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Fatal Fury - La série
Année : 1991
Système : Arcade, Neo Geo
Développeur : SNK
Éditeur : SNK
Genre : Jeu de Combat (VS fighting)

On chamboule (déjà) tout

De longs mois s'écouleront après la sortie de Fatal Fury Special (Garou Spe pour les intimes). Et à l'automne 94, la série accouche non pas d'une nouvelle mouture, mais d'un fils caché. L'annonce par SNK d'un mystérieux "The King of Fighters 94" suscite l'engouement des amateurs de baston 2D. Le jeu se propose de regrouper les personnages emblématiques de Fatal Fury et Art of Fighting, ainsi qu'un grand nombre de nouveaux, et de les faire s'affronter par équipes de 3. A sa sortie, c'est le choc. KOF 94 est réellement impressionnant, nerveux et rythmé. Il propose pas moins de 24 personnages, et voir réunis les héros de deux de leurs séries favorites constitue pour les fans la réalisation d'un fantasme inavouable.

Fils indigne !

KOF 94 reprend grosso modo une bonne partie des principes de Fatal Fury Special. La panoplie d'attaques de base est similaire, on retrouve les coups C+D, la guard attack et le système de super attaques. Le double-plan n'a pas été conservé, A+B permettant un simple mouvement d'esquive ponctuel. Qu'importe si ce KOF 94 n'a plus vraiment la limpidité et la singularité d'un Fatal Fury Special... Il est en tout cas terriblemment séduisant et de nombreux joueurs, moi le premier, seront complètement conquis. Un an plus tard, avec l'édition 95, The King of Fighters s'affirme définitivement comme le fer de lance de SNK et le gros rival de Street Fighter.

Et Fatal Fury, dans tout ça ? Il continue sa route sereinement, bien que désormais éclipsé par une série-phare qui lui doit presque tout. Fatal Fury 3 sort au printemps 95, entre KOF 94 et KOF 95, presque dans l'indifférence générale.

FATAL FURY 3
Quand les furieux parlent aux furieux

Puisque cette vaste histoire de tournoi, qui restait en suspens après Fatal Fury 2, est désormais relayée par KOF, Fatal Fury 3 propose un semblant d'intrigue plus mystérieuse où il est question de parchemins sacrés qui donneraient un pouvoir incommensurable à qui les posséderait. Voilà une perspective qui suscite bien des vocations, à en réveiller les morts, il faut croire, puisque Geese Howard est de retour, et cette fois-ci ce n'est pas de la blague. D'ailleurs, Fatal Fury 3 est un des épisodes les plus scénarisés, toutes proportions gardées, de la série. Evidemment, Terry, Joe, Andy et sa chère et tendre Mai vont mettre leur grain de sel là-dedans. Ils feront la rencontre de cinq nouveaux, pour un total de 10 personnages sélectionnables. On apprendra bien vite la présence de 3 boss également jouables via un code, mais après KOF 94 et son orgie à 24, le chiffre étonne.

En ce qui me concerne, c'est pourtant le genre de nouvelle que j'accueille sans la moindre hostilité. Un casting restreint permet en effet d'envisager que tous les personnages soient réellements aboutis et que le jeu dans son ensemble ait fait l'objet d'une attention toute particulière, privilégiant la qualité à la quantité. Et c'est bien l'impression que donne ce Fatal Fury 3, hautement imparfait mais profondément respectable.

Blue Mary est une adepte du sambo, un spécialité russe tenant à la fois du judo et de la lutte.Sokaku, lui, fait dans la sobriété comme on peut le voir ici.

Cette impression de travail soigné ne se dément pas lorsqu'on s'essaie au jeu. Bien sûr, après tout ce temps, les graphismes ont été complètement refaits par rapport à Fatal Fury Special. Les différents dialogues (souvent humoristiques, notamment au sujet du short de Joe) et artworks, ainsi que le semblant de narration, aident à s'attacher aux personnages, tout comme les décors franchement réussis. L'atmosphère y est, et le style graphique est très agréable. Personnellement, certaines musiques me semblent un peu loupées cependant, comme celle de Terry et surtout celle de Franco Bash, que je supporte très difficilement. Dommage. Mais on va dire que ça dépend des goûts, et j'ai déjà lu, à ma grande surprise, que certains les adoraient...Au plan des bruitages, c'est du tout bon. Notons que les voix de nos héros changent pour la première fois depuis Fatal Fury 2 (celles de KOF 94 étaient reprises de Fatal Fury Special).

Pour vivre heureux, vivons cachés

Le basculement de la série dans un relatif anonymat a peut-être été sa grande chance. Puisque c'est désormais à KOF de se charger d'assurer le succès de SNK dans le domaine, Fatal Fury sera le laboratoire des expérimentations. Et qui l'aime le suive.

Débuter à Fatal Fury 3 a quelque chose d'à la fois stimulant et déconcertant. Aujourd'hui encore, il risque de déboussoler les joueurs qui ne connaissent que peu ou prou la série, occupés qu'ils ont été à jouer à Street ou KOF (et ils sont nombreux). Dans un genre du combat 2D qui s'est déjà constitué un lourd cahier des charges, Fatal Fury 3 innove de façon débridée.

  • Caractéristique incontournable de la série, le système de plans a été complètement repensé. Désormais, il en existe trois. Contrairement à ce qui se passait dans les précédents volets, on ne combat plus indifféremment dans un plan ou un autre. L'action se déroule avant tout dans le plan "principal", l'avant-plan et l'arrière-plan ne servant que de transition pour esquiver rapidement et contre-attaquer. A+B sert à se déplacer à l'avant-plan et B+C à l'arrière-plan.
    Andy exécute un Hishoken, Hon Fu esquive vers l'avant-plan (A+B) puis riposte (A, B, C ou D).
  • Les deux combattants ne peuvent pas quitter le plan principal simultanément. Ainsi, appuyer sur A+B lorsque l'adversaire est déjà dans l'avant-plan sert à attaquer ce dernier, et de même, B+C permet d'attaquer un adversaire situé à l'arrière-plan. Il ne faut pas se tromper... sinon on frappe dans le vide.
    Terry se déplace vers l'arrière-plan, mais Franco "l'intercepte" avec B+C et enchaîne avec A.
  • En plus de ce système, la guard attack est toujours présente et, comme si ça ne suffisait pas, il existe une esquive rapide (appuyez brièvement sur ) faisant un peu penser à celle de KOF, et durant laquelle on peut riposter en appuyant sur A, B, C ou D, puis éventuellement enchaîner avec un coup spécial.
  • D'un point de vue plus offensif, notons l'arrivée inévitable du dash vers l'avant () déjà présent dans les autres séries de SNK. Lors d'un dash, on peut désormais sauter plus loin. Mais surtout, (enième) grande nouveauté, on peut désormais réaliser de petits sauts en appuyant brièvement sur , ou . C'est un atout énorme car il permet de varier vos attaques, d'amorcer un enchaînement de façon assez soudaine, en s'exposant beaucoup moins aux contres que lors d'un saut classique. C'est idéal pour surprendre les adversaires prudents qui restent beaucoup en garde basse et tentent de vous balayer. Ce principe de "small jump" sera notamment repris dans KOF un an et demi plus tard, à partir du 96.
    Geese, accroupi, tente une balayette, mais Mai exécute un petit saut vers l'avant et le contre avec D.Elle enchaîne aussitôt par +C, A.
  • Les personnages, pour la plupart, peuvent désormais feinter certains de leurs coups spéciaux (fake moves). Pour cela, il faut réaliser la manip habituelle, puis appuyer sur B+D (pour les coups spéciaux avec A ou C) ou A+C (pour les coups spéciaux avec B ou D). Le combattant exécute alors le début de l'animation du coup spécial. Notons que Haomaru, dans Samurai Shodown 2, avait déjà un mouvement de ce genre. Ce n'est pas aussi utile avec tous les personnages. Par exemple, Andy ne prononce rien lorsqu'il feinte un coup spécial, et du coup personne n'est dupe.
    Avec B+D, Joe semble se préparer à lancer une tornade. "Hurricane..." rien du tout. Bob saute vers l'avant par réflexe et Joe n'a plus qu'à le cueillir avec un Tiger Kick. Ne rêvez pas, ça ne marchera jamais contre l'ordinateur.
  • Encore une nouveauté étonnante : les personnages disposent de quelques enchaînements de coups normaux, ou chain combos, proches de ceux qu'on observe dans les jeux de combat 3D comme Virtua Fighter ou Tekken (contrairement aux chains combos des jeux de Capcom apparus dans Darkstalkers en 1994). Bon, il n'y en a pas non plus des tonnes, mais la chose est tout à fait insolite pour un jeu de baston 2D.
    Un exemple de chain combo avec Mary : B, B, D.
  • Les choppes (les projections et saisies, dans le jargon du bastonneur) sont gérées différemment. Elles ont une plus grande portée, mais n'ont pas forcément priorité sur les coups normaux. Elles ne jouent donc plus leur rôle régulateur lors des situations confuses au corps à corps. On peut même chopper dans le vide comme Zangief avec son marteau-pilon à partir de Super SF II, mais ceci concerne ici n'importe quelle choppe.
  • Vous obtenez une note (sous forme de lettre) à l'issue de chaque round. L'ordinateur la calcule selon des critères qui m'échappent (mais en gros, la note est d'autant meilleure que vous gagnez rapidement et en subissant le moins de dommages possible). Il faut en avoir de suffisamment bonnes pour accéder au boss, Jin Chonsu. Si vous assurez bien, vous rencontrerez même son grand frère Jin Chonrei.
  • Enfin (et je crois que c'est tout), on connaissait les super attaques, Fatal Fury 3 invente la... super-super attaque. Cachée. Une super attaque encore plus "super", voilà une fois de plus une idée qu'on retrouvera à peu près partout ensuite. Mais ici, ces attaques "ultimes" obéissent à des lois assez surnaturelles. Déjà, il faut faire un petit "code" pour les activer (maintenir ABCD avant le début du combat et appuyer sur Start à l'affichage du "Go !"). Ensuite, elles seront réalisables quand votre jauge de vie clignote en rouge (normal) ET selon certaines conditions parfois contraignantes voire rédhibitoires : pendant un enchaînement bien précis, à une certaine distance, ou encore... lors d'un backdash pendant les secondes impaires du chrono (avec Hon Fu). Si, si.
    Le "super" Raising Storm de Geese : enchaînez très vite +C, +C, C+D. La dernière photo montre son Raising Storm "normal" à titre de comparaison.
    Vous comprenez que certaines sont ainsi très délicates à réaliser (j'avoue n'avoir jamais pu sortir celles de Franco et Bob) et/ou ont peu de chances de faire mouche contre un adversaire un peu attentif (comme celles de Mai ou Joe, trop prévisibles). Autant dire que c'est rarement la peine de se prendre la tête avec ces attaques-là. D'ailleurs, on ne peut les utiliser qu'une fois par round... Mais rendons-leur hommage : c'est ici qu'elles sont nées, et le premier Triple Geyser de l'histoire de Terry, c'est ici aussi. Collector !
Comme pour Geese, le Triple Geyser nécessite un enchaînement préalable : +C, +C, C+D. C'est assez délicat à sortir, il faut aller vite.

Ouf. Je crois avoir donné un certain aperçu du foisonnement de nouveautés cruciales que propose Fatal Fury 3. Je vous ai peut-être aussi donné une image confuse de ce jeu. C'est normal. Fatal Fury 3, c'est le bordel. Enfin, pas le bordel crade et pénible d'un mauvais jeu de baston. Non, c'est plutôt l'idée que le gameplay de Fatal Fury 3 est une sorte de grosse usine à gaz. Il offre beaucoup de possibilités et de liberté, mais n'est - légitimement - pas encore au point, et s'avère très exigeant envers le joueur. Et là, j'ouvre le chapitre des doléances.

De l'art de se compliquer la vie

Déjà, vous avez dû frémir en lisant le passage sur les changements de plans avec A+B et B+C. Vous avez raison, et moi j'en frémis encore. Avoir le réflexe d'appuyer sur les bonnes touches selon que l'adversaire est à l'avant-plan ou l'arrière-plan est particulièrement délicat. On peut vraiment troubler l'adversaire (humain) en attaquant sans cesse d'un plan à un autre. Les situations peuvent se révéler confuses. Evidemment, dans ce contexte, le CPU s'autorise tous les abus, capable qu'il est de vous contrer avec l'attaque appropriée à l'instant précis où vous changez de plan. Le maniement est donc complexe, et on fera le même constat sur d'autres manipulations diverses, parfois pas du tout difficiles à sortir dans l'absolu mais franchement peu naturelles, comme la super de Bob (B+C+D). L'idée de pouvoir feinter les coups spéciaux est excellente, mais pourquoi obliger le jouer à appuyer sur deux boutons en fin de manip au lieu d'un seul ? Bref, les exemples ne manquent pas. On a l'impression que Fatal Fury 3 obéit à la règle du "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué".

La gestion des choppes dont je parlais plus haut est également propice à la confusion. Enfin, les quelques chain combos disponibles sont sympathiques, mais quand on voit la puissance de certains coups spéciaux et donc les dommages que l'on peut infliger avec un bon vieux two-in-one (voir première partie), on ne voit plus trop leur utilité.

Les mystérieux frères Jin, deux gamins pas très normaux, vous attendent à la fin du jeu.Ils sont dotés d'une grande vitesse de déplacement.

Fatal Fury 3 reste cependant un bon jeu, c'est une évidence. Les puristes qui s'intéressent à l'ensemble des jeux de combat et à leur évolution feront en sorte de le découvrir si ce n'est pas encore fait. Mais il n'a plus la même valeur hors contexte. Comme je le disais en fin de première partie, jouer encore aujourd'hui à Fatal Fury Special n'a rien d'incongru, tant celui-ci constitue l'aboutissement d'une première "époque" dans la série. Pour Fatal Fury 3, c'est différent : il est à l'origine d'une nouvelle étape. Ses innovations brillantes ont été assimilées avec bonheur par les épisodes suivants, qui ont su en tirer la quintessence tout en gommant les défauts. Le meilleur est à venir.

Autres plates-formes : Sega Saturn japonaise, PC.

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Cette phase de transition, sorte de crise de croissance étant digérée, Fatal Fury va continuer à défricher les sentiers non explorés avec réussite. Le travail de sape opéré avec Fatal Fury 3 n'aura pas été vain. Dans la partie suivante, nous allons tutoyer les sommets de la baston 2D. Rien que ça. Nous allons nous intéresser à un monument de spontanéité et d'originalité avec la série des Real Bout Fatal Fury, qui est un peu à la baston 2D ce que les Tobal sont à la baston 3D : des jeux à la fois simples et riches, s'affranchissant joyeusement des stéréotypes du genre, et dont à peu près personne, pourtant, ne saura ou ne voudra tirer les leçons.

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