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Bally Professional Arcade
1978 - 1979
Un projet très ambitieux, un géant de l'amusement électronique, et à l'arrivée, un flop suivi d'une belle reprise en main par ses fans : les deux vies d'une console oubliée.
Par Laurent (10 novembre 2001)

Dans les années 70, alors qu’en France on ne le connaît que par les consoles Pong et les jeux d’arcade, le marché du jeu vidéo est déjà très actif aux USA où le succès rencontré par Nolan Bushnell fait des envieux, notamment chez les grands noms du divertissement électronique qui n’avaient pas cru en lui à l’époque où il voulait lancer Computer Space, son premier projet. Bally fait partie de ces hésitants de la première heure. Née au débuts des années 30 en même temps que l’avènement des flippers aux Etats-Unis, cette société s’est d’abord appelée Lion Manufacturing Co., avant de s’établir à Chicago sous le nom de Bally Manufacturing Corp. en 1936. En 1969, après plus de 35 ans d’innovations et de succès dans le domaine du flipper, Bally est devenue la première entreprise d’amusement électromécanique à être cotée en bourse aux Etats-Unis, possédant une centaine de salles d’arcade réparties dans tout le pays en parallèle de la vente de ses flippers.

En 1971, c’est logiquement à Bally que Nolan Bushnell s’adresse pour produire Computer Space, le premier jeu d’arcade de l’histoire, mais son offre est rejetée, et c’est finalement Nutting Associates qui fera l’affaire. Computer Space n’obtient pas le succès escompté, mais Bushnell ne désarme pas, et toujours avec le soutien de Nutting, crée Pong en 1972. Il entre alors dans la légende.

Cette fois, Bally prend l’affaire très au sérieux, et devant le succès rencontré par Bushnell, qui entre temps à fondé Atari, ouvre en 1975 une division spécialisée dans les jeux d’arcade, nommée Midway. Le premier jeu distribué par Midway est Gunfight, conçu par les Japonais de Taito, dont l'adaptation américaine -sous traitée par Nutting Associates- est le premier jeu d’arcade de l’histoire à utiliser un microprocesseur (on le verra aussi en France où il fait forte impression par ses graphismes). Les salles d’arcade de Bally-Midway changent alors de visage, avec l’arrivée de ces jeux qui font concurrence aux flippers.

Le succès rencontré par Atari avec ses différents consoles stand-alone (c'est à dire dédiées à un seul jeu, comme Pong ou Video Pinball), pousse Bally à s’intéresser au marché du jeu vidéo domestique. Une console révolutionnaire est mise à l’étude en 1976, et Bally fait encore une fois appel à Nutting pour en sous-traiter la conception, notamment Dave Nutting lui-même. Pour la première fois, une console de jeu prétend au statut de véritable micro-ordinateur. En plus des jeux, il est prévu que l’utilisateur puisse faire ses propres programmes en BASIC. Le CPU utilisé est le célèbre Zilog Z80 (3.59 Mhz), alors en pleine ascension dans le domaine des jeux d’arcade (où il fera une carrière fabuleuse, dans un premier temps comme CPU central, puis comme co-processeur pour le son). En ce sens, on peut considérer que Bally prend un train d’avance sur tous ses concurrents directs puisque Atari, tout comme Mattel et Coleco, seront amenés eux aussi à lorgner sur le marché de la micro-informatique au début des années 80.

Les joysticks de la Bally Professional Arcade

La console, appelée Bally Professional Arcade (un nom qui indique à la fois ses prétentions de micro-ordinateur et ses capacités à égaler les jeux d’arcade), est plus puissante que celles conçues à la même époque, en particulier la VCS d'Atari. Les modes graphiques vont de 160x102 à 302x204 (160x88 pour les programmes en BASIC) en 8 couleurs (2 en BASIC), et le son est sur 3 voies avec des effets de vibrato et de bruits blancs (explosions). Elle dispose de 4 Ko de RAM extensibles à 64 Ko, de 8 Ko de ROM, et les jeux sont stockés sur cartouche. Le processeur graphique travaille en bitmap, à savoir que chaque pixel affiché à l’écran correspond à une adresse mémoire, ce qui facilite grandement le travail des programmeurs. Cette technologie est plutôt rare en 1976, et dans le domaine des micro-ordinateurs il faudra attendre l’Apple Macintosh pour la voir devenir commune (même l’Atari ST ne travaille pas en bitmap, contrairement à ce qu'on pourrait penser).

Le BASIC se charge depuis une cassette grâce à l'interface fournie.

Le système d’exploitation, qui occupe les 8 Ko de ROM, est l’œuvre d’une équipe dirigée par Jay Fenton (futur concepteur du jeu d’arcade Gorf, pour Midway), qui est aussi l’auteur de l’interpréteur BASIC intégré à la console. Avec ces 8 Ko de ROM, et des modes graphiques élevés pour l’époque, la Bally Professionnel Arcade se situe loin devant les consoles produites au même moment par Fairchild (Channel F) et RCA (Studio II). Les joysticks sont très similaires à ceux de la Channel F, à savoir qu’ils ressemblent à une crosse de pistolet au bout de laquelle se trouve un petit joystick. Heureusement un bouton de tir est prévu, à l’emplacement de la gâchette du pistolet, ce qui les rend plus faciles à utiliser que ceux de Fairchild. Il est possible d’en brancher 4 sur la console, ce qui en fait une sorte de centrale de divertissement pour toute la famille, un concept plutôt ambitieux. Les cartouches ont la forme d’une cassette audio, ce qui laisse penser qu’à l’origine c’est ce type de support qui était prévu pour les jeux.

Exemples de jeux sur Bally Professional Arcade : Gunfight et Dodgem
Au démarrage de la console, le BIOS fait apparaître le logo de Bally sur l’écran. Etrangement, c’est à ce moment là qu’il faut insérer la cartouche (pas avant d’avoir allumé la machine) et presser la touche reset pour lancer le jeu. Il s’agit peut-être d’une tactique visant à rappeler constamment au joueur l’origine du produit. Si on n’insère pas de cartouche, on peut alors choisir un des 4 programmes qui y sont implémentés (2 jeux, une calculatrice et une démo colorée). Pour la programmation, la console est équipée d’un clavier 24 touches, comme la plupart des micros-ordinateurs personnels de l’époque (qui ne sont apparus qu’à partir de 1974), et une extension permettant de sauvegarder et charger des programmes par cassette est prévue. Pour certains jeux, il est possible de poser un cache plastique sur la façade indiquant les fonctions de boutons.

Astro battle (un clone de Space Invaders) et Bally Pinball

Tout ceci est extrêmement prometteur, mais une série de loupés essentiellement dûs à l’inexpérience de Bally sur ce marché va saboter la carrière de la Professional Arcade. En raison de problèmes techniques incessants, sa sortie est repoussée maintes fois, et elle n’est lancée officiellement qu’en février 1978. Entre temps, l’Atari VCS s’est déjà bien installée sur le marché (principalement pour noël 77). De plus, la Bally est vendue 350$, soit 150 de plus que la VCS.

Clowns (clone de Circus Atari), et The Incredible Wizard

La console est vendue uniquement dans des magasins d’ordinateurs, ce qui est une erreur de marketing manifeste. Dans les années 70, ce type de produit ne fait pas encore l’objet de boutiques spécialisées. On le trouve le plus souvent dans les magasins de jouets, mais Bally pêche par excès d’ambition en voulant assimiler son produit aux ordinateurs. Comme toutes les autres consoles lancées dans les années 70 autres que la VCS, la Professional Arcade ne dispose pas des licences des jeux d'arcades les plus populaires, Atari les ayant à majorité acquises (à l'exception des jeux Bally, bien sûr). Les jeux sont donc des clones rebaptisés, qui n'ont pas le même attrait auprès des joueurs. Les résultats commerciaux sont décevants et les problèmes rencontrés pendant la production des unités refont surface sous la forme d’innombrables retours en garantie. La plupart des consoles vendues pendant les premiers mois sont défectueuses et Bally n’est pas en mesure de faire face au problème : lorsqu’un jeu d’arcade ou un flipper tombe en panne, il est d’usage d’envoyer un réparateur qualifié sur place. Mais sur le marché grand public, ce type de maintenance est beaucoup trop coûteux, et Bally ne sait pas procéder autrement.

Grand Prix, et Star Battle (qui s'inspire grandement de Star Wars)

L’arrivée de l’Odyssey 2 connaît un succès qui, sans être fulgurant, suffit à prendre les dernières parts de marché auxquelles la Professional Arcade pouvait prétendre, et Bally jette l’éponge en 1979.

L’histoire de la console ne s’arrête pas là : la volonté de Bally de permettre aux utilisateurs de programmer leur console a fait de la Professionnal Arcade une machine unique aux yeux de ses possesseurs. Ainsi, un groupe de fans de la console en a rachèté les droits à Bally, et l'a relancée dans le commerce sous le nom de Bally Computer System en 1981. Cette fois, la console a connu un regain d’activité et les nombreux jeux développés par des joueurs (en langage machine, grâce au programme Machine Laguage Interpreter) ont fini par éclipser les titres fournis à l’origine par Bally.

Panzer Attack et Red Baron (forment à eux deux un clone de Combat)

En 1982, une société du nom Astrovision a été montée par les possesseurs des droits de la Bally Computer System, et la console a été rebaptisée Astrocade, continuant sa carrière jusqu’en 1983.

Cette console n’a jamais été commercialisée en France et on en a peu parlé de manière générale, mais elle demeure l’unique tentative d’incursion sur ce marché pour Bally, ainsi que la seule console dont les fans ont concrètement prolongé l’exploitation commerciale.

Laurent
(10 novembre 2001)