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Landstalker
Année : 1992
Système : Megadrive
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Aventure / Action / Réflexion
Par Lyle (06 août 2012)

"Le Zelda de la Megadrive" pouvait-on lire dans la presse de l'époque à la sortie de Landstalker. D'autres Zeldas "maison" apparurent les années suivantes : Story of Thor, Soleil ou encore Light Crusader. Mais aucun d'eux, malgré leurs qualités respectives, ne parvint à égaler ce petit chef-d'œuvre de Climax. Une aventure mémorable, enjouée et captivante qui mêle nouveautés et jeux sur les conventions du genre.

Le "Landstalker", c'est ce petit elfe nommé R/Lyle (ou Nigel dans la version américaine), chasseur de trésors de son état. Au retour d'une quête fructueuse, il fait la rencontre de Friday, une petite succube pourchassée par des brigands stupides dont la présence tout au long du jeu est prétexte à un leitmotiv humoristique fort réussi. Friday est poursuivie, dit-elle, car elle a vu les trésors du roi Nole. Il n'en faut pas plus pour que Lyle se mette en campagne, et pour que l'aventure commence.

Dans ses grandes lignes, Landstalker emprunte tout à Zelda, hormis sa représentation qui est ici en 3D isométrique. Représentation assez populaire à l'époque des ordinateurs 8 bits, puis tombée en quasi-désuétude à l'arrivée des consoles 16-bits. Pourtant le choix des programmeurs est intelligent car Landstalker s’inspire habilement des jeux de plates-formes et tire partie des limites autant que des possibilités offertes par cette perspective. Ainsi, les angles "invisibles" qu'implique la 3D iso tiennent souvent lieux de cachettes pour passages secrets et autres objets cachés.

L'aspect plates-formes, loin d'être un bonus, est à la base de la jouabilité. Mieux vaut dès le début accepter l'idée qu'on sera moins à l'aise dans cet environnement que dans une 2D "aérienne". Car le relief des paysages et surtout des donjons ne pardonne pas : il faut tâter le terrain pour le connaître puisque la perspective peut mentir. Dans les niveaux avancés, déterminer la position d'un lopin de terre à atteindre tient parfois plus de la devinette que de l'observation. Il faut alors se lancer, avec le risque de chuter de plusieurs étages. Pires encore sont les passages, fort heureusement relativement isolés, dans lesquels est requis un timing particulièrement serré. Un interrupteur actionné ne laisse apparaître des plates-formes à franchir ou une porte entrouverte qu'une poignée de secondes. Il faut donc être agile et rapide. On surmonte l'épreuve après une vingtaine de tentatives infructueuses, partagé entre rage et persévérance. La difficulté vient donc surtout des séquences de plates-formes, les combats étant facilités par la vigilance de Friday qui ressuscite Lyle autant de fois que sa provision d'EkeEkes, l'aliment de soin local, le lui permet.

Landstalker repose bien entendu sur l'acquisition d'objets et d'équipement, mais d'une manière toutefois moins rigoureuse que dans un Zelda. Beaucoup d'objets facilitent la progression tout en restant facultatifs. Les épées permettent la pratique d'une magie offensive de plus en plus efficace, les bottes permettent entre autre de marcher sur des surfaces autrement impraticables et les bagues améliorent la puissance de Lyle ou le protègent des états anormaux. Autre bonne idée, une pierre d'oracle indique le pourcentage de jeu visité et on se surprend bien vite à tenter d'atteindre les 100% par pure satisfaction.

Les premières heures de l'aventure sont assez convenues, avec un schéma village/donjon/trésor qu'on pourra trouver des plus galvaudés aujourd'hui. Mais Landstalker n'est pas un sous-Zelda. Arrivée à Mercator, la "mégapole" du jeu, les situations originales et les passages d'anthologie se succèdent et finissent par démontrer l'exceptionnelle conception dont le jeu à fait l'objet. Les séquences du château et de la crypte de Mercator, du labyrinthe vert et de la tour de Mir justifient à elles seules qu'on se plonge dans l'aventure. Difficile d'en raconter plus sans gâcher le plaisir de la découverte...

Marre de suivre l'intrigue ? Vous avez alors tout le loisir de vous essayer à des jeux d'adresse ou de hasard, ou de compléter les sous-aventures disponibles. À la clé une récompense vous attendra à chaque fois. Il y a toujours un objet ou nouvel équipement pour vous inciter à fouiller l'île de fond en comble, et chaque donjon terminé fait avancer l'histoire et permet l'accès à un territoire toujours plus étendu. On connait cette mécanique. Elle est utilisée dans tous les jeux d'action/aventure. Elle a pourtant rarement été aussi bien exécutée que dans Landstalker. L'équilibre exploration / action / réflexion / plates-formes / histoire est tout simplement un modèle du genre.

Comme dans tous les jeux du genre, les programmeurs sont partis de Dungeon & Dragons. Le bestiaire ne surprend guère avec son lot d'amibes, d'orques, d'hommes-serpents ou de golems. Le tronc commun des décors est un mélange de lacs, de marais, de forêts, de montagnes et de souterrains. Mais c'est le traitement de ce cadre si rebattu qui donne à Landstalker une saveur si particulière. Le médiéval-fantastique de chez Climax est à la fois grossier, naïf et attachant. D'ailleurs cette ambiance unique, dont seuls des Japonais sont capables, se retrouve telle quelle dans les Shining Force sur Megadrive.

La qualité des graphismes varie en fonction des lieux. Dépouillés, voire schématiques dans les décors extérieurs, ils dénotent une attention toute particulière au détail domestique dans les maisons ou dans le château de Mercator, et gagnent alors en finesse. Rien ne fait plus plaisir dans un RPG que de constater que les concepteurs se sont employés à ajouter des éléments graphiques simplement pour renforcer la cohérence de l'univers. En se promenant dans les cuisines du château, on peut voir le chef s'activer sur ses fourneaux. Pendant un banquet, on entend un musicien interpréter une de ses œuvres au clavier. De telles choses, qui nuiraient au gameplay dans un jeu d'aujourd'hui, coulent de source dans Landstalker. Et le monde en devient finalement encore plus vivant, parfois plus que dans un Zelda.

Les musiques ne sont pas en reste. Tous les thèmes sont travaillés et justement inspirés. Certains, tout en étant de qualité, sont prévisibles (donjons, villages, plaines). D'autres sont moins impersonnels, comme la mélodie au clavier du musicien Ludwig, le "blues" des brigands comiques ou le thème du dernier donjon. Il est d'ailleurs regrettable que ces musiques n'aient pas fait l'objet, comme pour Shining Force 2, d'un réarrangement orchestral dont elles auraient largement été dignes. Minime incident de parcours, les sons ont en revanche été bâclés et certains n'ont aucun rapport avec les actions auxquelles ils sont associés, ce qui heureusement n'entrave en rien le plaisir de jeu.

Le scénario, que le genre voudrait pourtant accessoire, s'offre même le luxe de quelques rebondissements dont l'impact sur la quête de Lyle est bien réel. Ça n'a l'air de rien, mais cela crée une dynamique bien plus motivante que dans une histoire prévisible. Les personnages que rencontre Lyle sont intéressants parce que leur comportement évolue au gré de l'intrigue. Et puis il y a l'humour. Les brigands, en compétition avec Lyle pour le trésor, accumulent les gaffes. Friday est une succube particulièrement susceptible et veille sur la conduite morale de Lyle autant que sur ces points de vie. Et les répliques déplacées de la capricieuse princesse de Maple sont parfois hilarantes.

Landstalker est riche, par sa profusion d'objets, ses sous-aventures, sa taille ou son minimum syndical de mini-jeux. Comptez entre 20 et 25 heures pour en voir le bout. Cela peut paraître léger, mais à cette époque l'intérêt d'un bon jeu était permanent, et non intermittent. Et puis on peut tout de même être sérieusement ralenti par la taille, la complexité et certaines énigmes particulièrement tordues des derniers donjons. Quoi qu'il en soit, on finit l'aventure satisfait et "rassasié", et c'est bien là l'essentiel.

Enfin qu'on se le dise, Landstalker n'a pas à rougir de la comparaison avec Zelda, bien qu'il lui soit largement redevable. De toutes façons, aucun jeu n'a jamais rivalisé avec la perfection formelle de Zelda. Comme il a été dit précédemment, Landstalker à ses propres qualités, et fait partie de ces titres qui ont fait de la Megadrive ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire une formidable machine à souvenirs. Un de ces jeux qui ont à eux seuls défini l'identité de la 16-bits de Sega, à ranger aux côtés des Sonic, Thunder Force, Phantasy Star, Street of Rage, Shining Force et autres Gunstar Heroes.

Compte tenu, en outre, du fait que l'action/aventure est un genre largement sous-représenté comparé au RPG traditionnel, il serait vraiment dommage de bouder Landstalker. Gens fait parfaitement tourner la rom. Avis aux amateurs, qui préfèreront la version américaine, la traduction française laissant quelque peu à désirer.

Morceaux Choisis

Les paragraphes suivants décrivent et commentent quelques-uns des moments les plus marquants de Landstalker. Le joueur qui préfère découvrir l'ensemble de l'aventure résistera donc à la tentation de les lire.

Chez Mme Yard

En arrivant à Mercator, une maison attire d'emblée l'attention, un établissement appelé Mme Yard. La déco y est toute en rose, les habitants en parlent sur un ton de gêne et Lyle, avec son physique de gamin, s'en voit refuser l'entrée. S'agirait-il d'une maison close ? Dans un jeu à l'aspect pourtant si juvénile ?
En se promenant près des douves, Lyle apercoit un chevalier du château. "Je vais chez Mme Yard", dit celui-ci en achetant le silence d'un garde. C'est en allant chez une voyante que Lyle parvient à prendre l'apparence d'un adulte et s'inscrit comme client régulier dans l'établissement. Il monte alors dans une chambre accompagnée d'une jeune femme, employée de la maison, et qui se propose de commencer par...
À ce moment précis Friday intervient, au grand dam de tout joueur aux idées un peu mal placées. Outragée, elle jette un sort à Lyle et lui fait reprendre son apparence initiale. Mais l'employée s'explique : Mme Yard est une simple école de ballet, discipline considérée par l'établissement comme physiquement impraticable par des enfants. En sortant de la chambre, Lyle rencontre le chevalier du château qui le reconnaît et le provoque en duel. Mais comme Lyle est une fine lame, le chevalier se rend et l'invite au château en échange de son silence.
Malgré une chute un peu tirée par les cheveux, ce passage est un grand moment. Il fallait vraiment penser à un tel malentendu. C'est aussi une scène singulièrement japonaise : le propos n'est jamais explicite, mais une foule de petits détails contribue à semer le doute chez le joueur.

La crypte de Mercator

Toujours à Mercator, Lyle pénètre dans une crypte constituée de huit tombes, chacune d'entre elles comprenant une énigme à résoudre. Sur chaque sépulcre, un texte résume la vie du défunt. Ce texte est en fait un indice indispensable à la résolution de l'énigme. Au hasard des tombeaux, il faut trouver un escalier invisible, occire des monstres dans un certain ordre ou d'une certaine facon, ou encore éviter de faire exactement ce à quoi votre instinct d'aventurier vous incite, ouvrir des coffres par exemple.
Une fois les énigmes résolues, Lyle traverse une rivière souterraine pour arriver à un ultime tombeau gardé par une momie. Il découvre avec stupeur que cette dernière est invulnérable et qu'il se fait attaquer par une chose invisible. Cette chose est en fait la véritable momie, l'autre n'étant que son image.
Une autre séquence très réussie, qui mélange action et réflexion et qui devient rapidement stressante, mais pas seulement à cause de ses énigmes : la musique y est aussi discrète qu'effrayante et l'ambiance morbide tranche avec le ton bon enfant de la ville de Mercator, située juste au-dessus de la crypte.

Le labyrinthe vert

Aux environ de Mercator, une immense forêt décomposée en une dizaine de sections donnera du fil à retordre même aux joueurs les plus débrouillards. Difficile de croire que la disposition des portions obéit à quelque logique spatiale, mais c'est pourtant le cas. Pour commencer, il vous faudra distinguer d'étroits passages dissimulés entre des rangés de sapins. Et une fois dans la forêt, des nains espiègles se feront un plaisir de vous égarer encore plus.
Le labyrinthe vert est un de ces passages dans lesquels, après être revenu dix fois sur ses pas, on exulte en découvrant un nouveau décor, seul signe tangible de progression. C'est aussi une séquence dans laquelle l'intransigeance des concepteurs confine parfois au sadisme. Un des nains vous informera de l'existence d'un escalier qu'il faut absolument emprunter pour avancer, et qui est en fait intégralement dissimulé derrière un relief. À un autre moment, à peine Lyle est-il arrivé au sommet d'une colline, à deux pas d'un sentier jamais traversé avant, qu'un autre nain le pousse lâchement et l'oblige ainsi à recommencer tout son itinéraire.
Il y a dans le labyrinthe vert de quoi décrocher, et il faut faire l'aventure pour comprendre l'immense soulagement ressenti quand on met enfin la main sur la Pierre Solaire, objet indispensable pour continuer la quête.

NB : Pour la petite histoire, on trouve dans Golden Sun sur GBA un passage qui de par sa structure et son décor - un arbre géant - ressemble trop à un passage de Landstalker pour qu'une telle similitude soit le fruit d'une coïncidence. À l'évidence, certains programmeurs de Camelot ont travaillé chez Climax il y a maintenant une dizaine d'années. C'est tout à leur honneur.

Lyle
(06 août 2012)
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