Très joli rebond pour transformer le plomb en or.
J'argumenterais que la répétitivité joue justement un rôle primordial dans le sens où elle revêt un aspect rassurant qui donne l'illusion au joueur que le défi proposé par le jeu est facile/déjà maîtrisé alors qu'en réalité, même si la situation semble déjà connue, elle est souvent nouvelle et plus dure. Du coup, on échoue à quelque chose que l'on croyait évident, donc on est
vexé et on est pris par le jeu, auquel on joue encore et encore pour aller plus loin/voir le bout/augmenter son score, par orgueil et goût du défi.
Dans mes articles (et dans l'article sur
Donut Dodo), je cite souvent cet échange entre Iwata et Miyamoto qui dit la même chose:
Citation :
Iwata : Vous vouliez comprendre ce qui poussait les joueurs à insérer une autre pièce dans la machine pour retenter leur chance une fois la partie terminée ?
Miyamoto : Absolument. Et en fait, j'en ai conclu que tout cela venait du fait que les joueurs s'en voulaient. [...] Un jeu divertissant devrait toujours être simple à comprendre, vous devez comprendre ce qu'il faut faire directement au premier coup d'œil. [...] Ainsi, si vous n'y arrivez pas, vous vous en voulez à vous-même plutôt qu'au jeu. [...] Disons par exemple qu'une des actions du jeu est facile à faire pour le joueur. On y ajoute ensuite une autre action facile. Ces actions sont peut-être faciles en soi, mais lorsque le joueur doit effectuer les deux en même temps, ça devient bien plus compliqué.
On remarquera qu'une mécanique mise en place pour raison commerciale (inciter le joueur à remettre une pièce) débouche du même coup sur une raison plus noble (qu'il soit captivé et passe un bon moment) qui survivra à la disparition du jeu payant partie par partie à la faveur du jeu payé et possédé une fois pour toute. Ce qu'il dit là est valable de l'exacte même façon dans
Donkey Kong ou Mario Bros. (arcade) et dans
Super Mario Bros. (NES), que tout le monde continue aujourd'hui à applaudir en le reconnaissant comme un modèle de game design malgré très peu d'éléments différents et une structure/longueur qui avait sa place en salles d'arcade (cf. la version 'Vs.') tout autant qu'un
Ghosts'n Goblins. On ne peut pas taper sur l'arcade sans taper sur
Super Mario Bros.
Et on remarquera aussi que comme il le dit, "ces actions sont peut-être faciles en soi, mais lorsque le joueur doit effectuer les deux en même temps, ça devient bien plus compliqué", c'est-à-dire qu'en combinant différemment des éléments connus (et donnant donc une impression de répétitivité et de facilité), on crée en réalité une situation nouvelle et dangereuse. C'est ainsi que des briques de base limitées peuvent créer une variété incroyable dans
Boulder Dash par exemple, mais là encore avec des apparences de répétition et de fausse familiarité. Je viens de boucler récemment un article ridiculement long et admiratif (et même pas fini puisque j'y ajouterai un guide complet séparé) sur Space Giraffe, et je suis toujours éberlué qu'un jeu aussi riche et complexe (au point d'avoir perdu le public) ait pu se construire à partir des bases d'un jeu d'arcade très simple et un bestiaire de seulement
sept ennemis: sept ennemis mais une construction permettant 100 niveaux à la rejouabilité infinie.
Car taper sur la répétitivité et la difficulté comme le Gamekult d'il y a 15 ans (et faire ainsi preuve d'un certain archaïsme, ironiquement), ça débouche sur quoi, c'est quoi le corollaire? Des jeux qui ne se répètent jamais et qui sont faciles, et ça, ça s'appelle une
cinématique interactive ou un
tutoriel permanent. On a vu ce que ça donnait sur le plan ludique, et on est retourné à la difficulté et la répétitivité avec la vague rétro il y a 15 ans, qui a fourni une avalanche de jeux et une largeur de marché telles qu'on ne les avait jamais connues.
Parce qu'il est tout de même très curieux de présenter aujourd'hui les valeurs de l'arcade comme dépassées (?!) alors que ça fait 15 ans qu'elles
triomphent au point d'avoir saturé l'espace vidéoludique, et avoir même muté dans des branches inédites: qu'y a-t-il de plus dur et répétitif que le Rogue-lite, qui est absolument
partout? Spelunky, The Binding of Isaac, Dead Cells, ce n'est pas dur et répétitif? L'offre est tellement gigantesque qu'en plusieurs vies je n'aurais pas le temps de faire le tour même en me limitant aux jeux de qualité.
Si
Donut Dodo ne s'est pas vendu au niveau de sa qualité (je n'ai aucun moyen sûr de connaître ses ventes), ce ne serait certainement pas parce que le jeu typé arcade serait "vieillot" (?!), mais au contraire parce que
ce marché est saturé, il y a tellement de jeux en pixel art qui font des références aux années 1980 qu'il est devenu très difficile de se distinguer, prétendre l'inverse est un contresens tellement grossier qu'il en devient lunaire à la Münchhausen. Et sur le plan du level design,
Donut Dodo est en réalité l'inverse de la répétition, puisque ses quatre niveaux ont tous des mécaniques extrêmement distinctes, et comme c'est stipulé dans l'article dédié, le jeu se distingue de la vraie arcade des années 1980 en ne bouclant pas à l'infini, il n'y a que deux boucles du type:
A B C D - bonus - A+ B+ C+ D+ - fin
La "répétition" viendrait en réalité des mécanique très simples que l'on comprend tout de suite (ce qu'actuellement font à peu près tous les jeux) et de la rejouabilité où l'on cherche à maîtriser le mieux possible un segment court, à la
Pac-Man CE, qui a été un énorme carton générant plusieurs suite, faut-il le rappeler? En fait, dans l'article comme dans le topic dédié, il est d'ailleurs expliqué que
Donut Dodo prend acte des limites de l'arcade effective des années 1980, mais il prend soin de garder toutes ses qualités en contournant ses lacunes ou ses défauts, ce qui rend la réaction en citation d'autant plus étrange et décalée.
On pourrait aussi élargir au-delà du rétro: y a-t-il une série plus répétitive et dure que Monster
Hunter par exemple, qui est un succès des ventes tel qu'il est devenu une vache à lait de Capcom? Etc. etc. Il faudrait détailler ce que l'on entend par répétition au juste. Le jeu vidéo repose en bonne partie sur la satisfaction ressentie en acquérant un
savoir-faire, et ce dernier est forcément associé à une répétition.
_________________
Le Blog de Batbad - Compte sur Steam - Compte sur X