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Zack et Wiki : Le Trésor de Barbaros
Année : 2007
Système : Wii
Développeur : Capcom
Éditeur : Capcom
Genre : Aventure / Point'n click / Action
Par MTF (19 juin 2019)

À bien des égards, la Nintendo Wii a été une console importante pour l'histoire du jeu vidéo contemporain, au même titre que le furent, jadis, l'Atari 2600 ou la NES. Elle fut importante par son succès populaire, qui introduisit le jeu vidéo à des publics qui, jusqu'alors, ne s'y étaient guère intéressés ; importante par son principe de motion gaming, qui provoqua une vague d'imitation importante dans l'industrie, quand bien même cela n'aurait-il observé que quelques années seulement ; importante pour sa philosophie, en montrant que bien que les graphismes et la puissance de calcul soient nécessaires pour améliorer les possibilités de jeu, ils ne devaient point être le point focal absolu des développeurs.
Mais également, son importance, grâce à ces différents éléments, se lit dans l'incroyable diversité de sa ludothèque, sans doute aucun l'une des plus variées de l'histoire du jeu vidéo. Si certains types de jeu s'accomodèrent mal de sa manette et de son principe, à l'instar des jeux de rôles ou des first person shooter qui fleurirent chez la concurrence, et ce malgré quelques titres assez marquants, d'autres au contraire connurent une seconde vie grâce à la Wii et notamment les jeux d'aventure, particulièrement ceux du type point'n click.

Nos fiers héros, parés à l'aventure et prêts à explorer cette carte au trésor !

Aux côtés des ordinateurs effectivement, la console accueillit un assez grand nombre de jeux de cet ordre, le système de pointage de la manette allant assez bien avec ceux-ci. Que ce soit par l'intermédiaire d'adaptations de licences venues du monde du micro, comme Runaway 2, de suites de grands classiques comme Monkey Island ou Sam and Max, ou encore de licences produites par Nintendo lui-même comme Another Code R, cette renaissance du p'n c, à laquelle on assistait depuis le début des années 2000 suite à sa disparition lors de la décennie précédente, envahit également le marché des consoles grâce à la Wii.
Ce fut donc avec un mélange de surprise et de prévisibilité que Capcom lui-même, développeur respectable s'il en est, participa à ce renouveau avec un jeu s'inspirant notablement des grandes gloires de LucasArts et de Sierra On-Line, jeu qui, hélas, ne rencontra point son public malgré son beau succès critique : Zack & Wiki : Le Trésor de Barbaros.

Entre objets dorés et mécanismes antiques, ce monde regorge de mystères...

Oh hisse-et-oh

L'histoire de Zack & Wiki nous place dans un univers fortement inspiré par l'imaginaire de la piraterie, dans un esprit se revendiquant notamment de L'Île au trésor de Stevenson et, par ricochet, de Monkey Island qui doit évidemment beaucoup à ce roman fondateur. Zack, un enfant pirate, est accompagné d'une sorte de singe magique, Wiki, les deux faisant partie d'un équipage de forbans nommé les "Lapins des mers". Au cours d'une bataille les opposant à un gang rival, Zack et Wiki trouvent le crâne doré, et doué de conscience, de Barbaros, un chasseur de trésors légendaire. Celui-ci leur promet alors de les conduire à sa cache secrète, si et seulement s'ils l'aident à retrouver les parties disparues de son corps, éparpillées à la venvole au travers des océans.
Sur ce canevas d'un classicisme éprouvé, le joueur devra donc aider Zack et Wiki à explorer différentes îles et différents environnements pour retrouver les parties manquantes de Barbaros et réclamer son trésor. Attention cependant : des pirates rivaux sont prêts à tout pour les en dissuader, et Barbaros lui-même, qui semble connaître Wiki de longue date, semble jouer un double jeu...

Le jeu exploite au mieux la mythologie de la piraterie, notamment en présentant une faune agressive constituée, entre autres, de singes géants et de krakens.

Le monde dépeint par Z&W est un mélange détonnant de plusieurs univers, conciliant la rondeur de son style anime et des thèmes renvoyant à la grande ère de la piraterie moderne, dans un esprit rappelant tantôt le manga One Piece, qui fêtait à la sortie du jeu ses dix années d'existence, tantôt les films Pirates des Caraïbes, dont le premier épisode sorti en 2003, tantôt Skies of Arcadia ou Megaman Legends, variation du héros de Capcom dont l'univers et les graphismes ont dû, à un moment donné du développement, influencer le résultat final. Ne serait-ce, Wiki et Data semblent sortir du même ventre, du moins, je ne pouvais à l'époque faire l'économie de ce rapprochement.
Il est à reconnaître ici le résultat charmant que le développeur nous propose, le jeu étant un vrai délice à explorer. Les formes rondouillardes et toute en expressions des personnages et des ennemis se marient aux décors colorés, nous faisant voyager des jungles profondes aux temples oubliés en passant par les navires aventuriers. Le peu de puissance de la console est ainsi largement compensée par un design d'une rare intelligence : prétexte du jeu d'aventure aidant, les environnements sont ainsi clos sur eux-mêmes et peu massifs, ce qui permet de donner un soin particulier à chaque moment de la progression.

Data et Wiki se ressemblent beaucoup... Certes, Capcom semble toujours dessiner les singes de la même façon, mais tout de même !

La progression dans notre partie est segmentée effectivement par niveaux, plutôt que de nous faire traverser, à l'image des jeux d'aventure que je donnais en introduction, un vaste univers dans lequel il faudra résoudre plusieurs énigmes. Z&W reprendrait, en esprit, le principe d'un jeu d'aventure par tableaux, à l'image par exemple de la série Gobliiins, bien que la progression dans ceux-ci soit assez libre. On pourra ainsi régulièrement choisir la prochaine grande énigme à résoudre, et souvent les stages proposeront plusieurs issues. On a ainsi véritablement l'impression de suivre une véritable chasse au trésor, et on évite ainsi une monotonie que l'on aurait pu craindre.
Mais si le jeu se fait également divers, ce n'est pas uniquement grâce à sa progression semi-libre, mais également dans la façon dont il nous propose de résoudre les énigmes du jeu. Selon un concept, finalement, assez rare dans l'univers du p'n c, si l'on excepte quelques King's Quest ou Maniac Mansion, le joueur pourra régulièrement résoudre les énigmes de plusieurs façons distinctes, généralement grâce à un cheminement évident mais aussi grâce à une manipulation un peu plus roublarde de son inventaire et de son environnement.

Dans la jungle ou dans un vaisseau pirate, il faudra toujours explorer au mieux l'environnement pour se jouer des pièges.

À l'instar des jeux Sierra, Z&W propose un système de score récompensant votre sagacité et votre habileté. Plus la solution proposée est ingénieuse, et moins avez-vous eu de difficultés pour l'appliquer, plus le jeu vous récompensera en points. Ces points augmentent une sorte de « réputation totale », vous permettant d'accéder à des niveaux bonus et à d'autres trésors, ainsi qu'à différents items facilitant votre progression. Dans la mesure où l'on pourra toujours revenir dans des niveaux antécédents pour améliorer son capital, c'est là une idée pertinente pour encourager la rejouabilité, et on est surpris de l'intelligence des concepteurs.
Dès les premiers niveaux ainsi, il est possible soit de résoudre les énigmes selon le chemin tracé, exigeant souvent de faire un long détour et de multiplier les actions, soit de faire preuve de roublardise et de s'économiser de longues préparations. Ces solutions alternatives néanmoins exigent une connaissance aigüe des mécanismes du titre et de la configuration des lieux, et il est donc peu probable qu'on les découvre lors de notre première traversée d'un niveau. C'est en revenant dans ceux-ci, et en faisant attention à différents indices judicieusement laissés par les développeurs, qu'on les envisagera : et c'est cette dynamique, que je n'avais jamais vue appliquée avec autant de talent, qui hisse Z&W dans le panthéon du genre.

Le jeu use et abuse de superlatifs pour vous récompenser. Au début de chaque tableau, une cinématique vous présente l'ensemble de la zone et exhibe clairement son objectif, pour faciliter la progression.

Ding-dong, transforme-toi !

L'autre caractéristique fondamentale du jeu, permettant du reste à cette liberté résolutive de briller, c'est la façon dont nos héros interagissent avec leur environnement. Le joueur contrôle Zack, dans des environnements clos se présentant soit sur un plan de côté, le jeu s'approchant alors d'un platformer traditionnel, soit en trois-dimensions. Le singe Wiki, quant à lui, suivra docilement son ami mais, d'un geste, il peut se transformer en clochette magique. Lorsqu'on la fait tinter au contact d'un objet mobile ou d'une créature, animal ou personne, Wiki transformera ainsi ledit élément en quelque chose d'autre.
Il s'agira alors pour le joueur de transformer un animal en objet manipulable, qu'il peut alors emmagasiner dans son inventaire (on ne peut transporter qu'un seul objet à la fois) pour être réutilisable ailleurs. Par exemple, faire tinter Wiki devant une grenouille la transforme en bombe, l'utiliser avec un mille-pattes le change en scie à bois. La transformation est alors parfaitement réversible, et l'un des grands plaisir du jeu revient à trouver toutes les combinaisons possibles, celles-ci étant cataloguées dans un menu dédié à des fins de consultation.

La clochette est une idée brillante. Les créatures intelligentes sont souvent transformées en totems qui peuvent, entre autres, activer des boutons-poussoirs.

Cette dynamique de transformation, qui sédimente la résolution de la majorité des énigmes du jeu, est à la fois un principe ludique des plus réussis, puisque l'on est toujours étonné des associations que nous proposent les développeurs, et un principe de résolution des énigmes particulièrement stimulant. En jouant, ainsi, sur le retour d'un objet à son contrepoint animé, on compense l'inventaire unique de Zack, et on prend grand plaisir à faire interagir ces éléments entre eux et avec le décor pour résoudre les différents problèmes qui s'offrent à nous. On regrettera néanmoins que pour utiliser la cloche, il faille agiter la Wiimote ; et ce geste devant se faire souvent, et parfois en série, il peut être rapidement fatigant. De même, la majorité des actions que l'on accomplira avec ces éléments exigent une utilisation de la Wiimote, par exemple pour scier du bois. Cela n'est pas gênant en tant que tel, mais dans la mesure où notre récompense en points dépend également de notre efficacité gesticulatoire, il arrive régulièrement que l'on n'atteigne point le score maximal à cause d'un défaut de reconnaissance de la manette.
C'est là, sans doute, l'un des seuls défauts que j'imputerais au jeu, tant j'ai été conquis par tous ses autres aspects. Néanmoins, comme nombre d'éléments sont utilisés avec régularité, à l'instar de la scie ou du parapluie, et quand bien même leur utilité véritable serait souvent déviée ou astucieuse, ce choix de jeu s'avère à la longue assez lassant. Il est notamment dommage, surtout en fin d'aventure, d'échouer à la fin d'un niveau à cause d'un problème de jouabilité, et j'ai failli laisser tomber ma partie à plus d'une reprise en fin d'aventure.

Lorsqu'il faut utiliser la Wiimote, le jeu passe en jeu subjective et vous indique clairement la manipulation à faire.

Ce problème de points, cependant, n'est pas la seule conséquence néfaste de cette imprécision. En effet, et à l'image de beaucoup de jeux Sierra, Z&W est un jeu d'aventure aux situations bloquantes et mortelles. Bien que le jeu soit, dans l'ensemble, assez généreux, notamment en vous permettant d'acheter des indices vous indiquant l'étape subséquente d'un fil de résolution particulier, il est possible d'échouer, soit en se retrouvant dans une situation inéchappable, soit en mourant effectivement des mains d'un ennemi ou d'un piège. Bien que la majorité de ces impasses soient téléphonées, et que l'on ne soit alors jamais surpris des conséquences funestes de nos actions, il est des niveaux plus vicieux que d'autres.
Au milieu de l'aventure ainsi, Wiki se retrouve enfermé dans un bloc de glace et l'on doit faire pivoter tout un jeu de miroirs pour renvoyer des rayons mortels vers un monstre. L'on n'a droit qu'à un petit nombre d'essais, dans une séquence au temps limité, et la moindre erreur se solde par un game over immédiat. Sans solution, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de réussir cette épreuve du premier coup, et cela ne peut que déplaire aux joueurs et aux joueuses qui auraient déjà eu du mal à résoudre certaines énigmes antérieures.

Les ennemis se comportent comme de véritables adversaires, et vous pourchasseront s'ils vous aperçoivent. Comme vous n'avez pas de moyens de défense, il faudra bien trouver la façon d'éviter le conflit.

Zack & Wiki est effectivement un jeu d'aventure qui, du point de vue de sa difficulté, peut apparaître souvent inégal, même s'il est toujours ardu de faire la part des choses dans ce genre particulier tant les sensibilités individuelles diffèrent. Du point de vue personnel, je considère néanmoins le jeu comme assez difficile et ce dès ses premiers instants, indépendamment même des solutions alternatives que j'évoquais plus haut. Dès les premiers stages, l'on nous demande de faire preuve d'une intelligence certaine et d'un sens aigü du timing. Et même si nos premiers échecs ne se scandent pas par une issue fatale, puisqu'il est toujours possible de recommencer la séquence d'actions dès le commencement, ce n'est pas le cas des niveaux ultérieurs qui nous punissent cruellement à la moindre imprécision, la chose étant poussée à son paroxysme dans les niveaux secrets du jeu, d'une méchanceté rarement entrevue.
L'on retombe en vérité ici sur les critiques les plus régulièrement faites aux point'n click de Sierra, soit l'imprédictibilité des situations, les impasses régulières et les morts inévitables. Z&W serait cependant pire de ce point de vue : car autant l'on pouvait sauvegarder quand nous le voulions sur ordinateur, autant ici, les sauvegardes ne s'effectuent qu'une fois un stage complété, et chaque échec nous renvoie nécessairement au commencement de l'épreuve. Il est donc un aspect die and retry des plus prononcés ici, presque une sorte de « version arcade du point'n click » qui n'est pas sans plaisir, car la jouissance de réussir une épreuve est des plus fortes, mais qui n'est surtout pas sans douleur, tant l'épée de Damoclès pèse sur chacune de nos expérimentations.

Même des actions assez simples, comme allumer un feu, exigent d'utiliser la wiimote.

Et une bouteille de rhum !

Que cela soit à cause de ces choix de gameplay, ou bien parce qu'il s'agissait là d'une nouvelle licence, force est de reconnaître que le jeu ne rencontra point son public. Malgré une puissante campagne marketing et des critiques élogieuses de la part de la presse spécialisée, les ventes furent incroyablement décevantes, que ce soit au Japon comme ailleurs, et Capcom fit rapidement savoir qu'il n'avait aucunement l'intention de donner une suite au jeu. Plus d'une décennie plus tard, Zack & Wiki a effectivement rejoint la cohorte nombreuse des one shots, des jeux auxquels on n'accorda aucune seconde chance et qui ne survivent que grâce à la mémoire des joueurs. Peu de références sont effectivement faites au titre aujourd'hui, aucune annonce de portage sur console virtuelle n'a été faite, et le jeu semble destiné à doucement disparaître de la marche du temps.
C'est dommage, en vérité. Certes, Zack et Wiki exhibe une rigueur, dans sa ligne, qui le rend difficile d'accès ; sa grande difficulté, ses imprécisions de gameplay, son tremblement parfois l'empêchent d'être un coup de maître ni même, compte tenu du peu d'enthousiasme qu'il a soulevé jusqu'à présent, un « jeu culte ». Ce qu'il propose cependant est magistral, et ses points forts sont fabuleux, inattaquables même dans leurs principes et leur intelligence. Peut-être est-il sorti au mauvais moment, à peine un mois avant le déluge Super Mario Galaxy, peut-être son premier public ne jouait-il point sur Wii mais était resté fidèle aux micro-ordinateurs, bastion historique du point'n click. Peut-être. Mais indépendamment de ces excuses, indépendamment de ses défauts, il y a quelque chose de grand et de beau dans Zack et Wiki, qui mérite d'être découvert ou redécouvert.

Ding-dong, que le serpent devienne un grappin ! Parfois, comme à droite, le niveau est chronométré : il faut ici terminer le tableau avant qu'une embarcation, dont la progression est montrée en haut à gauche de l'écran, ne tombe d'une chute d'eau.

MTF
(19 juin 2019)
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