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Dark Souls III
Année : 2016
Système : Windows, Playstation 4, Xbox One
Développeur : From Software
Éditeur : Bandai Namco
Genre : Action / RPG / Aventure
- ...where the transitory lands of the Lords of Cinder converge

Après ces torsions narratives, parlons un peu plus du level design et, particulièrement, de ce pays de Lothric, anciennement Lordran, qui a bien changé depuis notre toute première traversée, jadis, de Dark Souls. Certaines places fortes sont demeurées, d'autres ont été transformées au point de ne plus être tout à fait reconnaissables et les dernières enfin sont parfaitement nouvelles et construites, parfois, sur les ruines d'anciens lieux. Dans tous les cas, leur géographie interne et la façon dont ces zones se connectent sont franchement différentes de Dark Souls II mais également, à ma grande surprise, du premier épisode. Nous sortons ici définitivement de la logique du metroidvania qui avait tant plu, au profit d'une aventure au rythme mieux contrôlé.
Le jeu se fait effectivement particulièrement linéaire, et rejette même la progression en marguerite du second épisode qui nous demandait d'explorer plusieurs chemins autour de Majula avant de s'emmancher dans l'ultime ligne droite. Ici, chaque zone se connecte mathématiquement à la suivante, et seules quelques unes d'entre elles proposent des fourches menant à deux autres zones. Si ce n'est, cependant, une poignée de niveaux cachés, il faudra tout explorer pour espérer finir l'aventure.
La carte symbolique de l'univers, issue du Wiki FextraLife, hors contenu additionnel. On voit bien le chemin, plus ou moins direct, que l'on empruntera.

Aussi, le chemin sera (quasiment) identique de partie en partie : après la première zone tutorielle, le Cimetière des Cendres, et la découverte de Lige-Feu, le joueur explorera nécessairement le Grand Mur de Lothric, le Camp de Morts-Vivants puis la Route des Sacrifices. Là, il est un premier embranchement : un côté mène à la Cathédrale des Profondeurs, où l'on doit acquérir un objet essentiel pour progresser, l'autre au Bastion de Farron puis aux Catacombes qui mènent à la cité d'Irithyll de la Vallée Boréale. Celle-ci propose, là encore, deux chemins : Anor Londo d'un côté, le Donjon d'Irithyll de l'autre, qui mène à la Capitale Profanée. Une fois tout cela exploré, et trois des quatre Seigneurs des Cendres tués, un nouveau chemin s'ouvre au Grand Mur de Lothric, menant au Jardin du Roi Illuminé d'un côté, au Château de l'autre, qui communique avec les Grandes Archives où se terre le Prince Lothric. Une fois ce dernier mort, un retour à Lige-Feu ouvre la voie au « Kiln » de la première flamme, puis au dernier boss.
Ce chemin des plus clairs dissimule, cependant, quelques voies cachées, accessibles uniquement en trouvant des passages secrets. Dans les catacombes, un pont branlant peut servir d'échelle pour atteindre le Lac Incandescent, et le Jardin du Roi Illuminé mène d'une part aux Sépultures Oubliées, et d'autre part nous ouvre la voie du Pic du Dragon Ancien, joignable via le Donjon d'Irithyll. Toutes ces zones, le Jardin du Roi également du reste, sont parfaitement optionnelles et servent partie à augmenter notre puissance, en nous offrant beaucoup d'objets utiles et souvent puissants, partie à débloquer deux fins cachées au jeu, par un certain objet ou par la progression d'une quête d'un personnage secondaire.

Des messages nous mettent sur la piste des rares zones secrètes, dans lesquelles se terrent d'ultimes enjeux d'histoire.

Bien que la linéarité générale de la progression puisse faire regretter l'enchevêtrement de l'épisode inaugural, le level design se rattrape magistralement en compliquant beaucoup l'architecture interne des différentes zones dans lesquelles on peut très volontiers se perdre. On retrouve ici l'intelligence caractéristique de la série, avec une progression souvent verticale ou serpenteuse, aux raccourcis que l'on débloque progressivement pour accélérer le retour à notre dernier échec. Ainsi, Irithyll, la ville comme son donjon, ou les Grandes Archives sont construites tout en hauteur, tandis que la Route des Sacrifices, le Camp de Morts-Vivants, les Catacombes ou le Jardin du Roi se structurent autour de différents couloirs rectilignes, entre lesquels on ouvre plusieurs traboules. Mon architecture favorite demeure cependant la Cathédrale des Profondeurs, dont les différents chemins se rejoignent tous à une chapelle abritant l'unique feu de camp de la zone. Elle est sans doute ce qui se rapproche le plus de l'effet initial du raccourci entre la Paroisse des Morts-Vivants et Lige-Feu dans le premier jeu, et elle est un plaisir à explorer tant la première fois que les suivantes.
Aussi, et bien que l'on perde vraisemblablement du réalisme ici et que l'argument primordial de l'histoire, celle d'une convergence des lieux entre eux, ne soit pas exploité à fond dans l'univers, et bien que l'équipe de développement ait privilégié un compartimentage des ambiances et des zones, leur effet en jeu ne donne absolument pas cette impression tant on se débat dans un ensemble serré de sentes et de chemins, de passages à sens unique, de portes fermées qu'on finit par ouvrir, de toits qu'on arpente. Progressivement, et en s'appropriant la topographie générale, on se surprend même à trouver plusieurs raccourcis fourbes, dans les Catacombes par exemple, qu'on exploitera avec grand plaisir en New Game +.

La Cathédrale des Profondeurs asservit de pauvres géants, qui déchaîneront leur colère comme ils peuvent.
L'exploration est souvent payante : trouverez-vous ce démon échappé de l'asile des Morts-Vivants ?

Ce choix est du reste soutenu par une autre curiosité, qui m'a surpris lors de la découverte du jeu. À l'instar de Dark Souls II, l'on peut dès le début se téléporter de feu de camp en feu de camp, sans limite aucune. D'ailleurs, le jeu nous oblige à procéder ainsi comme Lige-Feu est isolé du reste du monde, et que c'est en se téléportant que l'on entre dans la zone du Grand Mur de Lothric. Au regard, cependant, de Dark Souls II, la téléportation est bien plus utile non seulement pour accélérer le retour aux croisements des fourches, pour explorer un autre chemin après être arrivé à un cul-de-sac, mais aussi pour segmenter la progression d'une zone après avoir débloqué un raccourci. Il est comme évident, une fois une voie ouverte, de faire un rapide aller-retour à Lige-Feu pour dépenser ses âmes chèrement gagnées avant de repartir au combat.
Lige-Feu, précisément, parlons-en. Nous sommes ici dans la continuité des initiatives précédentes, du Nexus de Demon's Souls en passant par Majula dans Dark Souls II, ou le Rêve du Chasseur dans Bloodborne. Cette zone est, initialement, peuplée de quelques personnages uniquement : André le Forgeron, une vieille marchande, Ludleth de Courland (qui se chargera, une fois qu'on lui aura rapporté un objet de quête, de transposer les âmes de boss en équipement) et surtout la Gardienne du Feu qui, à l'instar de la Messagère d'Émeraude de l'épisode précédent, échangera vos âmes contre des niveaux de puissance. Au fur et à mesure du jeu, tous les personnages que l'on rencontrera (et, souvent, qu'on libèrera de leurs cachots) finiront à Lige-Feu. Ils y seront parfois de passage, signe que leur quête particulière a progressé, mais souvent s'y installeront définitivement. Notamment, des sorcières, des prêtresses et des pyromanciens y échoieront et, pour peu qu'on leur rapporte des tomes sacrés, vous permettront d'acquérir de puissants sortilèges.

La vieille gardienne du feu verra son stock s'enrichir progressivement, après chaque mort de boss souvent. Quant à Greirat, ce petit filou vous vendra les objets les plus intéressants du jeu, mais son audace le mettra souvent en danger.

Ainsi, et au contraire de Majula et de Lige-Feu dans le premier Dark Souls, qui isolaient encore certains vendeurs dans des forêts ou des grottes perdues, Dark souls III finit par rassembler tout le monde au même endroit et simplifie considérablement nos emplettes. Des astuces diverses sont mises en œuvres : des cendres spéciales, trouvées ci et là, débloquent chez la vendeuse de nouveaux objets et notamment des fragments de titanite, pour améliorer notre équipement auprès d'André. Ce dernier a toujours besoin d'anthracites pour donner des pouvoirs spéciaux aux armes et aux boucliers, mais il ne sera jamais que le seul à se charger de l'enclume. Seuls les magiciens et les sorcières feront doublon, puisque certains tomes de magie seront illisibles pour un ou une telle, et qu'il faudra ainsi les offrir à la bonne personne.
Tout ceci, couplé avec une refonte bienvenue du système de magie et d'imprégnation, dont on parlera plus loin, rend cette « base des opérations » des plus agréables à fréquenter, surtout qu'elle dissimule quelques secrets très bienvenus que l'on débloque progressivement. Si l'on s'entête, on trouvera ainsi un anneau très intéressant, qui augmente notablement les âmes obtenues à la mort des ennemis, ainsi qu'un objet précieux pour ôter une malédiction que nombre auront sans doute contracté par accident, sans savoir qu'on pouvait la lever.

Quasiment tous nos alliés sont enfermés, et nous devrons les libérer pour qu'ils nous aident. Bizarrement aussi pour qui connaît la série, les libérer ne sera pas spécialement dangereux. Ce sont les personnages affranchis dont il faudra se méfier...

La linéarité du monde, associée au savoir-faire reconnu de From Software, les autorise également à bien mieux gérer le rythme des combats et des pièges et à mieux lisser la courbe de difficulté générale, à enrichir notablement l'identité de chaque zone, leur histoire et leur raison d'être. Chaque niveau s'associe très harmonieusement avec ceux qui l'entourent et l'ensemble forme une histoire cohérente et belle, pleine d'indices qui ne prennent du sens que lorsqu'on accède, enfin, au niveau suivant. Il en va ainsi de ses soldats sévèrement harnachés et bien mieux équipés que la piétaille que l'on trouve au Grand Mur de Lothric, qui s'avèrent composer l'avant-poste du Château. On pense aux soldats de Gwyn, qui se trouvent toujours à proximité d'artefacts gardés à Anor Londo ou des derniers membres de la famille royale, ou encore aux inquisitrices qui circulent de la cathédrale au campement des morts-vivants, pour ramener des prisonniers à la destination d'un culte secret.
Ainsi, et au contraire de l'épisode précédent, on ne ressent pas vraiment d'effets de juxtaposition ou de collage, de rapetassage qui m'avaient tant déplu et qui dénonçaient le développement difficile du jeu. Là, tout semble naturel et les rares incongruïtés peuvent toujours se justifier par la géographie fantasque de ce monde s'écroulant sous son propre poids. Ainsi, passer des Catacombes à Irithyll, même si l'effet initial est particulièrement fort et égale la découverte historique d'Anor Londo, est plutôt étrange mais s'accepte très volontiers ; et l'architecture du château de Lothric, avec ses remparts multiples, n'est définitivement pas des plus pratiques. Au retour, les hauteurs des dits remparts, ou le point de vue d'Anor Londo, nous autorise à embrasser tout l'horizon et même à deviner d'anciens ou de futurs niveaux.

L'effondrement de l'univers semble plus prononcé auprès de la première flamme que plus loin. La découverte d'Irithyll, sous un croissant de lune bleu et froid, est l'un des moments les plus forts de l'aventure.

Me concernant, c'est sans doute l'interprétation de l'univers que je préfère. Certes, l'interconnexion du tout premier Dark Souls était riche, mais elle disparaissait passé Anor Londo au profit d'une linéarité plus maladroite ; et les environnements de Dark Souls II étaient, je le concède, bien plus nombreux que ceux-ci, mais poussaient trop loin leur variété au mépris de la cohérence. Là, nous avons comme un équilibre très intelligent : le monde est certes plutôt rectiligne, mais les niveaux eux-mêmes retrouvent le labyrinthisme historique de la saga ; et le nombre d'environnements est certes plus chiche, et ils se répètent assez, mais ils gagnent ce faisant en cohérence narrative et en inventivité. Même les redites ont été considérablement reserrées pour éliminer le gras et aller directement à l'essentiel. Les Catacombes, par exemple, éliminent les ennuyeux nécromanciens et seuls quelques squelettes, reconnaissables à leurs yeux flamboyants, ressuscitent une seule fois avant de définitivement s'éparpiller. Quant à Anor Londo, on n'a gardé que le bâtiment principal qui menait, jadis, à Ornstein et Smough, et l'aile du forgeron géant. Il y a bien un petit passage sur les toits, avec des archers belliqueux, mais la route est plus évidente, plus simple et moins ennuyeuse que jadis.
Bref, d'où que l'on regarde, le monde de Dark Souls III est une petite merveille de design et, sans doute, le meilleur construit dans la saga. Il représente la somme des expériences, des tentatives et des idées des deux jeux précédents et profite largement de l'expérience acquise dans Bloodborne. Cet univers a aussi l'avantage indéniable de se prêter admirablement bien à des sessions de jeu compartimentées, de feu de camp en feu de camp ou, le plus souvent, de feu de camp au même feu de camp, après ouverture d'un raccourci. On peut ainsi très facilement se lancer dans une partie d'une heure, deux peut-être, atteindre une nouvelle étape ou vaincre un boss, revenir à Lige-Feu faire son marché et grimper d'un ou de deux niveaux, puis remettre la suite à une autre partie. On a alors toujours la sensation de progresser, et de ne jamais être totalement perdu.

Ces grosses boules de squelettes dévalent là où on les attend le moins, et sont dirigées par des sorciers bien cachés.
Les archers d'Anor Londo, avec leurs flèches grosses comme des parcmètres, sont encore de la partie. Le passage qu'ils gardent est cependant rapidement traversé.
- When the link of fire is threatened, the bell tolls

Troisième torsion, le système de jeu, ses contrôles et sa jouabilité. Une fois encore, Dark Souls III innove et améliore, change un peu tout pour offrir une expérience très agréable. Le cœur de la chose n'a pas changé : on court, bloque, frappe, roule et gagne... ou on perd lamentablement, en laissant derrière soi toutes nos âmes si chèrement acquises. Il suffit cependant de contrôler son personnage quelques instants pour s'apercevoir de l'océan de différences qui sépare cet épisode des précédents.
Le premier constat est sans appel : tout est beaucoup plus rapide, beaucoup plus leste que Dark Souls II bien entendu, qui avait considérablement empâté et alourdi ses controles, mais également un peu plus rapide que Dark Souls. Sans atteindre les virevoltages de Bloodborne et sans commune mesure avec Sekiro ni même Elden Ring (le saut est encore une action rare, difficile à utiliser et globalement peu utile), on va devoir réapprendre à frapper et à esquiver. Le boss tutoriel, Iudex Gundyr, est ainsi une excellente mise en bouche des épreuves à venir : il n'est pas rare que l'on échoue à le vaincre la première fois tant son agressivité, sa force compte tenue de sa (relative) petite taille et sa pugnacité surprennent même les meilleurs vétérans.

Gundyr et Vordt, les deux premiers boss du jeu, nous apprenent comment gérer les deux grands types de patrons : les humanoïdes avec de grosses armes, et les grosses bêtes qui courent partout.

Il n'en va pas que des boss : les ennemis frappent vite et bougent beaucoup et même s'ils ne font pas, toutes choses égales par ailleurs, beaucoup de dégâts au regard de leurs ascendants, ils enchaînent très souvent plusieurs petites attaques qui ont tôt fait de nous envoyer ad patres. Le jeu monte également très progressivement en célérité, sans qu'on ne s'en rende particulièrement compte : les Veilleurs des Abysses tout d'abord, l'arrivée à Irithyll de l'autre, marquent les seuls bonds notables en difficulté du jeu, avec des épéistes adeptes des moulinets et des pirouettes de cirque.
Mais il me semble que cela ait été également assez bien pensé, et nous pousse à adopter une approche plus aggressive. Même si on peut finir le jeu avec un bouclier, tout cherche à nous faire comprendre que la roulade, l'esquive ou, pour l'audace qu'elle exige, la parade, sont indispensables pour espérer avoir une chance face aux ennemis les plus hargneux. Même si cela peut apeurer au commencement, il nous faudra gagner de l'assurance : sans ça, on risque de se casser les dents avant même d'entamer le second tiers de notre aventure.

Les Veilleurs des Abysses et Sulyvahn, le boss d'Irithyll, sont les obstacles les plus irréguliers d'un parcours, sinon, assez progressif.

En contrepartie, et à ce qu'il m'a semblé, le jeu en devient paradoxalement plus simple, tout du moins une fois cette logique comprise. Cela semble contre-intuitif, mais comme les ennemis sont plus mobiles et agressifs, il est plus facile, avec une roulade ou un pas de côté, de passer dans leur dos et d'interrompre leurs enchaînements. Il n'est même pas rare qu'emportés par leur élan, ils s'élancent à quelque distance de nous, de quoi se carapater si l'on se sentait trop faible. Mieux que ça, comme nous sommes nous-mêmes plus vifs que jadis, l'une des meilleures stratégies consiste à se coller aux ennemis et à leur tourner autour, pour se glisser facilement dans leurs dos. Certains boss impressionnants du jeu, tels le Grand Maître Sulyvahn ou l'Armure de Tueur de Dragons en deviennent même inoffensifs ce faisant : en tournant dans le sens horaire, soit en collant leur épaule droite, non seulement leur allonge ne leur sert plus à rien, mais leurs autres coups nous passent au-dessus de la tête ou frappent dans le vide, laissant leur dos vulnérable pendant plusieurs secondes.
L'équipe de développement était loin d'être dupe, je pense, et a tenté de mitiger de trois façons cette inhérente faiblesse. Tout d'abord, en allongeant notablement les délais dans la préparation d'une attaque (le wind-up). Généralement, l'annonce d'une frappe dans les Dark Souls était très rapidement suivie du coup lui-même, et il fallait ainsi esquiver quasiment au moment où on la voyait se préparer. Certains boss, comme le Démon Capra dans le premier épisode, avaient une animation plus lambine pour certaines frappes plus violentes, mais cela demeurait rare.

Ces créatures d'asticots ont des mouvements très difficiles à lire, et le moindre coup vous fait saigner abondamment. Quant aux Diacres des Profondeurs, il s'agit de votre premier examen : il faut survivre à un groupe nombreux, et faire beaucoup de dégâts en un temps record.

Dans Dark Souls III, cet effet d'annonce est bien plus fréquent et un peu plus long qu'on ne le croirait. Face à Gundyr précisément, aux Veilleurs des Abysses ou à Lothric, on tend ainsi à esquiver dès que l'épée ou la hallebarde se lève pour se faire cueillir au moment même où le couperet s'abat. Il faut apprendre alors à délayer sa réaction, à vaincre sa peur et son réflexe, à observer davantage. Deuxième élément, les coups eux-mêmes sont souvent plus amples et leur zone d'effets couvre un large cône devant les ennemis. C'est encore comme cela qu'ils parviennent à nous toucher lorsque nous esquivons trop tôt : et même si peu de boss et peu d'ennemis ont des aires d'effets à 360°, comme des explosions, pour nous atteindre où que nous soyons autour d'eux, on est souvent surpris au début de notre partie par l'amplitude d'une hache ou d'un glaive.
Enfin, et c'est peut-être l'aspect qui m'a le plus agacé avant de finalement m'y habituer, les ennemis ont beaucoup de tracking, c'est-à-dire que même après avoir annoncé leur coup, ils se décalent et tournent vers notre direction pour nous choper. C'est agaçant, car ces mouvements semblent au commencement irréalistes pour certains ennemis massifs comme les inquisitrices ou les démons de feu, qui s'avèrent plus proches des ballerines que des massifs rocheux. Il suffit cependant de se faire avoir quelques fois pour comprendre qu'il faut toujours esquiver plus loin et plus longtemps, comme l'attaque nous suit assez bien dans nos mouvements.

Les araignées ou les molosses gigantesques ont des attaques qui ne sont pas toujours faciles à prévoir, et qui nous touchent d'une façon inattendue. Si on apprend progressivement le rythme de leurs assauts, les premières tentatives sont souvent douloureuses.

Ces trois solutions (longues annonces, amples attaques, tracking) fonctionnent plutôt bien et transforment certains combats en de véritables chorégraphies, où l'on doit virevolter autour de l'ennemi en attendant une ouverture et partir vite avant de se faire avoir. La Danseuse de la Vallée Boréale, qui inaugure le dernier tiers du jeu, est ainsi l'illustration parfaite de cette nouvelle philosophie des combats, qui demandent à accompagner les attaques du boss plutôt que les bloquer ou de rouler loin d'elles. Il est particulièrement gratifiant de progressivement lire les mouvements au début erratiques de l'adversaire et de contre-attaquer idoinement, voire de trouver de nouvelles façons de lui infliger des dégâts. On gagnera d'ailleurs, si on a du mal ici, à privilégier les dagues et les couteaux légers plutôt que les lourdes masses et les espadons, qui réussiront mieux à conduire des attaques-éclairs.
Je le redis cependant, au regard de Bloodborne, nous sommes moins mobiles et moins agiles. La parade, ne serait-ce, ne se déclenche pas aussi vite et son timing est un peu plus resserré. Les ripostes sont, en revanche, toujours de la partie et les combats incorporent à présent même des sortes de « viscérales », des assauts puissants que l'on déclenche en étourdissant l'adversaire à force de frapper un point sensible, typiquement sa tête. Les combats de Dark Souls III ont toujours été pour moi, quoi qu'il en soit, un plaisir inégalable tant tout, les mouvements, les chocs, les esquives, s'associaient et composaient un sentiment de jeu extraordinaire, qu'il est fort gratifiant de maîtriser.

La Danseuse de la Vallée Boréale est un boss fascinant, certes qui tombe comme un cheveu dans la soupe, mais aux mouvements hypnotisants et au style unique dans toute la série. On peut d'ailleurs l'affronter dès le début du jeu, en tuant une prêtresse dans une église.

Ce système de combat est, de plus, servi par une très belle variété de styles de jeu et d'options, offensives comme défensives. Les classiques de la série se retrouvent sans mal, entre les personnages qui privilégient la force et les armes lourdes, ceux qui préfèrent la dextérité et les dagues, les maîtres et maîtresses pyromanciennes, les sorcières et sorciers, les spécialistes des miracles. Si le nombre d'armes et de boucliers, d'arcs et d'arbalètes, de bâtons et de marteaux n'atteint pas les hauteurs de Dark Souls II, qui virait une fois encore vers la goinfrerie, on en trouvera cependant pour tous les goûts et très rapidement encore : il n'y a pas, ce me semble, de désavantage particulier à choisir une classe plutôt qu'une autre en début de partie même si, comme toujours dans la série, les sorciers auront une aventure plus tranquille que les chevaliers comme la majorité des ennemis attaquent au corps à corps et manquent d'options pour répliquer à distance.
Le jeu introduit également une option promise à un bel avenir, les « weapon arts ». Toutes les armes ont à présent un pouvoir spécial, déclenché en la brandissant à deux mains et en appuyant sur le bouton de parade. Les effets varient, entre les entailles ascendantes brise-boucliers, les cris qui augmentent les dégâts infligés ou divers petits sorts. Le système est encore perfectible cependant : ces arts ne sont pas tous pratiques à utiliser et sont trop circonstanciés pour être vraiment utiles. Surtout, il est courant qu'une arme peu intéressante ait un art utile, et réciproquement ; et on ne peut en changer comme les cendres de guerre d'Elden Ring. Reste cependant qu'il s'agit là d'une idée très intéressante, qui ajoute encore un peu à nos options de jeu.

On doit utiliser les « weapon arts » pour vaincre Yhorm le Géant, en invoquant une rafale de vent. On avait exactement ça, jadis, dans Demon's Souls, pour tuer le Roi de la Tempête.
L'Armure du Tueur de Dragons est un boss impressionnant, mais qui aboie davantage qu'il ne mord.

Le système d'amélioration de l'arsenal a également été revu et simplifié. On retrouve les différents types de titanite pour améliorer les armes courantes, les armes uniques et les armes transposées, mais on pourra aussi, en apportant une anthracite spéciale à André et en ayant un certain type de gemme, infuser les armes pour leur conférer des propriétés spéciales. Certaines gemmes, ainsi, donne des effets magiques, du feu ou de la foudre à nos coups, ce qui est toujours utile comme beaucoup d'ennemis souffrent absolument des dégâts élémentaires. D'autres améliorent leurs effets en fonction de nos attributs comme la force ou la foi. En fonction de la constitution de votre personnage, vous pouvez véritablement devenir une puissance massive et trancher les rangs ennemis comme du beurre mou.
Les attaques magiques ont également été simplifiées et dépendent, tout comme les « weapon arts » du reste, non plus d'une quantité déterminée d'invocations mais d'une barre de magie, se vidant à chaque usage et que l'on peut améliorer avec la montée en niveau. Certains sorts sont prodigieusement puissants, comme ce nuage empoisonné qui enlève un pourcentage de vie à l'adversaire et qui pourra entamer la santé des derniers boss en quelques secondes, ou cette pyromancie qui augmente nos dégâts tant que nous attaquons. Il est en tous les cas plutôt simple de trouver chaussure à son pied et avec la possibilité, cachée mais présente, de réallouer comme nous le voulons nos points d'attributs passé un certain stade de l'aventure, on gagne à expérimenter un peu tout ce que le jeu a à nous offrir.

Quasiment toutes les armures, armes, boucliers, sorts que l'on voit dans le jeu, et notamment ceux manipulés par les ennemis, peuvent être acquis d'une façon ou d'une autre.

Un autre élément d'équipement qu'il est crucial d'augmenter, et cela a toujours été vrai dans les Dark Souls, c'est bien entendu les fioles d'Estus, ces potions régénérantes qui se remplissent à chaque feu de camp trouvé et qui sont en nombre limité entre deux escapades. Ici, elles sont de deux sortes : la verte, classique, nous redonne de la vie, mais une fiole bleue, à présent, nous redonne de la magie. On doit choisir auprès d'André la façon dont nous souhaitons les répartir, sachant qu'on ne pourra jamais avoir que quinze doses maximum en fin de partie : on peut ainsi privilégier, si nous combattons au corps à corps, exclusivement les fioles vertes et ne pas se préoccuper de la magie, ou bien équilibrer un peu plus nos options. Leur capacité régénérante, quant à elle, est déterminée par des poudres d'os de morts-vivants que nous trouvons dans les niveaux, là encore en quantité limitée, mais cette amélioration nous suit dans l'intégralité de l'univers et non plus, comme jadis, par le niveau d'un feu de camp en particulier.
C'est notamment pour cela que l'on gagne à trouver et à explorer les zones cachées dont on parlait précédemment : chaque niveau du jeu original contient effectivement, quasiment sans exception, et un fragment d'estus (qui augmente le nombre de doses), et un peu de poudre d'os (qui améliore l'effet régénérant). Sans les gemmes de vie installées dans l'épisode précédent, et nonobstant quelques rares miracles curatifs, ce seront nos seules options de soin au long de la partie. Ces améliorations se trouvent plutôt facilement dans l'univers, même si certaines sont bien cachées, et elles ne seront pas de trop pour finir l'aventure.

Aldrich, ou Gundyr le champion, ont le chic de vider rapidement notre stock d'Estus. Il y a pourtant des astuces pour simplifier considérablement le combat...

Enfin, pour le reste de l'inventaire, soit les armures, les anneaux mais aussi les objets consommables, on a privilégié l'épuration au regard de Dark Souls II. Les armures, tout d'abord, sont un peu moins folles que ce second épisode, affectueusement surnommé parfois par la communauté « Fashion Souls » et on peine à s'extirper de l'armure de plates, de la cotte de mailles, des broignes ou des tuniques. Ça en deviendrait presque triste, comme j'appréciais assez l'inventivité des tenues d'alors. Les anneaux, également, ont vu leur nombre se réduire mais, en retour, il y a peu de doublons et leurs effets sont très spécialisés. On peut toujours en équiper jusqu'à quatre simultanément et même, le New Game + et ++ proposent des versions améliorées des anneaux les plus puissants pour mieux affronter les nouveaux challenges qu'on nous offre.
Pour les consommables, on retiendra qu'à présent on nous impose une limite à la quantité d'objets que l'on peut bringuebaler : une vingtaine de couteaux, une dizaine de bombes incendiaires, une centaine de flèches, par exemple. Il est vrai qu'on se servait rarement de ces outils, si ce n'est pour des moments très particuliers de nos explorations, mais rien que la limite de flèches ou de carreaux, par exemple, demande à réfléchir un chouïa pour ne pas se retrouver à court entre deux feux de camp.

Les Grandes Archives, dernière grande zone du jeu de base, est un labyrinthe d'étagères, de piles de bouquins et de gardes aux visages recouverts de cire. En tant qu'universitaire, je m'y suis senti chez moi.

Au final, Dark Souls III opère une excellente sélection parmi les deux jeux précédents, garde et étend ce qui fonctionnait, se débarasse du gras pour ne conserver que le meilleur. Il y a effectivement moins d'armes, de boucliers et d'armures, d'anneaux, de magies, mais ils fonctionnent tous très bien et conviennent toujours à un certain personnage, à une certaine situation de jeu ou à un boss récalcitrant. La sélection m'a même tellement emballé que j'ai mis comme un point d'honneur à quasiment tout ramasser, à acheter toutes les armures et à transposer toutes les âmes de boss, pour essayer un peu tout. Même si je suis toujours revenu à ma fidèle épée large raffinée ainsi qu'à mon bouclier solide, à mon armure lourde allégée par un anneau améliorant la charge que je peux supporter et à ma couronne de cheveux longs, je me suis occasionnellement essayé à la pyromancie, à l'arbalète et à la masse.
On pourra toujours trouver à redire sur les armures, fort tristounettes, et on regrettera très volontiers le « power stance » de Dark Souls II qui permettait de très intéressantes choses en équipant une arme à chaque main. Je vois ça comme des compromis et des victimes nécessaires pour éviter, précisément, de trop s'éparpiller, de proposer juste un peu trop d'options. On ressort de la tablée satisfait d'avoir mangé, sans avoir eu envie d'un rab de dessert et sans regretter une seule seconde une entrée trop copieuse, ou un digestif bourratif.

Si un personnage a une armure ou une arme que vous aimez bien, vous pourrez peut-être l'obtenir en l'aidant dans sa quête personnelle... ou encore en le tuant.
- And so it is, that ash seeketh embers

J'ai dit plus haut qu'avec son nouveau système de combat, qui pousse à l'audace et à l'action, Dark Souls III était plus simple que ses prédécesseurs. Non seulement je maintiens cela, mais j'irais même plus loin : Dark Souls III n'est pas, à mon sens, un jeu difficile : du moins, il l'est considérablement moins que les autres et je le proposerais très volontiers comme introduction à celles et ceux qui désireraient découvrir tranquillement ce genre du Soulsborne tant n'importe qui peut, je le crois très volontiers, en voir la fin sans trop de mal. Certes, en arrivant dans le jeu, j'étais déjà fort de l'expérience acquise par les précédents et j'ai su intuitivement reconnaître des roublardises qui m'évitèrent bien du tracas ; mais même sans ça, je pense que le jeu demeure particulièrement invitant dans sa première traversée.
Plusieurs choses me font dire cela. Tout d'abord, l'essentiel des éléments que j'ai présentés plus haut en commençant par sa vitesse générale, qui rend les combats plus brefs et raccourcit notablement le retour au point de la défaite, pour retenter sa chance. Ensuite, la téléportation, qui permet de rapidement revenir vers d'anciennes zones pour les réexplorer à fond ou pour engranger un peu plus d'âme, pour améliorer son arme ou acheter ce sort utile. Troisièmement, la variété très honnête d'options d'équipement, qui conviendra à tous les goûts et toutes les couleurs.

La Cathédrale des Profondeurs est sans doute la zone la plus labyrinthique du jeu. Malgré toutes mes parties, je m'y perds encore. Il faut persévérer : les meilleurs secrets du jeu s'y cachent.

Il y a davantage encore. Ce qui m'a le plus frappé lors de ma découverte du jeu, c'est le très grand nombre de feux de camp disponibles, qui créent un tissage serré permettant de rejoindre tout rapidement la moindre des places fortes en un éclair. Ils sont intelligemment espacés, généralement au tout début et à mi-parcours d'une zone particulière, toujours proches de raccourcis menant directement à un boss et ceux-ci, à leur mort, révèlent même des feux de camp pour accélérer le retour au jeu après l'inévitable passage à Lige-Feu pour dépenser notre pécule d'âmes. Parfois, ça en devient ridicule, comme ce feu de camp à l'entrée des Grandes Archives duquel on peut voir, à quelques mètres, le feu apparu à la mort du boss précédent ; mais force est de reconnaître que cela simplifie considérablement nos explorations, et les retours aux boss ne dépassent jamais la minute de jeu.
Ensuite, et au regard de Dark Souls II qui était définitivement allé trop loin, il y a finalement peu d'ennemis dans Dark Souls III. Il y a bien quelques couloirs un peu trop peuplés, et des salles où patrouillent trop de gardes à mon goût (surtout que le jeu n'est toujours pas pensé pour gérer plusieurs ennemis simultanément), mais on avance souvent sereinement. Pour peu qu'on fasse preuve de prudence, qu'on regarde dans les angles morts des pièces et qu'on observe les potentiels pièges et futurs goulots d'étranglement, peut-être assisté d'un arc pour faire venir à soi les monstres ou, parfois, les tuer en sûreté, on sera rarement en danger.

Les améliorations d'Estus se trouvent assez facilement, à la condition cependant que vous exploriez à fond les niveaux. Heureusement, le jeu nous offre un arc dès la première zone, de quoi progresser en tuant de loin tout ce qui bouge.

Enfin, et c'est peut-être le point le plus important, non seulement les exigences d'âmes pour gagner en niveau sont encore assez faibles (il en faut plus que pour Dark Souls II, mais bien moins que Dark Souls) mais, de plus, les ennemis sont particulièrement généreux. Si on associe à ça des zones de farm particulièrement riches, avec des feux de camp tout proches pour ressusciter les adversaires et repartir au combat, on peut très aisément atteindre un niveau démesuré, acheter tout ce qu'il nous semble et améliorer très rapidement notre équipement. Il a toujours été possible, dans les Souls, de contourner la difficulté en améliorant son personnage et l'équipement, ce sont des jeux de rôle, après tout. On peut tout volontiers chercher le challenge et foncer tête bêche dans le mur, mais il y avait toujours des chemins de traverse : et Dark Souls III invite très volontiers, par sa vitesse, par l'expérience qui arrive très rapidement, mais également par sa linéarité qui évite d'avoir à se poser trop de questions, à progresser d'une façon toute sereine. Il y a bien des épreuves plus complexes sur lesquelles on peut vraiment s'arracher les cheveux, mais elles sont réservées surtout aux zones optionnelles. Notamment, deux boss cachés, Gundyr le Champion d'une part, le Roi sans Nom de l'autre, vous donneront du fil à retordre tant ils sont un cran au-dessus du reste, mais seul le premier est véritablement nécessaire pour débloquer une fin alternative.
Du reste, et si l'on échoue à vaincre un boss, il y a encore la coopération et les invocations, qui rendent l'ensemble particulièrement aisé. Ces dernières, d'ailleurs, sont accessibles par l'intermédiaire d'un état particulier, « l'embraisement ». Le système n'est pas sans rappeler l'humanité du premier Dark Souls, et cet état se déclenche soit après la mort d'un boss, soit en utilisant des braises que l'on trouve ci et là. Ces braises ont également un effet puissant : elles vous soignent totalement, et augmentent d'un tiers vos points de vie. C'est une amélioration tout simplement extraordinaire qui offre l'assurance, du moment que l'on reste un chouïa prudent bien entendu, de traverser le jeu avec une barre de vie énorme et de mourir rarement. Les braises se trouvent également très souvent, par l'exploration ou en tuant certains ennemis, et elles simplifient considérablement l'expérience de jeu. Il m'est arrivé plus d'une fois, lors de ma toute première partie, de m'embraiser suite à la mort d'un boss, puis de garder cet avantage jusqu'au boss suivant. Alors que Dark Souls II, Demon's Souls auparavant, punissait sévèrement l'échec en réduisant notre barre de vie à chaque décès, on cherche ici davantage à nous éviter une mort trop rapide. Au-delà de ça, on nous cajolerait presque : la malédiction n'est plus qu'une mort instantanée, sans malus particulier, et les marais empoisonnés sont mêmes... bon, ils sont toujours ennuyeux, mais infiniment moins qu'avant. Enfin, le jeu nous rend même des doses d'Estus une fois un certain nombre d'ennemis tués, comme pour nous récompenser de progresser.

Les braises se trouvent assez bien, et on finit généralement la partie avec plusieurs dizaines d'entre elles en poche. Le stock vous sera sans doute nécessaire pour affronter les dernières épreuves du jeu, telles le Roi sans Nom.

La réputation de Dark Souls sur sa difficulté, je l'ai dit plus haut, a toujours été pour moi surfaite mais, je l'accorde, les deux jeux précédents avaient leur lot de complications qui demandaient une certaine concentration et une certaine application. Les Catacombes de Dark Souls, tout le Hameau du Crépuscule (de sinistre mémoire), la Forteresse de Fer ou le Sanctuaire d'Amana dans Dark Souls II (certes, diront les gorges chaudes, pour de mauvaises raisons), d'autres encore, sont des niveaux qui sont restés dans l'histoire tant pour leur ambiance que pour le challenge qu'elles représentaient. Je ne suis pas convaincu qu'il en aille de même des niveaux de Dark Souls III et bien que je demeure toujours fan de leurs graphismes et de leur architecture, pour moi la meilleure jamais dessinée par la compagnie, je ne crois pas qu'on parle d'une façon aussi forte de n'importe quel passage du jeu à part, peut-être, du Donjon d'Irithyll. Ces scrogneugneuses de geôlières sont effectivement les ennemis les plus ennuyeux de la saga, mais ce n'est sans doute qu'une exception.
On retient peut-être davantage les boss, et encore, certains d'entre eux seulement : la sélection est effectivement plutôt mitigée et même si je les aime beaucoup, je crains que mon avis soit biaisé par mon affection démesurée pour leur histoire et leur style, plutôt que pour leurs mécaniques propres. Il y a des chefs d'œuvre, ça je le crois fort : le Roi sans Nom, le Grand Maître Sulyvahn et le Champion Gundyr, dont j'ai parlé plus haut, auxquels je rajoute volontiers les Princes Jumeaux et les Veilleurs des Abysses. Le reste, hélas, est plutôt commun voire raté, ou alors survalorise la narration et la surprise, au détriment du gampelay. Ainsi, le Vieux Roi Démon est le dernier représentant de la flamme du chaos, mais il est bien trop lent pour causer le moindre souci ; l'Arbre Géant Maudit est d'une facilité déroutante, quand on parvient à le toucher malgré la caméra erratique ; Aldrich a sa réputation, mais une fois qu'on a compris qu'il est terriblement fragile face à la foudre et au feu, et que le trône près du mur du fond permet d'esquiver son attaque la plus meurtrière, il peut disparaître en moins de trente secondes chrono.

Les geôlières sont sans doute l'ennemi le plus détesté du jeu. Non seulement leur attaque au fer rouge augmente votre charge et vous ralentit considérablement, mais leur regard diminue la taille de votre barre de vie pendant plusieurs secondes. Je suis plus mort face à elles que face à n'importe quel autre adversaire, je crois.

Il est aussi malheureux de voir qu'il y a un certain nombre de boss « gimmicks », qui demandent à être frappés à des endroits particuliers pour les vaincre, ou avec une astuce rapidement trouvée. L'arbre géant dont je parlais plus haut et dont il faut frapper les pustules, Wolnir qui ne peut être touché que sur ces bracelets, les Diacres des Profondeurs qui opèrent en groupe et parmi lesquels on doit à chaque fois tuer le porteur d'une marque rouge avant de se faire submerger et maudire. Les boss les plus mémorables, quant à eux, ne sont jamais que des variantes sur le trope du chevalier avec une grosse épée ou une grosse hache : ils permettent certes au système de combat de briller, et ils sont parfois plutôt originaux dans leur dessin ou leur stature, mais le manque de variété est triste, surtout en comparaison des ennemis classiques qui sont bien plus engageants et parfois même, plus menaçants.
Cependant, et pour peu que vous soyez, comme je l'ai été, investi dans l'histoire et son ambiance, même les boss moins intéressants ont des choses à offrir. Aldrich, pour en reparler, est le Dévoreur de Dieux et il est habillé des dépouilles opimes de ses victimes ; l'apparition de Wolnir, dans une arène plongée dans une nuit d'encre, a de quoi effrayer ; Vordt de la Vallée Boréale n'a peut-être que trois attaques à son arsenal, mais ses mouvements désarticulés et sa posture canine offrent une image forte, qui vaut bien la déception réelle d'un combat qui s'annonçait épique, mais qui s'éteint comme un pétard mouillé.

Bien sûr, toucher un calice en forme de crâne dans des catacombes maudites n'aura strictement aucune répercussion. Ça n'invoquera sans doute pas un squelette géant des profondeurs noires.

Car s'il y a bien une chose dans laquelle Dark Souls III excelle, c'est dans son ambiance, ses graphismes et sa musique. Visuellement tout d'abord, le moteur de jeu reprend celui de Bloodborne et ce dernier, il convient de le dire, est encore d'une qualité superbe. J'apprécie beaucoup la rondeur et la souplesse des animations, des ennemis comme des personnages jouables, des monstres, qui contrastent plutôt bien avec la rigidité des cathédrales et des ruines. Il y a nombre d'effets de particules et de lumière surtout, le sang qui jaillit sur les murs et les habits, de la fumée, qui rendent sublimement et sans ralentissement particulier. Au-delà, les décors ont des détails bizarres et prophétiques, qui annoncent parfois un futur boss ou un piège, il y a une cohérence sincère dans tout cela. On appréciera notamment tout ce qui relève de la religion, l'un des grands thèmes de Dark Souls depuis ses débuts, du froid et des plantes qui sont des symboles funestes. C'est fort à propos, dans un monde où le feu original s'éteint doucement...
Alors effectivement, on a sans doute perdu chemin faisant l'aspect granuleux, abrasif voire des épisodes précédents au profit d'un rendu plus lisse, plus propre malgré la destruction environnante. Le jeu, je me plais à le croire, gagne en visibilité et en efficacité, on se perd dans les labyrinthes non car le chemin est obscurci par accident, mais bien parce qu'on l'avait effectivement dissimulé. Il est cependant regrettable que tout soit un peu terne, que le bleu nuit, le marron terreux et le gris cendre dominent tout. Certes, cela rend les flammes et les bougies, innombrables, bien plus brillantes ; mais j'appréciais les tons pastels de Dark Souls II et je déplore leur absence quasi totale.

Les Princes Jumeaux demeurent mon idée favorite. On affronte tout d'abord l'aîné infirme, aveugle et se traînant à genoux, avant que son frère ne vienne lui apporter le soutien de sa magie en grimpant sur ses épaules. C'est ce dernier qu'il va falloir tuer, où il ressuscitera en vain son parent.

Musicalement ensuite, est-il encore besoin de parler du travail de Motoi Sakuraba et de Yuka Kitamura ? Ces artistes ont résolument donné tout leur talent, toute leur âme dans cet épisode conclusif, et les morceaux de bravoure sont nombreux. La musique des Diacres des Profondeurs et ses voix sépulcrales, le violoncelle tendrement mélancolique qu'accompagne une voix féminine dans Lige-Feu, la fanfare des Princes Jumeaux, chacun représenté par un violon distinct, le thème de Vordt, sans doute l'un des meilleurs du jeu, énergisant et puissant comme un air opéra... je vous encourage à jeter une oreille attentive à tout cela, tant la fin des âges n'a jamais été aussi bellement composée. Bien entendu, impossible de ne pas évoquer, pour finir ce rapide inventaire, le thème du boss final qui reprend avec intelligence le fameux motif de Gwyn (plin plin plon) et qui m'a, malgré tout, fait monter une larmichette à l'œil.
L'autre moitié de cet environnement sonore, bien évidemment, est tout aussi recommandable. Les bruitages historiques de la série sont toujours là, plus clairs et remixés, et les différents dialogues sont prononcés encore avec ce ton théâtral shakespearien que j'adore. Il y a du talent partout, mais quelques acteurs et quelques actrices se distinguent à mon goût : Greirat le voleur, joué par Stéphane Cornicard (un français, Cocorico !), Yoel le sorcier qu'interprète David Sterne, Ludleth campé par Roger Ringrose (et qu'on retrouvera bien plus tard, et avec délice, dans Baldur's Gate 3)... ces voix participent grandement à l'esprit du jeu et c'est une déchirure, je puis vous l'assurer, lorsqu'on échoue à mener leurs quêtes personnelles à terme et qu'on retrouve leur cadavre piteux entre deux buissons, sans pouvoir réentendre leurs voix.

Un extrait du thème de Lige-Feu. Malgré le tranquille du lieu, la mélodie a quelque chose de désespéré et d'inquiétant.
Un extrait du thème de Vordt, le premier « vrai » boss du jeu. On a hélas peu de chance d'entendre le morceau en entier, comme le boss tombe assez vite sous nos coups.

Enfin et justement, parlons de ces quêtes de personnage, d'ailleurs. Il est notoirement connu qu'elles sont, chez From Software, particulièrement ardues à suivre. C'est encore le cas ici, et la consultation intensive des wikis ne sera pas un luxe pour parvenir à sauver Anri ou Greirat, ou permettre à Siegward de respecter la promesse faite, jadis, à Yhorm. Mais d'autres, en revanche, sont plus simples à accomplir du moment que l'on prête attention à de nombreux indices. Notamment, ne donnez pas de tomes hérétiques aux fidèles, vous risqueriez de vous en mordre les doigts.
Il est certain en tout cas, mais on en avait l'habitude, que le sort de tous ces personnages est généralement peu enviable, quels que soient les efforts que vous ferez. Dans ce monde, l'espoir est rare et les quêtes mènent souvent à la mort. Mais il y a des disparitions plus nobles que d'autres et même si, finalement, la plupart de nos compagnons d'infortune connaîtront une fin funeste, il y a du plaisir à les aider à atteindre leur but. Ils laisseront d'ailleurs souvent derrière eux une arme ou un anneau fort utile, un sort ou un matériau d'amélioration. Même si on ne pourra rien sauver éternellement, on aura au moins eu le plaisir d'avoir été une force paliative, à défaut d'avoir été le remède de tous les maux.

Yoel le pélerin et Anri le ou la guerrière (son genre sera toujours l'opposé du vôtre) sont liés par la destinée, mais peut-être pas de la façon que vous pensez.