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DRAGON
Une compagnie dont la carrière se résume à une machine, le Dragon 32, mais qui aurait pu jouer un rôle plus déterminant.
Par Laurent (29 octobre 2007)

La société Dragon Data n'a joué aucun rôle déterminant dans le développement des jeux vidéo sur micro-ordinateurs, et peu de développeurs célèbres se sont fait la main sur leurs machines, mais le Dragon 32 a connu un certain succès dans nos contrées et une logithèque fournie. De plus, un Dragon MSX a été commercialisé, ce qui est tout à l'honneur de cette compagnie anglaise (on ne dira jamais assez tout ce que le standard MSX a apporté), cela mérite donc une petite rétrospective.

Histoire

En 1982, un petit fabricant de jouets Britannique, Mettoy, fonde la société Dragon Data. Leur premier micro-ordinateur est le Dragon 32, censé concurrencer le Sinclair Spectrum, et qui tient pour atout majeur son CPU 6809, plus facile à programmer que la majeure partie des autres 8-bits. Le Dragon 32 est une machine très similaire au Tandy TRS-80 Color Computer (aussi connu sous le sobriquet de "Co-Co"), mais les ingénieurs de chez Dragon ont suffisamment apporté de modifications au concept de Tandy pour que cela ne se voie pas trop : port série remplacé par un port parallèle, interpréteur BASIC entièrement reprogrammé et recompilé et bios en partie reprogrammé. Ce dernier est du reste d'origine Tandy, ce qui est prouvé par les initiales DNS qui apparaissent au démarrage du Dragon 32, celles de Duncan Smith, l'auteur, qui officie chez Tandy.

Interface BASIC d'un Dragon 32.

Le Dragon 32 est équipé de 32 Ko de RAM, d'un CPU Motorola 6809 cadencé à 0.9 Mhz, et peut afficher des graphismes en 256x192 en 2 couleurs ou 128x192 en 4 couleurs sur une palette de 9. Côté son, il dispose d'un convertisseur numérique sur 6 bits, ce qui lui donne accès à une synthèse vocale d'un bon niveau. D'apparence professionnelle avec son clavier mécanique (le top dans les années 80), il ressemble plus à un Apple qu'à un Sinclair ou un Oric. Cependant, c'est un ordinateur orienté loisirs, assez polyvalent et très adapté aux débutants, notamment grâce au BASIC résident, d'origine Microsoft, très accessible et doté de nombreuses commandes graphiques comme LINE, DRAW ou CIRCLE qui permettent de tracer à l'écran des figures géométriques en bitmap sans passer par le langage machine (les PEEK et POKE de sinistre mémoire !).

Dragon 32.

À sa sortie, le Dragon 32 (vendu en France 3000F) obtient un franc succès outre-manche, profitant surtout des difficultés rencontrées par Sinclair et Acorn à fournir la demande en Spectrum et BBC. Devant les délais de livraison, beaucoup d'acheteurs se rabattent sur le nouveau venu. Néanmoins, en Octobre 1982, les finances de Mettoy sont au plus bas. Une restructuration est alors inévitable, et les actions de Dragon Data sont en partie revendues. Mettoy n'en détient plus que 15 %, le reste se partageant entre la Welsh Developement Company (23 %) et Pru-Tech (42 %). La Welsh agrandit les usines de Dragon Data, en améliore la capacité de production, et signe un partenariat avec Race Electronics pour la fabrication des composants. En 1983, 40000 Dragon 32 sont vendus, et Dragon Data devient la plus grosse entreprise privée du pays de Galles. En Mars, alors que 5000 Dragon 32 sont déjà fabriqués chaque semaine, la production est doublée en prévision des ventes d'été. Un nouvel ordinateur est mis à l'étude, utilisant un disque dur et une interface graphique utilisateur. Son prix est fixé au cahier des charges à 275£, et la société Microware est chargée de développer le système d'exploitation. Pendant ce temps, la société Premier Microsystem commercialise un lecteur de disquettes pour Dragon 32.

Dragon 64.

En Mai 1983, le Dragon 64 est annoncé (caractéristique similaires au 32 en dehors des 64 Ko de RAM, vendu en France 3600F), ainsi que la sortie d'une carte d'extension permettant de mettre à niveau le Dragon 32, vendue 250£ dans un premier temps, ce prix étant revu à la baisse peu après. Les utilisateurs de Dragon 32 se voient offrir la possibilité de transformer leur machine en Dragon 64 pour 100£.

Aux USA, des discussions commencent. Dragon Data envisage de lancer sa machine sur le continent américain, et cherche un constructeur local. Le choix sera finalement porté sur Tano Corporation, une compagnie expérimentée dans l'usage du 6809, puisqu'elle a produit peu avant un clone de l'Apple II. Les premières machines vendues aux Américains seront construites au pays de Galles en attendant la finalisation des chaînes de fabrications chez Tano. Les revendeurs se montrent très intéressés. En effet, on est alors à une époque où les leaders du marché de la micro-informatique que sont Commodore, Atari et Texas Instruments se livrent une guerre des prix sans merci. Le prix des machines baisse de jour en jour, et les marges de revendeurs sont réduites au minimum. Un nouveau venu sur le marché pourrait leur apporter plus de profits.

Brian Moore.

Le 26 Août 1983, le Dragon 64 est lancé aux USA au prix de 399$, et au Royaume Uni au prix de 225£. Le lot américain comprend en plus de l'ordinateur un manuel d'instructions amélioré, un tableur et un traitement de texte, Telewriter 64. La production démarre effectivement chez Tano en Septembre. En Novembre sort le Dragon 128, équipé de deux CPU 6809, de 128 Ko, d'un pavé numérique et du système d'exploitation multi-tâches OS9 (tout comme le 64, d'ailleurs). Le PDG de Dragon Data, Tony Clarke, démissionne au même moment, pour être remplacé par Brian Moore un exécutif de Pru-Tech, actionnaire majoritaire. Pru-Tech injecte alors 2,5 millions de livres dans la compagnie, qui, à ce stade de développement et en attente des premiers bénéfices, est en difficulté.

Un lecteur de disquettes est mis en vente par Dragon Data, au prix de 275£ pour la version simple et 475£ pour la version double (des prix très eighties !). Le lecteur comprend un interface de contrôle stockée sur des ROM, le DragonDos. En même temps, Cumana commercialise un système concurrent, vendu plus cher (300£ version simple disque), et qui obtient moins de succès malgré son système DeltaDos, jugé par les connaisseurs supérieur au DragonDos. En France, Dragon Data annonce avoir vendu 5000 Dragon 32, et pour Noël 83, 20000 unités y sont exportées. Des chiffres excellents pour l'époque. Aux États-Unis, le Dragon 128 suscite un vif intérêt, notamment au Color Computer Exposition de 1983, à Pasadena. Les développeurs, déjà habitués au Dragon 32, se montrent très actifs sur Dragon 128 aux USA, plus encore qu'en Angleterre. Dragon Data connaît alors sa période la plus faste, qui est sur le point de se terminer.

Le lecteur de disquette Dragon Data.

Fin Novembre, la Mettoy revend ses actions de la compagnie qu'elle a fondée. Les 15 % dont elle dispose ne lui suffisent pas, et Dragon Data ne devrait pas trop souffrir de cette restructuration. Pru-Tech, qui est entre temps devenu une filiale de la General Electric Company (GEC), rachète les moitié des parts de Mettoy et augmente son pourcentage d'actions à 49 %.

Après l'échec de la carte d'extension pour Dragon 32, Dragon Data propose une nouvelle offre : la reprise des Dragon 32 pour 140 £ en échange de l'achat d'un Dragon 64. L'offre ne parvient toujours pas à convaincre, à une époque où la vente de micro-ordinateurs d'occasion est encore rare. Les consommateurs n'ont pas idée du gain dérisoire qu'ils pourraient tirer de leur Dragon 32 en le vendant à un particulier, et se montrent peu intéressés par l'offre réaliste de Dragon Data.

En Février 84, l'OS9 sort, avec de longs mois de retard, ainsi qu'un manuel à usage des développeurs pour Dragon 32 et 64, intitulé Inside the Dragon, écrit par Duncan Smith, directeur technique de Dragon Data, et Ian Sommerville, professeur d'informatique à l'université de Strathcylde. La General Electric prend en main de façon plus affirmée la fabrication et la vente des produits Dragon Data. En Mai, deux nouveaux micro-ordinateurs, dont les noms de code sont Alpha et Beta sont annoncés, au prix de 700£ et 2500£. L'Alpha est à la base un Dragon 64 équipé d'un lecteur de disquette et d'un modem. Le Beta se montre totalement nouveau, et semble indiquer que la General Electric a décidé d'attaquer sérieusement le marché.

Le prototype Beta.

En Juillet 84, alors que les prototypes des nouvelles machines sont prêts, la revue Dragon User lâche une terrible nouvelle : Dragon Data serait en faillite. Les distributeurs abandonnent aussitôt le Dragon 32, qui disparaît des boutiques, ou se voit vendu à bas prix. Deux raisons à ce désastre : l'arrivée tardive du lecteur de disquette, et les problèmes de fiabilité de l'OS9. Deux repreneurs se montrent intéressés par le rachat de la compagnie. La General Electric (qui en possède déjà une partie) et Tandy. La GEC entend produire le projet Beta sous le nom de Dragon Professional, ainsi qu'un micro-ordinateur au standard MSX, que beaucoup voient encore en 1984 comme plein d'avenir. Tandy, de son côté, veut continuer à fabriquer des Dragon 32 et 64 et assurer le service après-vente auprès des nombreux utilisateurs de ces machine.

En Août, Tandy se retire, la GEC abandonne l'idée de posséder la totalité de Dragon Data, et c'est finalement la société Espagnole Eurohard (fabriquant déjà des Dragon 32 sous licence) qui rachète les parts vacantes pour 1 million de livres sterling, devenant le n°1 de la micro-informatique dans son pays. Une usine est alors construite à Extre Madura, 350 km au sud-ouest de Madrid, près de la frontière Portugaise, avec le soutien de deux compagnies du secteur public, Soviex et Ini. Le contrat passé entre la GEC et Eurohard prévoit que la GEC continue à fabriquer des machines pour le marché Britannique, qu'Eurohard s'occupe de l'Espagne et de l'Italie, et qu'une société nommé Touchmaster soit montée pour assurer le service après-vente, la distribution et la production de nouveaux équipements et logiciels pour Dragon 32 et 64. C'est dans cette société que l'on retrouve les anciens employés de Dragon Data, parmi lesquels Brian Moore, son ancien PDG.

Étiquettes de jeux Dragon 32/64 sur cassette : Donkey King et Glaxxons.

Les logiciels développés jusqu'alors pour Dragon 32 et 64 sont vendus par Touchmaster à des prix discount, ainsi qu'un premier périphérique : une palette graphique. Des Dragon 32 sont vendus au gouvernement Espagnol à destination des écoles. Les projets Alpha et Beta sont abandonnés. Pendant ce temps, aux USA, Tano arrête la production d'ordinateurs Dragon, dont la compagnie qui les a lancés à l'origine n'existe plus. La GEC en profite pour quitter définitivement le navire, et revend ses parts. Les ventes, déjà en perte de vitesse depuis longtemps, deviennent plus qu'insuffisantes. Premier Microsystems arrête la production de lecteurs de disquettes en Décembre 1984. Les ordinateurs Dragon sont sur le point de disparaître du continent Américain.

En Espagne, au contraire, c'est un succès, et Eurohard, pour faire face à la demande, achète tous les stocks de la GEC. Une société de développement logiciel, Compusense, est montée, qui prend la place de la GEC sur le marché Britannique. Des ordinateurs Dragon se vendent en Espagne, Italie, Grèce, Israël et dans les pays Scandinaves. La production de cartes d'extension Dragon pour les standards PC et MSX (qui permettrait d'utiliser la logithèque Dragon sur ces machines) est envisagée. Ainsi, en Avril 1985, les micro-ordinateurs Dragon rapportent dans l'ensemble pas mal d'argent. Compusense annonce que les prochains modèles seront, dotés de 128 Ko de RAM et tourneront sous OS9 level II, une version améliorée du système d'exploitation maison. Un chiffre de 20 000 machines vendues en Espagne avant les fêtes de Noël est fièrement arboré.

En mai 1985, le Dragon MSX apparaît, fabriqué par la compagnie Radofin, de Hong-Kong, sur commande d'Eurohard. Au même moment, le distributeur de logiciels et de périphériques le plus actif sur Dragon, Websters, abandonne le 32 et le 64. Cela signifie pour les utilisateurs une plus grande difficulté à trouver des logiciels pour leur machine. Compusense commande alors à Race Electronics de nouveaux produits pour compenser cette perte, et Radofin se met à son tour à en produire.

Le Dragon MSX.

En août, Jordi Martinez, chef du développement d'Eurohard, annonce la sortie de nouveaux modèles, les Dragon 200 et Dragon 200-E. Le Dragon 200 est identique au Dragon 64, à l'exception de la disposition du clavier (à présent adapté au marché espagnol) et le Dragon 200-E est la même machine équipée en plus d'une carte graphique 80 colonnes en mode texte. Compusense lance de son côté une carte d'extension pour Dragon 64 appelée Dragon Plus. Alors que tout semble aller pour le mieux, en octobre, le magazine Dragon User publie un article qui prétend qu'Eurohard a fermé toutes ses usines en Espagne. En fait, la compagnie, qui produit énormément de machines (37 000 entre Novembre 1984 et Octobre 85), les vend aux plus bas prix possibles. 20 000 ont même été cédés gratuitement pour équiper les écoles. Le président d'Eurohard, Eduardo Merigo, démissionne. D'octobre 1985 à mars 1987, tous les distributeurs ayant signé des contrats pour vendre des Dragon se débarrassent de leurs stocks aux plus bas prix. À Barcelone, un magasin en offre même gratuitement pour l'achat d'autres machines.

1988 est l'année fatale pour les possesseurs de Dragon. Microdeal, dernier développeur en activité sur ces systèmes, arrête de vendre des logiciels Dragon et se lance dans les micros ordinateurs 16-bits. Le Dragon MSX, quant à lui, n'aura pas particulièrement brillé par ses ventes.

Les jeux

John Symes, patron de Microdeal, développeur de jeux très actif sur Dragon 32 et 64.

Côté jeux, le Dragon 32 et le 64 profitent d'une partie de la ludothèque du Tandy TRS-80 dont ils peuvent lire les cartouches (mais pas les cassettes).

Boîtiers cassette de Manic Miner (standard des 8-bits Britanniques avec Jet Set Willy des mêmes auteurs) et Planet Invasion.

On est alors à l'époque où les posesseurs de licence de jeux d'arcade commencent à traiter des contrats d'exclusivité et n'hésitent pas à attaquer quiconque viendrait marcher sur leurs plates-bandes. Aussi, beaucoup de clones de ces jeux, avec des titres à peine modifiés, sont développés sur micro. Le Dragon 32 n'échappe pas à la règle, avec des titres comme Donkey King, ou Glaxxon (qui est en fait un clone de Phoenix !), mais sa ludothèque se pare tout de même de titres originaux, adaptés du Spectrum, comme Manic Miner, Jet Set Willy, Knyght Time, Huchback, autant de jeux que les possesseurs de 8-bits ont certainement pratiqué à l'époque. Microdeal est incontestablement le leader du jeu sur Dragon, à tel point que la survie de ces machines s'est avérée dépendre en partie de son soutien.

Quelques uns des jeux Dragon 32/64 les plus célèbres :

Chuckie Egg
Buzz Bait
Castles
Time Bandit
Ugh!
Donkey King
Zaxxon
Hungry Horace
Manic Miner
Jet Set Willy
Hunchback
Trooper
Bonka
Frogger
Back Track

Pour finir, voici une publicité de la GEC pour le Dragon 64 qui date de l'époque la plus faste de Dragon Data. On peut y voir tous les espoirs que suscite la micro-informatique des années 80, et les arguments utilisés pour vendre des machines alors très coûteuses et à l'avenir commercial incertain.

Cliquez sur l'image pour une version plus grande.

L'émulation

Les ordinateurs Dragon peuvent être émulés par l'inévitable MESS. En outre, il existe un émulateur spécifique Dragon 32/64 développé par Paul Burgin, le plus vif défenseur de la mémoire de Dragon Data du net. Vous le trouverez sur la page suivante : http://mudhole.spodnet.uk.com/~dragon/emulator.php

Laurent
(29 octobre 2007)