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Jet Set Willy
Année : 1984
Système : Amstrad CPC, Atari 8-bits, BBC, C64, Dragon 32, Einstein, MSX, ZX Spectrum
Développeur : Software Projects
Éditeur : Software Projects
Genre : Action
Par Ikari (07 juin 2004)
La jaquette de Jet Set Willy... et de son extension

7h du matin. Un sursaut de lucidité, je me relève péniblement, avec un mal de tête terrible. Les toilettes, la baignoire qui déborde... La fête d'hier soir a été rude. Il faut dormir, retrouver l'esprit clair, car le whisky et les quelques substances illicites, ingurgitées il y a quelques heures à peine, font encore leur effet. Je me traîne vers ma chambre... A peine ai-je ouvert la porte qu'une voix stridente vient me fracasser le crâne.
"WILLY !!! Nettoie-moi tout ça, et en vitesse !!!"
Entre moi et mon lit se dresse Maria, la gouvernante; elle a l'air furax. Je commence à comprendre : comme d'habitude, les invités ont laissé le manoir dans un état épouvantable. Mieux vaut ne pas m'opposer, la Maria est du genre costaude. Il va vraiment falloir s'y mettre. Et pour tout arranger, je remarque que le manoir a l'air bizarre, plus grand que d'habitude... C'est donc la tête sérieusement embrumée que je pars à la chasse aux détritus, tout en évitant les nombreux pièges qui ont l'air d'être apparus depuis hier soir. Je ne suis pas au bout de mes peines.

Willy vient d'émerger... et voilà sa chambre, avec Maria

Avant d'aborder le vif du sujet, je suis sûr que certains se demandent si l'article traite du premier ou du second volet. Eh bien je leur répondrai "les deux mon général", car il serait dommage de se restreindre à un jeu de 60 salles quand on a l'identique, mais avec 80 salles supplémentaires! Donc, la majorité des captures d'écran ont été faîtes sur Jet Set Willy II - The Final Frontier, version CPC. Voilà qui est dit. Ici, nous avons affaire à un jeu culte, et je vais essayer de vous expliquer pourquoi. Tout d'abord, Jet Set Willy est un jeu entouré d'une part de mystère, de par l'extrême difficulté rencontrée pour le parcourir entièrement, la présence de salles réellement inaccessibles, mais aussi à cause de rumeurs concernant son créateur. D'ailleurs, commençons les présentations...

Matthew Smith

Matthew Smith -c'est son nom- a grandi à Liverpool. Plutôt mauvais élève, il commença à programmer en 1979, à l'âge du 12 ans, sur TRS-80. Au bout de 2 ans, il réalisait des petits shoot'em ups en langage machine. Il fit ensuite l'acquisition d'un Tandy, la machine qu'il utilisa pour développer ses deux hits, Manic Miner, la révélation, puis Jet Set Willy, sorti trop tôt, sous la pression commerciale, avant d'avoir été pleinement testé. Matthew avait 16 ans. Pour la petite histoire, le Tandy est doté d'un processeur Z80, de même que le Spectrum et le CPC, ce qui facilite les conversions. quelque temps après la sortie de Jet Set Willy, Matthew, qui avait gagné pas mal d'argent grâce à ses hits, disparut mystérieusement de la circulation. Certains prétendent qu'il aurait été en proie à quelques problèmes psychologiques, éventuellement liés à la consommation de substances illicites, mais rien ne me permet de le certifier, et puis cela ne nous regarde pas, comme diraient certains. Toujours est-il qu'il est réapparu, publiquement, en 1999. Il en a même profité pour réaliser sa page perso, au concept assez caractéristique : Matt's New Homepage.

Le jeu, le jeu !!!

Bon, d'accord les enfants. Jet Set Willy est, en fait, une évolution de Manic Miner, lui-même inspiré de Miner 2049'er sur Atari 800 XL. Ces sont des jeux de plate-forme, organisés en salles, dont le but est de collecter des objets, tout en évitant des ennemis aux trajectoires périodiques. On peut noter le côté non violent du personnage qu'on dirige, puisqu'il en est réduit à éviter les pièges en se déplaçant, en sautant ou en attendant. Dans certains passages, il faut faire preuve d'une précision et d'un timing de haut niveau pour atteindre les objets à collecter. Ce que Jet Set Willy apporte de nouveau au genre, c'est d'abord la possibilité de parcourir les salles librement. Le jeu se transforme alors en un univers à explorer, où la curiosité du joueur est exacerbée, un peu comme un randonneur en train de franchir une colline : Qu'y a-t-il derrière ? Non, je ne m'égare pas, car c'est exactement la même question que l'on se pose en jouant à Jet Set Willy. Chaque salle est tellement originale, que la curiosité nous pousse à les découvrir toutes. De plus, chacune est affublée d'un titre, ce qui facilite les discussions et les défis entre joueurs. Jet Set Willy est un jeu aux buts multiples, une expérience vidéo-ludique, dirons nous... Moi j'y joue encore, imaginez à l'époque, en 1983 ! Son succès a été tel qu'il a été porté sur la grande majorité des micros 8-bits, puis 16-bits : Spectrum, CPC, C64 pour les versions officielles. Mais aussi Acorn Electron, ZX81 & Z88, BBC, Archimedes, Dragon, Atari 800 XL, MSX, ST, Amiga, PC et même GBA, pour les versions non commerciales. Et encore, je ne vous parle pas des suites et des remakes, élaborés par les fans, à partir des versions officielles.

Envie d'une glace ?
Ce soir, on mange du lapin

Chuuuut, y'a Bambi qui dort...

Eh oui, un des atouts de Jet Set Willy est son côté humoristique ! Tout d'abord, son scénario délirant, très inhabituel pour l'époque. Ensuite, l'aspect hallucinatoire et psychédélique (sinon schizophrène) de l'univers du jeu : les méchants et les pièges sont vraisemblablement imaginés par Willy et par sa vision déformée des choses. On parcourt en fait son "bad-trip", ce qui explique la présence de pingouins, de lapins, d'oiseaux, d'oeufs, d'objets de la vie courante, de Marias volantes et autres étrangetés à découvrir. Le rétrogamer averti pourra y trouver des clins d'oeil à d'autres jeux, notamment Hunchback. Et, bien sûr, la séquence de Game Over, où on voit Willy se faire écraser par un pied géant (en référence aux Monty Python). On peut y voir une métaphore de la honte qu'il ressent en ratant sa mission.

Willy en cochon ailé
Un petit clin d'oeil
A l'instar de Claude François
La tour de contrôle

Jet Willy possède aussi un côté légèrement sadique : Il est très fréquent d'assister, impuissant, à la perte successive de ses 9 vies, pour finir écrasé comme une... enfin, comme expliqué ci-dessus... En fait, après avoir perdu une vie, il peut arriver de réapparaitre tantôt à l'endroit exact où se trouve un ennemi, tantôt au dessus du vide, et se voir chuter plusieurs fois d'affilée jusqu'au Game Over. Mais pendant que j'y pense, ce Willy, il ne vous fait pas penser à quelqu'un d'autre ? Réfléchissez, Willy est un personnage sympathique, reconnaissable entre mille, qui évolue dans un monde psychédélique, et qui a commencé comme mineur. Je sais pas vous, mais moi, ça me fait penser à un certain plombier accro aux champignons.

Un trou à rat
...Ca sent mauvais ici

Parlons réalisation

La qualité technique du jeu se retrouve en premier lieu dans sa maniabilité, et la gestion ultra précise des collisions. C'est une référence en la matière. Les graphismes, quand à eux, sont simples, nets, et tirent bien parti de la moyenne résolution utilisée, ainsi que de la faible quantité de couleurs affichables simultanément. Chaque écran est en fait composé de blocs graphiques de 8x8 pixels. Pour information, j'ai pu détecter environ 6 à 8 couleurs simultanées sur la version Spectrum, mais ce sont toujours les mêmes, de salle en salle. Par ailleurs, sur Spectrum, un bloc graphique de 8x8 ne peut être que bicolore, ce qui explique que les escaliers soient toujours blancs dans cette version. S'ils étaient rouges, par exemple, Willy aurait les jambes rouges en passant dessus ! Sur CPC, par contre, il n'y a que 4 couleurs exploitables par écran, mais qui varient beaucoup en changeant de salle. Effet renforcé par les bordures colorées, que j'ai volontairement enlevées, pour plus de lisibilité. Par ailleurs, il n'y a pas de contrainte sur les blocs graphiques, comme c'est le cas sur Spectrum. La version C64, quand à elle, est plus colorée que les deux autres versions, et les salles sont plus grandes. Dommage pour la fidélité, et tant mieux pour les graphismes.

Un ennemi impressionnant
Un écran difficile à passer
Ambiance religieuse

L'ambiance sonore du jeu n'est pas très riche : on n'entend guère que quelques rares bruitages lors d'un saut ou de la perte d'une vie. Il faut tout de même noter le choix plutôt judicieux de la Sonate au Clair de Lune, de Beethoven, sur l'écran de présentation. Une musique hypnotisante, simple - seulement 2 canaux utilisés, une basse et une mélodie - mais très riche harmoniquement. Certaines versions, comme celle du CPC, permettent d'activer une musique pendant le jeu, mais elle est très irritante puisque courte et, bien sûr, jouée en boucle.
En bref, je dirais que Jet Set Willy s'adresse donc aussi bien aux plus jeunes - qui y verront un jeu curieux, marrant et difficile - qu'aux adultes qui sauront apprécier son humour décalé. Enfin, les plus jeunes... J'ai comme l'impression de me fourrer le doigt dans l'oeil, là :p

Bonus

Voici quelques remarques supplémentaires sur ce jeu hors-norme, que je vous livre en pâture :

  • La gigantesque fête donnée par Willy dans son manoir fait suite à la découverte des mille et un trésors qu'il déterra dans le précédent opus, Manic Miner.
  • Parfaitement conscient du caractère inédit de Jet Set Willy (début 1984, une telle aire de jeu ainsi qu'une telle difficulté étaient du jamais vu), l'éditeur Software Projects lança un concours dès sa sortie: quiconque découvrait le premier le nombre exact d'objets à ramasser pour terminer le jeu gagnait une caisse de champagne. En fait, il y avait un piège (involontaire): alors que 83 objets étaient disséminés dans le manoir, seuls 82 étaient accessibles! Cette erreur, qui empêchait aux joueurs de terminer le jeu, fut rapidement corrigée à l'aide d'une série de "poke" qu'il fallait intégrer au programme original - le premier patch de l'histoire du jeu vidéo était né.
  • Les informations distribuées par Software Projects en vue d'appliquer le patch au programme original ouvrirent une brêche que de nombreux pirates exploitèrent. Très vite, des épisodes inédits de Jet Set Willy virent le jour. Deux éditeurs allèrent même jusqu'à sortir des éditeurs de tableaux !
  • Contrairement à ce que beaucoup pensent, le créateur de Jet Set Willy II n'est pas Matthew Smith, mais Derrick Rowson. D'après certaines rumeurs, Smith aurait commencé à travailler sur un épisode intitulé "The Megatree" / "Miner Willy Meets the Taxman" avant de quitter Software Projects; mais rien ne permet de l'affirmer.
  • Jet Set Willy II constitua, pour beaucoup, une grosse déception. Certes, cette suite comprenait 131 tableaux -contre 60 dans l'épisode précédent-, mais beaucoup de ces tableaux s'avéraient monotones et sans imagination. L'intérêt de JSW II résidait en fait dans sa programmation. Alors même que les 60 tableaux de Smith remplissaient les 48k du Spectrum à ras-bord, Rowson parvint à intégrer plus du double de tableaux dans la même quantité de mémoire. Cet exploit technique fut rendu possible grâce à la création d'un puissant algorithme de compression, réduisant de moitié la taille mémoire de chaque écran.
  • Parmi les quelques bonnes idées de JSW II, l'on peut citer l'arrivée de Willy sur une autre planète après le décollage de sa fusée non loin du manoir (Willy revêt alors l'apparence d'un cosmonaute); ou encore la possibilité de Willy, dans certaines version du jeu, de pénétrer dans la cuve des WC du premier écran (hum), de visiter sa tuyauterie (hum hum) et... d'y mourir noyé. Tout un programme !
  • Il n'existe pas de salle secrète dans Jet Set Willy. En 1984 toutefois, des millers de joueurs crurent le contraire après la découverte, dans les lignes du programme original de Smith, du nom d'un tableau inconnu, "The Gaping Pit". Un lecteur de Crash -le magazine britannique consacré au Spectrum le plus influent de l'époque- alimenta à sa façon la rumeur en envoyant un courrier particulièrement vicieux. En substance, ce lecteur affirmait qu'il était possible d'atteindre "The Gaping Pit" en suivant les instructions suivantes: 'sur la plage, attendre patiemment qu'une grosse vague surgisse à l'écran pour sauter sur le radeau flottant à son sommet; une fois arrivé sur "Crusoe Island", monter en haut du palmier pour faire apparaître le tableau "Tree Top - The Sequel". Là, sauter sur l'oiseau: Willy est désormais invulnérable, et peut voler où bon lui semble dans le manoir - rendant l'écran "The Gaping Pit" enfin accessible'. Nombreux furent les joueurs incrédules qui, patiemment, attendirent que la "grosse vague" les transportât sur l'île de Robinson Crusoe. Ce canular, qui en fit rire plus d'un, fut repris par Rowson dans JSW II, dans lequel un bateau emmène le joueur vers "The Deserted Isle".
  • Dans le programme original, quiconque entrait dans le tableau "We Must Perform a Quikafleeg" après avoir traversé l'écran "The Attic" mourrait instantanément. Ce bug était dû à la présence d'une grosse chenille dont la taille engendrait une erreur dans la disposition des éléments dans l'un des deux tableaux. Bien que Software Projects distribua une nouvelle série de "poke" corrigeant l'erreur, l'éditeur affirma que cette erreur n'en était pas une. Il expliqua, à qui voulait bien l'entendre, qu'après avoir visité "The Attic", l'écran "Quirkafleeg" se remplissait de gaz nocif (!), contraignant le joueur à trouver un autre chemin pour poursuivre sa route.
    Je verrais bien Bill Gates expliquer les bugs de son système d'exploitation de la même façon.
  • A la fin de JSW, Maria autorise Willy à aller se coucher. A peine allongé, ce dernier se relève et file aux toilettes pour y... vomir. A la fin de JSW II, il se couche et se trouve transporté dans "The Central Cavern", le premier tableau de ... Manic Miner! Et si tout cela n'était qu'un rêve ?
  • Une version Commodore 16 de JSW vit le jour, mais avec ses 16k de mémoire, seuls 20 tableaux y furent repris. Idem pour JSW II, qui incluait un peu plus de 80 tableaux répartis sur quatre programmes... à télécharger séparément (!).
  • En 1989, Sotware Projects fit développer des adaptations Amiga et Atari ST de JSW. Bien qu'elles furent annulées avant leur commercialisation, la version ST fut achevée. Elle est désormais trouvable sur le net, et inclut deux tableaux inédits: "Buried Treasure" et "Zaphod says: don't panic!".
Ikari
(07 juin 2004)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Quelques liens pour ceux qui sont intéressés :
- http://freespace.virgin.net/james.ducker/jetset_w/x_sect.php (le plan complet de Jet Set Willy I)
- http://www.jdawiseman.com/papers/games/jsw2/jsw2-index.php (le plan complet de Jet Set Willy II)
- http://jswremakes.emuunlim.com/ (un site sur toutes les versions, officielles ou non, de Jet Set Willy, et ses suites / remakes non commerciaux)
- http://www.geocities.com/andrewbroad/spectrum/willy/ (une page plutôt orientée vers les versions et remakes Spectrum, avec des détails techniques)
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