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Rocket, Robot on Wheels
Année : 1999
Système : N64
Développeur : Sucker Punch
Éditeur : Ubisoft
Genre : Plate-forme / Aventure

Ce qui est frappant, c'est qu'il n'y a qu'une autre phase du jeu ressemblant vaguement à celle-ci, dans le monde "Mine Blowing", où l'on doit sauter de wagon en wagon ou de wagon en plateforme dans un passage rappelant Indiana Jones et le Temple Maudit (le gameplay étant donc totalement différent de celui des montages russes). La générosité de fournir un "construction kit" de montagnes russes juste pour un ticket est typique du jeu.

Toutes aussi typiques sont la présence et la variété des véhicules : chacun a des contrôles et un usage très différents, et une façon différente de se déplacer (toujours de façon aussi réaliste et agréable, grâce au moteur physique). Il y en a huit, le monde principal n'en ayant pas mais deux mondes secondaires en ayant deux. Il y a, dans l'ordre :

  • Une jeep en forme de hot-dog permettant entre autres de faire la course sur la plage contre un adversaire pour un ticket.
  • Le constructeur de montagnes russes (considéré comme un véhicule).
  • Un char sur coussin d'air avec canon à peinture intégré, permettant de colorer le décor à son goût.
  • Un dauphin, pour nager sous l'eau, flotter, et sauter de bassin en bassin.
  • Un chargeur/déchargeur de caisses avec un rayon agrippant plus musclé que celui de Rocket.
  • Un tapis volant.
  • Une moto avec ailes rétractables permettant de planer.
  • Un tétard mutant à six pattes permettant de flotter sur un lac de chocolat (si, si).
Le char à peinture.
Le tapis volant.

En plus de cette variété, Rocket s'améliore grâce à Tinker (ce qui hiérarchise l'accès aux mondes), Tinker étant un robot de maintenance qui nous sert de guide au début du jeu et se trouve être un des rares personnages avec lesquels on peut échanger : avec assez de jetons, Rocket peut entre autres transformer son rayon agrippant en rayon gelant, ce qui est pratique contre les ennemis, et pour créer des plateformes de glace sur les surfaces d'eau (encore une fois, les plateformes de glace en question s'inclinent, dérivent et s'entrechoquent de façon parfaitement réaliste).

Une réalisation irréprochable

En dépit du fait qu'il a un moteur physique à faire tourner, Rocket : Robot on Wheels figure parmi les plus beaux jeux de la console, moins chargé que Banjo Kazooie mais toujours parfaitement fluide (lui), sans jamais le moindre ralentissement.

Rocket et la Chocolaterie.
L'affreux Jojo.

Les textures du jeu sont de plus étonnamment détaillées et bien définies (c'est-à-dire, avec beaucoup de caractère et donc reconnaissables par rapport aux autres jeux du genre), et le style graphique, très varié d'un monde a l'autre, est excellent. Son sens de la perspective "à la Tim Burton", tarabiscoté, déforme des textures identiques pour les adapter aux angles des décors (de travers), et permet donc d'éviter l'effet "quadrillage" ou "copié/collé" que l'on trouvait alors beaucoup à l'époque.

En fait, Rocket : Robot on Wheels excelle particulièrement dans son architecture et ses décors et les puzzles qu'ils impliquent, au point que la vraie vedette y semble bien davantage l'environnement que son moteur physique ou ses protagonistes, ceci expliquant pas mal de choses.

De la nécessité du superflu, ainsi que de la présence du vide

Pour aborder le sujet de la philosophie avec laquelle le jeu a été créé, et essayer d'expliquer son relatif échec, revenons à un point abordé au début : si, comme on l'a dit plus haut, à peu près le même jeu avec en gros les mêmes épreuves aurait pu être fait sans le moteur physique du jeu, pourquoi s'être enquiquiné à programmer quelque chose d'aussi complexe sur Nintendo 64, si ce n'était pas pour montrer ses muscles algorithmiques à longueur de temps ?

Marvin le Martien.

La réponse est dans une interview donnée par les développeurs de Sucker Punch, qui avaient déclaré qu'ils voulaient faire un jeu où le personnage principal soit secondaire par rapport au monde avec lequel il interagissait. Et effectivement, on est bien obligé d'admettre que Rocket est passe-partout et peu expressif, avec son look de "Marvin le Martien" (le personnage des dessins animés Warner Bros.). Cela explique aussi qu'il n'y ait que deux cinématiques narratives dans tout le jeu, une au début et une à la fin, et qu'il n'y ait qu'une (toute petite) poignée de personnages qui parlent.

Rocket face à un robot hostile.
Un robot chapardeur.

Les ennemis aussi sont rares : il y a les robots hostiles, qui se ressemblent à peu près tous et sont très anecdotiques, les robots chapardeurs qui se ressemble aussi entre eux et qui bloquent le chemin de Rocket (selon un très joli algorithme) et chipent les objets qu'il transporte, et enfin les champignons qui essaient d'immobiliser Rocket et apparaissent dans seulement deux niveaux. Il n'y a aucun boss, y compris à la fin.

Le but du jeu, sauver le gros phoque Whoopie des griffes de Jojo le raton laveur jaloux, n'est jamais rappelé de toute l'aventure. Personnellement, en cours de partie, j'avais oublié quelle mascotte voulait trucider l'autre et ne m'en suis souvenu qu'en arrivant à l'épreuve finale. Les divers mondes, bien que très variés et faisant preuve de beaucoup de personnalité, ressemblent à ce qu'ils sont : des décors de parc d'attraction vides, avant l'arrivée d'hypothétiques visiteurs. Il est courant dans le contexte de l'époque que les mondes d'un jeu de plateformes soient très abstraits voire artificiels, mais même Super Mario 64 agrémentait ses mondes de petites scénettes amusantes : la maman pingouin à la recherche de son bébé, "Koopa the Quick", les dialogues des boss, etc. Ici, on a toujours l'impression d'être seul, le décor reste toujours le centre d'attention.

Le moteur physique lui-même est donc avant tout un élément pour mettre en valeur l'environnement et ses obstacles et énigmes plutôt qu'une fin ou un but de gameplay en soi. Dit comme ça, ça a l'air de diminuer son importance, mais on peut au contraire trouver que ça lui donne d'autant plus de poids (si j'ose dire).

Une épreuve finale complètement folle.
Rocket crée ses propres plateformes.

Si les phases de platforming de Rocket : Robot on Wheels sont particulièrement plaisantes à comparer de la concurrence, c'est parce qu'elles sont incroyablement exactes et précises. Quand on se balance de poignée suspendue en poignée suspendue, c'est agréable parce qu'on prend du vrai élan selon l'exacte direction que l'on donne à Rocket (ce dernier exploitant à 100% la précision du stick analogique au lieu de le faire par paliers) ; ce n'est pas un élan précalculé comme dans (par exemple) Prince of Persia : The Sands of Time, dans lequel le prince quitte toujours les poteaux tournoyants à l'exacte même vitesse. Quand dans Rocket : Robot on Wheels on fait la course en jeep, c'est agréable parce que la jeep se comporte aussi bien (manquant de se renverser en heurtant des cailloux, rebondissant après une chute) que dans beaucoup de simulateurs de course. Quand on doit créer des plateformes de glace en zigzaguant autour de barres électrifiées alors que des tourbillons attirent les plateformes en question vers eux, c'est agréable parce que tous les mouvements, l'inertie de Rocket, le courant du tourbillon, les plateformes se penchant sous le poids de Rocket, les plateformes se cognant entre elles – tous les mouvements, donc, sont justes. Lors du tout dernier niveau contre Jojo et ses épreuves de platforming complètement démentes façon "niveaux secrets de Super Mario Sunshine", le vertige (et l'amusement) est d'autant plus grand que les bascules, les piliers, les tourbillons pivotants et autres ventilateurs géants réagissent de façon parfaitement exacte. Bien plus exacte, en fait, que dans Super Mario Sunshine lui-même, pourtant sorti des années plus tard sur un système nettement plus performant (comme Prince of Persia : The Sands of Time).

Dans la quasi totalité des jeux de plateformes, il y a habituellement une petite phase d'adaptation pour jauger de quelle façon le jeu "triche" avec la physique. Une fois cet élément intégré, tout se passe bien, on ne se pose plus de question, le héros paraît léger et tout est assez facilement prévisible. En fait, la notion du poids du personnage principal n'entre à peu près jamais en ligne de compte, et il devient même incongru d'y penser.

Le réalisme et la richesse des environnements de Rocket : Robot on Wheels déconcerte tout d'abord quand on a l'habitude de ces jeux, car les mouvements ne sont plus factices. Du coup, on est surpris par des mouvements pourtant naturels mais que l'on ne voit habituellement jamais. Par exemple, ci-dessous, il faut peser sur le début de la spirale suspendue pour que celle-ci tourne sur elle-même, puis Rocket doit progresser, mais sans la faire tourner dans l'autre sens. Au début, on ne comprend même pas ce que l'on est censé faire tellement on ne voit jamais ça dans un jeu de plateformes, tellement on est habitué à une physique factice.

Des situations jamais connues dans un autre jeu de plateformes.

Même si Rocket : Robot on Wheels aurait pu dans son ensemble être fait sans un vrai moteur physique, on voit donc que celui-ci était indispensable à son identité, et indispensable pour ce que le jeu cherchait à accomplir : à savoir, l'interaction avec l'environnement – et cela, comme on l'a dit, d'autant plus que le jeu est volontairement minimaliste par ailleurs, ignorant beaucoup de codes et conventions du jeu de plateformes : les ennemis, les boss, l'histoire, le personnage charismatique (voire la mascotte), la narration, etc.

En plus d'être un bon jeu, Rocket : Robot on Wheels est donc également un cas d'école, comme une branche alternative à l'évolution du genre après Super Mario 64, qui au lieu de renforcer toujours plus l'humour, l'immersion, la narration, le charisme, etc. (jeux avec Banjo, Spyro, Rayman, et ainsi de suite), a plutôt choisi de tout miser sur son gameplay, sa précision, sa maniabilité, la qualité de son défi... Hélas, l'histoire a tranché assez cruellement au détriment de l'option prise par le jeu de Sucker Punch, ce qui n'est pas très étonnant quand on se souvient que le jeu vidéo s'adressait alors surtout aux enfants et aux adolescents – l'option prise par Rocket : Robot on Wheels est en effet plus susceptible de plaire aux adultes, comme si les développeurs avaient d'abord voulu se faire plaisir...

Mais cela fait également en sorte que le jeu est un de ceux de cette génération qui a le mieux vieilli, tant sur le fond que sur la forme : en émulation (qui a produit les captures d'écran de cet article), le jeu est particulièrement magnifique, le détail de ses graphismes ressortant bien mieux que sur la Nintendo 64 d'époque, et son gameplay étant dépourvu de toutes les scories ou immaturités propres au contexte d'alors, et qui peuvent gêner aujourd'hui. L'histoire a certes tranché, mais grâce à l'émulation, peut-être n'est-elle pas encore totalement finie...

Simbabbad
(07 mai 2007)
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