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Thanatos
Année : 1986
Système : Amstrad CPC, C64, ZX Spectrum
Développeur : Durell Software
Éditeur : Durell Software
Genre : Action
Par Simbabbad (27 décembre 2022)

Qu'on l'aime, qu'on le déteste, qu'il nous indiffère ou qu'on ignore son existence, Shadow of the Beast sorti en 1989 sur Amiga aura su s'imposer dans l'histoire du jeu vidéo, jusqu'à avoir bénéficié d'un remake sur PlayStation 4 en 2016. On pourrait pourtant reprocher beaucoup de choses au jeu, simple démo technique sur laquelle a été greffé le gameplay de Kung-Fu Master en plus rigide, avec une épaisse couche de Dragon's Lair par-dessus. Moi-même, qui ai gagné le jeu à la régulière (!) adolescent, je n'en garde pas une très haute opinion en tant que jeu, mon acharnement tenant plus à mes troubles compulsifs d'alors qu'aux qualités ludiques du titre phare de Psygnosis...

La postérité est parfois injuste – en 1986, trois années avant la sortie de Shadow of the Beast, sortait sur ZX Spectrum un jeu qui présentait toutes les qualités du jeu Amiga sans la plupart de ses défauts, avec de surcroît certaines innovations audacieuses tant sur le plan ludique qu'immersif : je veux parler de Thanatos de Durell Software, qui est malheureusement beaucoup moins resté dans les mémoires en dépit d'un certain succès rencontré sur les ordinateurs 8-bit.

La belle chevauchant la bête.

Thanatos a de nombreux points communs avec Shadow of the Beast : c'est en premier lieu une incroyable prouesse technique, mise au service d'un sens artistique impressionnant, qui lui-même ébauche un univers à la fois cohérent, mystérieux et envoûtant dans lequel on a plaisir à évoluer, chose encore assez rare à l'époque. C'est aussi un jeu assez sombre, qui nous propose de jouer un monstre effrayant, chose également plutôt inhabituelle dans le contexte d'alors. Enfin, il faut bien le reconnaître, le gameplay de chacun des deux jeux n'est pas forcément exaltant ; mais sur ce point comme le précédent, j'espère réussir à vous convaincre que Thanatos s'en sort plutôt mieux que son concurrent sur Amiga...

Que raconte Thanatos ? Vous l'aurez compris en regardant les captures d'écran, on y joue un dragon, mais pas un gentil dragon façon Spyro the Dragon, plutôt une bête immense et redoutable qui ressemble beaucoup aux représentations traditionnelles du Moyen Âge. Dans Shadow of the Beast aussi on joue un monstre, mais ça n'a pas vraiment d'impact sur le gameplay du jeu : la bête en question y affronte d'autres monstres à coups de poing et de pied, elle collecte des clefs pour ouvrir des portes, manipule des armes pour se défendre et active ou désactive des mécanismes, tout ça dans un but assez nébuleux – bref, c'est dans les faits un héros totalement générique que l'on pourrait remplacer par un barbare à la Conan sans que ça change grand-chose.

Dans Thanatos, notre dragon n'est pas remplaçable par autre chose : la créature est énorme, prenant près de la moitié de l'écran lorsqu'elle y est présente de la tête à la queue, et se comporte comme un véritable dragon – on peut voler, cracher du feu, et saisir des objets dans nos serres, dont des êtres humains qui ont la taille de nos pattes, que l'on pourra ensuite envoyer s'écraser au sol. Car on ne se contente pas ici d'affronter des monstres, même si l'on aura affaire à des araignées géantes, des serpents de mer ou même un autre dragon (à deux têtes s'il vous plaît) : les antagonistes principaux de notre aventure seront bel et bien humains...

Thanatos arrive au-dessus d'un village et est mal accueilli.

Thanatos le dragon (c'est son nom, celui du dieu de la Mort dans la mythologie grecque) a en effet un but bien précis (lui) : sauver d'urgence sa maîtresse, une sorcière détenue dans un château et en danger de finir au bûcher. Le plan de Thanatos est simple, du genre qu'un dragon peut élaborer : voler tout droit jusqu'au château en répandant au passage la terreur et la mort dans les villages rencontrés, réduire en cendre la grande porte du château à l'aide de son souffle enflammé, puis investir les lieux pour chercher sa maîtresse en exterminant si nécessaire toute opposition ; puis une fois celle-ci trouvée (cf. la jeune femme à cheveux longs agitant les bras sur la capture d'écran ci-dessous – on remarquera au passage l'homme prisonnier des griffes de Thanatos), atterrir auprès d'elle pour qu'elle puisse rejoindre le dragon et monter à son cou pour le chevaucher, après quoi notre duo pourra filer avant d'être criblé de lances, de flèches et de cailloux.

Mais les choses ne s'arrêteront cependant pas là : une sorcière n'est rien sans son livre de magie ni son chaudron, et les hommes ayant séquestré notre maîtresse ont eu la présence d'esprit d'enfermer chacun des trois dans un château différent. Il nous faudra donc récupérer le livre et le chaudron pour que notre sorcière retrouve tous ses pouvoirs et puisse exercer sa vengeance, et entre chaque château, on devra affronter de nombreux dangers : survoler des bras de mers où nagent d'énormes bêtes, se risquer dans d'épouvantables grottes risquant de s'effondrer ou grouillant d'araignées géantes, être harcelé par diverses créatures volantes, et bien sûr, affronter les hommes ainsi que les êtres qu'ils auront pu dresser à leur service. En route, Thanatos pourra aussi se faire plaisir en dévorant des vierges attachées à des poteaux en sacrifice, moyen pour les hommes d'essayer de l'amadouer mais aussi de lui tendre un piège, puisque les vierges en question seront chacune défendues par un preux chevalier chevauchant fièrement avec une grande lance et une armure étincelante.

La première étape, sauver notre maîtresse, est presque accomplie.

Tout cela, et notamment le carnage que notre dragon peut occasionner, est ce que l'on constate de facto en jouant : le manuel de Thanatos essaye de dissimuler assez pitoyablement ce dont le jeu devrait pourtant être fier, à savoir son adaptation fidèle des actions d'un dragon, en bredouillant quelque chose sur une gentille enchanteresse nommée Eros (!) qui combattrait les forces des ténèbres avec son dragon, alors que les jeunes femmes que l'on dévore seraient quant à elles de vraies sorcières, mais personne n'est dupe – je ne sais pas vous, mais je n'ai jamais entendu parler de sorcières sacrifiées à des dragons ou qui seraient protégées par des chevaliers ; et une femme qui utilise un livre de magie et un chaudron pour lancer des sorts tout en étant secondée par un dragon apprivoisé portant le nom du dieu de la Mort (de son nom complet "Thanatos the Destroyer", façon "Conan the Destroyer" sorti deux ans plus tôt au cinéma), c'est pour moi une sorcière ! On sent que le service marketing de Durell Software ne voulait pas braquer les parents de petits possesseurs de ZX Spectrum ("mais si maman, je t'assure, on joue bien les gentils") !

Pour information, Thanatos propose (étonnamment) un score, bien visible sur les captures d'écran : tuer un homme en le brûlant ou en le saisissant dans ses serres rapporte 20 points, mais le tuer en l'écrasant avec une pierre préalablement ramassée ou en lâchant un autre homme sur lui rapporte le double, 40 points ; et exterminer entièrement une vague complète d'ennemis au lieu de les ignorer rapporte un énorme bonus – on joue ici indiscutablement les méchants, à la Rampage, et c'est très bien ainsi.

En pratique, on dirige Thanatos comme souvent sur micro-ordinateur de l'époque, avec quatre directions et un bouton aux diverses fonctions, et les contrôles rappellent un peu ceux d'un vaisseau spatial à la Defender.

Un des passages les plus stressants du jeu !

Ainsi, aller dans la direction dans laquelle regarde Thanatos augmente sa vitesse, alors qu'aller dans le sens inverse la diminue, et aller en haut et en bas change l'altitude. On sent le poids et la vélocité de l'animal : il est nécessaire de courir avant de décoller, et quand on va plus lentement ou que l'on est chargé, on doit compenser la gravité, ce que l'on n'a pas à faire lorsqu'on vole plus vite. Le scrolling du jeu s'adapte à notre cadence de vol, et plus on va vite, plus Thanatos est décalé à l'écran vers l'arrière afin que l'on puisse bien voir ce qui arrive devant nous (l'action se passe entièrement dans la même bande horizontale). Tout en transcrivant la masse et donc l'inertie de la bête dans les contrôles, le jeu reste très réactif.

Appuyer longuement sur le bouton d'action permet de cracher du feu : aller en haut ou en bas cesse alors d'ajuster notre altitude, nous faisant à la place tourner la nuque de Thanatos afin de viser au-dessus ou en-dessous de lui. On attrape un objet dans nos serres simplement en ajustant nos pattes sur lui, on le lâche ensuite à la pression du bouton. On peut effectuer un demi-tour en freinant tout en appuyant sur le bouton, ce qui donne lieu à une animation spectaculaire de Thanatos se tournant à 180° en nous faisant brièvement face.

L'animation du dragon est magnifique, composée de plusieurs sprites pour diverses parties de son corps : alors que l'on joue, sa queue se tortille, ses pattes se contractent ou se détendent, sa nuque oscille, sa gueule s'ouvre et se ferme en laissant passer sa langue fourchue qui se faufile entre ses dents – il donne une étonnante impression de vie autonome. Lorsqu'on vole ou on marche, ses barbillons (appendices qui pendent sous sa tête, comme ceux d'un coq) se balancent et s'inclinent avec la vitesse, comme la chevelure de la sorcière sur notre dos flotte au gré du vent.

Des sections marines visuellement très spectaculaires.

Aucun personnage de Shadow of the Beast n'est aussi bien animé ni ne paraît aussi vivant, il faut le souligner, alors que l'on est bien sûr ici sur une machine beaucoup moins puissante. Le style graphique est fin et réaliste, rappelant la gravure sur bois : quand Thanatos survole des bras de mer où naviguent des galères et où d'énormes serpents surgissent soudain de la surface pour nous attaquer, avec leurs anneaux qui sortent de l'eau (et que l'on peut saisir entre nos griffes), leur queue qui éclabousse, et le reflet de la lune qui scintille avec le mouvement des vagues, on se croirait dans du Gustave Doré !

Le jeu multiplie les détails et les effets impressionnants : le scrolling est différentiel, avec des plans distincts qui vont à différentes vitesses pour traduire la profondeur du paysage ; lorsqu'on arrive aux bras de mer, la ligne de berge respecte parfaitement le point de fuite, même chose pour le mur d'enceinte des châteaux qui est comme rendu en 3D malgré de grandes tours en bitmap, même chose encore pour des chemins se perdant au loin ou menant à certains bâtiments... on peut aussi apercevoir en arrière-plan des flammes rouges cataclysmiques crachées par des volcans en éruption... peu de jeux ZX Spectrum sont aussi spectaculaires.

Sur le plan ludique, le jeu sait aussi faire preuve d'audace : comme on peut le constater sur les captures d'écran, il n'y a pas ici de compteur de vies ni de barre d'énergie, juste un gros cœur plus ou moins foncé. En fait, Thanatos le Destructeur peut récupérer de n'importe quelle blessure, mais c'est un vieux dragon, et son cœur est fatigué : le gros cœur que l'on voit en bas à gauche indique son rythme cardiaque, il bat avec un effet sonore régulier et indique sa santé, s'il bat trop vite alors que l'on prend des coups et que l'on tarde à se mettre à l'abri pour lui permettre de se calmer et ralentir, le cœur s'arrête brutalement et c'est le Game Over.

L'effet 3D des murs d'enceinte est aussi étonnant qu'intimidant.

On associe souvent l'apparition de la guérison automatique dans le jeu vidéo (ou auto-heal) aux jeux de tir à la première personne sur Xbox 360 ou PS3, mais en voici donc un exemple en 1986 sur ZX Spectrum, où elle a plus de sens chez un dragon escortant une sorcière que dans un FPS où l'on guérit d'une rafale de mitraillette en se reposant quelques instants derrière une caisse !

Mais l'audace ne s'arrête pas là – nos battements de cœur indiquent aussi notre endurance en plus de notre santé : voler à pleine vitesse accélère notre rythme cardiaque, donc si l'on va au plus vite afin d'écourter notre rencontre avec tel ou tel ennemi occupant telle ou telle zone, on court le risque de s'épuiser et se rendre plus vulnérable ; mais en allant moins vite, on s'exposera davantage aux coups ennemis, qui peuvent eux aussi nous épuiser... dilemme !

En plus de cela, il y a notre maîtresse : elle tient normalement très bien sur Thanatos, mais un demi-tour trop brusque peut la faire chuter, et il faudra alors la récupérer au plus vite. Plus grave, les araignées géantes que vous avez pu voir sur une capture d'écran plus haut cherchent à la déstabiliser, il suffit qu'elles effleurent notre dragon pour que la sorcière tombe, et il y aura alors urgence : des araignées vont aussitôt atterrir pour la dévorer ! Détail cruel : dans l'empressement et la panique, si on touche notre maîtresse avec nos pattes alors que l'on cherche à se poser près d'elle, on la capturera dans nos griffes par réflexe, et il n'y aura alors aucun moyen de ne pas la tuer, c'est le Game Over...

Pour encore compliquer les choses, il y a la gestion du feu : celui-ci n'est pas illimité, il consomme un récipient symbolique situé en bas à droite. Vous vous souvenez des vierges ? Thanatos ne les mange pas juste par plaisir, elles rechargent son "carburant" !

Un archétype très efficacement transposé en gameplay.

Les vierges et les chevaliers qui les protègent n'apparaissent en effet que lorsque Thanatos est à court de flammes, ce qui arrive généralement aux portes des châteaux (brûler les portes consomme beaucoup de "carburant"). On doit alors faire demi-tour pour trouver la vierge attachée, et prendre garde au chevalier, qui survient uniquement lorsqu'on se pose – il faut alors décoller très vite pour éviter sa lance qui fait énormément de dégâts, puis suivre le chevalier et le saisir entre nos griffes (on peut même attraper le cheval) ! Une fois débarrassé de toute menace, on pourra dévorer la malheureuse et retrouver le feu sacré !

Cette limite impose une autre contrainte : brûler systématiquement certains ennemis rencontrés (les araignées, par exemple) est beaucoup plus sûr que simplement les esquiver, mais se retrouver à court de flammes nous mettra en danger, et nous imposera donc de chercher une vierge puis se confronter au chevalier. Plusieurs stratégies de jeu sont ainsi possibles, chacune présentant ses propres risques, avantages et inconvénients, à ajuster selon la difficulté que l'on aura préalablement choisie...

En effet, un défaut majeur de Shadow of the Beast était sa difficulté absurde, mais ce n'est pas le cas ici : on est libre de choisir nous-même la difficulté de notre partie, réglable de 1 à 8 ! L'option la plus facile escamote certaines sortes d'ennemis (des nuées d'oiseaux hostiles, et les panthères apprivoisées qui gardent la porte de certains châteaux n'apparaîtront alors qu'à la toute fin), le level design est allégé, et l'option diminue notablement la quantité d'ennemis à l'écran, la fragilité de notre cœur, et la volatilité de notre "carburant" (au niveau le plus ardu, nos flammes s'épuisent tellement vite que l'on doit multiplier les allers-retours laborieux pour se goinfrer de vierges). À ce niveau, gagner est très accessible, il suffira d'à peu près une demi-heure pourvu que l'on ait bien compris comment appréhender chaque obstacle.

Un duel titanesque pour une machine 8-bit.

Dans Thanatos, les menaces venant du sol alors que l'on est en l'air, comme les humains ou les serpents de mer, sont facilement esquivables quel que soit le niveau de difficulté : il suffit de se caler tout en haut en volant sans se surmener, et on restera presque totalement hors d'atteinte, il n'y aura qu'à profiter du paysage ! À l'inverse, dans les grottes sur le point de s'effondrer, il faudra voler le plus bas possible tout en allant là encore vite sans se surmener, en se posant de temps en temps si nécessaire.

Les ennemis volants sont ceux qui exigent le plus d'adresse : on doit soigneusement zigzaguer pour ne pas se faire piquer par les essaims de bourdons géants, parfois décélérer brusquement voire atterrir ou faire soudain demi-tour pour les semer (attention à ne pas faire tomber sa maîtresse), et si nécessaire cracher quelques flammes aux moments opportuns. La même stratégie s'applique aux nuées d'oiseaux, en tenant compte de leur façon de monter avant d'attaquer en plongeant, c'est le signe qu'il faut changer sa vitesse et perdre de l'altitude d'un coup pour qu'ils nous ratent. Combattre le dragon à deux têtes requiert le même type de finesse : il essaie de se caler sur notre altitude, il faut décrocher en ralentissant au bon moment, puis brûler son estomac. Le dragon à deux têtes nous pourchasse jusqu'à la mort alors que tous les autres ennemis ont disparu, sans doute intimidés par ce duel titanesque : arriver à court de flammes ne fera alors pas apparaître de vierge (!), mais on peut continuer de se battre en saisissant des rochers dans ses serres pour les faire tomber sur notre adversaire !

Les araignées géantes ne volent pas, mais elles essaient malgré tout de se placer devant nous au bout de leur fil pour faire tomber notre maîtresse, il faudra donc voler en sinusoïde pour les éviter : comme on l'a dit, si on ne supporte pas l'énorme stress que cela représente, on pourra plutôt utiliser notre souffle enflammé.

Les nuées d'oiseaux apparaissent aux niveaux plus difficiles.

Enfin, les panthères apprivoisées, comme les chevaliers, ont le devoir de protéger quelque chose, ici la porte de certains châteaux, et elles surgissent donc dès que l'on atterrit à proximité : ainsi, il faudra décoller juste après s'être posé pour éviter leurs attaques bondissantes, et les brûler ou les attraper dans nos griffes aussitôt, l'une après l'autre (elles attaquent à plusieurs) !

On le voit, même si Thanatos est un jeu assez lent, avec des temps morts parfois longuets, il offre un gameplay autrement plus intéressant, riche et excitant que "j'avance et j'appuie sur le bouton au bon moment, et j'ai bien appris le chemin et tous les pièges par cœur" comme c'est le cas dans Shadow of the Beast, preuve que même sur les micro-ordinateurs des années 1980, il était possible de proposer une expérience visuelle et immersive avec d'énormes sprites animés qui ne sacrifie pas totalement le gameplay... Mais le ZX Spectrum n'est pas l'Amiga : en 1986, les micro-ordinateurs 16-bit étaient déjà sur le marché et dans toutes les têtes, et la prouesse technique de Thanatos était donc déjà comparée à eux... alors que Shadow of the Beast a réalisé le stupéfiant exploit de sortir au début du succès de l'Amiga 500, d'alors impressionner tout le monde, et de n'avoir jamais été détrôné ensuite, de toute la vie de la machine. Par la suite, il y a eu les consoles 16-bit, mais Shadow of the Beast n'a jamais été écrasé comparé à elles, puis on est passé à la 3D, le souvenir de l'émerveillement proposé par le jeu s'est donc maintenu, alors que celui offert par Thanatos s'est étiolé...

Thanatos n'est pas la seule audace technique et conceptuelle de Durell Software, la compagnie a notamment sorti le surprenant Turbo Esprit la même année, où l'on pouvait conduire une voiture en toute liberté dans une ville rendue en pseudo 3D, avec sa circulation, ses passants, et ses feux de signalisation !

Durell, l'ambition de ne pas se laisser limiter par son hardware.

On peut aussi citer le célèbre Saboteur II (1987) et sa musique légendaire (de Rob Hubbard, vous pouvez en écouter un Gromix en cliquant ici), qui proposait différentes missions dans une aire de jeu immense ; Combat Lynx (1984), un jeu extraordinairement complexe où l'on pilotait un hélicoptère dans un décor en pleine 3D ; et le classique Scuba Dive (1983), où l'on pouvait explorer librement les fonds sous-marins : les jeux signés Durell Software cherchaient toujours à repousser les limites technologiques et ludiques du ZX Spectrum.

Pour ma part, j'ai découvert Thanatos sur Amstrad CPC adolescent, et il faisait partie de mes jeux préférés : son scoring n'avait aucun intérêt (on peut "farmer" en boucle la même zone pour augmenter son score à l'infini), mais sur un plan immersif, c'était une expérience exceptionnelle – jouer un dragon et combattre les humains, le duo avec la sorcière, la finesse des contrôles en vol et la gestion du feu, la guérison automatique et l'endurance à surveiller qui bouleversaient la façon de jouer, et bien entendu l'incroyable réalisation et le fait tout simple qu'il s'agissait d'un jeu au défi intéressant, juste, équilibré et raisonnable (chose alors rarissime sur ordinateurs 8-bit), tout cela m'y faisait revenir encore et encore. Il faut aussi mentionner la musique du menu par Julian Breeze, qui était particulièrement envoûtante sur ZX Spectrum 128K et Amstrad CPC. Shadow of the Beast a certes présenté un univers bien plus sophistiqué sur Amiga, mais qui était beaucoup moins plausible, ouvert et naturel que l'univers de Thanatos sur mon Amstrad. Et à propos de la version CPC...

Les conversions

Thanatos a été porté sur les deux micro-ordinateurs 8-bit concurrents du ZX Spectrum, l'Amstrad CPC et le Commodore 64.

Une version Amstrad CPC fidèle mais plus lente et un peu triste.

Comme c'était souvent le cas à l'époque pour les conversions de jeux ZX Spectrum, la version Amstrad CPC est très proche de l'originale en plus lent et avec quelques couleurs en moins (l'aire de jeu est uniquement composée de noir, bleu sombre, bleu marine, cyan et vert, il n'y a plus de jaune, de rose, de rouge ou de blanc) – mais sans colour clash.

Le colour clash, comme chacun sait, vient des contraintes graphiques du ZX Spectrum : il est impossible d'y afficher plus de deux couleurs par bloc de huit pixels de côté quadrillant l'écran – ainsi, lorsqu'on crache du feu rose sur une araignée cyan sur fond noir comme montré plus haut, le rose des flammes "bave" sur le cyan de l'araignée à l'intérieur des blocs. Vous pouvez également voir sur les captures d'écran le cyan du chevalier "baver" sur le vert de l'église derrière lui, etc. Cette contrainte est la pierre angulaire, l'alpha et l'oméga de l'art graphique sur ZX Spectrum : comment le dissimuler ou en tirer parti ? Dans Thanatos sur ZX Spectrum, on ne le remarque pas beaucoup : il y a certes des couleurs qui bavent ou de gros blocs noirs qui encadrent certains sprites quand ils passent devant d'autres éléments, mais ça passe inaperçu durant l'action.

Sur Amstrad CPC, il n'y a pas de problème : une des scènes où le colour clash se voyait le plus sur l'ordinateur de Sinclair arrivait lorsque Thanatos passait devant le mur d'enceinte rouge des châteaux, le dragon était alors entouré de rectangles noirs, mais ce n'est pas le cas ici, comme on peut le voir ci-dessus. Est-ce que cela compense la lenteur et les couleurs moins nombreuses, plus tristes et plus froides de la version CPC ? À vous de voir, mais j'ai personnellement définitivement adopté la version originale.

Une version Commodore 64 indigne de son support.

La version Commodore 64 (ci-dessus) est en revanche un désastre indiscutable, une catastrophe industrielle. Le style graphique a été modifié sans aucune cohérence, avec un dragon grossièrement pixelisé mais des humains toujours stylisés en ombre chinoise. Le ratio d'affichage, les proportions, l'effet de perspective, l'impression de voir une gravure, la lisibilité (on ne comprend même pas ce que sont certains sprites à l'écran), les raccords (quand Thanatos se pose, on dirait qu'il flotte au-dessus du sol), rien de ce qui faisait la qualité du jeu original n'est transcrit correctement, le ratage est absolu.

Globalement, mieux vaut donc découvrir ou rejouer à ce jeu étonnant sur son système d'origine, là où il est le plus amusant et où, surtout, il a le plus de pertinence et de sens historique... il en vaut la peine.

Simbabbad
(27 décembre 2022)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Cet article a été publié initialement sur le blog de Simbabbad, à cette adresse.
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