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The Thing
Année : 2002
Système : Windows, Playstation 2, Xbox
Développeur : Computer Artworks
Éditeur : Universal Interactive
Genre : Action / Survival Horror

The Thing : le jeu

Une cuisine transformée en charnier.
Une scène en extérieur, avec la jauge de froid qui entraîne la mort lorsqu'elle arrive à zéro.

À priori, on peut se demander pourquoi le développement a été confié au studio londonien Computer Artworks, alors que celui-ci n’avait à son actif qu’un seul jeu, Evolva (sur PC), ainsi qu’un utilitaire de création d’économiseurs d’écrans nommé Organic Art. L’explication a cela est que l’un des deux fondateurs du studio, William Latham, est un peintre qui œuvre dans "l’art organique".

Exemples de travaux de William Latham

Latham fut un pionnier de l'image de synthèse à l'époque où celle-ci était encore abstraite et constituait un art en tant que telle, hors du contexte cinématographique ou vidéoludique. Avec Yoichiro Kawaguchi et Karl Sims, Latham est un des piliers d'un mouvement particulier de l'image de synthèse axé sur la "vie virtuelle". L'idée consistait, à l'aide d'algorithmes mathématiques, à animer des créatures qui naissent, vivent, se reproduisent, meurent, et surtout mutent et évoluent.

Les notions de transformation et de mutation sont centrales dans le travail de Latham, grand admirateur de Charles Darwin et H.R. Giger. Une de ses grandes idées, en tant qu'artiste, fut d'installer dans le salon d'Art Contemporain ARS 95, en Scandinavie, avec la collaboration d'IBM, un vivier de formes de vie virtuelles. Les visiteurs du musée étaient invités à voter pour les créatures qui leur plaisaient le plus, les autres s'éteignant naturellement. Les survivantes donnaient naissance à une nouvelle génération... Avec un tel artiste aux commandes d'une adaptation en jeu vidéo de The Thing, on pouvait s'attendendre à des idées novatrices sur l'animation, l'évolution et le comportement de la Chose elle-même.

Il a aussi été dit que John Carpenter composerait lui-même la musique du jeu. C’est faux. Carpenter n’a pas participé du tout au projet, se contentant de lui donner sa bénédiction dans diverses interviews (il apparaît en fait qu’il s’intéresse plutôt à GTA 3...). En revanche, on ne peut douter un instant du profond respect qu’ont les gens de Computer Artworks pour le film.

Du film au jeu : croquis préparatoires

The Thing, le jeu, débute juste après la fin du film. La quasi-totalité des membres de la station météo ont été liquidés par la Chose sauf deux, McReady et Childs. Ceux-ci sont parvenus à venir à bout du monstre au lance-flammes et à la dynamite, du moins cela semble-il probable, mais la station a été totalement détruite dans la bataille. Ainsi, les deux hommes ont-ils réalisé, une fois la tension retombée, qu’ils étaient condamnés à mourir de froid, les secours n’étant pas en mesure d’intervenir avant plusieurs semaines au vu des conditions météo catastrophiques.

Le jeu démarre alors qu’une équipe militaire de secours arrive sur les lieux. Des troupes d’élite capables d’affronter le froid et le blizzard qui règnent sur les ruines de la station. Le joueur incarne Blake, le chef de l’équipe. Le jeu se joue en vue à la troisième personne, Blake étant accompagné d’une équipe de 4 soldats maximum. Les premières missions consisteront à visiter la station à la recherche de survivants, ainsi que le camp norvégien voisin, dans lequel la première rencontre avec la Chose aura lieu. Car bien entendu elle n’est pas morte, mais sa présence en très grand nombre cache autre chose qu’une grosse capacité de reproduction. La suite de l’histoire transporte Blake dans un gigantesque complexe ultra-secret nommé Gen Inc., situé a quelques dizaines de kilomètres de la base météo initiale, dans lequel il va découvrir qu’un horrible complot se trame : des scientifiques qui ont découvert la Chose par hasard en étudient et élèvent des centaines de spécimens dans le but de... n’en disons pas plus, mais le scénario est déjà à ce stade si peu original que vous devinerez sans problème la suite, surtout si vous êtes un adepte des X-Files saisons 1 à 5.

Éradication d'une chose au lance-flamme
Des menus un peu déroutants

Le jeu étant censé faire peur, on aurait pu s’attendre à un survival horror classique, mais ce n’est pas vraiment le cas. Les décors ne sont pas précalculés mais en 3D temps réel dans le style de ceux d’un FPS, ce qui garantit une interactivité maximum. Il est par ailleurs possible de passer en mode "Freelook", vue subjective servant uniquement à viser (les déplacements sont impossibles dans ce mode).

On se trouve donc dans un univers situé entre deux styles que les joueurs connaissent bien, mais ce n’est pas tout : la gestion de l’équipe est assez élaborée. Il y a deux sortes de co-équipiers, les infirmiers (qui soignent les blessés), et les techniciens (qui savent réactiver les serrures électriques détériorées). Tous deux sont bien sur capables de se battre, mais il faut en permanence veiller à ce qu’ils aient un arme et des munitions et leur administrer des soins lorsqu’ils sont blessés. Ils ne sont pas capable de se débrouiller tous seuls afin que le joueur ait plusieurs paramètres à gérer et ne se limite pas à du mitraillage ininterrompu de monstres. Jusque là, on est en terrain connu, surtout si l’on a déjà joué à Half-life Opposing Force, qui comprenait une gestion d’équipe identique.

Mais un élément vient s’ajouter, qui constitue l’un des emprunts les plus intelligents faits au film : la gestion de la peur. Les co-équipiers ont tendance, malgré leur entraînement et leur expérience, à paniquer à force de parcourir des couloirs jonchés de cadavres disloqués et à moitié métamorphosés en monstres immondes (car les choses ont pris le contrôle du complexe Gen Inc. et elles sont partout, faisant beaucoup de victimes). Par ailleurs, il arrive que certaines personnes recrutées en cours d’aventure (soldats, scientifiques du complexe...) soient des choses camouflées en humain. Ainsi, les NPC ont tendance à se soupçonner les uns les autres, voire à ne plus faire confiance à Blake lui même. Il faut donc les rassurer, de diverses façons : leur donner une arme, les approvisionner en munitions, les soigner, faire un test sanguin devant eux afin de prouver son humanité... ou tout simplement les braquer avec une arme afin qu’ils coopèrent de force. À chaque fois qu’on rencontre un personnage, et qu’on désire le recruter, il faut ainsi montrer patte blanche et, lors des combats, éviter de tirer par erreur sur un membre de l'équipe, sous peine de voir remonter son quota de méfiance.

Un coéquipier en soutien dans une salle infestée de choses
Le menu fretin qui saute au visage : très classique

Tout ceci est vraiment très intéressant et ambitieux, à l’exception d’un petit défaut : la gestion de l’équipe se fait par un menu composé d’icônes qui n’est pas très pratique. Mais ce n’est pas là le plus gros reproche qu’on puisse faire au jeu. Là où le bât blesse réellement, c’est au niveau du level-design. Les deux premiers niveaux, à savoir les camps américain et norvégien du film, sont fabuleux. La fidélité est totale, l’ambiance visuelle parfaitement rendue, les clins d'œils aux dialogues du film nombreux, et la montée en puissance de l’action est parfaite. On commence par l’exploration d’une base détruite, au rythme lent et angoissant qui renvoie aux meilleurs survival horror. Ensuite, c’est le camp norvégien. Celui-ci n’étant qu’entraperçu dans le film, les designers ont pu en faire ce qu’ils voulaient, et le résultat est remarquable. On visite diverses salles dans lesquelles la découverte des horreurs qui y ont eu lieu se fait progressivement. Au moment où l’on commence à prendre bien en main son équipe et que celle-ci est équipée comme il se doit, un terrible assaut de choses à lieu. Elles déferlent de partout, par les fenêtres. C’est la phase la plus intense et la plus impressionnante du jeu, un très grand moment, et on l'on se dit alors qu'on a affaire à un futur classique du jeu vidéo. Au cours des étapes suivantes, les membres de l’équipe sont tués un à un, et Blake se retrouve tout seul, avant de partir enquêter dans le complexe Gen Inc.

1er niveau : on explore l'"Outpost 31", la base du film
La Chose et son look indescriptible

La suite est hélas d’un classicisme désespérant. Toutes les bonnes idées développées dans les premiers niveaux sont abandonnées au profit de recettes éculées. Une grosse partie de l’aventure se fait en solo, ou accompagné d’un ou deux équipiers maximum. Les premiers monstres imposants apparaissent, de plus en plus nombreux, et le joueur se retrouve très vite dans les bons vieux réflexes d’un FPS classique : zapper d’armes en armes en fonction des situations, progresser lentement en vidant chaque pièce des créatures qui l’occupent, collecter munitions et medipack... L'aspect "équipe" passe à la trappe, et la gestion de la peur et de la méfiance deviennent sans intérêt (savoir si un personnage rencontré est une chose ou pas ne sert au final pas à grand chose). Exit le survival horror mâtiné de gestion d’équipe à la Swat 3, et place à l'action bourrine ininterrrompue. Et là, on se rend compte que la totalité des types d’attaques, d’armes, d’objets ou de projectiles, ainsi que le comportement des ennemis, la conception de certaines cartes et les différents pièges proviennent de Half-Life... Si on ajoute que les décors de Gen Inc. évoquent furieusement ceux de Metal Gear Solid, la forte impression faite par les deux premières heures de jeu en prend un coup. Les derniers niveaux comportent d’autres phases qui font intervenir une vrai travail d’équipe, mais celles-ci sont trop rares et ponctuelles. C’est dommage, car à chaque fois l’intérêt du jeu remonte brutalement. Il est vraiment regrettable que les gens de Computer Artworks n’aient pas d’avantage cru en leurs bonnes idées.

Les phases d’exploration sont intéressantes et comportent un certain nombre d’énigmes pas toujours évidentes tournant le plus souvent autour de l’ouverture d’une ou plusieurs portes. Le joueur est constamment mis sous pression par les monstres, qui ont tendance à se régénérer dans les salles que l’on a déjà visitées. De plus, leur arrivée est souvent mise en scène par une très courte cinématique qui fait faire un bond sur son fauteuil, et à la longue le jeu réussit vraiment à inquiéter. Quant aux combats contre les monstres, il sont plutôt ardus. Il faut d’abord les affaiblir avec des balles, puis les faire brûler au lance-flammes, ce qui nécessite de passer en mode Freelook immobile (en mode troisième personne, le lance-flammes est complètement imprécis). Il en résulte, le lance-flammes ayant une très courte portée, qu’on ne parvient que rarement à tuer un monstre sans y laisser des plumes, et c’est tant mieux : la Chose du film de Carpenter était effrayante, il ne s’agissait pas de la banaliser. Par ailleurs, le manque de munition est vraiment un problème pendant toute la durée du jeu, ce qui est plutôt un bon point, mais par contre il est peu pratique de changer d’arme en plein milieu d’un combat.

Ce type était en réalité un monstre, tant pis pour lui
Les combats obligent à une prise de risque maximum

Globalement, la difficulté du jeu est élevée, notamment dans la dernière partie où les ennemis deviennent innombrables et les niveaux très longs. Ajoutons à cela le choix d’une sauvegarde par bornes, et on obtient un jeu franchement hard à la durée conséquente. D’ailleurs, le public s’est plaint de cette difficulté sur les forums du site de Computer Artworks, si bien qu’un patch pour la version PC est sorti pour adoucir un peu la chose - mais pas la Chose :) - en rendant possible le déplacement en mode Freelook. Par ailleurs, un cheat très simple (une modification de la base de registre) permet de faire apparaître une option de sauvegarde instantanée lorsqu’on fait une pause à n’importe quel endroit. Les possesseurs des versions Xbox et PS2 ont bien sûr dû se contenter du jeu d’origine, et nombreux sont ceux pleurnichant sur les forums qu’ils sont bloqués au 5e ou 6e niveau sur 11 !

Côté gameplay, donc, le bilan est mitigé. On peu également y ajouter un déroulement narratif un peu trop figé, qui entraîne des illogismes. Par exemple, s’il est prévu qu’on soit surpris par le fait qu’un des personnages est en fait une chose, celui-ci passera sans problème le test sanguin une minute avant le moment prévu de sa transformation. Un peu dommage... Heureusement, les retournements de scénario qui interviennent dans les derniers niveaux et le combat final contre une énorme chose depuis un hélicoptère, un savoureux moment, laissent une bonne impression une fois le jeu fini.

Au cours de la cinématique de fin survient un évènement surprise très sympa, dont je vous laisse la découverte.

Réalisation

Sur le plan audiovisuel, The Thing est une réussite. Les textures sont assez détaillées (certains ont critiqué la version PC pour ses graphismes, mais elle est quand même très belle et peu gourmande en ressources), le travail sur les éclairages excellent, les personnages parfaitement animés, et les cinématiques sont très belles, avec des visages en gros plans réalistes et expressifs. Les décors, quant à eux, même s’ils rappelent avec un peu trop d’insistance les hits de Valve et Konami précédemment cités (qui, il faut le dire, pillaient sans vergogne l'oeuvre de Carpenter !), sont tout de même assez variés pour que la lassiture n’intervienne pas trop pendant les phases d’exploration.

Une réussite graphique indéniable

Sur le plan sonore, c’est absolument irréprochable. Les bruits des armes à feu sont classiques, mais les cris poussés par les monstres sont parfaitement horrifiants ! Lorsqu’on en entend un derrière une porte, en y mettant un peu du sien on arrive à être franchement angoissé au moment de l’ouvrir, et si au détour d’un couloir on est surpris par une attaque, ou par la transformation subite d’un des membres de l’équipe en chose, on sursaute plus d’une fois. La musique est quasiment absente, sauf lors de certains passages ou les nappes angoissantes de synthé composées par Ennio Morricone pour le film se font subitement entendre (effet trouillorama garanti). Les monstres sont de trois types : petites araignées qui grouillent partout et sautent au visage, "walkers" aux proportions humanoïdes, et boss (trois sont présents dans l’aventure, le dernier, affronté à la fin du jeu, étant aussi haut qu’un immeuble). Visuellement, ils sont dans l’esprit de ce qui avait été fait sur le film et leurs mouvements sont correctement représentés. Rien à dire, c’est du travail sérieux, et les dessins de préparation sont là pour prouver que les développeurs savent de quoi ils parlent.

La Chose par le crayon des graphistes de Computer Artworks

On est par ailleurs amené à affronter des soldats d’élite à la solde de Gen Inc., mais franchement ils ne pèsent pas lourd et quelques coups de fusil à pompe bien placés suffisent à s’en débarrasser.

Conclusion

La sortie du jeu a été un évènement fort attendu, et salué par des ventes satisfaisantes, à tel point que maintenant les yeux se tournent vers John Carpenter et une possible séquelle du film. Même si le jeu n’est pas la bombe qu'il aurait pu être si ses développeurs avaient fait preuve d'un peu plus d'audace, il laisse tout de même un bon souvenir et le choc vécu lors des deux premiers niveaux est une expérience que tout joueur se doit de connaître.

Avec à la clé une nouvelle, deux films mémorables et un bon jeu vidéo, The Thing constitue un mythe relativement riche, surtout si on ajoute les nombreux comics que la créature a inspirés. Malgré tout, elle reste une énigme. On ne sait toujours pas d’où elle vient, ni si c’est elle qui pilotait le vaisseau à bord duquel elle s’est écrasée sur la Terre. Tant qu’elle conservera sa part de mystère, elle continuera à effrayer et nous fasciner.

Pour en savoir (beaucoup) plus sur le sujet, rendez vous sur ce fabuleux site : http://www.outpost31.com

Vous pourrez même y lire la nouvelle originale de Campbell et le scénario du film.

Laurent
(20 décembre 2002)
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