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Grodito#09 - Comment Nintendo achève ses consoles
par camite (03/09/2007)
Nintendo a dominé l'ère 8 bits avec la NES, et malgré le joli coup réalisé par la Megadrive de Sega, la Super Nintendo a fini par s'imposer. De quoi être en confiance pour la suite des événements. Ainsi, quand Sega et le nouvel arrivant Sony sortent leurs nouvelles consoles 32 bits, Nintendo ne s'inquiète pas. Le géant japonais n'est pas prêt pour lancer une nouvelle machine, et se permet pourtant une campagne publicitaire d'une arrogance folle.

Car pour contrer l'arrivée des machines dernier cri de la concurrence, Nintendo pense avoir de quoi garder les joueurs de son côté. Une puce spéciale insérée dans les cartouches de jeux permet à la Super Nintendo d'afficher de la 3D (Starwing). Les Anglais de Rare surprennent tout le monde avec les graphismes en images de synthèse de Donkey Kong Country. Et Nintendo livre avec Yoshi's Island une des plus belles réussites de la plate-forme 2D.

Mais Nintendo va commettre une erreur qui s’avérera de taille. Jugeant que le marché européen n'est pas "prêt" à accueillir les jeux de rôles qui font le bonheur des Japonais (et des Américains), Nintendo laisse au placard de véritables monuments comme Final Fantasy VI et Chrono Trigger. Et c'est d'autant plus incompréhensible qu'ils traduisent et sortent d'autres jeux de l'éditeur Square à l'intérêt beaucoup plus incertain, comme Mystic Quest ou Illusion of Time.

Le coup fatal arrive au milieu des années 90. Squaresoft, lassé de la politique de Nintendo (notamment le choix du support cartouche), abandonne le nouveau Final Fantasy qu'ils avaient commencé sur Nintendo 64 pour poursuivre le projet en exclusivité chez Sony. Final Fantasy VII sortira en 97 sur PlayStation, avec l'impact déterminant que l'on sait.

Sans être un échec, la Nintendo 64 n'a pas le rayonnement de ses grandes sœurs. Avec la PlayStation, Sony a fait très fort : en élargissant le marché habituel du jeu vidéo aux adultes, le nouveau constructeur de consoles a créé de nouveaux joueurs (et donc de nouveaux clients) qui lui ont assuré la place de leader. Avec sa console plus traditionnelle (basée sur le support cartouche, alors que la PlayStation lit CD et CD-Rom), Nintendo reste dans la course grâce à son public de fidèles.

Alors qu'arrivent les années 2000, Sega joue sa dernière carte avec la Dreamcast et quelques jeux monstrueux (Jet Set Radio, Rez, Space Channel 5, Shenmue). Du côté de Sony, on annonce tranquillement la PlayStation2. Sans parler de Microsoft qui prépare son arrivée avec la Xbox.Noël 2000. Sega lance l'immense Shenmue 2. La PS2 est dans les starting-blocks. Nintendo compte sur ses vedettes maison pour garder ses fans. En l'occurrence, c'est un nouvel épisode de Zelda particulièrement audacieux qui sort : Majora's Mask. Problème : le jeu nécessite l'Expansion pack pour fonctionner, un accessoire qui booste la mémoire de la console pour afficher de meilleurs graphismes. Mais Nintendo ne pense pas une seule seconde que de très nombreux joueurs vont devoir se procurer ledit accessoire par la même occasion (tout le monde ne l’a pas déjà acheté pour jouer à Rogue Squadron).

Et ce qui devait arriver arriva : rupture de stock généralisée d'Expansion pack, privant de nombreux joueurs de leur jeu plusieurs semaines. Sur les forums de Nintendo, toute tentative de témoigner du problème est censurée par Bowser.

Mais ce n'était pas encore assez. Quelques mois plus tard, un jeu Nintendo 64 créé un buzz phénoménal : Conker's Bad Fur Day, qui met en scène un écureuil alcoolique et grossier dans des parodies de films. Qu'on l'aime ou pas, il faut bien lui reconnaître une certaine importance historique. Conker, résolument politiquement incorrect, détonne dans l'univers des jeux Nintendo généralement bon-enfant.

Pour une question d'image, Nintendo va décider... de ne pas sortir le jeu. Le développeur Rare, pourtant sous contrat d'exclusivité avec Nintendo, doit alors prendre en charge sa sortie aux Etats-Unis. En Europe, c'est l'éditeur THQ qui vole à la rescousse du titre, qui sort toutefois à un prix exorbitant et en assez faible quantité. Au Japon, Conker ne sortira tout simplement pas.Cette affaire a sans doute pesé dans la balance lorsque Rare s'est dégagé de ses obligations envers Nintendo pour rejoindre les studios de développement Microsoft. Après Square, Nintendo perd un des ses plus talentueux fournisseurs de hits (Rare a sorti GoldenEye, Banjo-Kazooie, les Donkey Kong Country…)
Après l'ère 32-64 bits arrive celle des consoles dites 128 bits. Sega se retire prématurément de la lutte, préférant se concentrer sur le développement de jeux. Sony a créé un tel écart lors de la génération précédente que la PlayStation 2 ne souffre aucune réelle concurrence, d'autant que la PS2 est compatible avec les jeux PS1.

Nintendo ne démérite pourtant pas. Inquiété par la Xbox, le constructeur va rapidement baisser le prix de sa console sous la barrière psychologique des 100 euros, ce qui boostera les ventes. En 2005, c'est Microsoft qui prend de l'avance avec la Xbox 360. Sony occupe le terrain comme il peut avec une hypothétique Playstation 3 et Nintendo annonce une nouvelle console "révolutionnaire". La GameCube a déjà un pied dans la tombe, malgré quelques accessoires amusants (micro pour Mario Party ou Odama, bongo pour Donkey Kong Jungle Beat). Les fidèles de Nintendo attendent pourtant leur ultime sauveur...

The Wind Waker, précédent épisode de Zelda, n'a pas fait l'unanimité. Son parti-pris graphique très "dessin animé" a déçu les joueurs qui attendaient un Zelda réaliste et mature dans la lignée de la seconde partie d'Ocarina of Time. Nintendo a donc réagi en présentant Twilight Princess, annoncé comme "le dernier grand jeu de la GameCube".Comme souvent, Nintendo va prendre son temps. A tel point que le jeu ne sera prêt qu'à la fin de l'année 2006, comme... la nouvelle console Wii, comme ça tombe bien ! C'est que la Wii suscite depuis sa présentation diverses interrogations. Wii Sports est sympa, mais les "hardcore gamers" restent sceptiques. Pour la sortie de sa console, Nintendo est à poil. Pas de nouveau Mario, pas de titre fort.

Et voilà comment Twilight Princess est devenu le gros titre de lancement de la Wii.Twilight Princess aurait-il pu sortir deux ans plus tôt ? Tout le monde l'aurait acheté sur GameCube et sa sortie sur Wii n'aurait plus intéressé grand monde. Nintendo a-t-il délibérément sacrifié une console pour une autre ? Au Japon, la version GameCube de Twilight Princess ne sera vendue que par correspondance. En Europe, Nintendo sortira cette version à environ 6000 exemplaires, sans réapprovisionnement prévu. Malgré les réservations, de nombreux joueurs restent sur la touche et les boutiques ne peuvent honorer leurs commandes.Dans le même temps, on apprenait que le nouveau Paper Mario, initialement développé pour GameCube, ne sortirait que sur Wii...

Et ainsi, la boucle était bouclée. Après avoir laissé la GameCube mourir de faim et nargué ses derniers fidèles en leur jetant les miettes de la Wii, Nintendo refait sa diva et achève la portable qui lui a assuré tant de succès. Après "le dernier grand jeu de la GameCube", Nintendo présente "le dernier grand jeu de la GBA". Ironie du sort, il s'agit d'un jeu avec lequel Nintendo s'est déjà planté par le passé.Il ne serait donc pas dit que le mythique Final Fantasy VI ne sortirait jamais en version française. Pourtant, quelques jours après sa sortie, Final Fantasy VI Advance est absolument introuvable. Les semaines passent, aucun réapprovisionnement. Mais à quoi pensaient-ils ? Un monument pareil, enfin traduit en français, et ils en tirent quoi, 500 exemplaires ? La fameuse Nintendo différence, sans doute.

Par curiosité, je jette un œil sur Internet. Épuisé, partout. Et déjà, des petits malins qui n'en avaient sans doute rien à faire de ce jeu le proposent d'occasion (mais encore sous blister...) à minimum 70 euros. Le prix d'un jeu Xbox 360. Certains montent même jusqu'à 100 euros, du pur délire.

Aujourd'hui, il n'y en a donc que pour la Wii, mais ne nous voilons pas la face. Nintendo n'apprend pas de ses erreurs. Treize ans pour sortir un des meilleurs jeux de tous les temps en quantité dérisoire ; une incapacité à anticiper la demande (tout le monde a eu sa Wii avant Noël ? Moi non plus) et à répondre aux joueurs désirant autre chose que Mario Shopping Yorkshire Edition... Je prédis à la DS et à la Wii une fin particulièrement cruelle.

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