ces deux événements naîtra un jeu marquant : Marble Madness.

Le flyer. Cliquez sur une image pour une version plus grande.
Merci au site Arcade Flyer Archive.

Le développement commence en 1983 : Atari veut un jeu proposant une expérience unique avec un système de contrôle atypique et surtout un mode deux joueurs. L’équipe se compose principalement de Marc Cerny et Bob Flanagan. Le premier veut s’inspirer des parcours de mini-golf mais aussi des travaux de M.C Escher, un peintre mathématicien connus pour ses œuvres jouant sur la perspective, pleines illusions d’optique et de formes impossibles.

Très vite, le développement connaît quelques déboires qui sont vite dépassés : au départ, le jeu est programmé en C, langage dont Mark et Bob sont très familiers et qui permet de bonnes performances ; mais le C reste très lent comparé à l’habituel assembleur utilisé massivement à l'époque. Du coup, on décide que le rafraîchissement de l’écran sera à 30hz au lieu de 60hz. Ce n’est pas tout : Cerny veut utiliser comme contrôle un trackball motorisé pour un meilleur contrôle, mais Atari prévient que le modèle que la firme utilise a un petit défaut : un des quatre contacts ne touche pas tout le temps la boule. Du coup, un trackball classique doit être utilisé à la place. Enfin, Cerny veut anticiper l’utilisation des sprites en RAM (mémoire vive) mais le hardware disponible l’oblige à les mettre en ROM (donc à les intégrer à la carte du jeu).

Mark Cerny avec Yu Suzuki, l'auteur de Out Run, Space Harrier, Shenmue... Mark quitta Atari un an après la sortie de Marble Madness pour rejoindre SEGA, où il connut nombre de grands noms de la firme d’Haneda (désolé, je n’ai pas trouvé d’image de Bob Flanagan).

Les limitations techniques de l’époque obligent Cerny à repenser le level design. Il voulait donner un aspect 3D au jeu, s’inspirant de Battlezone et I.Robot, mais avec une 3D plus "propre". Pour la fabrication des niveaux (appelés "courses"), Cerny utilise une matrice pour calculer la hauteur des points du circuit et le construit par Ray-Tracing (cette méthode permet d’appliquer un ombrage un antialiasing sur les surfaces, les rendant plus nettes).

Cerny a beaucoup d’idées de level design pour ses courses, mais pour la conception de Marble Madness, le mot d’ordre reste "pragmatisme". La plupart des éléments qui ne peuvent être inclus à cause de limitations techniques ou de comportements inattendus sont mis de côté. Parmi les idées abandonnées, on trouve une barrière élastique, des plateformes en verre fragile ou des trous noirs.

Concepts pour le design des circuits. Le manque de temps et les problèmes techniques entraîneront l'abandon de quatre d'entre eux.

Au fil de l’avancement du projet, de nouveaux centres d’intérêts apparaissent chez Mark Cerny, rajoutant de nouveaux concepts de game design non présents dans les dessins originaux. Les ennemis, par exemple, sont introduits mais leur taille doit être limitée. Ces derniers n’ont aucun visage afin de leur donner un design unique et surtout les rendre aussi minimalistes que le design des circuits. Toutefois, Atari insiste pour que la boule ait un visage, ce qui ne sera malheureusement pas possible.

Après l’élaboration d’un moteur physique et de l'intelligence artificielle des ennemis, le jeu est testé par des membres d’Atari. Ces derniers donnent un retour positif et la direction ordonne la production de la borne. Marble Madness est un succès, déployé dans de nombreuses salles d’arcades et acclamé par la critique. Malheureusement, le succès ne dure pas très longtemps car le jeu lasse vite les joueurs. La raison est très vite trouvée par Cerny : à cause des difficultés mentionnées plus haut, il n'y a que 6 niveaux. Ceux qui maîtrisent la borne passent donc très vite à autre-chose.

Les différents circuits du jeu. 6 n’est pas un nombre suffisant pour tenir en haleine le joueur d’arcade sur la durée.

Le jeu et les niveaux

Marble Madness est donc un jeu d’adresse dont le but est de diriger une boule dans un circuit assez tordu, jusqu’à la fin du parcours, en évitant les obstacles et surtout sans tomber hors de limites du parcours. Des ennemis peuplent le chemin, qui ne veulent pas du bien à la boule et souhaitent l’empêcher de passer. Et pour finir le temps est limité, il faut amener la boule au "GOAL" avant la fin du temps imparti.

Le joueur ne dispose que d’un trackball pour déplacer la bille. La vitesse de celle-ci peut être ajustée par la manipulation du trackball. Il n’y a aucun bouton d’action pour faire autre-chose que se déplacer.

Practice : un petit circuit facile pour se mettre en jambes. Attention, les secondes restantes de ce circuit ne seront pas reportées sur le suivant.

Le jeu est en 3D isométrique. Chaque circuit est composé de pentes et autres dénivelés. La boule est soumise à une physique réaliste : elle prend de la vitesse quand elle descend et ralentit quand elle monte. Quand on prend une pente dans l'axe, il faut généralement compenser afin d’éviter la chute.

En plus de la géométrie, chaque circuit dispose d’obstacles : ces derniers sont soit intégrés au circuit (sol glissant, rugueux), soit des gimmicks (plateforme mouvante, vagues, aspirateurs), et il y a les ennemis. Ces derniers mèneront la vie dure en essayant de faire tomber la boule, la manger ou même la dissoudre.

Beginner : un circuit un peu plus difficile. Contient des ennemis et quelques éléments pouvant vous ralentir.

Vous avez un temps limité pour terminer chaque circuit. Par chance, toute seconde restante à la fin d’un circuit sera conservée et ajoutée au temps de départ du circuit suivant. Chaque chute ou destruction fait perdre du temps à cause de l’animation de reconstitution de la bille, donc évitez de tomber ou de vous faire avoir par vos adversaires. Enfin, une baguette magique peut rajouter 10 secondes supplémentaires lorsque vous n’avez plus beaucoup de temps et que vous êtes proche de la fin.

Bien entendu, comme c’est un jeu d’arcade, le but est de faire le plus haut score possible. Vous obtenez des points supplémentaires grâce à certaines actions : casser les boules noires en les faisant tomber, prendre des tunnels qui vous amènent à un endroit situé plus bas ou, bien sûr, rejoindre l’arrivée le plus vite possible.

Intermediate : le jeu commence à être difficile : le chemin devient étroit, du limon corrosif ronge votre boule et la fin peut être assez pénible.

Le jeu intègre un mode deux joueurs : le joueur 1 contrôle la boule bleue et le 2 la boule rouge. Cela ne change pas grand-chose au déroulement du jeu. Les deux boules se déplacent avec un trackball par joueur et chacune doit atteindre le but. Toutefois, si l’un des joueurs est à court de temps, l’autre peut continuer.

Le mode 2 joueurs est en réalité compétitif : le vainqueur reçoit un bonus de 5 secondes. Il est possible de percuter l'autre joueur, voire de le pousser par dessus bord. D'autre part, les deux doivent rester à l’écran sinon celui qui vient d’en sortir sera remis en jeu avec un malus de 5 secondes.

Aerial : le niveau qui distingue les joueurs doués des maladroits. La difficulté monte ici d’un cran avec un des parcours les plus longs du jeu, rempli d’obstacles qui vous ralentiront et doté d'une piste sinueuse, pleine de dénivelés assez délicats.

Marble Madness fait partie, comme on l'a vu, des premiers jeux d'arcade 16-bits développés. De ce fait, il propose des graphismes bien meilleurs que les titres antérieurs comprenant des "personnages" animés, le tout à bonne vitesse. Le design des circuits et objets est assez simpliste mais garde un certain charme.

Le jeu est aussi l’un des premiers à proposer du son stéréo, alors que ses concurrents étaient mono ou simulaient le son stéréo. Le System 1 était équipé d'une puce Yamaha, la YM2151, qui sera massivement utilisée en arcade. De ce fait, la bande son de Marble Madness propose de la musique chiptune, assez sympathique et dans le ton du jeu.

Silly : "Tout ce que vous savez est faux !" Silly porte bien son nom : l’arrivée est en haut au lieu d’être en bas et on l’a impression de grimper le niveau alors que la physique devrait nous en empêcher. Il existe des versions mini des ennemis qu’on peut écraser pour gagner 2 secondes chacun. Enfin, l’arrivée est la plus visible des influences de M.C Escher avec une belle illusion d’optique. Ce niveau est un peu le Star Light du jeu : il est plus facile que le précédent, reposant, surtout avec sa musique, et permet de souffler ou d'engranger des secondes pour le stage suivant.

Comme on l’a déjà vu, l’un des défauts de Marble Madness est qu’il n’y a que 6 circuits, ce qui réduisit le temps que les joueurs lui consacrèrent. Mais il compense ce contenu léger par une difficulté assez élevée. Si les trois premiers niveaux ne posent pas de problèmes particuliers, le quatrième mettra game over nombre de joueurs.

Le timer est généralement assez chiche, et le temps restant à la fin du premier circuit n’est pas conservé. Chaque erreur dans l’un des circuits suivants peut donc vous coûter de précieuses secondes indispensables pour aller plus loin. De plus, les obstacles sont parfois assez délicats à éviter et les ennemis assez agressifs.

Ultimate : le dernier circuit testera vos limites. Le timer est très short et le circuit assez tordu, avec des surfaces peu propices au déplacement et une fin délicate.

Bien que Marble Madness ait eu son petit succès, l’attention des joueurs d’arcade se tourna rapidement vers d’autres jeux plus longs. Un an après sa sortie, Mark Cerny quitte Atari pour rejoindre SEGA. Bob Flanagan tentera de relancer la série avec un second épisode en production en 1991, avec de nouveaux concepts, des transformations et surtout 17 niveaux. Malheureusement, Atari stoppera le développement, pensant que le jeu ne ferait pas le poids face à Street Fighter 2 et préférera développer, dans le même genre, Guardians of the Hood. Néanmoins, malgré très sa courte carrière en tant que franchise vidéo-ludique, Marble Madness a inspiré nombre de jeux dont la fameuse série des Super Monkey Ball chez SEGA, ainsi qu'une grande quantité de titres où l'on dirige (péniblement) une bille métallique.

Quant au surdoué Mark Cerny, après ses années SEGA (California Games version Master System, Sonic The Hedgehog 2...), c'est surtout à Sony que sa prestigieuse carrière est associée. On le retrouve ainsi dans le staff de plusieurs jeux Naughty Dog qui ont fait les beaux jours de la Playstation (Crash Bandicoot, Jak and Daxter), il a été producteur exécutif sur de grandes exclusivités Sony dans les années 2000 (Uncharted, God of War III) avant d'atteindre les sommets de l'industrie en se voyant confier la direction du développement de la Playstation 4.

Battle of the Ports !

Marble Madness, bien qu'étant déjà un défi technique en tant que borne d'arcade, a fait l'objet de nombreuses conversions sur des systèmes bien moins puissants. Il est temps de savoir ce qu’elles valent.

Amiga : ce portage Electronic Arts a été considéré comme le meilleur de son époque et figurait parmi les jeux qui faisaient acheter un Amiga. Et en effet, la conversion est assez réussie : c’est graphiquement fidèle (voire même supérieur, comme le firent remarquer certains magazines) et la musique est plutôt réussie. L’ennui est que le joystick a été mal programmé : les diagonales ne correspondent pas à celles du jeu, ce qui est assez perturbant quand on n'est pas habitué. En revanche, la gestion de la souris est assez excellente et il est aussi possible de jouer avec un trackball. Bref, l’une des meilleures versions.

Atari ST : cette version est légèrement inférieure à la version Amiga au plan des graphismes et du son. Les contrôles au clavier sont horribles et les collisions sont un peu spéciales.

ZX Spectrum : très populaire dans son Royaume Uni natal car il était très abordable et a révélé de nombreux programmeurs talentueux, les Spectrum est aussi connu pour avoir reçu des portages d’arcade assez bas de gamme. Marble Madness ne fait pas exception : moche, horriblement lent, bugué, musique horrible. Pas de miracle, donc.

Amstrad CPC : c'est un portage direct de la version Spectrum alors que le CPC pouvait faire bien mieux. Malgré une réalisation un peu supérieure, les mêmes défauts sont présents, notamment la mauvaise ergonomie des menus ; cette version a donc peu d’intérêt. À noter qu’elle comprend un éditeur de niveaux.

DOS : la version PC du jeu a été faite en 1987. À cette époque, les jeux sous DOS sont très loin d’égaler ce que proposent les ordinateurs 16-bits concurrents, ou même les consoles 8-bits. Du coup, cette version est en EGA 16 couleurs et avec pour les effets sonores le PC Speaker, pire circuit sonore qu'un ordinateur ait jamais inclus. Malgré cela, ce portage PC se débrouille pas mal : les graphismes sont plutôt réussis et les musiques et bruitages ne cassent pas tant les oreilles que ça. En revanche, les collisions sont parfois anarchiques et le jeu un peu bugué.

NES : conversion codée par RARE pour le compte de Tengen, incroyablement bien faite : graphiquement au top, excellent portage des musiques en 8-bits et contrôles au poil. Bref, l’une des meilleures versions console.

X68000 : cet ordinateur japonais de Sharp est connu pour ses conversions "Arcade Perfect" et Marble Madness ne fait pas exception. Non seulement le jeu est quasiment le même que la version arcade mais il est légèrement plus beau. Et comme cette version permet d’utiliser un trackball, c’est donc ZE best portage.

Master System / Game Gear : une conversion faite par Tengen (une branche assimilée à Atari). La version Master System est plutôt réussie graphiquement et les musiques 8-bits sont bien rendues. Le jeu se contrôle plutôt bien. Toutefois, des concessions niveau level design ont dû être faites. Le portage reste globalement inférieur à la version NES. La version Game Gear est évidemment identique à la Master System, avec un écran plus petit.

Megadrive : en fait, la console 16-bits de SEGA n’aura pas un mais deux portages.
La première conversion a été faite en 1991 par Electronic Arts, uniquement pour le marché occidental. Les gens en espéraient beaucoup, vu que la console est assez similaire avec le board d’arcade, mais ils furent déçus. Le jeu n’est pas très fidèle graphiquement et musicalement, prend quelques libertés sur la physique du jeu et les contrôles ne sont pas parfaits.
La conversion Tengen est sortie 2 ans après celle d’EA. Alors que Tengen est synonyme de tâcheron dans l’esprit du SEGA-fan, ce port, uniquement sorti au Japon, est incroyablement fidèle à la version d’arcade, tant graphiquement que musicalement (le sound test reproduit même le test sonore de la borne d’arcade) et le gameplay est respecté. La bille se contrôle bien et on peut utiliser la souris de la Megadrive. C’est aussi un excellent portage console.

Game Boy : conversion fondée sur la version NES mais portée par Tengen. Une sympathique version, bien que légèrement inférieure à celle dont elle est issue. L’écran réduit limite le champ de vision.

Playstation : cette conversion est intégrée dans la collection Arcade Greatest Hits-Atari Collection 2 par Midway. C'est un portage direct de la version arcade... à part qu’il n’y a pas de musique et que les déplacements sont mous.

Game Boy Color : une nouvelle conversion de Digital Ecipse pour le compte de Midway. Ce portage est inférieur à la version Game Boy, sur le plan de la jouabilité, de la musique (assez mauvaise et qui ne correspond pas au niveau original) et des collisions.

Game Boy Advance : décidément, plus on avance dans les Game Boy, moins la conversion de Marble Madness est de qualité. Cette version GBA rivalise avec la version ZX Spectrum pour le titre de pire portage du jeu. Si c’est graphiquement fidèle, la jouabilité est une vraie catastrophe ! Le jeu arrive à être mou et trop rapide à la fois ! Les contrôles sont horribles car répondant mal et parfois bugués. A éviter.

DSE76
(19 mars 2017)