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Millenium Racer (Y2K Fighters)
Année : 1999
Système : Windows
Développeur : Creat Studio
Éditeur : Cryo Interactive
Genre : Jeu de Course
Par Barbo (07 septembre 2003)

Fondée en 1990 et basée à Saint-Pétersbourg, Creat Studio est une société dont le champ d'activité va bien au-delà du développement de jeux vidéos puisqu'il couvre globalement l'animation 3D. On lui doit notamment la réalisation de scènes cinématiques pour le compte de divers éditeurs de jeux. Parmi les jeux en question, citons en vrac Star Wars The Clone Wars, Heretic 2, Revenant, Spiderman The Movie, Star Trek Voyager Elite Force ou encore Civilization Call To Power. La clientèle de Creat Studio n'est pas restreinte aux seuls jeux vidéos puisque la compagnie a également produit des animations pour des pubs Coca-Cola, Konica ou Kodak, mais aussi pour des chaînes de télévision russes. Leur slogan : « We make the surreal real ! ».

Côté jeux vidéo, Creat Studio a réalisé deux jeux avant Millenium Racer, répondant aux noms de Symbiant Dawn et MorphMan. Si l'on en croit Google, ces deux jeux donnent l'impression d'être si inconnus que seul Creat Studio semble être au courant de leur existence... A présent (en l'occurrence nous sommes en Août 2003), la société est sur le point de commercialiser via l'éditeur Metro3D Smash Cars sur Playstation 2, un jeu de course arcade qui ne devrait pas connaître de succès commercial mais qui semble tout à fait convaincant selon la plupart des critiques.

1ère partie : réquisitoire au nom de la réhabilitation

Grospixeliennes, Grospixeliens, amatrices et amateurs de jeux de course, newbies, newbies, Monsieur le Marketing aux voies éternellement impénétrables, grand public chéri mon amour (????). Le nom de Millenium Racer dit-il quelque chose à quelqu'un ? La question reste posée ; et la question restant posée, il ne nous reste plus qu'à poser la réponse. Le nom de Millenium Racer dit-il quelque chose à quelqu'un ? De deux choses l'une : ou bien le nom de Millenium Racer ne dit rien à personne et ça m'étonnerait tout de même un peu, ou bien le nom de Millenium Racer dit quelque chose à quelqu‘un... et ça m'étonnerait quand même beaucoup.

Supposons que le nom de ce jeu de course futuriste qu'est Millenium Racer dise quelque chose à quelqu'un. Je répète, supposons, dans la mesure où ce n'est probablement guère le cas, car en entendant le qualificatif « jeu de course futuriste », la majeure partie de l'audience doit déjà avoir en tête quelques images improvisées par leur subconscient d'un vague clone de la sainte et belle référence qu'est WipeOut (enfin, ça dépend pour qui...) dans lequel les courses de Formule 1 ont disparu, laissant la place à de furieuses joutes à bord de monstrueux bolides dérivés de la pico-technologie et capables de faire un 0-Mach 37 en trois dixièmes de seconde départ arrêté, unique ou principale source de divertissement dans un futur proche ou lointain de type « la béatitude est notre mode de vie » ou « pandémie et désolation d'après-guerre ».

Si Millenium Racer dit quelque chose à quelqu'un, dans ce cas il n'est pas impossible que ce quelqu'un, à moins d'être atteint d'asocialité aiguë, en ait parlé à l'un de ses amis, collègues de travail ou autres, lesquels ont pu aussi en parler à leurs amis, etc... Or, le bouche-à-oreille est une arme terriblement efficace dans le traçage du destin commercial d'un produit. Ce n'est pas moi qui l'affirme, Mesdames et Messieurs, c'est une référence incontestable en la matière qui l'a déclaré au bi-mensuel Playguide au mois de Février 2003 : le directeur marketing de Sony Computer France...
Ainsi, la « hype » du Web aidant, le nom de Millenium Racer se répand comme une traînée de poudre dans le monde entier. Cryo, éditeur du jeu, et empêtré dans ses déboires financiers, rassemble toutes ses forces et donne au développeur Creat Studio le feu vert pour une conversion de Millenium Racer sur Dreamcast (N.B. : la conversion était REELLEMENT prévue, elle fut effectuée en six mois par Creat Studio et était prête à être commercialisée). Le succès dépasse allègrement les prévisions les plus optimistes et fait exploser les ventes de Dreamcast. Les développeurs de jeux vidéo, inspirés par cet exemple, abandonnent leurs projets de jeux photo-réalistes et laissent libre cours à leur imagination, la norme de création portant désormais sur des univers qui soient en mesure de redonner au jeu vidéo toute son identité. Fin de la démonstration, je ne me ferai pas moi-même l'affront de vous conter ce qui s'est passé dans la réalité, puisque moult Grospixelliens l'ont fait depuis des lustres.

Conclusion : Millenium Racer ne dit rien à personne. Mais ce qui me turlupine véritablement, Mesdames et Messieurs, c'est qu'il ne méritait pas un tel sort. Pourtant, qu'étais-je en droit d'attendre de sa part, quand je l'ai découvert au hasard d'un coup d'œil dans le rayon PC occasion d'un magasin brestois de vente-achat-échange de jeux vidéos, ses seuls arguments étant un prix on ne peut plus bradé, des screenshots de qualité discutable, une édition signée Cryo et le fait qu'il traînait là depuis quelques mois ? Pas grand-chose, si ce n'est un jeu moyen voire même une daube me permettant simplement d'étendre un peu plus ma culture vidéo-ludique en matière de jeux de course. C'est vous dire la surprise que j'ai eue en lançant le jeu pour la première fois puis en m'y plongeant, aussi comprendrez-vous cet irrépressible besoin que j'ai de rendre justice à Millenium Racer de la façon la plus digne qui soit, c'est-à-dire en m'adressant par l'intermédiaire de GrosPixels à vous tous cités en début de réquisitoire (bon, OK, ils ne sont pas tous là, peut-être...).

2ème partie : bon ben c'est bien joli tout ça mais alors à quoi ça ressemble ?

Nous nous arrêterons ici pour les références aux flagrants délires judiciaires de Pierre Desproges pour nous pencher un peu plus en profondeur sur le cas de ce jeu de course futuriste qui nous démontre deux choses ; la première, c'est que trop peu de jeux vidéos sont lancés dans le commerce avec un support marketing proportionnel à leur qualité. « Ah bon ? On en apprend tous les jours, tiens ». Je comprends parfaitement ce trait d'ironie de votre part, aussi peut-être que la seconde chose vous surprendra un peu plus : Alexey Pazhitnov n'est pas le seul Russe qui sache concevoir des jeux vidéos. Alors, on la ramène moins maintenant ? Effectivement, Sergei Zhukov, en tant que game designer et chef de projet sur Millenium Racer, mérite lui aussi une réelle considération, même si sa création n'est tout de même pas aussi novatrice que Tetris. Si l'on part de ce dernier constat, pourquoi cet article ? Pour une raison toute bête que je vous livre sans aucun détour : Millenium Racer est le meilleur jeu de course futuriste auquel j'ai jamais joué, à égalité avec Pod Gold.

Le premier point sur lequel Millenium Racer inspire déjà un tant soit peu de respect concerne sa trame de fond qui sort de certains sentiers battus et rebattus, ce qui montre donc qu'il reste encore quelque chose à battre, mine de rien : pas de similitude avec les stéréotypes décris plus haut, Millenium Racer se déroulant en effet... sur le Net ! Le jeu on-line a pris d'énormes proportions au début du vingt-et-unième siècle, et un problème reste à résoudre : la saturation. De nombreux joueurs prennent les choses en main et créent des programmes permettant le transport rapide des données vitales. Ces programmes nommés de façon générique Virtual Bikes sont dirigés par les avatars de ces joueurs connus sous le nom générique lui aussi de « Y2K Fighters ». Des courses virtuelles sont alors organisées pour dénicher l'avatar le plus rapide, avec de grosses primes en ligne de mire. Vous êtes évidemment l'un des Y2K Fighters et devez vous montrer le plus rapide sur les onze circuits que compte le jeu, répartis sur quatre environnements distincts : Space Port, Virtual War, Inki et Arktantida (N.B. : la description du scénario n'est pas aussi explicite dans le jeu, j'ai moi-même fait certaines déductions à partir du texte imprimé au dos de la boîte du jeu, qui est un peu succinct).

Dans les faits, Millenium Racer ne se veut pas aussi ambitieux que ce que laisse supposer son scénario : il n'y a pas de transport de données à effectuer ni de prime à gagner. Le seul et unique nerf concret de la guerre trouvable dans le jeu est tout simplement la vitesse ; il faut donc encore et toujours rallier la ligne d'arrivée avant ses adversaires, ou à défaut en arrachant au moins un podium, condition à satisfaire obligatoirement afin de pouvoir attaquer le circuit suivant. Deux championnats (facile et professionnel) sont à effectuer, le premier comportant dix circuits (trois pistes pour Space Port, Virtual War et Inki, et une seule pour Arktantida) et le second les onze circuits du soft (idem championnat facile plus le circuit Arktantida 2). L'ordre des circuits est imposé : on court sur tous les circuits du premier monde, puis sur tous ceux du deuxième et ainsi de suite. De plus, un certain nombre de points doit être accumulé pour pouvoir passer d'un monde à l'autre, c'est-à-dire toutes les trois courses. Enfin, en plus des points attribués selon votre position en fin de course, un point bonus est attribué par tranches de cinq secondes d'avance sur le concurrent le plus proche.

Les Virtual Bikes, en plus des traditionnelles commandes d'accélération et de freinage, disposent d'une réserve de turbo de cent unités maximum, laquelle se recharge lentement dès qu'on relâche le bouton de boost. Des bonus de deux types (accélération soudaine et recharge de turbo) sont disséminés tout au long des circuits et se présentent de deux façons : soit sous la forme d'anneaux verts (accélération) ou jaunes (trente unités de turbo supplémentaires) au travers desquels il faut passer pour profiter des bonus en question, soit sous la forme de portions de piste jaunes (accélération et recharge plus rapide) appelées « surface superconducteur » au-dessus de laquelle il faut foncer pour bénéficier de leurs propriétés (voir photo ci-dessous).

Comme vous l'aurez constaté, il n'y a jusqu'ici pas de quoi casser trois pattes à un canard, je me demande d'ailleurs si on pourrait en casser ne serait-ce qu'une avec ça... Aussi, passons sans plus attendre aux deux points qui devraient vous faire passer à l'acte (bande de sauvages !!!).

Un Crazy Taxi 2 futuriste ?

Première particularité de Millenium Racer : la possibilité de sauter. Je ne parle pas de sauter à l'aide de tremplins, mais de sauter à n'importe quel moment, en appuyant sur un bouton prévu à cet effet. Rares sont les jeux de course qui le proposent (Crazy Taxi 2 et 3, Scorcher, mais aussi Bump'n Jump et Up & Down si l'on veut remonter beaucoup plus loin, merci à Atari Frog pour ces deux dernières infos).
Quand on le lit, ça n'a l'air de rien, mais l'apparente simplicité de ce principe n'a d'égal que son excellence puisque les circuits sont conçus de telle manière qu'ils exploitent à fond cette possibilité. Ainsi, l'on trouve de nombreuses plates-formes suspendues qu'il est parfois nécessaire d'atteindre pour profiter de certains bonus (la surface superconducteur en particulier) ou tout simplement pour pouvoir continuer la course. Les circuits alternent en effet passages sur route couverts, passages sur route non couverts et passages au-dessus du vide, les plates-formes suspendues devenant dans ce dernier cas un chemin obligatoire.

Le saut est donc une composante fondamentale dans Millenium Racer : il est proprement impossible de terminer un championnat sans le maîtriser. Et c'est tant mieux, car c'est clairement la principale source de fun du jeu en termes de gameplay. Récolter des bonus, couper une chicane, éviter des bosses et des trous ou tout simplement pouvoir rester sur la piste : autant de bonnes raisons d'apprivoiser le saut, d'autant plus que lorsque vous sautez au-dessus d'une surface superconducteur, vous bénéficiez de ses propriétés pendant le saut ! Il est évident que sans cette possibilité, Creat Studio nous aurait proposé un jeu de course banal dans son principe, et ce malgré la deuxième particularité de Millenium Racer : son design.

Tron Racer (enfin ça c'est Cryo qui le dit...)

Au début du mois d'Août 2003 le forum de Grospixels a fait l'objet d'une petite discussion des influences troniennes de Millenium Racer. Aux dires des fans de Tron, celles-ci semblent très limitées, seuls les personnages et les Virtual Bikes semblant faire référence au film de Steven Lisberger. Le site web officiel de CreatStudio n'en fait guère état (il faut cependant préciser que ce site est d'une extrême sobriété et ne propose que quelques lignes de commentaires pour chacun de ses jeux), aussi il est fort probable que ce soit Cryo qui dans un éclair de génie marketing (sic !) eut l'idée d'apposer la fameuse référence à l'arrière de la boîte du jeu.

Aussi je n'insisterai pas sur cette parenthèse et vais me focaliser sur le design général de Millenium Racer. Les photos parlent d'elles-mêmes ; architectures imposantes et souvent originales, formes géométriques, lignes épurées, symétries parfaites, couleurs vives, textures très inspirées : la beauté générale du design n'a d'égal que sa précision. Le tout est superbement mis en valeur par des effets de lumière, de reflet et de transparence qui montrent que la technique a vraiment été utilisée au profit de l'esthétique. Concernant les textures, je pense en particulier à celles représentant des circuits imprimés (très fréquentes dans tout le jeu) et qui sont assez similaires à ce que l'on a vu plus tard dans Skies Of Arcadia sur Dreamcast, lorsque Vyse et ses acolytes déambulent dans le Grand Temple d'Argent.

Libre à vous d'en penser ce que bon vous semble, mais l'esthétique de Millenium Racer m'a vraiment tapé dans l'œil. Personnellement, je n'avais plus connu ça depuis Pod, bien que les designs respectifs des deux jeux ne soient pas vraiment comparables : Pod mise essentiellement sur une atmosphère apocalyptique (l'aspect du ciel en particulier) tandis que Millenium Racer évoque plutôt des ambiances high-tech.

Et le reste alors ?

Que ce soit clair : Millenium Racer n'est pas un Pod-Like. Comme on vient de le voir, l'univers est assez différent, et le gameplay est plus élaboré. Les circuits sont dans l'ensemble particulièrement bien conçus (bien que Pod reste la référence absolue en la matière), proposent quelques raccourcis et autres dédoublements de voies, et nécessitent une parfaite connaissance de leurs tracés (emplacements des obstacles et des bonus en particulier) pour être maîtrisés (les circuits des mondes Inki et Arktantida sont très exigeants et demandent une forte dose de patience). Les sensations de vitesse sont très satisfaisantes et le maniement des Virtual Bikes (quatre au total) ne pose aucune difficulté. Le seul côté agaçant vient des collisions avec les autres pilotes (qui se débrouillent bien, soit dit en passant) qui ne tournent presque jamais à l'avantage du joueur. Côté son, il faut signaler la musique techno du menu signée Shazz, excellente mais malheureusement trop courte, ainsi que d'excellents bruitages avec notamment les pilotes qui se narguent entre eux lors d'un dépassement. Notons enfin une option bien marrante qui vous permet de changer le visage du profil que vous créez au début du jeu par n'importe quelle image bitmap (on peut ainsi mettre son visage par exemple).

Millenium Racer avait donc tout pour lui... à part un éditeur solide. Gageons que la santé financière de Cryo ne pouvait permettre au jeu de Creat Studio de jouir d'une vraie campagne marketing, ce qui le condamnait forcément à l'échec commercial, mais aussi à l'annulation de la version Dreamcast. Cela dit, si c'est triste en soi, cela n'est probablement pas très grave pour Creat Studio car les ventes de jeux vidéo sont loin d'être sa seule source de revenus (voir à la fin de l'article).

Conclusion

Millenium Racer est un jeu incontournable pour les amateurs de course futuriste. Aucun reproche particulier ne peut lui être fait, si ce n'est le classicisme de ses modes de jeu. Creat Studio fait là une brillante démonstration de maîtrise à tous les niveaux de réalisation d'un jeu de course arcade, ce qui force le respect quand on sait que le développement de jeux vidéos n'est pas la principale activité de cette société. Même si ce n'est pas le jeu de course du siècle, il méritait bien mieux que le triste sort auquel il était promis dès le départ.

Barbo
(07 septembre 2003)
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